- Le Saint-Esprit a-t-il été le principe actif de la conception du Christ ?
- Peut-on dire que le Christ a été conçu du Saint-Esprit ?
- La Bienheureuse Vierge a-t-elle eu un rôle actif dans la conception du Christ ?
Objections
1. Selon S. Augustin, « les oeuvres de la Trinité sont indivises, comme son essence ». Or c'est une oeuvre divine que réaliser la conception du Christ. Il apparaît donc que cela ne doit pas s'attribuer au Saint-Esprit plus qu'au Père et au Fils.
2. S. Paul écrit (Galates 4.4) : « Quand vint la plénitude des temps, Dieu envoya son Fils, né d'une femme », ce que S. Augustin explique ainsi : « Assurément il a été envoyé par celui qui l'a fait naître » d'une femme. Mais l'envoi du Fils est attribué surtout au Père, comme on l'a montré dans la première Partie. Donc la conception selon laquelle il est né de la femme doit être attribuée surtout au Père.
3. On lit dans les Proverbes (Proverbes 9.1) : « La Sagesse s'est bâti une maison. » Or la Sagesse de Dieu, c'est le Christ en personne selon S. Paul (1 Corinthiens 1.24) : « Le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. » La maison de cette Sagesse est le corps du Christ qu'on appelle son temple d'après S. Jean (Jean 2.21) : « Il disait cela du temple de son corps. » Il apparaît donc que réaliser la conception du corps du Christ doit être surtout attribué au Christ et non au Saint-Esprit.
En sens contraire, S. Luc a cette affirmation (Luc 1.35) : « L'Esprit Saint viendra sur toi. »
Réponse
La conception du corps du Christ est l'oeuvre de toute la Trinité. Cependant on l'attribue au Saint-Esprit pour trois raisons.
1° Cela convient au motif de l'Incarnation envisagé du côté de Dieu. En effet, l'Esprit Saint est l'amour du Père et du Fils, comme nous l'avons établi dans la première Partie. Or, que le Fils de Dieu ait assumé la chair dans un sein virginal, cela vient d'un très grand amour de Dieu : « Dieu a tellement aimé le monde, qu'il a donné son Fils unique » (Jean 3.16).
2° Cela convient au motif de l'Incarnation envisagé du côté de la nature assumée. On veut dire par là que cette assomption de la nature humaine par le Fils de Dieu dans l'unité de sa personne ne vient pas de ses mérites mais uniquement de la grâce, laquelle est attribuée au Saint-Esprit : « Il y a diversité de grâces, mais c'est le même Esprit » (2 Corinthiens 12.4). Ce qui fait dire à S. Augustin : « Le mode par lequel le Christ est né du Saint-Esprit nous fait comprendre la grâce de Dieu ; par elle l'homme, au moment même où sa nature a commencé d'exister, a été uni au Verbe de Dieu dans une si intime unité de personne que lui-même était identiquement Fils de Dieu. »
3° Cela convient au terme de l'Incarnation, qui consiste en ce que cet homme, une fois conçu, était le Saint et le Fils de Dieu, deux effets que l'on attribue au Saint-Esprit. Car c'est par lui que les hommes deviennent fils de Dieu, selon l'Apôtre (Galates 4.6) : « La preuve que vous êtes des fils, c'est que Dieu a envoyé dans nos coeurs l'esprit de son Fils qui crie : Abba ! Père ! » Et en outre il est « l'Esprit de sanctification » (Romains 2.4). Donc, comme nous-mêmes sommes sanctifiés spirituellement par le Saint-Esprit pour devenir fils adoptifs de Dieu, ainsi le Christ a-t-il été conçu dans la sainteté par le Saint-Esprit pour être Fils de Dieu selon la nature divine. C'est ainsi que, selon une Glose, le début du texte de Paul : « Celui qui a été établi fils de Dieu avec puissance... » est éclairé par ce qui suit immédiatement : « selon l'Esprit qui sanctifie », c'est-à-dire par le fait qu'il est conçu de l'Esprit Saint. Et l'ange annonciateur, parce qu'il dit d'abord : « Le Saint-Esprit viendra sur toi » conclut : « C'est pourquoi l'être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu. »
Solutions
1. Sans doute, l'oeuvre de conception est commune à toute la Trinité ; cependant, suivant tel ou tel aspect on peut l'attribuer à chacune des personnes. Ainsi l'on attribue au Père l'autorité sur la personne de son Fils qui, par la conception, a assumé la nature humaine ; au Fils, l'assomption même de la chair ; mais au Saint-Esprit la formation du corps que le Fils a assumé. Le Saint-Esprit est en effet l'Esprit du Fils, selon l'épître aux Galates (Galates 4.6) : « Dieu a envoyé l'Esprit de son Fils. » De même que, dans la génération des autres hommes, la force de l'âme contenue dans la semence forme le corps par l'intermédiaire de l'esprit vital que renferme celle-ci, de même, la force de Dieu, qui est le Christ selon S. Paul (1 Corinthiens 1.24), a formé, par l'intermédiaire de l'Esprit Saint, le corps qu'il a assumé. Et c'est ce que montrent encore les paroles de l'ange : « L'Esprit Saint viendra sur toi » comme pour préparer et former la matière du corps du Christ ; et « la force du Très-Haut », c'est-à-dire le Christ, « te couvrira de son ombre ». Selon S. Grégoire, « la lumière divine incorporelle recevra en toi un corps humain ; car l'ombre naît d'une lumière et d'un corps ». Le Très-Haut désigne ici le Père, dont le Fils est la force.
2. Dans l'Incarnation, la mission se rapporte à la personne qui l'assume et qui est envoyée par le Père. La conception se rapporte au corps assumé par la personne, lequel est formé par l'opération du Saint-Esprit. Et c'est pourquoi, bien que mission et conception s'identifient dans le sujet, comme elles diffèrent en raison, envoyer est attribué au Père, réaliser la conception est attribué au Saint-Esprit, mais assumer la chair est attribué au Fils.
3. Comme dit S. Augustin « la maison du Christ peut s'entendre en un double sens. Car la première maison, c'est l'Église, qu'il a bâtie par son sang. Ensuite on peut appeler maison son corps, de même que celui-ci est appelé un temple. L'oeuvre du Saint-Esprit est l'oeuvre du Fils de Dieu à cause de leur unité de nature et de volonté ».
Objections
1. Sur ce texte (Romains 11.36) : « Tout est à partir de lui, par lui et en lui », la Glose de S. Augustin remarque : « Il faut prendre garde qu'il ne dit pas “de lui” (de ipso) mais “à partir de lui” (ex ipso). “À partir de lui” sont le ciel et la terre, parce qu'il les a créés. Mais non “de lui” parce qu'ils ne sont pas de sa substance. » Mais l'Esprit Saint n'a pas formé le corps de sa substance. On ne doit donc pas dire que le Christ a été conçu « de » l'Esprit Saint.
2. Le principe actif par lequel un être est conçu se comporte comme la semence dans la génération. Mais ce n'a pas été le fait du Saint-Esprit dans la génération du Christ. S. Jérôme écrit : « Nous ne disons pas, comme certains le pensent avec une grande impiété, que le Saint-Esprit a tenu lieu de père, ton créateur ? N'est-ce pas lui qui t'a façonné, formé et créé ? » Mais l'Esprit Saint a fait le corps du Christ, comme on l'a dit aux articles précédents. Donc l'Esprit Saint doit être appelé père du Christ, en raison du corps qu'il a formé.
En sens contraire, S. Augustin déclare : « le Christ n'est pas né fils du Saint-Esprit, mais fils de la Vierge Marie ».
Réponse
Les noms de père, de mère et de fils sont la conséquence d'une génération ; non pas génération quelconque, mais génération au sens propre d'êtres vivants, et surtout d'animaux. Nous ne disons pas, en effet, que le feu est fils du feu qui l'engendre, sinon peut-être par métaphore. Mais nous parlons ainsi des animaux, dont la génération est plus parfaite. Cependant, tout ce qu'engendrent les animaux n'est pas appelé fils. Comme dit S. Augustin, nous ne disons pas que le cheveu, qui vient de l'homme, soit fils de l'homme ; et nous ne disons pas non plus que l'homme qui naît soit fils de la semence, parce que ni le cheveu ne ressemble à l'homme, ni le nouveau-né de la semence ne ressemble à celle-ci, mais à l'homme qui engendre. Et si la ressemblance est parfaite, il y aura filiation parfaite aussi bien sur le plan humain que sur le plan divin. Aussi y a-t-il en l'homme une certaine ressemblance imparfaite en tant qu'il a été créé à l'image de Dieu, et en tant qu'il a été recréé selon la ressemblance de la grâce ; et c'est pourquoi des deux manières l'homme peut être appelé fils de Dieu : et parce qu'il a été créé à son image, et parce qu'il est venu à la ressemblance que donne la grâce.
Or il faut considérer que, lorsqu'un nom convient selon son sens parfait à un être, on ne doit pas le lui appliquer suivant les sens imparfaits qu'il comporte. Par exemple, Socrate étant un homme dans toute la propriété de cette raison d'homme, on ne devra pas dire de lui qu'il est un homme au sens où l'est un portrait, même à supposer que Socrate lui-même ressemble à un autre homme.
Or le Christ est Fils de Dieu selon une parfaite raison de filiation ; aussi, bien que selon la nature humaine il ait été créé et justifié, il ne doit être appelé Fils de Dieu ni en raison de la création ni en raison de la justification, mais seulement en raison de la génération éternelle qui fait de lui le Fils du Père seul. Et voilà pourquoi on ne doit l'appeler d'aucune manière ni Fils du Saint-Esprit, ni même Fils de toute la Trinité.
Solutions
1. Le Christ a été conçu de la Vierge Marie qui lui fournissait la matière d'une ressemblance spécifique, et c'est pourquoi on l'appelle son fils. Mais, en tant qu'homme, il a été conçu du Saint-Esprit comme d'un principe actif, mais non selon la ressemblance spécifique d'un fils à l'égard de son Père. Et c'est pourquoi le Christ n'est pas appelé fils du Saint-Esprit.
2. Les hommes spirituellement formés par le Saint-Esprit ne peuvent être appelés fils de Dieu selon une raison parfaite de filiation ; et c'est pourquoi ils sont appelés fils de Dieu selon une filiation imparfaite, en vertu de la ressemblance divine que leur donne la grâce et qui vient de la Trinité tout entière. Mais, comme on vient de le dire, le cas du Christ est différent.
3. La même réponse vaut pour cette objection.
Objections
1. S. Jean Damascène écrit « L'Esprit Saint venant sur la Vierge, l'a purifiée et lui a donné la force de recevoir le Verbe de Dieu en même temps que de l'engendrer. » Or elle avait déjà par nature, comme toutes les femmes, la force passive d'engendrer. Donc la vertu qu'il lui a donnée était active, et elle a joué un rôle actif dans la conception du Christ.
2. Toutes les puissances de l'âme végétative sont des puissances actives selon le Commentateur d'Aristote. Or la puissance génératrice, tant du père que de la mère, est une puissance de l'âme végétative. Il y a donc chez la femme comme chez l'homme une contribution active à la conception de l'enfant.
3. Dans la conception, la femme fournit la matière à partir de laquelle le corps de l'enfant est formé par la nature. Mais la nature est un principe intrinsèque de mouvement. Il apparaît donc que précisément par la matière qu'elle a fournie à la conception du Christ, la Bienheureuse Vierge a été un principe actif.
En sens contraire, le principe actif de la génération est appelé raison séminale. Mais, dit S. Augustin, le corps du Christ « a été pris à cette seule matière corporelle du corps de la Vierge, selon le plan divin de sa conception et de sa formation, sans recours à une raison séminale humaine. » Donc la Bienheureuse Vierge n'est pas intervenue activement dans la conception du corps du Christ.
Réponse
Certains prétendent que, dans la conception du Christ, la Bienheureuse Vierge a agi activement de deux façons : par une force naturelle, et par une force surnaturelle.
Tout d'abord par une force naturelle. Ils avancent en effet que dans toute matière naturelle il y a un principe actif. Autrement, croient-ils, il n'y aurait pas de transformation naturelle. En cela ils se trompent. Car une transformation n'est pas seulement naturelle quand un principe intrinsèque est actif ; elle l'est encore quand ce principe n'est que passif. Le Philosophe le dit expressément : dans les corps lourds et légers, le principe du mouvement naturel n'est pas actif, mais uniquement passif. Et il n'est pas possible que la matière agisse pour se donner une forme à elle-même, puisqu'elle n'est pas en acte. Il est pareillement impossible qu'un être se meuve lui-même s'il ne se compose pas de deux parties, l'une motrice, l'autre mue, ce qui arrive seulement dans les êtres animés comme il est prouvé dans le même ouvrage.
En second lieu, d'après ces mêmes théologiens, la Vierge aurait agi par une force surnaturelle. Dans la conception, la mère fournirait non seulement une matière, le sang menstruel, mais aussi une semence qui, mêlée à celle de l'homme, aurait une vertu active dans la génération. Or, la Bienheureuse Vierge n'ayant produit aucune semence à cause de sa parfaite virginité, le Saint-Esprit lui aurait octroyé surnaturellement, dans la conception du Christ, la force active qu'exerce ordinairement la mère. Mais ce raisonnement ne tient pas. Car, dit Aristote, « tout être existe en vue de son opération ». Or la nature n'aurait pas distingué les deux sexes pour l'oeuvre de la génération, si l'action du père n'était pas différente de celle de la mère. Dans la génération on distingue l'action de l'agent et celle du patient. Il reste donc que toute la force active vient du père, tandis que la mère n'est que principe passif. Et c'est la raison pour laquelle dans les plantes, où les deux forces, active et passive, sont mêlées, il n'y a pas de distinction entre mâle et femelle.
Donc, parce que la Bienheureuse Vierge n'a pas été chargée d'être le père du Christ, mais sa mère, il s'ensuit qu'elle n'a pas reçu de puissance active dans la conception du Christ. Car, si elle avait agi activement, elle aurait été le père du Christ ; si, comme certains le disent, elle n'avait rien fait, il s'ensuivrait que cette puissance active lui aurait été donnée pour rien. Il faut donc tenir que dans la conception du Christ, la Bienheureuse Vierge n'a exercé aucune activité, elle n'a fournit que la matière. Néanmoins, avant la conception, elle a été active en préparant la matière, pour qu'elle soit apte à la conception.
Solutions
1. Cette conception a comporté trois privilèges : d'échapper au péché originel ; de venir non de l'homme seul, mais de Dieu et de l'homme ; d'être une conception viriginale. Et ces trois privilèges lui sont venus du Saint-Esprit. Du premier S. Jean Damascène dit : « L'Esprit Saint, venant sur la Vierge, l'a purifiée », c'est-à-dire qu'il l'a préservée de concevoir ayant le péché originel. Relativement au deuxième il dit : « Il lui a donné la force de recevoir le Verbe de Dieu », c'est-à-dire de le concevoir. Et quant au troisième, il dit : « en même temps que de l'engendrer », c'est-à-dire qu'en demeurant vierge, elle puisse engendrer, non certes d'une manière active, mais d'une manière passive, comme les autres mères qui tiennent cela de la semence du père.
2. Chez la mère la puissance génératrice est imparfaite, en regard de celle du père. Aussi, de même que, dans les arts, l'art subalterne dispose la matière, tandis que l'art supérieur, selon Aristote, imprime la forme ; de même, la vertu génératrice de la femme prépare la matière, et la vertu active du mari communique la forme à la matière préparée.
3. Nous venons de le dire, pour qu'une transformation soit naturelle, il n'est pas exigé qu'il y ait dans la matière un principe actif, mais seulement un principe passif.