- Est-il permis de désirer l'épiscopat ?
- Est-il permis de refuser absolument l'épiscopat ?
- Faut-il élire le meilleur pour l'épiscopat ?
- L'évêque peut-il entrer en religion ?
- Peut-il abandonner physiquement ses sujets ?
- Peut-il posséder quelque chose en propre ?
- Pèche-t-il mortellement en ne distribuant pas aux pauvres les biens de l'Église ?
- Les religieux élevés à l'épiscopat sont-ils tenus aux observances régulières ?
Objections
1. Il semble que oui, car S. Paul a écrit (1 Timothée 3.1) : « Celui qui désire l'épiscopat désire une œuvre bonne. » Or c'est une chose licite et louable de désirer une œuvre bonne.
2. L'épiscopat est plus parfait que l'état religieux, nous venons de le dire. Or il est louable de désirer embrasser l'état religieux. Il l'est donc aussi de souhaiter être promu à l'épiscopat.
3. Il est écrit (Proverbes 11.26) : « Celui qui cache le blé sera maudit parmi les peuples, tandis qu'ils béniront celui qui le vend. » Mais celui que la vie et la science qualifient pour l'épiscopat, semble cacher le blé spirituel s'il s'y dérobe, tandis qu'en l'acceptant, il se trouve en situation de dispenser le blé spirituel. Il semble donc que ce soit chose louable de désirer l'épiscopat, et chose blâmable de s'y dérober.
4. Les actes des saints rapportés dans l'Écriture nous sont donnés en exemple, selon cette parole (Romains 15.4) : « Tout ce qui est écrit l'est pour notre instruction. » Or nous lisons qu'Isaie (Ésaïe 6.8) s'offrit à remplir l'office de la prédication, qui est très spécialement celui des évêques. C'est donc, semble-t-il, un louable désir que celui de l'épiscopat.
En sens contraire, S. Augustin écrit : « Cette fonction supérieure, dont l'existence est nécessaire au gouvernement du peuple, même si on l'administre comme il convient, il ne convient pas de la désirer. »
Réponse
Dans l'épiscopat, il y a trois éléments à considérer. Le premier qui est primordial et a valeur de fin, c'est le ministère épiscopal lui-même, par où l'on s'applique à procurer le bien du prochain, selon cette parole (Jean 21.17) : « Pais mes brebis. » Le deuxième, c'est le grade élevé. En effet, l'évêque se trouve placé au-dessus des autres selon Matthieu (Matthieu 24.45) : « Le serviteur fidèle et prudent que le Seigneur a établi sur sa famille. » Le troisième est la conséquence des deux autres. Il consiste dans la révérence, l'honneur, l'abondance de biens temporels dont parle S. Paul (1 Timothée 5.17) : « Les prêtres qui exercent bien leur présidence sont dignes d'un double honneur. » Désirer l'épiscopat pour les avantages qui s'y trouvent joints, c'est manifestement illicite. Cette manière d'agir relève de la cupidité et de l'ambition. Et c'est cela même que le Seigneur reprochait aux pharisiens (Matthieu 23.6) : « Ils aiment les premières places dans les repas, les premiers sièges à la synagogue, d'être salués sur la place publique et qu'on les appelle : ‘Rabbi’. » Quant à désirer l'épiscopat pour le rang élevé qu'il procure, c'est présomption. Aussi le Seigneur reprend-il les disciples pour leur recherche de la primauté (Matthieu 20.25) : « Vous savez que les rois des nations exercent sur elles la domination. » Sur quoi S. Jean Chrysostome remarque : « Ainsi leur donne-t-il à comprendre que c'est le fait de païens d'ambitionner les primautés. Et en comparant leur conduite à celle des païens il convertit leur cœur ambitieux. »
Mais souhaiter être utile au prochain est de soi, chose louable et vertueuse. Pourtant, le service épiscopal du prochain entraînant l'élévation du rang, il semble que ce soit présomption, hors le cas d'urgente nécessité, d'aspirer à cette prééminence en vue d'être utile à ses inférieurs. « Le désir de l'épiscopat, écrit S. Grégoire, était louable au temps où il signifiait la certitude de supplices plus cruels. » Ce qui faisait que les candidats n'abondaient pas. Ce désir est surtout louable lorsqu'on y est divinement poussé par le zèle des âmes. C'était, au dire de S. Grégoire, le cas d'Isaïe, « qui, désireux d'être utile au prochain, ambitionna méritoirement la charge du prédicateur ». Ce que chacun cependant peut souhaiter sans présomption, c'est de faire de telles œuvres, s'il lui arrivait d'avoir cet office, ou encore d'être digne de les accomplir, si bien que ce qu'on désire, c'est l'œuvre bonne, non la primauté. Aussi S. Jean Chrysostome écrit-il : « Désirer l'œuvre bonne est bon. Mais c'est vanité d'ambitionner la primauté d'honneur. La primauté cherche qui la fuit, et fuit qui la cherche. »
Solutions
1. Selon S. Grégoire, « l'apôtre a écrit cela en un temps où celui qui se trouvait placé à la tête des Églises se voyait désigné le premier pour les tourments du martyre. » Aussi l'épiscopat, offrait-il rien qu'on pût désirer en dehors de l'œuvre bonne. C'est ce qui fait dire à S. Augustin : « L'Apôtre, en écrivant : ‘Celui qui désire l'épiscopat désire une œuvre bonne’, veut faire comprendre ce que c'est que l'épiscopat : ce mot parle de labeur et non d'honneur. Scopos, en grec signifie : ‘attention, soin’. Episcopein peut donc se traduire en latin par superintendere, ‘veiller sur’ ; dès lors, celui qui veut commander sans servir ne doit pas s'imaginer être un évêque. » Un peu plus haut disait : « Dans l'action, ici-bas, ce n'est ni l'honneur ni la puissance qu'il faut aimer, car tout est vanité sous le soleil ; c'est l'œuvre même qui s'accomplit par le moyen de cet honneur et de cette puissance. » Et cependant, dit S. Grégoire : « L'Apôtre qui vient de louer le désir de cette œuvre bonne tourne en sujet d'effroi ce qu'il vient de louer, lorsqu'il poursuit : ‘Il faut donc que l'évêque soit irréprochable.’ C'est comme s'il disait : ‘je loue ce que vous désirez mais apprenez bien vous-mêmes ce que vous avez à désirer.’ »
2. Il est différent de désirer l'état religieux ou de désirer l'état épiscopal. Et cela pour deux raisons. D'abord parce que l'état épiscopal présuppose la vie parfaite. Avant de lui confier la charge de pasteur, le Seigneur demanda à Pierre s'il l'aimait plus que les autres. L'état religieux, lui, ne présupposé pas la perfection, il est une voie qui y conduit. Aussi le Seigneur n'a-t-il pas dit : « Si tu es parfait, va et vends tout ce que tu possèdes », mais (Matthieu 19.21) : « Si tu veux être parfait... » La raison de cette différence est, selon Denys, que la perfection appartient à l'évêque dans le sens actif, comme à celui qui perfectionne, et au moine dans le sens passif, comme à celui qui est perfectionné. Or, pour pouvoir conduire les autres à la perfection, il est requis d'être soi-même parfait, ce qui n'est pas exigé de celui qui doit être conduit à la perfection. Mais si c'est présomption de s'estimer soi-même parfait, ce ne l'est pas de s'appliquer à le devenir.
La deuxième différence est que celui qui embrasse l'état religieux se soumet à d'autres pour recevoir d'eux une formation spirituelle. C'est une conduite permise à tous. « La recherche de la vérité, écrit S. Augustin., n'est interdite à personne ; elle fait partie du loisir digne de louange. » Mais celui qui est élevé à l'état épiscopal est ainsi promu afin de pourvoir aux besoins des autres. Or cette promotion, nul ne doit y prétendre de soi-même, selon l'épître aux Hébreux (Hébreux 5.4) : « Nul ne peut s'emparer de cette dignité. Il faut y être appelé par Dieu. » S. Jean Chrysostome fait cette réflexion : « Il n'est ni juste ni utile de convoiter la présidence dans l'Église. Quel est le sage qui se jette de lui-même dans cette servitude et ce péril d'avoir à rendre compte de toute une Église ? Il faudrait ne pas craindre le jugement de Dieu et vouloir abuser de la primauté ecclésiastique comme d'un avantage séculier, c'est-à-dire se muer soi-même en séculier. »
3. La dispensation du blé spirituel ne doit pas se faire au gré de chacun. C'est à Dieu d'abord qu'il appartient d'en juger et décider. Ensuite, c'est aux prélats ecclésiastiques, que l'Écriture fait parler en ces termes (1 Corinthiens 4.1) : « Que l'homme nous considère comme les serviteurs du Christ, les dispensateurs des mystères de Dieu. » On n'accuse donc pas de cacher le blé spirituel celui qui n'a pas reçu de charge ni d'ordre de ses supérieurs, s'il s'abstient de corriger ou de gouverner les autres. On ne peut le lui reprocher que s'il néglige ce service qui lui incomberait, ou il refusait obstinément l'ordre de l'accepter. Ce qui fait dire à S. Augustin : « L'amour de la vérité recherche le saint loisir ; la nécessité de la charité se soumet au juste labeur. Si personne ne nous impose ce fardeau, que l'on vaque à l'étude et à la contemplation. S'il est imposé, qu'on s'y soumette par nécessité de charité. »
4. Voici la réponse de S. Grégoire : « Isaïe, qui voulut être envoyé s'était vu purifier au préalable par le feu de l'autel. Car il importe que nul n'ose, sans purification préalable, se mêler des ministères sacrés. Et comme il est très difficile de s'assurer qu'on a été purifié, il est plus sûr de décliner l'office de la prédication. »
Objections
1. Il semble que oui. Car, selon S. Grégoire, « Isaïe, désireux de se rendre utile au prochain dans la vie active, aspire à l'office de la prédication, tandis que Jérémie désirant s'attacher étroitement à l'amour du Créateur par la vie contemplative refuse d'être envoyé prêcher. » Or nul ne pèche en refusant d'abandonner un bien meilleur pour s'attacher à un bien moindre. Donc, puisque l'amour de Dieu l'emporte sur l'amour du prochain, et la vie contemplative sur la vie active, comme en l'a dit précédemment. celui qui refuse obstinément l'épiscopat semble bien ne pas pécher.
2. S. Grégoire dit encore : « Il est très difficile à quelqu'un d'avoir l'assurance qu'il a été purifié. Et nul ne doit, s'il ne l'a été, se mêler des ministères sacrés. » Donc, si quelqu'un n'a pas cette assurance, il ne doit à aucun prix accepter l'épiscopat qu'on voudrait lui imposer.
3. S. Jérôme dit de S. Marc qu'il « se coupa, assure-t-on, le pouce, alors qu'il avait déjà embrassé la foi, pour se rendre inapte au sacerdoce ». D'autres s'obligent par vœu à ne jamais accepter l'épiscopat. Or, mettre obstacle à quelque chose ou s'y refuser absolument, c'est tout un. Il apparaît donc qu'on peut sans péché récuser absolument l'épiscopat.
En sens contraire, S. Augustin a écrit : « S'il arrive que la mère Église désire votre secours, vous ne devez pas accueillir sa demande avec un présomptueux empressement, ni la refuser par amour de la tranquillité. » Et il ajoute : « Ne mettez pas votre repos au-dessus des besoins de l'Église. Si nul d'entre les bons ne consentait à l'assister dans son enfantement, vous-mêmes auriez été bien empêchés de naître. »
Réponse
Deux points sont à considérer dans l'élévation à l'épiscopat. 1° Ce qu'il convient de désirer spontanément. 2° Ce qu'il convient d'accorder à la volonté d'autrui. Pour ce qui regarde le désir personnel, il convient de s'appliquer principalement à son propre salut, tandis que veiller au salut d'autrui, cela dépend des dispositions prises par l'autorité, on l'a montré plus haut. S'employer de soi-même à obtenir d'être préposé au gouvernement des autres, et refuser obstinément ce gouvernement en dépit de l'ordre des supérieurs, c'est donc pareillement faire preuve de volonté déréglée. Ce dernier refus s'oppose en premier lieu à la charité envers le prochain, pour le bien duquel on doit consentir à s'exposer soi-même en temps et lieu. D'où la parole de S. Augustin : « C'est le devoir de la charité qui fait accepter le travail légitime. » Elle s'oppose, en second lieu, à l'humilité, qui fait qu'on se soumet aux ordres des supérieurs. Aussi S. Grégoire a-t-il dit : « L'humilité est vraie devant Dieu lorsqu'elle ne s'obstine pas à rejeter ce que l'on nous commande d'accepter pour le bien général. »
Solutions
1. À parler simplement et absolument, la vie contemplative l'emporte sur la vie active, et l'amour de Dieu sur celui du prochain. Mais d'un autre point de vue, le bien commun l'emporte sur le bien particulier. D'où la parole de S. Augustin : « Ne mettez pas votre repos au-dessus des besoins de l'Église. » D'autant plus que cela aussi intéresse l'amour de Dieu : prendre soin, comme pasteur, des brebis du Christ. Aussi, sur ce texte en S. Jean (Jean 21.17) : « Sois le pasteur de mes brebis. » S. Augustin nous dit : « Que ce soit un service d'amour de paître le troupeau du Seigneur, comme ce fut un témoignage de crainte de renier le pasteur. » En outre, les prélats ne sont pas transférés dans la vie active pour devoir abandonner la vie contemplative. C'est ce que dit S. Augustin : « Si le fardeau de l'office pastoral nous est mis sur les épaules, ce n'est pas une raison pour abandonner la délectation de la vérité » qu'on trouve dans la contemplation.
2. Nul n'est obligé d'obéir au prélat qui lui commande une action illicite, comme nous l'avons montré à propos de l'obéissance. Il peut arriver que celui auquel on veut imposer l'office de prélature sente en lui quelque chose qui lui interdit de l'accepter. Parfois cet obstacle peut être écarté par celui auquel on veut imposer la charge pastorale, par exemple, s'il a une volonté de pécher, qu'il peut abandonner. C'est pourquoi il n'est pas excusé de l'obligation finale d'obéir au prélat qui lui commande. D'autre fois, cet obstacle qui lui interdit d'accepter l'office pastoral, il ne peut l'écarter lui-même, mais bien le prélat qui lui commande, par exemple s'il était irrégulier ou excommunié. Il doit alors révéler son état au prélat qui lui commande, et si ce dernier juge bon de lever l'empêchement, il n'a plus qu'à obéir humblement. À Moïse qui venait de dire (Exode 4.10-12) : « je ne suis pas éloquent, ni d'hier, ni d'avant-hier », le Seigneur répondit : « je serai dans ta bouche et je t'enseignerai ce que tu devras dire. » Mais parfois l'obstacle ne peut être écarté ni par le prélat qui commande ni par celui auquel il commande, par exemple si l'archevêque n'a pas le pouvoir de dispenser d'une irrégularité. Dans ce cas l'inférieur n'est pas tenu de lui obéir et de recevoir l'épiscopat ou même les ordres sacrés, s'il est irrégulier.
3. L'acceptation de l'épiscopat n'est pas en elle-même nécessaire au salut. Mais elle peut le devenir du fait qu'un supérieur commande. Aux choses qui sont nécessaires au salut dans ce sens spécial, il est licite de mettre obstacle tant qu'il n'y a pas de précepte. Autrement, il faudrait dire par exemple, qu'il est interdit de se remarier pour ne pas se rendre inapte à l'épiscopat ou aux ordres sacrés. Mais faire obstacle n'est pas permis quand il s'agit de choses qui, par elles-mêmes, sont nécessaires au salut. Cette distinction permet de comprendre que S. Marc n'a pas agi contre le commandement en se coupant le pouce. Encore doit-on croire qu'il l'a fait par une impulsion du Saint-Esprit, sans laquelle il n'est permis à personne de se mutiler.
Quant à celui qui fait le vœu de ne pas recevoir l'épiscopat, de deux choses l'une. Ou bien il entend s'obliger à ne pas l'accepter, même par obéissance aux supérieurs, et alors son vœu est illicite. Ou bien il entend s'obliger, pour autant que cela dépend de lui, à ne pas rechercher ni même accepter l'épiscopat, sauf en cas de nécessité. Alors son vœu est licite, car il s'engage à faire ce qu'il convient à l'homme de faire.
Objections
1. Il semble bien qu'il doive être meilleur que les autres. Sur le point de confier l'office pastoral à S. Pierre, le Seigneur lui demanda s'il l'aimait plus que les autres. Or c'est le fait d'aimer Dieu davantage qui rend l'homme meilleur.
2. Le pape Symmaque a écrit : « Celui qui l'emporte par la dignité doit être tenu pour très vil s'il ne l'emporte en même temps par la science et la sainteté. » Or le meilleur est celui qui l'emporte par la science et la sainteté. Donc nul ne doit être promu à l'épiscopat s'il n'est meilleur que les autres.
3. En tout ordre de choses, le moindre est régi par le plus grand. C'est ainsi que les êtres corporels sont régis par les spirituels, et les corps inférieurs par les supérieurs, remarque S. Augustin. Mais l'évêque est établi pour gouverner les autres. Il doit donc être meilleur qu'eux.
En sens contraire, une décrétale porte qu'il suffit de choisir un bon candidat, sans qu'il soit nécessaire de choisir le meilleur.
Réponse
Au sujet de l'élévation à l'épiscopat, il faut envisager d'une part le sujet, d'autre part l'auteur de cette élévation. Chez celui-ci, qui nomme par élection ou par provision, il est requis qu'il soit fidèle dans l'attribution des ministères divins. Or ceux-ci doivent être dispensés pour l'utilité de l'Église, selon S. Paul (1 Corinthiens 14.12) : « Recherchez les dons spirituels en abondance pour édifier l'Église. » Les ministères divins ne sont pas confiés aux hommes comme une récompense ; ils ne doivent attendre celle-ci que de la vie future. C'est pourquoi celui qui doit choisir ou pourvoir à la nomination d'un évêque n'est pas tenu de choisir le meilleur absolument, c'est-à-dire au plan de la charité, mais le meilleur pour le gouvernement de l'Église, c'est-à-dire qu'il puisse l'organiser, la défendre et la gouverner pacifiquement. C'est pourquoi S. Jérôme a fait ce reproche à certains : « Ils ne cherchent pas à ériger comme des colonnes de l'Église ceux qu'ils savent les plus capables de la servir, mais ceux qu'ils aiment davantage, qui les ont conquis ou charmés par leurs assiduités, ou qui leur ont été recommandés par de hauts personnages, ou enfin, pour ne rien dire de pire, qui ont sollicité par des présents d'entrer dans le clergé. » Cette conduite relève de l'acception des personnes qui, en ces matières, est un péché grave. Aussi, sur ce mot de S. Jacques (Jacques 2.1) : « Mes frères, ne faites pas acception des personnes », la Glose dit-elle : « Si nous rapportons aux dignités ecclésiastiques cette différence entre être assis ou debout, il ne faut pas croire que ce soit une faute légère de faire acception des personnes lorsqu'il s'agit de confier le soin de la gloire de Dieu. Qui pourrait souffrir de voir choisir un riche pour occuper dans l'Église le siège d'honneur à l'exclusion d'un pauvre plus instruit et plus saint ? »
Du côté de celui qui est élevé à l'épiscopat, il n'est pas requis qu'il s'estime meilleur que les autres. De sa part, ce serait de l'orgueil et de la présomption. Il suffit qu'il ne découvre rien en lui qui rende illicite l'acceptation de l'office épiscopal. Aussi, bien que le Seigneur eût demandé à Pierre s'il l'aimait plus que les autres, celui-ci, dans sa réponse, ne se mit pas au-dessus d'eux mais se contenta d'affirmer simplement qu'il l'aimait.
Solutions
1. Le Seigneur savait que Pierre, par sa grâce, était capable pour tout le reste de gouverner l'Église. Il l'interroge donc sur son plus grand amour pour montrer que, s'il se trouve un homme propre, par ailleurs, au gouvernement de l'Église, l'excellence de l'amour divin est ce qu'il faut rechercher surtout en lui.
2. Cette parole doit s'interpréter du zèle de celui qui est établi en dignité. Car il doit faire son possible pour se comporter de manière à surpasser les autres en science et en sainteté. Ce qui fait dire à S. Grégoire : « La conduite de l'évêque doit surpasser celle du peuple dans la mesure où la vie du pasteur diffère de celle du troupeau. » Mais il n'y a pas lieu de lui faire grief de ce que, avant d'être élevé à l'épiscopat, il n'avait rien de plus que les autres, et de le tenir à cause de cela pour méprisable.
3. « Il y a diverses sortes de dons spirituels, de ministères et d'opérations », dit S. Paul (1 Corinthiens 12.4). Rien n'empêche donc quelqu'un d'être plus apte à l'office de gouverner, sans exceller dans la grâce de la sainteté. Il en est autrement dans le gouvernement de l'ordre naturel, où ce qui est supérieur par sa nature est par cela même plus apte à diriger ses inférieurs.
Objections
1. Il semble qu'il n'ait pas le droit d'abandonner sa charge épiscopale pour passer à la vie religieuse. Car il n'est permis à personne de passer à un état inférieur ; c'est regarder en arrière, ce que le Seigneur a condamné (Luc 9.62) : « Celui qui met la main à la charrue puis regarde en arrière, n'est pas propre au royaume de Dieu. » Or nous avons dit que l'état épiscopal est supérieur à l'état religieux. Passer de l'état épiscopal à l'état religieux n'est donc pas plus licite que de quitter l'état religieux pour revenir au siècle.
2. L'ordre de la grâce est plus harmonieux que celui de la nature. Or, dans l'ordre naturel, le même être n'est pas mû dans des directions opposées. Il est impossible que la pierre, dont c'est la nature d'être attirée en bas soit par sa nature encore attirée en haut. Or, dans l'ordre de la grâce, il est permis de passer de l'état religieux à l'état épiscopal. Il n'est donc pas permis, à l'inverse, de quitter l'état épiscopal pour revenir à l'état religieux.
3. Il ne doit rien y avoir d'inutile dans les œuvres de la grâce. Mais celui qui a été promu à l'épiscopat conserve toujours le pouvoir spirituel de conférer les ordres et d'accomplir les autres actes qui appartiennent à l'office épiscopal ; pouvoir qui semble demeurer inutile chez celui qui renonce à la charge épiscopale. Donc il apparaît que l'évêque n'a pas le droit d'abandonner la charge épiscopale pour entrer en religion.
En sens contraire, nul ne peut être contraint à ce qui est illicite en soi. Or ceux qui demandent à se retirer de la charge épiscopale s'y voient contraindre, d'après une décrétale. Donc il n'est pas illicite d'abandonner la charge épiscopale.
Réponse
La perfection de l'office épiscopal consiste en ce qu'un homme s'oblige, par amour pour Dieu, à se consacrer au salut du prochain. Aussi est-il obligé de conserver la charge épiscopale aussi longtemps qu'il lui est possible de contribuer au salut de ses sujets. Il ne doit pas négliger ce salut, même pour jouir du repos de la contemplation divine, puisque S. Paul supportait avec patience le retard de la contemplation bienheureuse pour le bien de ceux qui lui étaient confiés. Il écrivait (Philippiens 1.22) : « J'hésite à faire un choix. je me sens pris dans cette alternative : d'une part, j'ai le désir de m'en aller et d'être avec le Christ, ce qui serait, et de beaucoup, bien préférable ; mais de l'autre, demeurer dans la chair est plus urgent pour votre bien. Et cela me persuade : je sais que je vais rester. » Il ne doit pas davantage s'en aller par souci d'éviter des difficultés ou d'obtenir des profits, car il est dit (Jean 10.11) : « Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis. »
Mais il peut arriver qu’un évêque se trouve empêché de procurer le salut de ses sujets. Pour des raisons très diverses. Celle, par exemple, d'un défaut personnel, de l'ordre de la conscience, s'il est homicide ou simoniaque ; ou de l'ordre corporel, s'il est vieux ou infirme ; ou de l'ordre intellectuel, s'il n'a pas la science voulue pour gouverner ; ou de l'ordre des irrégularités canoniques, par exemple s'il a été marié deux fois. Cela peut venir aussi, chez ses sujets, d'une déficience qu'il ne peut surmonter. Ce qui fait dire à S. Grégoire : « Il faut supporter patiemment les méchants là où se trouve un certain nombre de bons auxquels on puisse rendre service. Mais là où, faute de bons, le fruit manque complètement, le mal que l'on se donne pour les mauvais devient superflu. Souvent il arrive aux âmes les plus parfaites que, voyant l'inutilité de leur labeur, elles émigrent ailleurs pour travailler avec fruit. » Enfin ces obstacles peuvent venir de tierces personnes, lorsque par exemple telle promotion à l'épiscopat est un sujet de grave scandale. Comme dit S. Paul (1 Corinthiens 8.13) : « Si l'aliment que je prends scandalise mon frère, je ne mangerai plus jamais de viande. » Encore faut-il que ce scandale ne vienne pas de gens malintentionnés qui veulent détruire la foi ou la justice de l'Église. Pour ce scandale-là, on ne doit pas abandonner la charge pastorale, selon cette parole concernant ceux que scandalisait l'enseignement du Christ (Matthieu 15.14) : « Laissez-les, ce sont des aveugles conducteurs d'aveugles. » Il faut cependant, pour abandonner la charge du gouvernement qu'on a assumée, même avec les motifs qu'on vient de dire, avoir la permission des supérieurs par l'autorité desquels on l'avait reçue. C'est pourquoi Innocent III a dit : « Il se peut que tu aies des ailes et qu'elles veuillent t'emporter dans la solitude. Elles sont liées par les préceptes, et tu n'as pas le droit de t'envoler sans notre permission. » En effet, il appartient au pape seul de dispenser de ce vœu perpétuel par lequel l'évêque s'est obligé à prendre soin de ses sujets lorsqu'il a reçu l'épiscopat.
Solutions
1. La perfection des religieux et celle des évêques ne s'apprécient pas du même point de vue. La perfection de la vie religieuse tient à l'application de chacun à son propre salut. La perfection de l'état épiscopal tient au soin du salut d'autrui. Donc, aussi longtemps que l'évêque peut procurer efficacement le salut du prochain, il rétrograderait s'il entrait en religion pour y vaquer uniquement à son propre salut, lui qui s'est obligé à assurer tout ensemble son salut personnel et celui des autres. C'est pourquoi le même Innocent III écrit dans la même décrétale : « Il est plus facile d'accorder à un moine la permission de s'élever à l'épiscopat qu'à un évêque celle de descendre à la vie monastique. Cependant, s'il lui est impossible de procurer le salut des autres, il convient qu'il s'applique au sien propre. »
2. L'homme ne saurait abandonner, pour quelque obstacle que ce soit, la recherche de son propre salut, qui appartient à l'état religieux. Au contraire, il peut y avoir des obstacles à procurer le salut des autres. C'est pourquoi le moine peut être élevé à l'épiscopat, où il peut aussi pourvoir à son propre salut. De même, l'évêque a le droit d'entrer en religion, s'il surgit quelque obstacle qui l'empêche de procurer le salut du prochain. Cet obstacle disparaissant, il peut être rétabli dans la charge épiscopale, s'il arrive par exemple que ses sujets reviennent à de meilleurs sentiments ou que le scandale s'apaise, ou qu'il ait lui-même rétabli sa santé ou remédié à son ignorance par l'acquisition de la science suffisante. Ou encore si, promu à son insu à la suite de manœuvres simoniaques, il a démissionné pour entrer en religion, il peut à nouveau être nommé à un autre évêché. Mais lorsqu'un évêque a été déposé en punition d'une faute, et relégué dans un monastère pour y faire pénitence, il ne peut être rétabli dans sa charge.
On lit donc dans les Décrets : « Le saint Synode ordonne, si quelqu'un est descendu de la dignité pontificale à la vie monastique et au régime de la pénitence, qu'il ne soit plus jamais promu au pontificat. »
3. Même dans le domaine naturel, il arrive qu'une puissance demeure sans pouvoir passer à l'acte à cause d'un obstacle. L'œil malade, par exemple, se trouve empêché de voir. Il n'y a donc rien d'anormal à ce que, par suite d'un obstacle survenu, la puissance épiscopale demeure sans passer à l'acte.
Objections
1. Il ne semble pas que l'évêque puisse s'autoriser de la persécution pour s'éloigner de son troupeau, car le Seigneur a dit (Jean 10.12) : « C'est un mercenaire et non pas un vrai pasteur, celui qui abandonne les brebis et s'enfuit quand il voit venir le loup. » Or, dit S. Grégoire, le loup vient sur les brebis lorsqu'un homme injuste et ravisseur opprime les fidèles et les humbles. « Donc, si l'évêque s'éloigne du troupeau qui lui est confié à cause des persécutions de quelque tyran, il semble bien être un mercenaire et non un pasteur. »
2. Il est écrit (Proverbes 6.1 Vg) : « Mon fils, si tu as cautionné un ami, tu as engagé ta main à un étranger. » Et plus loin : « Cours, hâte-toi, et dégage ton ami. » Ce que S. Grégoire commente ainsi : « Cautionner son ami, c'est venir en aide à l'âme en danger. Celui qui est préposé aux autres pour que sa vie leur serve d'exemple doit non seulement veiller lui-même, mais porter secours à son ami. » Or l'évêque ne le peut pas s'il s'éloigne de son troupeau. Il semble donc que l'évêque n'ait pas le droit, pour cause de persécution, d'abandonner physiquement son troupeau.
3. La perfection de l'état épiscopal comporte l'obligation de prendre soin du prochain. Mais celui qui a fait profession de l'état de perfection ne peut abandonner entièrement ce qui touche à la perfection. Il semble donc que l'évêque ne puisse se soustraire physiquement à l'exercice de sa charge sinon, le cas échéant, pour vaquer aux œuvres de perfection dans un monastère.
En sens contraire, le Seigneur a prescrit aux Apôtres dont les évêques sont les successeurs : « Si l'on vous persécute dans une ville, fuyez dans une autre » (Matthieu 10.23).
Réponse
En toute obligation, il faut considérer principalement quelle en est la fin. Or les évêques s'obligent à remplir la charge pastorale pour le salut de leurs sujets. C'est pourquoi, toutes les fois où le salut du troupeau exige la présence personnelle du pasteur, celui-ci n'a pas le droit de s'éloigner de son troupeau, ni pour un avantage temporel, ni à cause de l'imminence d'un danger personnel, puisque le bon pasteur est tenu de donner sa vie pour ses brebis. S'il est possible de pourvoir suffisamment par un autre au salut du troupeau, en l'absence du pasteur, c'est différent. Dans ce cas, il est permis au pasteur de s'éloigner de son troupeau, soit pour procurer à l’Église quelque avantage, soit pour échapper à quelque danger personnel. Aussi S. Augustin a-t-il écrit : « Que les serviteurs du Christ fuient de ville en ville, lorsque l'un d'entre eux est spécialement recherché par les persécuteurs, de façon néanmoins que ceux qui ne font pas l'objet de recherches aussi particulières n'abandonnent pas l'Église. Lorsque le danger est général, ceux qui ont besoin des autres ne doivent pas être abandonnés par les personnes dont ils ont besoin. » — « Si c'est de la part du pilote une conduite blâmable d'abandonner son bateau par beau temps, combien plus dans la tempête », écrit le pape Nicolas Ier.
Solutions
1. Il agit comme un mercenaire, celui qui met son avantage temporel ou même sa vie corporelle au-dessus du salut du prochain. C'est la pensée de S. Grégoire. « Il ne peut tenir bon quand les brebis sont en danger, celui qui leur commande sans les aimer mais par recherche d'un gain terrestre. Il craint, en s'opposant au danger, de perdre ce qu'il aime. » Mais celui qui se dérobe au péril sans dommage pour le troupeau ne fuit pas comme un mercenaire.
2. Il suffit pour celui qui cautionne autrui, qu'il remplisse ses engagements par un autre, s'il ne peut le faire lui-même. Aussi le prélat qui se trouve empêché de pourvoir lui-même au soin de ses sujets, satisfait-il à ses engagements s'il y pourvoit par un autre.
3. Celui qui est élevé à l'épiscopat assume l'état de perfection suivant une certaine forme. Si cette forme lui devient impossible, il n'est pas tenu d'en embrasser une autre, en ce sens qu'il soit obligé d'entrer en religion. Il est cependant de son devoir de conserver l'intention de s'employer au salut du prochain, si l'occasion lui en est offerte et que la nécessité l'exige.
Objections
1. Il ne semble pas. En effet, le Seigneur a dit (Matthieu 19.21) : « Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres ; puis viens et suis-moi. » Il en ressort que la pauvreté volontaire est requise pour la perfection. Or les évêques sont élevés à l'état de perfection. Il semble donc qu'ils ne puissent rien posséder en propre.
2. Les évêques tiennent dans l’Église la place des Apôtres, dit la Glose sur Luc (Luc 10). Or le Seigneur commande aux Apôtres de ne rien avoir en propre (Matthieu 10.9) : « Ne possédez ni or, ni argent, ni monnaie dans vos ceintures. » Ce qui fait dire à S. Pierre, parlant en son nom et en celui des autres Apôtres (Matthieu 19.27) : « Voici que nous avons tout abandonné et que nous t'avons suivi. » Il semble que les évêques soient tenus d'observer ce commandement et de ne rien posséder à titre personnel.
3. S. Jérôme parle dans le même sens : « Le mot grec klèros a pour équivalent latin sers, c'est-à-dire lot. Le nom de ‘clercs’ signifie que ceux qui le portent forment le lot du Seigneur, ou bien que le Seigneur en leur lot ou leur part. Or celui dont le Seigneur est la part d'héritage ne peut rien avoir en dehors du Seigneur. S'il possède de l'or, de l'argent, de biens, un abondant mobilier, le Seigneur ne se prête pas à faire figure de lot surajouté à tous ses lots. » Donc, semble-t-il, les évêques et même les clercs sont obligés de renoncer à avoir des biens propres.
En sens contraire, il est dit dans les Décrets : « L'évêque laissera à ses héritiers quelque chose de ses biens patrimoniaux ou acquis, ou des biens quelconques qu'il possède à titre personnel. »
Réponse
Nul n'est tenu, à moins de s'y être engagé par un vœu spécial, aux œuvres de surérogation. C'est la doctrine de S. Augustin : « Tu as fait vœu, tu es donc lié, et il ne t'est pas loisible d'agir autrement. Avant d'avoir fait vœu, tu avais la liberté d'être moins parfait. » Or il est manifeste que ne rien avoir en propre est une œuvre surérogatoire ; ce n'est pas matière de précepte, mais de conseil. C'est seulement après avoir dit au jeune homme (Matthieu 19.17) : « Si tu veux entrer dans la vie, garde les commandements », que le Seigneur poursuivit, ajoutant quelque chose à ce qu'il venait de prescrire : « Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres. » Or les évêques ne s'obligent pas, dans leur ordination, à vivre sans avoir rien en propre. En outre, ce n'est pas exigé par cet office pastoral auquel ils s'obligent. Les évêques ne sont donc pas tenus à ne rien posséder en propre.
Solutions
1. La perfection de la vie chrétienne, nous l'avons déjà fait observera, ne consiste pas essentiellement dans la pauvreté volontaire. La pauvreté volontaire est un simple instrument pour acquérir la perfection. On ne doit donc pas croire que la perfection s'accroît à proportion que la pauvreté est plus absolue. Bien plus, la souveraine perfection est compatible avec l'opulence. Il fut dit à Abraham (Genèse 17.1) : « Marche en ma présence et sois parfait. » Et cependant il est écrit qu'il était riche.
2. Ces paroles du Seigneur peuvent recevoir trois interprétations. La première est d'ordre mystique : ne posséder ni or ni argent, cela veut dire que les prédicateurs ne doivent pas s'appuyer principalement sur la sagesse et l'éloquence séculières. C'est l'explication de S. Jérôme.
En voici une deuxième, qui est de S. Augustin. Ce n'est pas un ordre que le Seigneur donne là, mais plutôt une permission. Il leur permet de s'en aller en prédication sans prendre d'or ou d'argent, ni aucun moyen de subsistance. Il sera pourvu à leurs besoins par les personnes auxquelles ils prêcheront. Aussi ajoute-t-il : « L'ouvrier mérite sa nourriture. » Si bien cependant que, si quelqu'un pourvoit lui-même à sa subsistance tandis qu'il prêche l’Évangile, il fait en cela œuvre de surérogation. Ainsi se comportait S. Paul d'après ses propres dires (1 Corinthiens 9.12-15).
La troisième explication a été proposée par S. Jean Chrysostome. Les instructions du Seigneur visaient leur mission particulière de prêcher aux Juifs ; elles devaient les exercer à avoir confiance en leur Maître qui pourvoirait à tous leurs besoins sans qu'ils aient rien à débourser. Ni eux-mêmes ni leurs successeurs ne se trouvaient obligés pour autant de prêcher l'Évangile sans aucune ressource. Nous lisons de S. Paul lui-même (2 Corinthiens 11.8) qu'il recevait une subvention d'autres Églises pour pouvoir prêcher aux Corinthiens ; on voit ainsi qu'il possédait des ressources envoyées par d'autres. D'ailleurs c'est une folie de penser que tant de saints pontifes, Athanase, Ambroise, Augustin auraient transgressé ces préceptes du Seigneur, s'ils avaient cru y être obligés.
3. La partie est toujours moindre que le tout. Donc, celui dont le zèle pour les intérêts de Dieu diminue parce qu'il s'attache à ceux du monde, celui-là n'a plus Dieu pour seul partage. Ni les évêques ni les clercs ne doivent rien posséder en propre de telle manière qu'en se souciant de leurs possessions, ils négligent le culte divin.
Objections
1. Il semble bien. Sur cette parole (Luc 12.16) « Le domaine d'un homme riche produisit des fruits abondants », S. Ambroise écrit : « Que personne ne s'approprie ce qui est le bien de tous. C'est violence de s'attribuer plus de biens qu'il n'en faut pour vivre. » Et plus loin : « C'est un crime égal de prendre à quelqu'un ce qui lui appartient et, lorsqu'on le peut et qu'on est dans l'abondance, de refuser aux indigents. » Mais prendre de force le bien d'autrui est péché mortel. Donc les évêques pèchent mortellement en ne donnant pas aux pauvres leur superflu.
2. Sur le texte d'Isaïe (Ésaïe 3.14) : « Le butin fait sur les pauvres est dans votre maison », la Glose de S. Jérôme porte que les biens d'Église sont les biens des pauvres. Mais quiconque s'approprie le bien d'autrui ou le donne à d'autres pèche mortellement et est tenu à restitution. Donc, si les évêques gardent pour eux ou donnent à leurs parents et amis le superflu des biens ecclésiastiques, il apparaît qu'ils sont tenus à restitution.
3. User des biens de l'Église pour pourvoir à ses nécessités est beaucoup plus normal que de se constituer une réserve avec le superflu. Or S. Jérôme écrit : « Les clercs dont les parents et les proches n'assurent pas la subsistance peuvent vivre des subsides de l'Église. Quant à ceux qui peuvent vivre de leur patrimoine, ils commettent un sacrilège s'ils acceptent ce qui appartient aux pauvres. » S. Paul s'exprime de même (1 Timothée 5.16) : « Si quelque fidèle a des veuves (dans sa parenté), qu'il pourvoie à leurs besoins et qu'elles ne soient pas à la charge de l'Église, afin que celle-ci puisse assister celles qui sont réellement veuves. » Donc, et à beaucoup plus forte raison, les évêques pèchent mortellement s'ils ne font pas bénéficier les pauvres des biens ecclésiastiques qu'ils ont en trop.
En sens contraire, beaucoup d'évêques ne distribuent pas aux pauvres le superflu des revenus ecclésiastiques. Ils les emploient à accroître les ressources de l'Église, ce qui semble' louable.
Réponse
Il faut distinguer entre les biens personnels que les évêques peuvent posséder, et les biens ecclésiastiques. À l'égard de leurs biens personnels, les évêques sont de vrais propriétaires. Dans ces conditions, ils ne sont pas obligés de les donner à d'autres. Ils peuvent soit les conserver, soit les distribuer à leur guise. Ils peuvent cependant pécher dans l'usage qu'ils en font, soit par attache excessive en se réservant plus qu'il ne leur faut, soit en ne subvenant pas aux besoins d'autrui selon que l'exige la dette de la charité. Toutefois, ils ne sont pas tenus à restitution, car ils ont sur ces biens un vrai droit de propriété.
Mais à l'égard des biens ecclésiastiques, ils ne sont que des dispensateurs ou des administrateurs. S. Augustin écrit en effet : « Si nous avons des biens personnels qui nous suffisent, ces autres biens ne sont pas à nous, mais aux personnes de qui nous avons reçu procuration. N'allons pas, par une damnable usurpation, en revendiquer la propriété. » Or, pour remplir l'office de dispensateur la bonne foi est nécessaire, selon S. Paul (1 Corinthiens 4.2) : « Au bout du compte ce qu'on demande à des dispensateurs c'est d'être fidèles. » Mais les biens ecclésiastiques sont destinés non seulement à soulager les pauvres, mais encore à assurer l'exercice du culte divin et à subvenir aux besoins des ministres. Les Décrets sont explicites : « Sur les revenus de l'Église et les oblations des fidèles, une seule part revient à l'évêque ; deux autres doivent être attribuées par le prêtre, sous peine de déposition, aux fonds d'entretien de l'Église et à la caisse destinée à alimenter les aumônes ; la dernière sera répartie entre les clercs, qui recevront chacun ce qui lui revient. » Si les biens destinés à l'évêque sont distincts de ceux qui doivent être employés au bénéfice des pauvres ou à l'entretien des ministres et du culte divin, l'évêque qui s'approprierait quelque chose des biens destinés aux pauvres, aux ministres ou au culte agirait, sans le moindre doute, contre la fidélité qui s'impose à un dispensateur. Il pécherait mortellement et serait tenu à restitution. Quant aux biens réservés à son usage, ils sont assimilables aux biens propres. L'évêque pèche par attachement et usage immodéré, s'il en conserve plus qu'il ne lui en faut et si il n'assiste pas autrui comme la charité l'y oblige. Si les biens dont il vient d'être parlé ne sont pas distincts, leur distribution est remise à sa fidélité. S'il s'écarte de la règle en plus ou en moins mais de peu, sa bonne foi peut n'être pas en cause. Car en ces sortes de choses il est difficile à l'homme d'atteindre une précision mathématique. Si, au contraire, c'est de beaucoup, il est impossible qu'il ne s'en aperçoive pas. Dans ce cas, la bonne foi est difficile à admettre, et le péché mortel apparaît. En effet, il est écrit (Matthieu 24.48) : « Si le mauvais serviteur se dit : ‘Mon maître tarde à venir’ (ici perce le mépris du jugement de Dieu), et s'il se met à battre ses compagnons (ce qui est le fait de l'orgueil) puis à faire bonne chère avec des ivrognes (à quoi l'on reconnaît la luxure) le maître de ce serviteur viendra au jour qu'il ne l'attend pas, il le séparera de la société des bons, et il lui assignera sa place parmi les hypocrites » (c'est-à-dire en enfer).
Solutions
1. Cette parole de S. Ambroise ne doit pas être appliquée seulement à la dispensation de biens ecclésiastiques, mais à celle de tous les bien sur lesquels on est tenu, par dette de charité, secourir ceux qui sont dans le besoin. Mais il est impossible de déterminer les cas où l'on se trouve en présence d'une nécessité obligeant sous peint de péché mortel. Pas plus qu'on ne peut déterminer les circonstances particulières où les actes humains sont susceptibles de se présenter. Cette détermination est laissée à la prudence humaine.
2. Les biens ecclésiastiques, nous venons de le dire, ne sont pas destinés seulement à secourir les pauvres, mais à d'autres usages encore. C'est pourquoi si, des biens destinés à l'usage d'un évêque ou d'un clerc, l'intéressé juge bon de réserver quelque chose pour le donner à ses parents ou à d'autres, il ne pèche pas. A la condition qu'il le fasse avec modération, c’est-à-dire pour subvenir à leurs besoins, et non pour les enrichir. D'où la parole de S. Ambroise : « C'est une libéralité digne d'approbation, si tu vois tes proches dans le besoin, de ne pas t'en désintéresser. Il en serait autrement s'ils prétendaient s'enrichir avec ce que tu peux donner aux indigents. »
3. La totalité des biens ecclésiastiques n'a pas à être donnée aux pauvres, sauf le cas de nécessité où, pour le rachat des captifs et les autres besoins des pauvres, on peut, d'après S. Ambroise, aller jusqu'à vendre les vases sacrés. Dans une pareille nécessité, le clerc pécherait si, ayant des 'biens patrimoniaux, il voulait vivre sur ceux de l’Église.
4. Les biens de l'Église doivent pourvoir aux besoins réels des pauvres. Si donc, sans aucune nécessité de les assister, on emploie le superflu des revenus ecclésiastiques à acheter des biens, ou si on les met en réserve pour les besoins à venir de l'Église et des pauvres, cette conduite est louable. Mais s'il était urgent d'assister les pauvres, ce serait un soin superflu et déréglé, que le Seigneur condamne lorsqu'il dit (Matthieu 6.34) : « Ne vous préoccupez pas du lendemain. »
Objections
1. Il semble que non, d'après les Décrets. « L'élection canonique affranchit le moine du joug de la règle monastique ; et l'ordination sacrée fait du moine un évêque. » Or les observances régulières font partie du joug de la règle. Les religieux élevés à l'épiscopat ne sont donc plus tenus aux observances régulières.
2. Celui qui s'élève d'un rang inférieur à un rang supérieur ne semble plus tenu aux obligations du rang inférieur, comme nous avons dit que le religieux n'est pas tenu d'observer les vœux qu'il avait pu faire dans le siècle. Mais le religieux promu à l'épiscopat s'élève à un rang supérieur ; cela résulte de ce que nous avons dit plus haut. Il semble donc que l'évêque ne soit plus obligé aux observances de l'état religieux.
3. Il semble que les deux principales obligations du religieux soient l'obéissance et la renonciation aux biens propres. Or les religieux promus à l'épiscopat ne sont plus tenus d'obéir à leurs prélats réguliers leur étant devenus supérieurs. Ils ne sont pas non plus astreints à la pauvreté. Les Décrets cités plus haut le disent clairement : « Le moine dont l'ordination a fait un évêque a le droit de revendiquer la succession paternelle en qualité de légitime héritier. » De plus, il arrive qu'on leur accorde le droit de tester. Ils sont donc à plus forte raison dégagés de l'obligation de pratiquer les autres observances régulières.
En sens contraire, nous lisons dans les Décrets : « Au sujet des moines qui, après avoir longtemps vécu dans les monastères, se trouvent promus aux ordres de la cléricature, nous statuons qu'ils ne doivent pas abandonner leur premier propos. »
Réponse
L'état religieux, avons-nous dit, se rattache à la perfection au sens d'une voie par laquelle on tend à la perfection ; l'état épiscopal, lui, est un état de perfection, comme étant un magistère de perfection. L'état religieux est donc à l'égard de l'état épiscopal ce qu'est l'état de disciple à l'égard de celui de maître : ce qu'est la disposition par rapport à la perfection proprement dite. Or la disposition ne disparaît pas lorsque survient la perfection, sauf ce qui dans la disposition pourrait être incompatible avec la perfection. Mais, pour ce qui s'harmonise avec celle-ci, la disposition se trouve plutôt confirmée. Le disciple devenu maître n'a plus à être auditeur, mais il lui convient de lire et de méditer, et même plus qu'auparavant.
On doit dire pareillement que, s'il se trouve dans la vie religieuse des observances qui ne sont pas incompatibles avec la fonction pontificale, et qui contribuent plutôt à sauvegarder la perfection, comme la continence, la pauvreté, etc., le religieux, même promu à l'épiscopat, y demeure obligé. Donc aussi à porter l'habit religieux, qui est le signe de son obligation.
Mais si, parmi les observances régulières, il s'en trouve qui soient incompatibles avec la fonction de pontife, comme la solitude, le silence, certaines abstinences ou veilles pénibles, qui le rendraient physiquement incapable d'exercer sa charge, le religieux promu à l'épiscopat n'est pas tenu de les pratiquer.
Cependant, pour ce qui regarde les autres observances, il peut user de dispenses selon que l'exigent ses besoins personnels, les devoirs de sa charge ou la condition de son entourage, de la même manière que les prélats des religieux se donnent à eux-mêmes des dispenses en ces matières.
Solutions
1. Celui qui de moine devient évêque est affranchi du joug de la profession monastique, non pas en tout mais relativement aux points qui sont incompatibles avec la fonction pontificale, nous venons de le dire.
2. Les vœux de la vie séculière, comparés aux vœux de religion, se trouvent dans la situation du particulier envers l'universel. Les vœux de religion, au contraire, sont avec la dignité pontificale dans le même rapport que la disposition avec la perfection. Le particulier devient superflu quand on possède l'universel. Mais la disposition est encore nécessaire après l'acquisition de la perfection.
3. C'est par accident que les évêques religieux ne sont plus tenus d'obéir aux prélats de leur ordre, parce qu'ils ont cessé d'être leurs sujets, comme les prélats des religieux eux-mêmes. L'obligation issue du vœu demeure virtuellement, au point que si on leur donnait légitimement un supérieur religieux, ils seraient tenus de lui obéir, de la même manière qu'ils sont tenus d'observer les prescriptions de la règle comme nous venons de le dire, et d'obéir à leurs supérieurs hiérarchiques, s'ils en ont. Quant aux biens propres, ils ne peuvent aucunement en posséder. Ils ne revendiquent pas l'héritage paternel comme leur appartenant en propre, mais comme dû à l'Église. C'est pourquoi les Décrets ajoutent : « Devenu évêque, il doit restituer ce qu'il a pu acquérir, à l'autel auquel il est consacré. » Il ne peut pas davantage faire de testament. Il n'a que l'administration des biens ecclésiastiques, et la mort y met fin, à partir de laquelle, selon S. Paul (Hébreux 9.16) le testament devient valide. S'il arrive qu'il obtienne du pape la permission de tester, il ne faut pas l'entendre en ce sens qu'il dispose de quoi que ce soit comme d'un bien personnel. Cette permission se comprend comme une extension, par l'autorité apostolique, de son pouvoir d'administration, pour qu'il prenne encore effet après la mort.
Nous avons maintenant à étudier l'état religieux. À son propos, quatre questions se posent. Elles concernent : I. Les éléments principaux de l'état religieux (Q. 186). II. Les fonctions qui peuvent convenir licitement aux religieux (Q. 187). III. La distinction des ordres religieux (Q. 188). IV. L'entrée en religion (Q. 189).