- Quelle est la matière de la studiosité ?
- La studiosité est-elle une partie de la tempérance ?
Objections
1. Il semble que ce ne soit pas proprement la connaissance, car on appelle studieux celui qui s'applique avec soin à certaines occupations. Mais c'est en toute matière que l'homme doit s'appliquer, afin de bien accomplir sa tâche. Donc la connaissance n'est pas la matière spéciale de l'application studieuse.
2. La studiosité s'oppose à la curiosité. Or la curiosité, qui vient de cura, souci, recherche, peut s'appliquer à l'élégance des vêtements, et à d'autres choses qui concernent le corps. C'est pourquoi S. Paul dit (Romains 13.14) : « Ne vous souciez pas de la chair pour en satisfaire les convoitises. » La studiosité n'a donc pas pour seule matière la connaissance.
3. Selon Jérémie (Jérémie 6.13), « du plus petit au plus grand, tous s'appliquent à l'avarice ». Or l'avarice ne concerne pas proprement la connaissance, mais plutôt la possession des richesses, on l'a dit antérieurement. La studiosité, qui vient de studium, application, ne concerne donc pas proprement la connaissance.
En sens contraire, il y a cette parole des Proverbes (Proverbes 27.11 Vg) : « Applique-toi à l'étude de la sagesse, mon fils, et réjouis mon cœur, afin de pouvoir répondre au blasphémateur. » Or, c'est la même studiosité qui est louée comme une vertu et à laquelle invite la loi. La studiosité concerne donc proprement la connaissance.
Réponse
L'application studieuse comporte principalement une vive application de l'esprit à une chose. Or l'esprit ne s'applique à une chose qu'en la connaissant. L'esprit s'applique donc en premier lieu à la connaissance, et secondairement au but vers lequel la connaissance le dirige. C'est pourquoi l'application studieuse regarde en premier lieu la connaissance, et en second lieu toutes les autres choses pour l'exécution desquelles nous avons besoin d'être dirigés par la connaissance. Or les vertus se réservent en propre la matière qui les concerne en premier lieu et principalement : par exemple la force se réserve les périls de mort, et la tempérance les plaisirs du toucher. La studiosité s'applique donc proprement à la connaissance.
Solutions
1. Dans les autres matières on ne peut faire quelque chose correctement si ce n'est selon ce qui a été ordonné préalablement par la raison connaissante. C'est pourquoi la studiosité, quelle que soit la matière à laquelle elle s'applique, regarde tout d'abord la connaissance.
2. L'affection de l'homme entraîne l'esprit de celui-ci à prêter attention à ce qui le touche, selon cette parole en S. Matthieu (Matthieu 6.21) : « Là où est ton trésor, là aussi est ton cœur. » Et comme l'homme s'affectionne surtout à ce qui flatte la chair, il en résulte que sa réflexion se tourne vers ce qui flatte la chair, c'est-à-dire qu'il cherche comment la soutenir le mieux possible. C'est de cette façon que la curiosité est rattachée aux choses qui appartiennent à la chair, en raison de ce qui appartient à la connaissance.
3. L'avarice aspire à acquérir des richesses, ce qui exige surtout l'expérience des affaires de ce monde. C'est de ce point de vue que l'application studieuse est attribuée à la matière de l'avarice.
Objections
1. Non, semble-t-il. « Studieux » se dit en effet de quelqu'un qui possède la studiosité. Or, de façon générale, tout homme vertueux est appelé studieux, comme cela se voit chez Aristote qui emploie fréquemment en ce sens le mot studieux. La studiosité est donc une vertu générale, et non une partie de la tempérance.
2. Comme on l'a dit à l'article précédent, la studiosité ressortit à la connaissance. Or la connaissance ne relève pas des vertus morales, qui se trouvent dans la partie appétitive de l'âme, mais plutôt des vertus intellectuelles, qui se trouvent dans la partie cognoscitive. C'est pourquoi la sollicitude est un acte de la prudence, on l'a vu plus haut. La studiosité n'est donc pas une partie de la tempérance.
3. La vertu qui figure comme partie d'une vertu principale lui est assimilée quant au mode. Or la studiosité n'est pas assimilée à la tempérance de ce point de vue. « Tempérance » s'entend en effet d'une certaine répression ; c'est pourquoi elle s'oppose plutôt au vice qui se trouve dans l'excès. « Studiosité » au contraire s'entend d'une application de l'âme à quelque chose ; c'est pourquoi elle s'oppose au vice qui se trouve dans un manque, par exemple à la négligence dans l'étude, plutôt qu'au vice qui se trouve dans l'excès, par exemple à la curiosité. Ainsi, à cause de cette ressemblance, Isidore dit que « studieux » signifie « curieux des études ». La studiosité n'est donc pas une partie de la tempérance.
En sens contraire, il y a ce que dit S. Augustine : « On nous interdit d'être curieux, et c'est la grande tâche de la tempérance. » Or, on empêche la curiosité par une studiosité modérée. La studiosité est donc une partie de la tempérance.
Réponse
Nous l'avons dit il appartient à la tempérance de modérer le mouvement de l'appétit, pour éviter qu'il ne tende de façon excessive vers ce qui est naturellement désiré. Or, de même que, selon sa nature corporelle, l'homme désire naturellement les plaisirs de la nourriture et du sexe, de même, selon sa nature spirituelle, il désire naturellement connaître. C'est pourquoi Aristote a pu dire que « tous les hommes désirent naturellement savoir ». Or la modération de cet appétit de connaissance appartient à la vertu de studiosité. Il s'ensuit donc que la studiosité est une partie potentielle de la tempérance, en tant que vertu secondaire qui lui est adjointe comme à la vertu principale. Et elle est comprise sous la modestie, pour la raison qui a été dite plus haut.
Solutions
1. La prudence apporte leur complément à toutes les vertus morales, dit Aristote. C'est donc en tant que la connaissance prudentielle s'applique à toutes les vertus que le mot « studiosité », qui a trait proprement à la connaissance, s'applique par dérivation à toutes les vertus.
2. L'acte de la faculté cognitive est commandé par la faculté appétitive, qui est motrice de toutes les puissances, on l'a dit antérieurement. C'est pourquoi, en ce qui concerne la connaissance, on peut discerner un double bien : un bien quant à l'acte même de connaissance. Ce bien-là appartient aux vertus intellectuelles, et consiste en ce que l'homme juge ce qui est vrai dans les singuliers. — Un autre bien appartient à l'acte de la faculté appétitive et consiste pour l'homme à avoir un désir droit d'appliquer sa faculté de connaissance de telle ou telle façon, à ceci ou à cela. Et cela appartient à la vertu de studiosité, qui se range donc parmi les vertus morales.
3. Selon Aristote, pour que l'homme devienne vertueux, il faut qu'il se préserve des tendances les plus fortes de sa nature. C'est pourquoi, parce que la nature incline principalement à craindre les périls de mort et à poursuivre les plaisirs de la chair, le mérite de la vertu de force consiste principalement en une certaine fermeté à résister à ces périls, et celui de la vertu de tempérance en une certaine répression des plaisirs de la chair. Mais, en ce qui concerne la connaissance, il y a dans l'homme deux inclinations contraires. Par son âme en effet l'homme est incliné à désirer la connaissance des choses ; aussi doit-il réprimer humblement ce désir, de peur qu'il ne recherche la connaissance de façon immodérée. Au contraire, par sa nature corporelle l'homme est incliné à éviter la fatigue qu'entraîne l'investigation de la science. C'est pourquoi, relativement à la première inclination, la studiosité consiste à réprimer les excès, et de ce point de vue elle est considérée comme une partie de la tempérance. Mais, relativement à la seconde inclination, le mérite de la studiosité réside en une certaine ardeur d'intention visant à acquérir la science et c'est de là qu'elle tire son nom. La première fonction est plus essentielle à cette vertu que la seconde, car le désir de connaître se rapporte directement à la connaissance, à laquelle la studiosité est ordonnée. Au contraire, la fatigue d'apprendre représente un certain empêchement à la connaissance ; aussi n'est-elle considérée dans cette vertu qu'accidentellement, comme un obstacle à écarter.