- Cette division est-elle fondée ?
- Cette division est-elle adéquate ?
Objections
1. Il semble que cette manière de diviser la vie ne soit pas correcte. En effet, l'âme est le principe de la vie par son essence, suivant Aristote : « Pour les vivants, être c'est vivre. » Or c'est par ses facultés que l'âme devient principe d'action et de contemplation. Il semble donc qu'il ne soit pas correct de diviser la vie en active et contemplative.
2. On ne divise pas une chose en fonction de différences qui ne se vérifient que dans une autre chose postérieure à la première. Mais actif et contemplatif ou encore spéculatif et pratique représentent des fonctions diverses de l'intellect. Or la vie précède l'intelligence. C'est, en effet, remarque Aristote, sous forme végétative que la vie apparaît d'abord chez les vivants. Il semble donc que la vie ne se laisse pas diviser en active et contemplative.
3. Qui dit vie dit mouvement, remarque Denys. Or la contemplation évoque plutôt l'idée de repos. « J'entrerai dans ma maison et m'y reposerai dans la compagnie de la Sagesse » (Sagesse 8.16). Il ne semble donc pas que la vie puisse se diviser en active et contemplative.
En sens contraire, S. Grégoire, déclare qu'il « existe deux vies, où le Dieu Tout-Puissant nous instruit par sa sainte parole : la vie active et la vie contemplative ».
Réponse
Les êtres qui méritent à proprement parler le nom de vivants sont ceux qui se meuvent ou agissent d'eux-mêmes. Mais, plus que tout, ce qui convient à un être en raison de lui-même, est ce qui lui est propre et à quoi le porte sa principale inclination. Aussi la vie d'un vivant se révèle-t-elle dans l'activité qui plus que toute autre lui est propre, et vers laquelle le porte sa principale inclination. C'est ainsi que la vie des plantes se définit par la nutrition et la génération, celle des animaux par la sensation et le mouvement local, celle des hommes par la pensée et l'agir rationnel.
En vertu du même principe, chez les hommes, la vie de chacun sera ce en quoi il prend son principal plaisir et à quoi il s'applique particulièrement. Et c'est pourquoi, remarque Aristote, chacun veut plus spécialement « avoir commerce avec ses amis ». Et puisqu'il y a des hommes qui s'adonnent principalement à la contemplation de la vérité, tandis que d'autres font leur occupation préférée des actions extérieures, on est fondé à diviser la vie humaine en active et contemplative.
Solutions
1. Parce qu'elle le fait être en acte, la forme propre de chaque être est le principe de son opération propre. Donc, lorsque l'on dit que, pour les vivants, être c'est vivre, cela signifie que les vivants, du fait qu'ils ont l'être par leur forme, agissent de telle manière.
2. Ce n'est pas la vie dans sa généralité, mais la vie humaine que l'on divise en active et contemplative. Or l'homme doit précisément à son intelligence de former une espèce distincte. Il est donc normal que la division de la vie humaine reproduise celle de l'intelligence elle-même.
3. Le repos de la contemplation s'entend par rapport aux mouvements extérieurs. L'acte de contempler n'en est pas moins en lui-même un mouvement, au sens où toute activité est appelée un mouvement. Suivant Aristote en effet, la sensation et la pensée sont des mouvements, le mouvement étant défini « l'acte d'un être parfait ». C'est dans le même sens que Denys distingue trois mouvements de l'âme qui contemple rectiligne, circulaire et en spirale.
Objections
1. Il semble que non : En effet, Aristote assure qu'il existe trois vies de souveraine excellence : la vie voluptueuse, la vie civile, qui doit être la même chose que la vie active, et la vie contemplative. La division en active et contemplative est donc insuffisante.
2. S. Augustin énumère trois vies différentes la vie de repos ou contemplative, la vie d'action ou active, et une troisième, de repos et d'action mêlés.
3. Enfin la vie humaine se diversifie en fonction des actions diverses auxquelles les hommes s'appliquent. Or il n'y a pas deux manières seulement d'employer son temps et ses forces.
En sens contraire, ces deux vies se voient figurées par les deux femmes de Jacob : la vie active par Lia, et la vie contemplative par Rachel ; et par les deux hôtesses du Seigneur : la vie contemplative par Marie, et la vie active par Marthe. S. Grégoire le dit expressément. Or ce symbolisme disparaîtrait s'il y avait plus de deux vies. La division de la vie active et contemplative est donc adéquate.
Réponse
Cette division, on l'a déjà dit, concerne la vie humaine, qui se définit elle-même en fonction de l'intellect. Or l'intellect se divise en actif et en contemplatif. L'activité intellectuelle, en effet, peut avoir pour fin, soit la connaissance même de la vérité, et c'est l'affaire de l'intellect contemplatif ; soit quelque action extérieure, et c'est l'affaire de l'intellect pratique ou actif D'où il suit que la vie elle-même est adéquatement divisée en active et en contemplative.
Solutions
1. La vie voluptueuse met sa fin dans la jouissance corporelle, qui nous est commune avec les bêtes. Aussi Aristote la qualifie-t-il au même endroit de vie bestiale. Il en résulte qu'elle ne saurait rentrer dans notre division, où il s'agit de la vie humaine, qui est soit active, soit contemplative.
2. Les intermédiaires sont faits de la combinaison des extrêmes, qui les contiennent déjà virtuellement. C'est ainsi que le tiède se trouve contenu dans le chaud et le froid, le gris dans le blanc et le noir. Pareillement, dans l'action et la contemplation est incluse la vie composée à la fois de l'une et de l'autre. Sans compter que, de même que l'un des composants domine toujours dans le composé, la contemplation ou l'action, suivant les cas, l'emporte dans ce genre de vie intermédiaire.
3. Les entreprises diverses de l'activité humaine, lorsque la droite raison les ordonne à subvenir aux nécessités de la vie présente, relèvent toutes de la vie active, dont c'est le rôle d'y pourvoir. Si elles sont mises au service d'une convoitise quelconque, elles relèvent de la vie voluptueuse qui n'est pas englobée dans la vie active. Mais les entreprises humaines qui sont ordonnées à connaître la vérité, relèvent de la vie contemplative.