Somme théologique

Somme théologique — La secunda secundae

148. LA GOURMANDISE

  1. La gourmandise est-elle un péché ?
  2. Est-elle un péché mortel ?
  3. Est-elle le plus grand des péchés ?
  4. Ses espèces.
  5. Est-elle un vice capital ?
  6. Ses filles.

1. La gourmandise est-elle un péché ?

Objections

1. Il ne semble pas. Car le Seigneur dit en S. Matthieu (Matthieu 15.11) : « Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l'homme impur. » Or la gourmandise concerne les nourritures qui entrent dans l'homme. Puisque tout péché souille l'homme, il semble donc que la gourmandise ne soit pas un péché.

2. Personne ne pèche en ce qui est inévitable. Or la gourmandise est un manque de modération en matière de nourriture que l’homme ne peut éviter. S. Grégoire dit en effet : « Dans l'action de manger, le plaisir se mêle tellement à la nécessité qu'on ne sait pas ce qui est demandé par l'une ou par l'autre. » Et S. Augustin : « Seigneur ! Qui donc n'a pas pris de nourriture en sortant un peu des bornes du nécessaire ? »

3. En toute espèce de péché le premier mouvement est déjà un péché. Or le premier mouvement qui conduit à prendre de la nourriture n'est pas un péché, autrement la faim et la soif seraient des péchés.

En sens contraire, S. Grégoire recommande de « ne pas nous lever pour livrer le combat spirituel sans avoir auparavant dompté l'ennemi qui se trouve en nous-même, c'est-à-dire l'appétit de gourmandise ». Or l'ennemi intérieur de l'homme, c'est le péché. La gourmandise est donc un péché.

Réponse

La gourmandise ne qualifie pas n'importe quel désir de manger et de boire, mais le désir désordonné. Or on dit qu'un désir est désordonné lorsqu'il s'écarte de l'ordre de la raison, en quoi réside le bien de la vertu morale. Et l'on appelle péché ce qui s'oppose à la vertu. Il est donc clair que la gourmandise est un péché.

Solutions

1. Ce qui entre dans l'homme par mode de nourriture, à ne considérer que sa substance et sa nature, ne souille pas spirituellement l'homme. Ce sont les Juifs, contre qui parlait le Seigneur, et les manichéens qui pensaient que certains aliments rendaient impur, non à cause de leur caractère figuratif, mais à cause de leur nature propre. Cependant la convoitise désordonnée des aliments souille l'homme spirituellement.

2. Comme on vient de le dire, le vice de gourmandise ne consiste pas en la substance de la nourriture, mais en la convoitise non réglée par la raison. C’est pourquoi, lorsqu'on dépasse la quantité normale de nourriture, non à cause de la convoitise, mais parce que l'on croit que c'est nécessaire, cela ne relève pas de la gourmandise mais de quelque inexpérience. Ce qui relève de la gourmandise, c'est uniquement, par convoitise d'une nourriture délectable, de dépasser sciemment la mesure lorsqu'on mange.

3. Il y a deux espèces d'appétit. L'un est l'appétit naturel, qui se trouve dans les puissances de l'âme végétative, en lesquelles il ne peut y avoir de vertu ou de vice, puisqu'elles ne peuvent être soumises à la raison. Cet appétit se contredistingue des facultés de retenir, de digérer et d'évacuer. C'est à cet appétit qu'appartiennent la faim et la soif. Mais il y a un autre appétit, l'appétit sensible, et c'est dans la convoitise de cet appétit que consiste le vice de gourmandise. Le premier mouvement de gourmandise implique donc, dans l'appétit sensible, un dérèglement qui n'est pas exempt de péché.


2. La gourmandise est-elle un péché mortel ?

Objections

1. Non, semble-t-il. En effet, tout péché mortel est contraire à un précepte du décalogue, ce qui ne semble pas vrai de la gourmandise.

2. Tout péché mortel est contraire à la charité, on l'a montré plus haut. Or la gourmandise ne s'oppose pas à la charité, ni à l'amour de Dieu ni à l'amour du prochain. La gourmandise n'est donc pas péché mortel.

3. Selon S. Augustine « toutes les fois que quelqu'un, dans le manger et le boire, consomme plus qu'il n'est nécessaire, qu'il sache que cela est à compter parmi les menus péchés ». Or il s'agit là de gourmandise. La gourmandise est donc placée parmi les menus péchés, c'est-à-dire parmi les péchés véniels.

En sens contraire, S. Grégoire dit : « Lorsque le vice de gourmandise l'emporte, les hommes perdent tout ce qu'ils ont fait de fort ; et quand le ventre n'est pas réprimé, toutes les vertus sont écrasées à la fois. » Mais la vertu n'est détruite que par le péché mortel. La gourmandise est donc un péché mortel.

Réponse

Comme on l'a vu, le vice de gourmandise consiste essentiellement en une convoitise déréglée. Or l'ordre de la raison, qui règle la convoitise, peut être détruit de deux façons : d'abord quand aux moyens relatifs à la fin, s'ils ne sont pas proportionnés à cette fin ; ensuite quant à la fin elle-même, si la convoitise détourne l'homme de la juste fin. Donc, si le désordre de la convoitise gourmande est acceptée jusqu'à détourner de la fin ultime, alors la gourmandise sera péché mortel. Ce qui arrive quand l'homme s'attache au plaisir de la gourmandise au point de mépriser Dieu, c'est-à-dire s'il est prêt à agir contre ses préceptes pour obtenir de tels plaisirs. — Mais si, dans le vice de gourmandise, le désordre de la convoitise ne se rapporte qu'aux moyens, en ce sens qu'on désire trop les plaisirs de la nourriture, mais sans faire pour cela quelque chose de contraire à la loi de Dieu, alors la gourmandise est péché véniel.

Solutions

1. Le vice de gourmandise est péché mortel en tant qu'il détourne de la fin ultime ; il s'oppose ainsi indirectement au précepte de sanctifier le jour du Seigneur, qui nous prescrit le repos dans la fin ultime. En effet, tous les péchés mortels ne sont pas directement contraires aux préceptes du décalogue, mais seulement ceux qui renferment une injustice, car les préceptes du décalogue concernent spécialement la justice et les vertus qui en font partie, nous l'avons vu.

2. En tant qu'elle détourne de la fin ultime, la gourmandise est contraire à l'amour de Dieu qui, étant notre fin ultime, doit être aimé par-dessus tout. C'est par là seulement que la gourmandise est péché mortel.

3. Ces paroles de S. Augustin doivent s'entendre de la gourmandise selon qu'elle comporte un désordre de la convoitise par rapport aux seuls moyens.

4. La gourmandise détruit les vertus non pas tant par elle-même que par les vices dont elle est la source. S. Grégoire dit en effet : « Tandis que la gloutonnerie tend le ventre, les forces de l'âme sont anéanties par la luxure. »


3. La gourmandise est-elle le plus grand des péchés ?

Objections

1. Il semble bien. En effet, on juge la grandeur d'un péché à la grandeur de la peine. Or c'est le péché de gourmandise qui est le plus gravement puni. S. Chrysostome dit en effet : « C'est la convoitise de la nourriture qui chassa Adam du paradis ; c'est elle aussi qui amena le déluge au temps de Noé » ; et on lit dans Ézéchiel (Ézéchiel 16.49) : « Voici quel fut le crime de Sodome, ta sœur : la voracité... » Le péché de gourmandise est donc le plus grand des péchés.

2. En tout genre, le plus important, c'est la cause. Or la gourmandise apparent comme la cause d'autres péchés. Car sur ce passage du Psaume (Psaumes 136.10) : « Il frappa l'Égypte dans ses premiers-nés », la Glose dit : « La luxure, la concupiscence, l'orgueil sont engendrés par le ventre. » La gourmandise est donc le plus grand des péchés.

3. Après Dieu, c'est lui-même que l'homme doit aimer le plus, on l'a vu. Or c'est à lui-même que l'homme cause du dommage par le vice de gourmandise, selon l'Ecclésiastique (Ecclésiastique 37.31) : « Beaucoup sont morts pour avoir trop mangé. » La gourmandise est donc le plus grand des péchés, au moins en dehors des péchés commis contre Dieu.

En sens contraire, les vices de la chair, parmi lesquels on compte la gourmandise, sont peu coupables, selon S. Grégoire.

Réponse

On peut considérer la gravité d'un péché à un triple point de vue : l° Au point de vue de la matière du péché, et c'est le principal. De ce point de vue les péchés qui se rapportent aux choses divines sont les plus grands. C'est pourquoi le vice de gourmandise n'est pas le plus grand, car il a pour matière ce qui concerne la réfection du corps. — 2° Au point de vue de celui qui pèche. De ce point de vue le péché de gourmandise est plutôt diminué qu'aggravé, tant à cause de la nécessité de se nourrir qu'à cause de la difficulté de discerner et de mesurer ce qui convient en ce domaine. — 3° Au point de vue des conséquences. De ce point de vue, le vice de gourmandise a une certaine importance, en raison des différents péchés dont il fournit l'occasion.

Solutions

1. Ces peines se réfèrent aux vices qui sont les conséquences de la gourmandise ou à sa racine, plus qu'à la gourmandise elle-même. En effet, le premier homme fut expulsé du paradis à cause de l'orgueil qui le conduisit à un acte de gourmandise. Quant au déluge et au châtiment des habitants de Sodome, ils furent provoqués par des péchés de luxure qui avaient précédé, et dont la gourmandise avait fourni l'occasion.

2. L'objection se réfère à des péchés qui sont nés de la gourmandise. Or la cause ne l'emporte sur l'effet que dans les cas de causalité directe. La gourmandise n'est pas cause directe de ces vices, mais pour ainsi dire cause accidentelle et occasionnelle.

3. Le gourmand n'a pas l'intention de nuire à son corps, mais de prendre son plaisir dans la nourriture. Si un dommage en résulte pour le corps, c'est par accident. Il s'ensuit que cela n'appartient pas directement à la gravité de la gourmandise. La faute de celle-ci est néanmoins aggravée si l'on encourt un dommage corporel à cause d'une absorption immodérée de nourriture.


4. Les espèces de la gourmandise

Objections

1. Il semble que les espèces de la gourmandise ne soient pas judicieusement distinguées par S. Grégoire, qui dit : « Le vice de gourmandise nous tente de cinq manières : parfois il nous fait devancer l'heure où le besoin se fait sentir, parfois rechercher des aliments exquis, parfois désirer une nourriture préparée avec trop de recherche, parfois dépasser la mesure dans la quantité même, parfois pécher par la violence même d'un désir intense. » Ce que S. Grégoire résume ainsi : « Prématurément, exquisement, excessivement, avidement, passionnément. » Les formes de gourmandise que l'on vient de dire se diversifient selon les circonstances. Or les circonstances, puisqu'elles sont des accidents de l'action, ne donnent pas lieu à des espèces différentes. Les espèces de gourmandise ne sont donc pas diversifiées ainsi.

2. Le temps constitue une certaine circonstance, de même que le lieu. Si l'on conçoit donc une espèce de gourmandise en considération du temps, il faudrait faire de même en considération du lieu et des autres circonstances.

3. De même que la tempérance considère les circonstances requises, de même les autres vertus morales. Or dans les vices qui s'opposent aux autres vertus morales on ne distingue pas d'espèces selon les différentes circonstances. On ne devrait pas le faire non plus dans la gourmandise.

En sens contraire, il y a le texte allégué de S. Grégoire.

Réponse

Comme nous l'avons dit, la gourmandise comporte une convoitise désordonnée de la nourriture. Mais dans l'action de manger on peut considérer deux choses : la nourriture même que l'on mange, et la manducation. Le désordre de la convoitise peut donc s'entendre de deux manières. D'une première manière, quant à la nourriture même que l'on prend. Ainsi, quant à la substance ou l'espèce de nourriture, il arrive que l'on recherche des aliments « exquis », c'est-à-dire coûteux ; quant à la qualité, il arrive que l'on recherche des aliments préparés « avec trop de recherche » ; et quant à la quantité, il arrive que l'on dépasse la mesure en mangeant « excessivement ».

D'une autre manière le désordre de la convoitise s'entend encore quant à l'absorption même de la nourriture. Ou bien parce qu'on devance le temps convenable pour manger, ce qui est manger « prématurément » ; ou bien parce qu'on n'observe pas la mesure requise en mangeant, ce qui est manger « avidement ». — Isidore réunit en une seule les deux premières circonstances, et dit que le gourmand commet des excès dans la nourriture selon « la substance, la quantité, la manière et le temps ».

Solutions

1. La corruption des circonstances diverses donne naissance à différentes espèces de gourmandise à cause des différents motifs, qui sont spécificateurs en morale. En effet, chez celui qui recherche une nourriture exquise, c'est la nature même des aliments qui excite la convoitise ; tandis que chez celui qui devance le temps, c'est l'impatience d'attendre qui produit le désordre et ainsi du reste.

2. Dans le lieu et les autres circonstances on ne trouve pas un motif spécial se rapportant à l'usage de la nourriture, et susceptible de produire une autre espèce de gourmandise.

3. Dans tous les autres vices où les diverses circonstances impliquent des motifs différents, on doit admettre qu'il y a différentes espèces de vices selon les différentes circonstances. Mais cela ne se présente pas dans tous les cas, nous l'avons dit en parlant du péché.


5. La gourmandise est-elle un vice capital ?

Objections

1. Il semble que non, car on appelle vices capitaux ceux qui, en qualité de cause finale, donnent naissance à d'autres vices. Or la nourriture, qui est la matière de la gourmandise, n'est pas une fin ; elle n'est pas recherchée en vue d'elle-même, mais en vue de la réfection corporelle.

2. Un vice capital semble avoir quelque primauté dans la raison de péché. Or ce n'est pas le cas de la gourmandise qui semble être par son genre le plus petit des péchés, comme étant plus proche de ce qui est naturel. Elle ne semble donc pas être un vice capital.

3. Il y a péché quand on s'écarte du bien honnête pour obtenir quelque chose d'utile à la vie présente, ou d'agréable aux sens. Mais en ce qui concerne les biens utiles, il n'y a qu'un seul vice capital : l'avarice. Il semble donc qu'il n'y ait aussi qu'un seul vice capital en ce qui concerne les plaisirs. Et c'est la luxure, qui est un vice plus grand que la gourmandise, et qui a trait à des plaisirs plus grands. Donc la gourmandise n'est pas un vice capital.

En sens contraire, S. Grégoire range la gourmandise parmi les vices capitaux.

Réponse

On appelle vice capital, nous l'avons dit, celui qui donne naissance à d'autres vices selon sa raison de cause finale, c'est-à-dire celui qui présente une fin très désirable, dont la convoitise conduit les hommes à pécher de multiples façons. Mais une fin est rendue très désirable par le fait qu'elle comporte une des conditions du bonheur qui, par sa nature même, est désirable. Or, dit Aristote le plaisir appartient à la notion de bonheur. C'est pourquoi la gourmandise qui a trait aux plaisirs du toucher, les principaux de tous, est rangée à bon droit parmi les vices capitaux.

Solutions

1. La nourriture elle-même est sans doute ordonnée à autre chose comme à sa fin. Mais comme cette fin, la conservation de la vie, est extrêmement désirable, et qu'on ne peut l'obtenir sans nourriture, il en résulte que la nourriture elle-même est extrêmement désirable. C'est à elle qu'est ordonné presque tout le labeur de la vie humaine, comme le montre cette parole de l'Ecclésiaste (Ecclésiaste 6.7) : « Toute la peine que prend l'homme est pour sa bouche. » — Il semble cependant que la gourmandise se rapporte davantage aux plaisirs procurés par la nourriture qu'à la nourriture elle-même. Ce qui fait dire à S. Augustin : « Certains, méprisant la santé du corps, préfèrent manger — en quoi se trouve le plaisir — à être rassasiés... alors que le but de tous ces plaisirs est de ne pas avoir faim ni soif. »

2. La fin du péché se prend du bien vers lequel il se tourne, mais la gravité du péché se prend du bien dont il se détourne. C'est pourquoi un vice capital que procure une fin très désirable peut ne pas avoir une grande gravité.

3. Le délectable est désirable en lui-même. C'est pourquoi, en fonction de sa diversité, il donne lieu à deux vices capitaux, la gourmandise et la luxure. L'utile, au contraire, n'est pas désirable en lui-même, mais à titre de moyen. En toutes les réalités utiles il semble donc n'y avoir qu'une seule raison pour qu'elle nous soient désirables. Elles ne donnent lieu, pour cette raison, qu'à un seul vice capital.


6. Les filles de la gourmandise

Objections

1. Il ne semble pas cohérent d'assigner cinq filles à la gourmandise, à savoir : « la joie inepte, la bouffonnerie, la malpropreté, le verbiage et l'hébétude de l'esprit ». En effet, la joie inepte suit tout péché, disent les Proverbes (Proverbes 2.14) : « Ils trouvent leur joie à faire le mal, se complaisent dans la perversité. » De même on trouve l'hébétude de l'esprit en tout péché selon les Proverbes (Proverbes 14.22) : « N'est-ce pas s'égarer que de machiner le mal ? » Les filles de la gourmandise ne sont donc pas bien énumérées.

2. La malpropreté qui suit la gourmandise consiste surtout à vomir, selon Isaïe (Ésaïe 28.8) : « Toutes les tables sont pleines de vomissements abjects. » Or cela ne semble pas être un péché, mais plutôt une peine, ou encore quelque chose d'utile qui fait l'objet d'un conseil, d'après l'Ecclésiastique (Ecclésiastique 31.25 Vg) : « Si tu as été forcé de trop manger, lève-toi, va vomir, et tu seras soulagé. » La malpropreté ne doit donc pas être placée parmi les filles de la gourmandise.

3. Isidore fait de la bouffonnerie une fille de la luxure. Elle ne doit donc pas être placée parmi les filles de la gourmandise.

En sens contraire, c'est S. Grégoire qui assigne ces filles à la gourmandise.

Réponse

Nous l'avons dit la gourmandise consiste proprement dans le plaisir immodéré qu'on prend à manger et à boire. C’est pourquoi on met au nombre des filles de la gourmandise les vices qui font suite à ce plaisir immodéré. Ces vices peuvent être vus du côté de l'âme, ou du côté du corps. Du côté de l'âme, de quatre façons :

1° Quant à la raison, dont la vivacité est émoussée par l'excès du manger et du boire. Selon ce point de vue, on fait de « l'hébétude de l'intelligence » une fille de la gourmandise, car les fumées de la nourriture et de la boisson troublent la tête. Au contraire, l'abstinence aide à découvrir la sagesse, comme dit l'Ecclésiaste (Ecclésiaste 2.3 Vg) : « J'ai décidé dans mon cœur d'arracher ma chair à l'emprise du vin, pour que mon âme se porte à la sagesse. »

2° Quant à l'appétit, qui se dérègle de multiples manières par l'excès de nourriture et de boisson, le gouvernement de la raison étant comme assoupi. Selon ce point de vue, on parle de « joie inepte », car toutes les autres passions désordonnées conduisent, selon Aristote, à la joie et à la tristesse. Comme il est dit dans le 3ème livre d'Esdras, « le vin transforme tout l'esprit en sécurité et en joie ».

3° Quant à la parole proférée dans le désordre. Et ainsi on a « le verbiage » car, selon S. Grégoire « si un bavardage effréné n'emportait pas ceux qui s'adonnent à la gourmandise, ce riche, que l'on dit festoyer splendidement chaque jour, n'aurait pas la langue si douloureusement dévorée par le feu ».

4° Quant aux actes désordonnés. Et l'on parle alors de « bouffonnerie », c'est-à-dire d'une certaine exubérance de mouvements provenant d'un défaut de la raison qui, ne pouvant maîtriser les paroles, ne peut pas non plus maîtriser les gestes extérieurs. À propos de ces mots de S. Paul (Éphésiens 5.4) : « De même pour les mépris et les facéties », la Glose ajoute : « Il s'agit là de bouffonnerie, c'est-à-dire d'une exubérance qui provoque le rire. » — Néanmoins on pourrait rattacher l'une et l'autre aux paroles en lesquelles il arrive de pécher soit par abondance, ce qui est le « verbiage », soit par défaut de retenue, ce qui est la « bouffonnerie ».

Du côté du corps, on parle de « malpropreté ». Ce qui peut se rapporter soit à l'émission désordonnée d'un quelconque surplus, soit plus précisément à l'émission de la semence. C'est pourquoi à propos de ces paroles de S. Paul (Éphésiens 5.3) : « Quant à la fornication et à la malpropreté sous toutes ses formes, etc. », la Glose ajoute : « ... c'est-à-dire l'incontinence qui appartient de quelque façon au désir charnel. »

Solutions

1. La joie qui concerne l'acte du péché ou sa fin accompagne tout péché, surtout le péché d'habitude. Mais la joie vague et mai définie, qui reçoit ici l'épithète d'« inepte », provient principalement de l'absorption immodérée de la nourriture et de la boisson.

De même l'hébétude du sens, qui empêche de choisir, se retrouve communément en tout péché. Mais l'hébétude du sens concernant les choses de l'intelligence procède surtout de la gourmandise pour la raison qu'on vient de dire.

2. Quoiqu'il soit utile de vomir quand on a trop mangé, c'est pourtant une faute que de s'y obliger par la démesure dans le manger et le boire. — On peut cependant sans faute provoquer le vomissement sur le conseil du médecin comme remède à une indisposition.

3. La bouffonnerie ou inconvenance dans les paroles ou les gestes provient de l'acte de gourmandise ; elle n'est pas causée par l'acte de luxure mais par son désir. Elle peut donc se rattacher à l'un ou à l'autre vice.


Nous devons maintenant étudier la sobriété (Q. 149), puis le vice opposé, l'ivrognerie (Q. 150).

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