- La piété est-elle un don du Saint-Esprit ?
- Quelle est la béatitude et quels sont les fruits qui lui correspondent ?
Objections
1. Il semble que non, car les dons diffèrent des vertus, on l'a déjà vu. Or on a dit récemment que la piété est une vertu.
2. Les dons sont supérieurs aux vertus, surtout aux vertus morales, on l'a vu précédemment. Mais parmi les parties de la justice, la religion est plus importante que la piété. Donc, si une partie de la justice devait être mise parmi les dons, il semble que ce devrait être la religion plutôt que la piété.
3. Les dons, avec leurs actes, demeurent dans la patrie, on l'a vu. Mais l'acte de la piété ne peut y demeurer car S. Grégoire nous dit : « Ainsi, elle n'existera plus dans la patrie, où il n'y aura pas de misère. » Donc la piété n'est pas un don.
En sens contraire, Isaïe (Ésaïe 11.2) met la piété parmi les dons.
Réponse
Comme on l'a vu précédemment les dons du Saint-Esprit sont des dispositions habituelles de l'âme qui la rendent prête à se laisser mouvoir par l'Esprit. Entre autres impulsions, l'Esprit-Saint nous pousse à un amour filial envers Dieu, selon l'épître aux Romains (Romains 8.15) : « Vous avez reçu l'Esprit des enfants d'adoption en qui nous crions : Abba, Père. » Et parce que c'est le rôle propre de la piété de rendre au père le culte que nous lui devons, il s'ensuit que la piété par laquelle nous rendons un culte à Dieu comme à notre Père, sous l'impulsion du Saint-Esprit, cette piété est un don de celui-ci.
Solutions
1. La piété par laquelle nous rendons le culte que nous devons à notre père selon la chair est une vertu ; mais la piété qui est un don rend ce culte à Dieu en tant qu'il est Père.
2. Rendre un culte à Dieu créateur, ce que fait la vertu de religion, est plus excellent que rendre un culte à notre père charnel, ce que fait la piété qui est une vertu. Mais rendre un culte à Dieu comme Père est encore plus excellent que de rendre un culte à Dieu comme Créateur et Seigneur. Aussi la religion est-elle supérieure à la vertu de piété ; mais la piété comme désignant un don est supérieure à la vertu de religion.
3. De même que par la piété qui est une vertu on rend un culte non seulement à son père selon la chair, mais encore à tous ceux qui sont du même sang, parce qu'ils se rattachent au père ; de même encore la piété qui est un don rend ses devoirs et son culte non seulement à Dieu, mais encore à tous les hommes en tant qu'ils se rattachent à Dieu. Et c'est pourquoi il revient à ce don de piété d'honorer les saints et « de ne pas contredire l'Écriture, qu'on la comprenne ou non », dit S. Augustin. Par suite, c'est encore elle qui vient au secours des malheureux. Et bien que cet acte n'aie pas sa place dans la patrie, surtout après le jour du jugement, son acte principal y aura pourtant sa place, car il consiste à rendre à Dieu un culte filial qui alors sera prédominant selon le livre de la Sagesse (Sagesse 5.5) : « Voici comment ils ont été comptés parmi les fils de Dieu. » En outre les saints se rendront mutuellement honneur. Mais maintenant, jusqu'au jour du jugement, les saints seront miséricordieux pour ceux qui vivent dans cette condition de misère.
Objections
1. Il semble qu'au don de piété ne corresponde pas la deuxième béatitude : « Bienheureux les doux. » En effet, le don de piété correspond à la justice, ou encore à la quatrième béatitude : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice. » Ou encore à la cinquième : « Bienheureux les miséricordieux », parce que, comme on l'a dit, l'œuvre de la miséricorde se rattache à la piété. Donc la deuxième béatitude ne se rattache pas au don de piété.
2. Le don de piété est dirigé par le don de science, qui figure dans l'énumération des dons chez Isaïe (Ésaïe 11.2). Or celui qui dirige et celui qui exécute ont le même but. Donc, puisque la troisième béatitude — « Bienheureux ceux qui pleurent » se rattache à la science, il semble que la deuxième ne se rattache pas à la piété.
3. Les fruits correspondent aux béatitudes et aux dons, comme on l'a vu antérieurement. Mais, parmi les fruits, la bonté et la bénignité paraissent s'accorder davantage avec la piété que la mansuétude qui se rattache à la douceur. Donc la deuxième béatitude ne correspond pas au don de piété.
En sens contraire, S. Augustin écrit : « La piété convient aux hommes doux. »
Réponse
Pour adapter les béatitudes aux dons on peut envisager deux sortes de rapprochements. L'une selon leur ordre, que S. Augustin semble avoir suivi. Aussi attribue-t-il la première béatitude (selon S. Matthieu) au dernier des dons (selon Isaïe), qui est le don de crainte. La deuxième — « Bienheureux les doux », il l'attribue au don de piété, et ainsi de suite.
On peut envisager d'autres rapprochements selon la raison propre du don et celle de la béatitude. Il faut alors rapprocher les béatitudes et les dons selon leurs objets et leurs actes. À ce point de vue, la quatrième et la cinquième béatitude correspondent mieux que la deuxième au don de piété. Cependant la deuxième rejoint la piété en tant que la mansuétude supprime ce qui pourrait s'opposer aux actes de piété.
Solutions
1. Cela répond à la première objection.
2. Selon les caractéristiques des béatitudes et des dons, la même béatitude doit correspondre aux dons de piété et de science. Mais si l'on suit l'ordre d'énumération, diverses béatitudes s'y adaptent, à condition d'observer une certaine affinité, comme on vient de le dire.
3. Parmi les fruits, la bonté et la bénignité peuvent être attribuées directement à la piété ; mais la mansuétude indirectement, en tant qu'elle supprime ce qui empêcherait les actes de piété, on vient de le dire.