- Est-elle une vertu ?
- Une vertu spéciale ?
- A-t-elle pour objet la crainte et l'audace ?
- Seulement la crainte de la mort ?
- A-t-elle pour objet la crainte de mourir au combat ?
- Son acte principal est-il de supporter ?
- Agit-elle en vue de son propre bien ?
- Trouve-t-elle du plaisir dans son action ?
- S'affirme-t-elle surtout dans les cas soudains ?
- Emploie-t-elle la colère ?
- Est-elle une vertu cardinale ?
- Comparaison entre elle et les autres vertus cardinales.
Objections
1. Il semble que non, car S. Paul affirme (2 Corinthiens 12.9) : « La vertu se déploie dans la faiblesse. » Mais la force s'oppose à la faiblesse, donc elle n'est pas une vertu.
2. Si c'est une vertu, elle est une vertu théologale, intellectuelle ou morale. Mais elle ne rentre ni dans les vertus théologales, ni dans les vertus intellectuelles, on l'a déjà montrés. Et elle ne paraît pas être une vertu morale car, d'après Aristote certains paraissent courageux par ignorance, ou par expérience, comme les soldats, et cela relève de l'art plus que de la vertu morale ; certains aussi sont appelés courageux à cause de leurs passions, comme la crainte des menaces ou du déshonneur, ou encore par tristesse, par colère ou par espoir ; or, on l'a vu. la vertu morale n'agit pas par passion mais par choix. Donc la force n'est pas une vertu.
3. La vertu humaine réside surtout dans l'âme, car elle en est une « bonne qualité », on l'a dit précédemment. Mais la force semble résider dans le corps ; au moins elle dépend du tempérament. Elle n'est donc pas une vertu.
En sens contraire, S. Augustin met la force au nombre des vertus.
Réponse
Selon Aristote « la vertu rend bon celui qui la possède et rend bonne son action », ce qui s'applique à la vertu de l'homme. Or le bien de l'homme consiste à se régler sur la raison, selon Denys. Il revient donc à la vertu de rendre l'homme bon et à rendre raisonnable son action. Or cela se produit de trois manières. 1° La raison elle-même est rectifiée ; c'est l'œuvre des vertus intellectuelles. 2° Cette rectitude de la raison est instaurée dans les relations humaines ; c'est la tâche de la justice. 3° Il faut supprimer les obstacles à cet établissement de la droite raison dans les affaires humaines.
Or la volonté humaine est empêchée de suivre la rectitude de la raison de deux façons. 1° Parce qu'un bien délectable l'attire hors de ce que requiert la rectitude de la raison, et cet empêchement est supprimé par la vertu de tempérance. 2° Parce qu'une difficulté qui survient détourne la volonté de faire ce qui est raisonnable. Pour supprimer cet obstacle, il faut la force d'âme qui permet de résister à de telles difficultés, de même que par sa force physique l'homme domine et repousse les empêchements corporels. Aussi est-il évident que la force est une vertu, en tant qu'elle permet à l'homme d'agir conformément à la raison.
Solutions
1. La vertu de l'âme ne se déploie pas dans la faiblesse de l'âme, mais dans la faiblesse charnelle, dont parlait l'Apôtre. Il appartient à la force d'âme de supporter courageusement la faiblesse de la chair : c'est la tâche de la vertu de patience, ou de la vertu de force. Que l'homme reconnaisse sa propre faiblesse, cela relève de la perfection qu'on appelle l'humilité.
2. Parfois certains accomplissent l'acte extérieur d'une vertu sans avoir cette vertu, pour une cause autre que la vertu. Et c'est pourquoi Aristote énumère cinq modes selon lesquels certains sont appelés forts de façon factice, parce qu'ils exercent un acte de force sans avoir cette vertu. Cela arrive de trois façons. D'abord parce qu'ils se portent vers une tâche difficile comme si elle ne l'était pas. Ce qui se divise en trois. Parfois cela vient de l'ignorance, parce que l'on ne perçoit pas l’importance du danger. Parfois cela se produit parce que l’on sait par expérience qu'on y a souvent échappé. Et parfois cela se produit parce qu'on a une certaine connaissance et une certaine pratique. Cela arrive chez les militaires qui, à cause de leur connaissance et de leur expérience des armes estiment peu graves les périls de la guerre et croient pouvoir les éviter par leur habileté. Aussi Végèce dit-il « Personne n'a peur de faire ce qu'il est très sûr d'avoir bien appris. »
Ou encore deuxième façon quelqu'un accomplit sans vertu un acte de force, poussé par une passion, comme la tristesse qu'il veut chasser, ou encore la colère. Il y a une troisième façon qui comporte un choix, non celui de la fin raisonnable, mais celui d'un avantage temporel, comme l'honneur, le plaisir ou le gain ; ou le désir d'éviter un désavantage comme un blâme, une souffrance ou un dommage.
3. La force d'âme est appelée une vertu, nous venons de le dire, par ressemblance avec la force corporelle. Cependant il n'est pas contraire à la raison de vertu qu'on ait par tempérament une inclination naturelle à la vertu, on l'a dit précédemment.
Objections
1. Il semble que non, car il est dit que la Sagesse (Sagesse 8.7) « enseigne tempérance et prudence, justice et vertu », ce mot désignant ici la force. Donc, puisque ce nom de vertu est commun à toutes, il apparaît que la force est une vertu générale.
2. S. Ambroise écrit : « La force n'est pas le lot d'une âme médiocre, elle qui seule défend la beauté de toutes les vertus et maintient la justice, et qui combat tous les vices par une lutte acharnée. Invincible dans les travaux, courageuse dans le danger, impassible devant les voluptés, elle bannit la cupidité comme une souillure capable d'efféminer la vertu. » Et il en dit autant des autres vices. Or cela ne peut convenir à une vertu spéciale.
Donc la force est une vertu générale.
3. Le nom de force semble dériver de « fermeté ». Mais toute vertu doit être ferme, dit Aristote.
En sens contraire, S. Grégoire en fait une vertu parmi les autres.
Réponse
Comme on l'a dit antérieurement le mot de force peut se prendre en deux sens. D'abord selon queue implique en elle-même une certaine fermeté d'âme. En ce sens, c'est une vertu générale, ou plutôt une condition de toute vertu parce que, d'après le Philosophe, il est requis pour la vertu « d'agir de façon ferme et inébranlable ». Mais aussi on peut parler de la force selon queue implique fermeté d'âme pour supporter et repousser les difficultés particulièrement impressionnantes, comme les dangers graves. C'est pourquoi, dit Cicéron, « la force est une manière consciente d'affronter les périls et de supporter les labeurs ». C'est en ce sens que la force est présentée comme une vertu spéciale, ayant une matière déterminée.
Solutions
1. Selon Aristote le mot de vertu se rapporte « au maximum d'une puissance ». Or on parle d'une puissance naturelle lorsqu'elle permet à quelqu'un de résister aux forces de destruction, mais aussi lorsqu'elle est un principe d'action, comme Aristote le montre bien. Et parce que cette acception est la plus courante, le mot de vertu implique habituellement le maximum de telle puissance ; car la vertu au sens courant n'est rien d'autre que l'habitus qui permet de bien agir. Mais selon qu'elle implique le maximum de puissance au premier sens, qui est plus spécial, on l'attribue à une vertu spéciale, c'est-à-dire à la force, dont le propre est de résister fermement à toute attaque.
2. S. Ambroise entend la force au sens large, selon qu'elle implique fermeté d'âme en face de tous les assauts. Cependant, même en tant qu'elle est une vertu spéciale ayant une matière déterminée, elle aide toutes les autres vertus à repousser les assauts de tous les vices. Car si quelqu'un peut tenir solidement contre les attaques les plus dangereuses, il s'ensuit qu'il est capable de résister à des difficultés moindres.
3. Cette objection vaut pour la force entendue de la première manière.
Objections
1. Il semble que non, car S. Grégoire enseigne : « La force des justes consiste à vaincre la chair, à combattre la sensualité, à éteindre le plaisir de la vie présente. » La force semble donc avoir plutôt les plaisirs comme objets.
2. Cicéron dit qu'il appartient à la force « d'affronter les périls et de supporter les labeurs ». Or cela ne semble pas se rattacher aux passions d'audace et de peur, mais plutôt à des actions humaines laborieuses, ou à des événements périlleux.
3. À la crainte ne s'oppose pas seulement l'audace mais aussi l'espérance, comme on l'a dit précédemment, en traitant des passions. Donc la force ne doit pas concerner l'audace plus que l'espérance.
En sens contraire, il y a cette affirmation du Philosophe : « La force concerne la crainte et l'audace. »
Réponse
Comme nous l'avons dit plus haut, il revient à la vertu de force d'écarter l'empêchement qui retient la volonté de suivre la raison. Que l'on soit retenu de faire quelque chose de difficile, cela relève de la raison de crainte, qui fait reculer devant un mal présentant une difficulté, comme on l'a vu plus haut en traitant des passions. C'est pourquoi la chose concerne au premier chef la crainte des choses difficiles qui peuvent retenir la volonté de suivre la raison. Or il ne faut pas seulement subir fermement l'assaut de ces difficultés en réprimant la peur, mais aussi s'y attaquer avec modération, quand il faut les exterminer pour assurer sa sécurité future. Ce qui semble se rattacher à la raison d'audace. C'est pourquoi la force concerne la crainte et l'audace, en réprimant la crainte et en modérant l'audace.
Solutions
1. S. Grégoire parle là de la force des justes selon qu'elle se rapporte indistinctement à toute vertu. Aussi parle-t-il d'abord de ce qui regarde la tempérance, comme l'objection le note, et il ajoute ce qui regarde particulièrement la force comme vertu spéciale quand il dit : « Aimer les épreuves de ce monde en vue des récompenses éternelles. »
2. Les événements dangereux et les tâches laborieuses n'écartent la volonté de la raison que dans la mesure où on les craint. C'est pourquoi il faut que la force ait pour objet immédiat la crainte et l'audace, et médiatement les dangers et les labeurs, objets de ces passions.
3. L'espérance s'oppose à la crainte du côté de l'objet, parce que l'espérance porte sur le bien, et la crainte sur le mal. Or l'audace concerne le même objet et s'oppose à la crainte en ce que la première l'affronte tandis que la seconde le fuit, nous l'avons vu. Et parce que la force vise à proprement parler les maux temporels qui écartent de la vertu, comme on le voit par la définition de Cicéron il en découle que la force concerne à proprement parler la crainte et l'audace, mais non l'espérance, sinon en tant qu'elle est liée à l'audace, comme on l'a vu antérieurement.
Objections
1. Il semble que ce ne soit pas son seul objet. En effet, S. Augustin déclare que la force « est un amour qui supporte facilement tout pour ce qu'il aime » et que c'est « un sentiment qui ne craint ni la mort ni aucune adversité ».
2. Il faut que toutes les passions de l'âme soient amenées au juste milieu par une vertu. Mais on ne peut attribuer à aucune vertu la tâche de ramener les autres craintes à un juste milieu.
3. Aucune vertu ne se situe aux extrêmes. Or la crainte de la mort, étant la crainte la plus forte, est à l'extrême, selon Aristote. Donc la vertu de force ne se limite pas aux craintes mortelles.
En sens contraire, Andronicus définit la force : « Une vertu de l'appétit irascible qui ne se laisse pas facilement effrayer par les craintes qu'inspire la mort. »
Réponse
Comme on vient de le voir, il revient à la vertu de force de protéger la volonté de l'homme afin qu'elle ne recule pas devant un bien raisonnable par crainte d'un mal corporel. Or il faut tenir le bien de la raison contre tout mal, parce que nul bien corporel ne vaut le bien de la raison. C'est pourquoi il faut qu'on appelle force d'âme celle qui maintient fermement la volonté de l'homme dans le bien de la raison, malgré les plus grands maux, car celui qui tient ferme devant les plus grands tiendra ferme contre les moindres, mais non réciproquement ; en outre il revient à la vertu de viser le maximum. Or le plus terrible de tous les maux corporels est la mort, qui nous enlève tous les biens corporels. Ce qui fait dire à S. Augustin : « Le lien du corps ne doit être ni secoué ni tourmenté, par le labeur ou par la douleur ; par crainte qu'il ne soit enlevé et détruit, l'âme est agitée par la terreur de la mort. » C'est pourquoi la vertu de force concerne la crainte des périls de mort.
Solutions
1. La force se comporte bien pour supporter toutes les adversités. Cependant l'homme n'est pas appelé fort au sens absolu parce qu'il les supporte, mais seulement parce qu'il supporte bien les plus grands maux. Pour les autres maux, on l'appelle fort de façon relative.
2. Parce que la crainte naît de l'amour, toute vertu qui modère l'amour de certains biens modère nécessairement la crainte des maux contraires. Ainsi la libéralité, qui modère l'amour de l'argent, modère aussi par voie de conséquence la crainte de le perdre. Et l'on retrouve cela dans la tempérance et les autres vertus. Mais aimer sa propre vie est naturel, c'est pourquoi il fallait une vertu spéciale pour modérer la crainte de la mort.
3. L'extrême dans les vertus est considéré par rapport à ce qui sort de la limite de la raison droite. C'est pourquoi, si quelqu'un affronte les plus grands dangers conformément à la raison, il ne s'oppose pas à la vertu.
Objections
1. Il semble que la force ne concerne pas proprement le danger de mourir au combat. En effet, les martyrs sont loués principalement pour leur force, mais non pour une activité guerrière.
2. S. Ambroise « divise la force selon les travaux de la guerre et les activités domestiques ». Cicéron dit aussi : « Puisque la plupart estiment que la guerre l'emporte sur la vie civile, il faut rabaisser cette opinion car, si nous voulons juger en vérité, beaucoup d'activités civiles sont plus importantes et plus nobles que la guerre. » Mais les affaires les plus importantes intéressent la vertu la plus importante.
3. Les guerres ont, pour but de maintenir la paix temporelle de l’État. Car S. Augustin nous dit : « C'est pour obtenir la paix qu'on fait la guerre. » Mais il ne semble pas qu'on doive s'exposer à la mort pour la paix temporelle de l'État, car une telle paix est l'occasion de beaucoup de relâchements.
En sens contraire, Aristote dit que la force s'exerce au maximum à propos de la mort à la guerre.
Réponse
Comme nous l'avons dit à l'article précédent, la force confirme l'esprit humain contre les plus grands dangers qui sont les dangers de mort. Mais parce que la force est une vertu, il appartient à sa nature de toujours tendre au bien, et il s'ensuit que si l'homme ne s'enfuit pas devant les dangers mortels, c'est pour obtenir un certain bien. Or les dangers mortels qui viennent de la maladie, de la tempête, des assauts des bandits, etc. ne paraissent pas menacer quelqu'un directement parce qu'il poursuit un bien. Mais les périls mortels qu'on affronte à la guerre menacent l'homme directement à cause d'un bien, parce qu'il défend le bien commun par une guerre juste. Or la guerre peut être juste en deux sens. D'abord dans un sens général : pour ceux qui combattent dans l'armée. Ensuite dans un sens individuel : par exemple lorsqu'un juge ou même une personne privée ne redoute pas de porter un jugement juste par crainte d'une arme qui le menace ou de n'importe quel danger, fût-il mortel. Il revient donc à la force de rendre l'âme ferme contre les périls de mort qu'on rencontre non seulement dans une guerre générale, mais aussi dans des conflits individuels qu'on peut bien qualifier de guerres au sens large. Et en ce sens il faut accorder que la force concerne proprement les périls mortels qu'on affronte à la guerre.
Mais l'homme fort se comporte bien devant les périls mortels de toute espèce, surtout parce que la vertu peut exposer à tous ces dangers, par exemple lorsqu'on ne refuse pas par crainte d'une contagion mortelle d'aider un ami malade ; ou bien lorsqu'on ne refuse pas, par crainte du naufrage et des bandits, d'entreprendre un long voyage pour une affaire charitable.
Solutions
1. Les martyrs supportent des attaques personnelles pour le souverain bien, qui est Dieu. C'est pourquoi leur vertu de force reçoit des éloges particuliers. Et cela n'est pas étranger à la force qui se déploie à la guerre. C'est pourquoi ils sont dits « montrer de la vaillance à la guerre » (Hébreux 11.34).
2. On distingue les affaires domestiques et civiles des affaires guerrières, celles qui concernent les guerres générales. Mais, dans les affaires domestiques et civiles, peuvent surgir des périls mortels, venant de certaines attaques qui sont des guerres particulières. Et ainsi, en ce domaine, la force proprement dite peut-elle s'exercer.
3. La paix de l'État est bonne en soi et ne devient pas mauvaise si certains en usent mal. Car beaucoup d'autres en usent bien, et elle empêche beaucoup de maux comme les homicides, les sacrilèges, etc. bien pires que les maux occasionnés par la paix et qui se rattachent surtout aux vices charnels.
Objections
1. Il ne semble pas car, dit Aristote « la vertu concerne le difficile et le bien ». Mais il est plus difficile d'attaquer que de supporter. Donc supporter n'est pas l'acte principal de la force.
2. Il faut davantage de puissance pour pouvoir agir sur un autre que pour n'être pas soi-même modifié par l'autre. Mais attaquer, c'est agir sur l'autre, tandis que supporter est demeurer immobile. Donc, puisque la force nomme une perfection de la puissance, il semble qu'il lui appartienne d'attaquer plus que de supporter.
3. L'un des contraires est plus éloigné de l'autre que de sa simple négation. Or celui qui supporte se contente de ne pas craindre : mais celui qui attaque agit à l'inverse de celui qui craint, parce qu'il va de l'avant. Il apparaît donc, puisque la force éloigne au maximum de la crainte, qu'il lui revient davantage d'attaquer que de supporter.
En sens contraire, le Philosophe dit que « certains sont appelés forts surtout parce qu'ils supportent des épreuves pénibles ».
Réponses
Comme nous l'avons dit plus haut Aristote affirme : « La force concerne les craintes à réprimer, plus que les audaces à modérer. » Car si cela est plus difficile que ceci, c'est parce que le péril lui-même, objet de l'audace et de la crainte, contribue à réprimer l'audace, et produit l'accroissement de la crainte. Or l'attaque requiert cette force qui tempère l'audace, alors que supporter émane de la répression de la crainte. C'est pourquoi l'acte principal de la force est de supporter, c'est-à-dire de tenir bon dans les périls, plutôt que d'attaquer.
Solutions
1. Supporter est plus difficile qu'attaquer pour trois raisons. 1° Parce que supporter s'impose à celui qu'un homme plus fort attaque alors que l'attaquant est en position de force. Or il est plus difficile de combattre un ennemi plus fort qu'un ennemi plus faible. 2° Parce que celui qui supporte éprouve déjà les périls comme présents ; celui qui attaque les tient pour futurs. Or il est plus difficile de ne pas se laisser émouvoir par des maux présents que par des maux futurs. 3° Parce que supporter demande un temps prolongé, mais on peut attaquer par un élan subit. Or il est plus difficile de rester longtemps immobile que de s'élancer brusquement vers quelque chose de difficile. D'où cette remarque d'Aristote : « Certains volent au-devant des dangers, mais s'enfuient quand ils les rencontrent ; les hommes forts font le contraire. »
2. Supporter implique bien une passion dans le corps, mais aussi un acte de l'âme très fortement attachée au bien, d'où il suit qu'elle ne cède pas à la passion du corps pourtant présente. Or la vertu tient à l'âme plus qu'au corps.
3. Celui qui supporte ne craint pas, quoique le motif de sa crainte soit présent, alors qu'il ne l'est pas pour celui qui attaque.
Objections
1. Il semble que l'homme fort n'opère pas en vue du bien de son propre habitus. Car, lorsqu'on agit, la fin a beau être première dans l'intention, elle est néanmoins dernière dans l'exécution. Or l'acte de force, dans son exécution, est postérieur à l'habitus de force lui-même. Il n'est donc pas possible que l'homme fort agisse pour le bien de son propre habitus.
2. S. Augustin nous dit : « Certains osent soutenir que nous aimons les vertus uniquement à cause de la béatitude » c'est-à-dire en les recherchant pour celle-ci « de telle sorte que nous n'aimions plus la béatitude elle-même. S'il en était ainsi, nous cesserions d'aimer les vertus elles-mêmes, quand nous n'aimons plus ce pourquoi nous les aimons ». Or la force est une vertu. Donc l'acte de force ne doit pas être rapporté à la force elle-même, mais à la béatitude.
3. Pour S. Augustin la force est « l'amour qui supporte facilement toutes les difficultés pour Dieu ». Or Dieu n'est pas l'habitus de force, mais un être bien supérieur, puisque la fin est forcément meilleure que les moyens qui y conduisent. Donc l'homme fort n'agit pas pour le bien de son propre habitus.
En sens contraire, Aristote dit, que « pour le fort, la force est un bien », donc une fin.
Réponse
Il y a deux fins : la fin prochaine et la fin ultime. La fin prochaine de tout agent est d'introduire dans un autre être la ressemblance de sa propre forme ; ainsi la fin du feu qui chauffe, c'est d'introduire la ressemblance de sa chaleur dans le patient, et la fin de l'architecte est d'introduire dans la matière la ressemblance de son projet d'art. Or, quel que soit le bien qui en résulte, s'il est voulu, on peut l'appeler fin éloignée de l'agent. De même que dans une fabrication la matière extérieure est organisée par l'art, ainsi dans l'action les actes humains sont organisés par la prudence. Il faut donc conclure que le fort veut, comme fin prochaine, exprimer en acte une ressemblance de son habitus, car il veut agir en harmonie avec celui-ci. Mais sa fin éloignée est la béatitude, autrement dit : Dieu.
Solutions
Tout cela donne la réponse aux objections. Car le premier argument raisonnait comme si l'essence même de l'habitus était la fin, alors que celle-ci est sa ressemblance en acte, nous venons de le dire. Les deux autres objections considèrent la fin ultime.
Objections
1. Il semble bien, car la délectation est une action naturelle libre d'empêchement, dit Aristote. Or l'action de l'homme fort procède d'un habitus, qui agit à la manière d'une nature. Donc le fort trouve du plaisir dans son action.
2. Sur le texte (Galates 5.22) : « Les fruits de l'Esprit sont charité, joie et paix », S. Ambroise dit que « les œuvres des vertus sont appelées des ‘fruits’ parce qu'elles réconfortent l'esprit de l'homme par une délectation sainte et pure ». Mais l'homme fort accomplit des actes de vertu. Donc il trouve dans son acte de la délectation.
3. Le plus faible est vaincu par le plus fort. Mais l'homme fort aime le bien de la vertu plus que son propre corps, qu'il expose à des périls mortels. Donc la délectation procurée par le bien de la vertu efface la douleur physique, et ainsi l'homme agit entièrement dans la délectation.
En sens contraire, il y a cette affirmation d'Aristote : « Dans un acte, l'homme fort n'éprouve, semble-t-il, aucune délectation. »
Réponse
Comme nous l'avons dit précédemment en traitant des vertus, il y a deux sortes de délectations : l'une, physique, est produite par le toucher corporel ; l'autre, psychique, est produite par la connaissance. Et celle-là est précisément l'effet des actions vertueuses, parce qu'en elles on considère le bien de la raison. Or l'acte primordial de la force, c'est de supporter des épreuves qui sont pénibles selon la connaissance qu'on en a, comme la perte de la vie physique, aimée de l'homme vertueux non seulement en ce qu'elle est un bien de nature, mais aussi en tant qu'elle est nécessaire à une activité vertueuse et à ce qui s'y rapporte ; et aussi de supporter des épreuves douloureuses pour le sens du toucher comme les blessures ou la flagellation. C'est pourquoi l'homme fort d'une part a de quoi se délecter, selon la délectation psychique, c'est-à-dire de l'acte de vertu lui-même et de sa fin. Et d'autre part, il a de quoi souffrir, tant psychiquement, lorsqu'il envisage la fin de sa propre vie, que corporellement. C'est pourquoi on lit cette affirmation d'Éléazar (2 Maccabées 6.30) : « je souffre dans mon corps de cruelles douleurs ; mais dans mon âme je les supporte volontiers par crainte de Dieu. »
Or, la douleur sensible du corps fait qu'on ne ressent pas la délectation psychique de la vertu, sinon par une abondante grâce de Dieu, qui élève l'âme vers les choses divines dans lesquelles elle trouve sa délectation, plus fortement que cette âme n'est affectée par ses souffrances physiques. Ainsi le bienheureux Tiburce, tandis qu'il marchait pieds nus sur des charbons ardents, disait « qu'il lui semblait marcher sur un parterre de roses ». Cependant la vertu de force fait que la raison n'est pas absorbée par la douleur physique. La délectation de la vertu surpasse la tristesse psychique en tant que l'homme préfère le bien de la vertu à la vie physique et à ce qui s'y rapporte. Aussi Aristote dit-il qu'« on ne demande pas à l'homme fort d'éprouver de la délectation en la ressentant, mais qu'il lui suffit de ne pas céder à la tristesses ».
Solutions
1. La véhémence de l'acte ou de la passion d'une puissance empêche l'acte d'une autre puissance. C'est pourquoi la douleur sensible empêche l'âme forte d'éprouver de la délectation dans son opération.
2. Si les activités vertueuses sont délectables, c'est surtout à cause de leur fin ; or, elles peuvent être tristes par nature. Et cela se produit surtout pour la force. Aussi le Philosophe dit-il : « Faire œuvre de vertu ne cause pas toujours de la délectation, sinon en tant que cette vertu atteint sa fin. »
3. La tristesse psychique est vaincue chez l'homme fort par la délectation de la vertu. Mais, parce que la douleur physique est plus sensible et que la connaissance sensible est plus évidente pour l'homme, il arrive que la délectation spirituelle, qui tient à la fin de la vertu, soit comme dissipée par l'acuité de la douleur physique.
Objections
1. Il semble que non, car on appelle soudain ce qui arrive inopinément. Mais Cicéron dit : « La force est une manière consciente d'affronter les périls et de supporter les labeurs. »
2. S. Ambroise enseigne : « Il appartient à l'homme fort de ne pas dissimuler le danger qui menace, mais de l'affronter et, comme d'un observatoire spirituel, de devancer les événements futurs par une réflexion prévenante, pour n'avoir pas à dire ensuite : je suis tombé dans cette difficulté parce que je ne croyais pas qu'elle pouvait survenir. » Mais là où se produit un événement soudain, on ne peut avoir cette prévoyance. Donc l'activité de la force ne concerne pas les cas soudains.
3. Selon Aristote « l'homme fort a bon espoir ». Mais l'espoir attend un événement futur, ce qui est contraire à la soudaineté. Donc l'activité de la force ne s'affirme pas dans les cas soudains.
En sens contraire, le Philosophe affirme que la force concerne surtout « tous les dangers mortels qui se présentent soudain ».
Réponse
Deux éléments sont à considérer dans l'activité de la force. L'un quant au choix qu'elle fait et, de ce point de vue, la force ne concerne pas les cas soudains. Car l'homme fort choisit de prévoir les périls qui peuvent surgir, afin de pouvoir y résister, ou les supporter plus facilement, car, dit S. Grégoire : « Les traits que l'on prévoit blessent moins, et nous supportons plus facilement les maux de ce monde si nous sommes protégés contre eux par le bouclier de la prescience. »
Mais il y a un autre élément à considérer dans l'activité de la force, quant à la manifestation de l'habitus vertueux. Et à ce point de vue la force se manifeste surtout dans les cas soudains, parce que, d'après Aristote l'habitus de force se manifeste surtout dans les périls soudains. Car l'habitus agit à la manière de la nature. Aussi, que l'on agisse selon la vertu sans préméditation, lorsqu'une nécessité surgit du fait de périls soudains, cela manifeste au maximum que la force existe à l'état d'habitus dans cette âme confirmée. Mais quelqu'un qui n'a pas l'habitus de force peut, par une préméditation prolongée, préparer son esprit contre les périls. Et cette préparation, l'homme fort l'utilise quand il a du temps pour le faire.
Solutions
Tout cela donne la réponse aux Objections.
Objections
1. Il semble que non, car personne ne doit prendre pour instrument ce dont on ne peut pas user à son gré. Mais on ne peut pas user à son gré de la colère, c'est-à-dire en pouvant l'employer quand on veut, et la laisser quand on veut. Comme dit Aristote, quand une passion corporelle s'est émue, elle ne s'apaise pas aussitôt que l'on veut. Donc l'homme fort ne doit pas employer la colère dans son activité.
2. Celui qui suffit par lui-même à accomplir une tâche ne doit pas se faire aider par ce qui est plus faible et plus imparfait. Mais la raison suffit par elle-même à exercer l'œuvre de la force, là où la colère est inefficace. Aussi Sénèque dit-il : « La raison est capable par elle-même non seulement de prévoir, mais aussi de gérer les affaires. Y a-t-il rien de plus fou pour elle que de demander du renfort à la colère, c'est-à-dire que la stabilité recoure à l'incertitude, la confiance au mensonge, la santé à la maladie ? » Donc la force ne doit pas employer la colère.
3. Si certains accomplissent les œuvres de la force avec plus de véhémence par suite de leur colère, ils peuvent faire de même par tristesse ou par convoitise. Ce qui fait dire à Aristote : « Les bêtes féroces, par tristesse ou par douleur, sont excitées à braver les dangers, et les adultères ont, par convoitise, toutes les audaces. » Mais la force n'emploie pour agir ni la tristesse ni la convoitise. Donc, au même titre, elle ne doit pas employer la colère.
En sens contraire, il y a cette parole d'Aristote : « La colère vient en aide aux forts. »
Réponse
Comme nous l'avons dit précédemment, au sujet de la colère et des autres passions de l'âme les péripatéticiens et les stoïciens avaient des positions différentes. Les stoïciens excluaient, de l'âme du sage ou vertueux, la colère et toutes les autres passions. Les péripatéticiens, dont Aristote fut le chef de file, attribuaient aux vertueux la colère et les autres passions, mais modérées par la raison. Et peut-être ne différaient-ils pas sur le fond, mais sur la manière de parler. Car les péripatéticiens appelaient passions de l'âme tous les mouvements de l'appétit sensible, quelle que fût leur qualité, nous l'avons dit précédemment ; et parce que l'appétit sensible est mû par le commandement de la raison pour coopérer à une action plus prompte, ils soutenaient que la colère et les autres passions devaient être employées par les hommes vertueux, et modérées par le commandement de la raison. Les stoïciens, au contraire, appelaient passions des mouvements immodérés de l'appétit sensible, si bien qu'ils les qualifiaient de maladies ; c'est pourquoi ils les séparaient absolument des vertus. Ainsi donc l'homme fort emploie pour son acte une colère mesurée, non une colère immodérée.
Solutions
1. Une colère mesurée selon la raison est soumise au commandement de la raison ; il en découle que l'on en use à son gré, ce qui serait impossible avec une colère immodérée.
2. La raison n'emploie pas la colère pour son acte comme recevant d'elle du secours, mais parce qu'elle emploie l'appétit sensible comme un instrument, ainsi que les membres du corps. Et il n'est pas anormal que l'instrument soit plus imparfait que l'agent principal, comme le marteau par rapport au forgeron. Mais Sénèque était sectateur des stoïciens et a lancé les paroles citées par l'objection, directement contre Aristote.
3. Puisque, nous l'avons vu, la force a deux actes : soutenir et attaquer, elle n'emploie pas la colère pour soutenir, car la raison accomplit cet acte d'elle-même ; mais, pour attaquer, elle emploie la colère plus que les autres passions, parce qu'il revient à la colère de bondir sur ce qui fait souffrir, et ainsi elle coopère directement avec la force dans ses attaques. La tristesse, selon la raison qui lui est propre, s'effondre devant ce qui nuit ; mais, par accident, elle coopère à l'attaque ; soit en tant que la tristesse cause de la colère, comme on l'a vu précédemment ; ou en tant qu’il s'expose au danger pour se débarrasser d'elle. Pareillement la convoitise, selon sa raison propre, tend au bien délectable, auquel s'oppose par sol, l'affrontement des périls. Mais parfois, par accident, la tristesse coopère à l'attaque, en tant qu’il préfère braver le danger plutôt que renoncer au plaisir. Et c'est pourquoi Aristote enseigner que parmi les forces qui nous viennent de la passion, « la plus naturelle semble être celle qui provient de la colère, et si cette force se soumet à un choix raisonnable et à une fin nécessaire, elle est la vertu de force ».
Objections
1. Il semble que non. En effet, on vient de le dire la colère a une grande parenté avec la force. Mais la colère n'est pas une passion principale, ni l'audace qui se rattache à la force. Donc la force non plus ne doit pas être classée parmi les vertus cardinales.
2. La vertu est ordonnée au bien. Mais la force n'y est pas ordonnée directement, elle est plutôt ordonnée au mal, c'est-à-dire à supporter les dangers et les labeurs, comme dit Cicéron. Donc elle n'est pas une vertu cardinale.
3. Une vertu cardinale concerne les problèmes autour desquels tourne la vie humaine, de même qu'une porte tourne sur ses gonds (cardines). Mais la force concerne les périls mortels, qui se présentent rarement dans la vie humaine. Donc la force ne doit pas être classée comme une vertu cardinale, c'est-à-dire primordiale.
En sens contraire, S. Grégoire S. Ambroise, et S. Augustin comptent la force parmi les quatre vertus cardinales, c'est-à-dire primordiales.
Réponse
Comme on l'a déjà dit, on appelle vertus cardinales ou primordiales, celles qui revendiquent surtout pour elles ce qui appartient en général aux vertus. Parmi d'autres, conditions communes à la vertu, l'une consiste à « agir avec fermeté » d'après Aristote. Or la force revendique hautement pour elle le mérite de la fermeté. En effet, on loue d'autant plus celui qui tient fermement qu'il est plus fortement poussé à tomber ou à reculer. Or, ce qui pousse l'homme à s'écarter de ce qui est conforme à la raison, c'est le bien qui réjouit et le mal qui afflige. Mais la douleur physique pousse plus énergiquement que le plaisir, car S. Augustin nous dit : « Il n'y a personne qui ne fuie la douleur plus qu'il n'est attiré par le plaisir. Car nous voyons les bêtes les plus cruelles s'écarter des plus grands plaisirs par la crainte de la douleur. » Et parmi les douleurs de l'âme et les périls, on craint surtout ceux qui conduisent à la mort, et c'est contre eux que l'homme fort tient bon. Donc la force est une vertu cardinale.
Solutions
1. L'audace et la colère ne coopèrent pas avec la force en facilitant un acte de tenir bon, qui fait le principal mérite de sa fermeté. Par cet acte, en effet, l'homme fort réprime la crainte, qui est une passion principale, nous l'avons dit précédemment.
2. La vertu est ordonnée au bien de la raison qu'il faut conserver malgré les assauts des mauvais. Or la force est ordonnée aux maux physiques comme à des contraires auxquels elle résiste ; mais elle est ordonnée au bien de la raison comme à sa fin, qu'elle prétend conserver.
3. Bien que les périls mortels soient rares, cependant les occasions se présentent fréquemment de les susciter lorsque, par exemple, un homme voit se lever contre lui ses ennemis à cause de la justice qu'il observe, et d'autres bonnes actions qu'il accomplit.
Objections
1. Il semble qu'elle l'emporte sur toutes les autres vertus. Car S. Ambroise dit que « la force est comme plus élevée que les autres vertus ».
2. La vertu concerne le difficile et le bon. Or la force concerne ce qu'il y a de plus difficile. Donc elle est la plus grande des vertus.
3. La personne de l'homme est plus digne que ses biens. Mais la force concerne la personne de l'homme que l'on expose au péril de mort pour sauvegarder le bien de la vertu. Tandis que la justice et les autres vertus morales concernent les biens extérieurs. Donc la force est la principale de toutes les vertus morales.
En sens contraire, Cicéron a dit : « La splendeur de la vertu brille au maximum dans la justice, qui donne son nom à l'homme de bien. » Aristote a dit : « Forcément, les vertus les plus utiles à autrui sont les plus grandes. » Mais la libéralité paraît plus utile que la force. Donc elle est une plus grande vertu.
Réponse
Comme le dit S. Augustin « dans les choses où la quantité n'a pas d'importance, le plus grand est identique au meilleur ». Aussi une vertu est-elle d'autant plus grande qu'elle est meilleure. Or le bien de la raison est le bien de l'homme, pour Denys. Ce bien est possédé essentiellement par la prudence, qui est la perfection de la raison. Quant à la justice, elle réalise le bien en ce qu'il lui revient d'établir l'ordre de la raison dans toutes les affaires humaines. Et les autres vertus ont pour rôle de conserver ce bien, en ce qu'elles modèrent les passions, pour que celles-ci ne détournent pas l'homme du bien de la raison. Et à ce rang, la force occupe la première place, parce que la crainte du danger de mort est particulièrement efficace pour détourner du bien de la raison. Après elle vient la tempérance, parce que les plaisirs du toucher sont, plus que les autres, ce qui fait obstacle au bien de la raison. Or ce qui est attribué à titre essentiel est plus important que ce qui est attribué à titre de réalisation, et cela est plus important que ce qui a un office de conservation par éloignement d'un obstacle. Aussi, parmi les vertus cardinales, la plus importante est la prudence ; la deuxième la justice ; la troisième la force ; la quatrième, la tempérance. Et après elles les autres vertus.
Solutions
1. S. Ambroise fait passer la force avant les autres vertus selon une certaine utilité commune, celle qu'elle présente dans la guerre et dans les affaires civiles et domestiques. C'est pourquoi il dit d'abord, au même endroit : « Traitons maintenant de la force, qui l'emporte sur les autres vertus et se partage entre la guerre et les affaires domestiques. »
2. La raison de vertu consiste en ce qui est bien, plus qu'en ce qui est difficile. Aussi faut-il évaluer la grandeur de la vertu à la mesure de la bonté plutôt que de la difficulté.
3. L'homme ne s'expose aux dangers mortels que pour sauvegarder la justice. Et c'est pourquoi le mérite de la force dépend dans une certaine mesure de la justice. D'où cette remarque de S. Ambroise : « La force sans la justice favorise l'iniquité. Plus elle est vigoureuse et plus elle est prompte à opprimer les petits. »
4. Nous concédons cet argument.
5. La libéralité est utile par ses bienfaits particuliers. Mais la force a une utilité générale pour sauvegarder tout l'ordre de la justice. Et c'est pourquoi le Philosophe affirme : « On aime surtout les hommes justes et forts, parce qu'ils sont les plus utiles à la guerre et dans la paix. »