Somme théologique

Somme théologique — La tertia

44. LES DIVERSES CATÉGORIES DE MIRACLES DU CHRIST

  1. Ses miracles sur les substances spirituelles.
  2. Sur les corps célestes.
  3. Sur les hommes.
  4. Sur les créatures dépourvues de raison.

1. Les miracles opérés par le Christ sur les substances spirituelles

Objections

1. Parmi les substances spirituelles, les saints anges l'emportent sur les démons, parce que, dit S. Augustin « les esprits pécheurs qui ont déserté la vie spirituelle sont régis par les esprits justes et pieux ». Mais l'Évangile ne dit pas que le Christ ait fait des miracles concernant les bons anges. Il n'aurait donc pas dû en faire concernant les démons.

2. Les miracles du Christ étaient ordonnés à manifester sa divinité. Mais celle-ci n'avait pas à être manifestée aux démons, parce que cela aurait empêché le mystère de sa passion, selon S. Paul (2 Corinthiens 2.8) : « S'ils l'avaient connu, ils n'auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire. » Le Christ ne devait donc pas faire de miracles sur les démons.

3. Les miracles du Christ étaient ordonnés à la gloire de Dieu. C'est pourquoi S. Matthieu (Matthieu 9.8) écrit : « Les foules en voyant cela (le paralytique guéri par le Christ), furent saisies de crainte et rendirent gloire à Dieu qui a donné aux hommes une telle puissance. » Mais il ne revient pas aux démons de glorifier Dieu, parce que « la louange n'est pas belle dans la bouche du pécheur » (Ecclésiastique 15.9). Aussi, nous disent Marc (Marc 1.34) et Luc (Luc 4.41) « il ne permettait pas aux démons de parler » de ce qui touchait à sa gloire. Il ne semble donc pas bien ordonné qu'il ait fait des miracles sur les démons.

4. Les miracles du Christ étaient ordonnés au salut des hommes. Mais il est arrivé que des hommes aient souffert du dommage, lorsque le Christ en chassa les démons. Soit un dommage corporel, par exemple (Marc 9.24) lorsque le démon, sur l'ordre du Christ, « poussa un grand cri et sortit de l'enfant en l'agitant avec violence et en le laissant inanimé », si bien que beaucoup disaient : « Il est mort. » Soit du dommage pécuniaire, par exemple (Matthieu 8.31) quand, à la prière des démons, le Christ envoya ceux-ci dans des porcs qu'ils précipitèrent dans la mer, de sorte que les habitants de cette région « lui demandèrent de quitter leur territoire ». On voit donc les inconvénients de tels miracles.

En sens contraire, Zacharie (Zacharie 13.2) avait prédit cela quand il disait : « J'ôterai du pays l'esprit impur. »

Réponse

Les miracles du Christ venaient à l'appui de la foi qu'il enseignait. Or, il devait se faire que, par la puissance de sa divinité, il détruirait le pouvoir des démons chez les hommes qui croiraient en lui, selon sa parole (Jean 12.31) : « Maintenant, le prince de ce monde va être jeté dehors. » Et c'est pourquoi il était bon que, entre autres miracles, il délivre les hommes esclaves du démon.

Solutions

1. De même que les hommes devaient être délivrés par le Christ du pouvoir des démons, de même devaient-ils être par lui associés aux anges, selon la parole de S. Paul (Colossiens 1.20) : « Pacifiant par le sang de sa croix ce qui est au ciel et ce qui est sur terre. » Et c'est pourquoi, concernant les anges, il ne convenait pas de montrer aux hommes d'autres miracles que ceux de leurs apparitions, qui se sont produites à sa naissance, à sa résurrection et à son ascension.

2. Selon S. Augustin : « Le Christ s'est fait connaître aux démons autant qu'il l'a voulu ; et il l'a voulu dans la mesure où il l'a fallu. Mais il s'est fait connaître à eux, non comme aux saints anges par le fait qu'il est la vie éternelle, mais par certains effets temporels de sa puissance. » Et d'abord, en voyant le Christ avoir faim après son jeûne, ils ont pensé qu'il n'était pas le Fils de Dieu. C'est pourquoi, sur ce texte (Luc 4.3) : « Si tu es le Fils de Dieu... » S. Ambroise écrit : « Que signifie cette entrée en matière, sinon qu'il savait que le Fils de Dieu viendrait ; mais il ne pensait pas qu'il viendrait dans la faiblesse d'un corps. » Mais plus tard, après avoir vu ses miracles, il soupçonna par conjecture que le Christ était le Fils de Dieu. Aussi, sur le texte de Marc (Marc 1.24) : « je sais que tu es le Fils de Dieu », S. Jean Chrysostome nous dit-il : « Il n'avait pas une connaissance certaine et ferme de la venue de Dieu. » Il savait cependant qu'il était « le Messie promis dans la Loi », aussi Luc dit-il (Luc 4.41) : « Parce qu'ils savaient qu'il était le Messie. » Mais, s'ils reconnaissaient en lui le Fils de Dieu, c'était davantage un soupçon qu'une certitude. Ce qui fait dire à Bède : « Les démons confessent le Fils de Dieu et, comme on dit dans la suite, ils savaient qu'il était le Messie. » Parce que le diable, le voyant fatigué par le jeûne, comprit qu'il était réellement un homme ; mais parce qu'il n'avait pu le vaincre par la tentation, il se demandait s'il était le Fils de Dieu. « Plus tard la puissance des miracles lui fit comprendre, ou plutôt soupçonner, qu'il était le Fils de Dieu. Donc, s'il persuada aux juifs de le crucifier, ce n'était pas parce qu'il ne pensait pas qu'il était le Messie ou le Fils de Dieu, mais parce qu'il ne prévit pas que lui-même serait condamné par sa mort. Car l'Apôtre dit (1 Corinthiens 2.8) de ce mystère : “Nul des princes de ce monde ne l'a connu.” Car s'ils l'avaient connu, ils n'auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire. »

3. Le Christ n'a pas fait le miracle d'expulser des démons dans leur intérêt, mais dans l'intérêt des hommes afin que ceux-ci le glorifient. Et c'est pourquoi il leur interdisait de publier ce qui aurait servi à sa propre louange. D'abord, pour donner l'exemple. Selon S. Athanase : « il faisait taire le démon, bien que celui-ci proclamât la vérité, pour nous habituer à ne pas attacher d'importance à de tels propos, même s'ils semblent vrais. Il serait impie, en effet, quand nous avons la divine Écriture, de nous faire instruire par le démon. » C'est dangereux, d'ailleurs, parce que les démons mêlent souvent des mensonges à la vérité. — Ensuite, dit Chrysostome « il ne fallait pas permettre aux démons d'usurper la gloire du ministère apostolique, et il ne convenait pas que le mystère du Christ soit publié par une langue fétide, parce que “la louange n'est pas belle dans la bouche des pécheurs” (Ecclésiastique 15.9). — Enfin, parce que, dit Bède il ne voulait pas attiser la haine des Juifs ». Et c'est aussi pourquoi « il ordonne aux Apôtres eux-mêmes de se taire à son sujet, pour éviter que la révélation de sa majesté divine ne retarde l'échéance de la Passion ».

4. Le but spécial de la venue du Christ a été d'enseigner et de faire des miracles dans l'intérêt des hommes, principalement quant au salut de leur âme. Et c'est pourquoi il permit aux démons qu'il expulsait de nuire aux hommes, soit dans leur corps, soit dans leurs biens, en vue du salut de leur âme, c'est-à-dire pour leur instruction. S. Jean Chrysostome dit que le Christ « permit aux démons d'aller dans les porcs, non parce qu'il se serait plié à leur volonté, mais premièrement pour faire connaître la grandeur du dommage que les pièges du démon infligent aux hommes ; deuxièmement pour apprendre à tous qu'ils n'auraient rien osé faire aux porcs si lui-même n'y avait consenti ; troisièmement pour montrer que les démons auraient fait un mal plus grand aux hommes qu'à ces porcs, si les hommes n'avaient pas été secourus par la providence divine ».

Et pour les mêmes motifs, il a permis que l'enfant délivré des démons fût plus gravement affligé momentanément, puisqu'il le délivra aussitôt de cette affliction. Cela montre, selon Bède, « que souvent lorsque nous essayons, après nos péchés, de nous convertir à Dieu, l'antique ennemi nous assaille par des ruses plus dangereuses et nouvelles. Il agit ainsi soit pour inspirer la haine de la vertu, soit pour se venger de la honte de son expulsion ». En outre, l'enfant guéri a semblé mort, d'après S. Jérôme « parce que c'est aux hommes guéris que l'on dit : “Vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu” (Colossiens 3.3) ».


2. Les miracles opérés par le Christ sur les corps célestes

Objections

1. Selon Denys, « il ne convient pas à la providence divine de détruire la nature, mais de la conserver ». Or les corps célestes sont, par leur nature, indestructibles et inaltérables, comme le prouve Aristote. Donc il ne convenait pas que le Christ apporte aucun changement à l'ordre des corps célestes.

2. Le mouvement des astres sert à marquer le cours du temps, selon la Genèse (Genèse 2.14) : « Qu'il y ait des luminaires dans le firmament du ciel, et qu'ils servent de signes pour les fêtes, les jours et les années. » Tout changement dans le cours des astres change donc la distinction et l'ordre des temps. Mais on ne lit nulle part que cela ait été constaté par des astronomes qui, selon Isaïe (Ésaïe 47.13), « contemplent les astres et comptent les mois ». Il apparaît donc que le Christ n'a opéré aucun changement dans le cours des astres.

3. Il convenait davantage au Christ de faire des miracles tandis qu'il vivait et enseignait, plutôt qu'au moment de sa mort parce que, dit S. Paul (2 Corinthiens 13.4) « il a été crucifié en raison de sa faiblesse, mais il est vivant par la puissance de Dieu » selon laquelle il faisait ses miracles. Et aussi parce que ses miracles servaient à confirmer son enseignement. Mais on ne lit pas que, pendant sa vie, le Christ ait fait aucun miracle sur les astres. Bien au contraire, aux pharisiens qui lui demandaient « un signe du ciel » il a refusé (Matthieu 12.38 et Matthieu 16.1). Il apparaît donc que, dans sa mort non plus, il n'aurait pas dû faire de miracle sur les astres.

En sens contraire, on lit en S. Luc (Luc 23.44) « Les ténèbres s'étendirent sur la terre jusqu'à la neuvième heure, et le soleil s'obscurcit. »

Réponse

Nous l'avons dit plus haut. les miracles du Christ devaient pouvoir suffire à montrer qu'il est Dieu. Or cela n'est pas montré avec autant d'évidence par des transformations de corps inférieurs, qui peuvent être actionnés par d'autres causes, que par une transformation du cours des astres, dont l'ordre immuable est fixé par Dieu seul. Et c'est ce que dit Denys : « Certaines perturbations dans l'ordre et le mouvement des astres ne peuvent avoir d'autre cause que l'intervention de celui qui crée tout et qui change tout par sa parole. » Aussi convenait-il que le Christ fit aussi des miracles concernant les astres.

Solutions

1. De même qu'il est naturel pour les corps inférieurs d'être mus par les corps célestes qui leur sont supérieurs dans l'ordre de la nature, de même est-il naturel pour toute créature de subir les changements que Dieu lui impose par sa volonté. Aussi S. Augustin dit-il : « Dieu » qui a créé et constitué tous les êtres, « ne fait rien de contraire à la nature, car la nature de chaque être, c'est ce qu'il crée ». Ainsi la nature des astres n'est pas détruite quand leur cours est changé par Dieu, alors qu'elle serait détruite si elle était changée par toute autre cause.

2. Le miracle accompli par le Christ n'a pas renversé l'ordre des temps. Car, pour certains, ces ténèbres, cet obscurcissement du soleil qui arriva au cours de la Passion, s'explique par le fait que le soleil a ramené à lui ses rayons, sans que se produise aucune modification dans les mouvements des astres qui mesurent le temps. C'est pourquoi S. Jérôme écrit : « Le grand luminaire retira ses rayons pour ne pas voir le Seigneur suspendu au gibet, ou pour priver de sa lumière des blasphémateurs impies. »

Il ne faut pas comprendre cette rétraction comme si le soleil avait le pouvoir d'émettre ou de retirer ses rayons ; car il n'est pas libre d'émettre ses rayons, mais il le fait par nature, dit Denys. On dit que le soleil a retiré ses rayons en ce sens que la vertu divine empêchait ses rayons de parvenir jusqu'à la terre.

Origène dit qu'ils ont été arrêtés par des nuages : « Il faut comprendre que des nuages très obscurs et très étendus se sont amassés au-dessus de Jérusalem et de la Judée, et c'est ainsi que se sont produites des ténèbres profondes de la sixième à la neuvième heure. J'estime en effet que, comme les autres signes qui ont marqué la Passion, tels que le voile qui se déchire, la terre qui tremble, etc. ne se sont produits qu'à Jérusalem, il en est de même en ce cas ; ou bien si l'on veut que ces ténèbres se soient étendues davantage, ce serait à toute la terre de Judée, parce qu'il est dit (Luc 23.44) : “Les ténèbres couvrirent toute la terre”, et que cela peut s'entendre de la terre de Judée. C'est ainsi qu'Obadya dit à Élie (1 Rois 18.10) : “Par le Seigneur qui est vivant il n'y a pas de nation ni de royaume où mon maître m'ait envoyé te chercher”, alors qu'on l'avait évidemment cherché seulement dans les nations qui avoisinent la Judée. »

Mais à ce sujet il vaut mieux se fier à Denys qui fut témoin oculaire. Il a vu que c'est arrivé parce que la lune s'est interposée entre le soleil et nous. Il écrit en effet dans sa lettre à Polycarpe : « De façon imprévisible », de l'Égypte où il se trouvait, dit-il, « nous voyions la lune passer devant le soleil . Et il note quatre miracles.

1° L'éclipse naturelle du soleil par interposition de la lune n'arrive qu'au moment où tous deux se rencontrent. Alors, pourtant, la lune était à l'opposite, puisqu'elle en était à son quinzième jour, où l'on célébrait la Pâque des Juifs.

2° C'était encore un miracle que la lune, qu'on voyait cachant le soleil au milieu du ciel à la sixième heure, soit apparue le soir à sa place, c'est-à-dire à l'Orient, à l'opposé du soleil. C'est pourquoi Denys écrit : « Nous l'avons revue (la lune) à partir de la neuvième heure » où elle s'est éloignée du soleil, ce qui a fait cesser les ténèbres ; « jusqu'à l'heure de vêpres, quand elle eût été ramenée surnaturellement dans une direction diamétralement opposée à celle du soleil ». Ainsi voit-on clairement que le cours habituel des temps n'a pas été troublé, puisque c'est par la vertu divine que la lune s'approcha surnaturellement du soleil en dehors du temps normal, et qu'elle s'en éloigna pour revenir à son lieu propre en temps voulu.

3° Autre miracle. Une éclipse naturelle commence toujours à l'ouest pour finir à l'est ; et cela parce que la lune, selon son mouvement propre, qui va de l'ouest en est, est plus rapide que celui du soleil qui se fait d'est en ouest. Et c'est pourquoi la lune, venant à l'ouest, atteint le soleil et le dépasse, en allant vers l'est. Mais alors la lune avait déjà dépassé le soleil et en était distante d'environ la moitié du cercle, puisqu'elle se trouvait à l'opposé. Aussi fallait-il qu'elle revînt de l'est vers le soleil et l'atteignît d'abord dans sa partie orientale, en progressant vers l'ouest. Et c'est bien ce qu'écrit Denys : « Nous avons même vu l'éclipse elle-même commencer par l'est et gagner jusqu'à l'extrémité du soleil » parce qu'elle cacha le soleil entier, « puis revenir en arrière ».

4° Dans une éclipse naturelle, le soleil commence à reparaître du côté par lequel il a commencé de s'obscurcir ; car la lune, en se plaçant devant le soleil, le dépasse par son mouvement naturel vers l'est ; et ainsi la partie occidentale du soleil, qu'elle a d'abord cachée, est aussi la première qu'elle découvre. Or, ce jour-là, la lune, revenant miraculeusement de l'est à l'ouest, n'a pas dépassé le soleil de façon à être plus à l'ouest que lui ; mais, après avoir atteint l'extrémité occidentale du soleil, elle retourna vers l'est ; et ainsi, la partie du soleil qu'elle avait cachée en dernier lieu fut aussi la première qu'elle découvrit. L'éclipse commença donc par la partie orientale du soleil, mais la lumière réapparut tout d'abord dans sa partie occidentale. Denys écrit en effet : « Puis nous vîmes la disparition et le retour de la lumière, non pas du même côté du soleil, mais du côté diamétralement opposé. »

5° S. Jean Chrysostome ajoute un autre miracle : « Les ténèbres durèrent trois heures, alors que l'éclipse du soleil ne dure qu'un moment, comme le savent les observateurs.  On donne à entendre par là que la lune s'est attardée sous le soleil. À moins que cela ne veuille dire que la durée des ténèbres se compte de l'instant où le soleil a commencé à s'obscurcir jusqu'à celui où il a retrouvé tout son éclat.

Mais, dit Origène : « Contre ce miracle, les fils de ce siècle objectent : “Comment aucun auteur, Grec ou Barbare, n'a-t-il signalé un fait aussi étonnant ?” Et il répond qu'un certain Phlégon a écrit dans ses Chroniques que le fait s'est passé sous le règne de l'empereur Tibère, mais sans signaler que c'était au moment de la pleine lune ». Ce silence peut donc s'expliquer par le fait que les astronomes existant alors dans le monde n'avaient pas eu leur attention attirée sur cette éclipse inopinée et attribuèrent cette obscurité à une perturbation atmosphérique. Mais en Égypte où les nuages sont rares, à cause de la sérénité du climat, Denys et ses compagnons furent amenés à faire sur cet obscurcissement les observations que nous avons citées.

3. Il fallait que le Christ montre par ses miracles sa divinité, alors qu'apparaissait surtout la faiblesse de sa nature humaine. C'est pourquoi, à sa naissance, apparut dans le ciel une étoile nouvelle. Aussi S. Maxime de Turin dit-il, dans un sermon de Noël : « Si tu dédaignes la mangeoire, lève un peu les yeux et regarde dans le ciel l'étoile nouvelle qui annonce au monde la naissance du Seigneur. » Mais dans sa passion, la faiblesse du Christ dans son humanité apparut plus grande encore. Et c'est pourquoi il fallait que des miracles plus extraordinaires se fassent voir concernant les principaux luminaires du monde. Et, dit S. Jean Chrysostome : « Tel est le signe qu'il promettait de donner quand il disait : “Cette génération perverse et adultère demande un signe, et on ne lui en donnera pas d'autre que celui du prophète Jonas”, qui symbolisait la croix et la résurrection. En effet, ce signe était beaucoup plus merveilleux, accompli au moment de sa crucifixion, que s'il avait encore cheminé sur cette terre. »


3. Les miracles accomplis par le Christ sur les hommes

Objections

1. Chez l'homme, l'âme est supérieure au corps. Or le Christ a fait beaucoup de miracles en faveur des corps, mais on ne lit jamais qu'il ait fait des miracles en faveur des âmes. Car, s'il a converti certains incrédules à la foi, cela n'a jamais été par miracle, mais par des exhortations et la présentation de miracles extérieurs ; de même on ne lit pas qu'il ait donné la sagesse à des fous.

2. On l'a dit, le Christ faisait ses miracles par la puissance divine, dont le propre est d'agir instantanément et sans aucune aide. Or le Christ n'a pas toujours guéri les corps instantanément, car S. Marc (Marc 8.22) raconte : « Prenant l'aveugle par la main, Jésus le fit sortir de la ville. Après lui avoir mis de la salive sur les yeux, et lui avoir imposé les mains, il lui demandait : “Aperçois-tu quelque chose ?” Et l'autre, qui commençait à voir, répondit : “je vois les gens, ils sont comme des arbres qui marchent.” Après cela il lui imposa de nouveau les mains sur les yeux, et l'homme vit clair, il fut rétabli et il voyait tout clairement. » Il est donc évident que la guérison n'a pas été instantanée, mais qu'elle a été d'abord imparfaite et que la salive y a contribué. Il apparaît donc que les miracles du Christ sur les hommes se présentent mal.

3. Quand des effets ne sont pas réciproques, il ne s'impose pas de les supprimer ensemble. Or la maladie physique n'a pas toujours le péché pour cause, le Seigneur l'a dit lui-même (Jean 9.2) : « Ni lui-même ni ses parents n'ont péché, pour que cet homme soit né aveugle. » Il ne fallait donc pas remettre les péchés aux hommes cherchant une guérison physique, comme Jésus l'a fait pour un paralytique (Matthieu 9.2) ; d'autant plus que la guérison physique, étant un effet moindre que la guérison des péchés, ne peut constituer une preuve suffisante que le Christ pouvait remettre les péchés.

4. Les miracles du Christ avaient pour but de confirmer son enseignement et d'attester sa divinité, on l'a dit plus haut. Mais nul ne doit empêcher ce qui est le but de son activité. Il parait donc incohérent que le Christ ait prescrit à ceux qu'il avait miraculeusement guéris, de ne le dire à personne, comme on le voit dans l'évangile (Matthieu 9.30 ; Marc 8.26). D'autant plus qu'il a prescrit à d'autres de publier les miracles dont ils avaient bénéficié ; ainsi lit-on (Marc 5.19) qu'il dit à un homme qu'il avait délivré des démons : « Rentre chez toi, auprès des tiens, et annonce leur tout ce que Seigneur a fait pour toi. »

En sens contraire, on lit (Marc 7.37) « Il a bien fait toutes choses : il a rendu l'ouïe aux sourds, et la parole aux muets. »

Réponse

Les moyens ordonnés à une fin doivent lui être proportionnés. Or, si le Christ était venu dans le monde et enseignait, c'était pour sauver les hommes, selon ce texte de S. Jean (Jean 3.17) : « Car le Fils de l'homme n'est pas venu dans le monde pour le juger, mais afin que par lui le monde soit sauvé. » Et c'est pourquoi il était bon que le Christ guérisse miraculeusement certains hommes en particulier, afin de montrer qu'il est le Sauveur universel et spirituels.

Solutions

1. Les moyens ordonnés à la fin se distinguent de celle-ci. Or les miracles du Christ étaient ordonnés, comme à leur fin, au salut de la partie rationnelle, qui consiste en l'illumination de celle-ci par la sagesse, et en sa purification. Le premier de ces deux effets présuppose le second, car il est écrit (Sagesse 1.4) : « La sagesse n'entrera pas dans une âme malfaisante et n'habitera pas un corps esclave du péché. » Or justifier les hommes ne convenait qu'à ceux qui le veulent ; autrement on serait allé contre la notion de justice, qui implique la rectitude de la volonté et aussi contre la notion de nature humaine, qui doit être amenée au bien par son libre arbitre et non par la contrainte. Donc le Christ, par sa vertu divine, a justifié les hommes intérieurement, mais non malgré eux. Et cela n'est pas un miracle, mais c'est le but auquel sont ordonnés les miracles.

Semblablement aussi, par la vertu divine, le Christ a infusé la sagesse à des hommes simples qu’étaient ses disciples, car il leur a dit (Luc 21.15) : « Moi, je vous donnerai une parole et une sagesse que tous vos adversaires ne pourront ni supporter ni contredire. » L'illumination intérieure de cette sagesse n'est pas comptée parmi les miracles visibles, sinon par son effet extérieur, c'est-à-dire en tant qu'on voyait ces hommes, connus pour être ignorants et sans culture, parler avec tant de sagesse et de fermeté. Aussi dit-on dans les Actes (Actes 4.13) : « Les juifs, voyant la constance de Pierre et de Jean, et sachant que ces hommes étaient des ignorants de condition modeste, étaient dans l'étonnement. » Et cependant, ces effets spirituels, bien qu'ils se distinguent des miracles visibles, sont des témoignages à l'appui de l'enseignement et de la puissance du Christ selon l'épître aux Hébreux (Hébreux 2.4) : le salut annoncé, « Dieu l'atteste par des signes, des prodiges, des miracles de toutes sortes, ainsi que par des communications d'Esprit Saint qu'il distribue à son gré ».

Cependant, le Christ a fait quelques miracles concernant les âmes des hommes, surtout en agissant sur leurs puissances inférieures. Ainsi S. Jérôme sur ce texte (Matthieu 9.9) : « Il se leva et le suivit », explique-t-il : « L'éclat et la majesté de la divinité cachée qui resplendissait même sur son visage humain avaient le pouvoir d'attirer à lui dès le premier regard. » Et sur le texte (Matthieu 21.12) : « Il chassait tous ceux qui vendaient et achetaient... » S. Jérôme encore nous dit : « De tous les miracles du Seigneur, celui-ci me paraît le plus étonnant : qu'un homme, alors méprisable, ait pu à coups de fouet chasser une telle multitude. C'est que ses yeux jetaient une flamme céleste et que la majesté divine brillait sur son visage. » Et Origène dit aussi : « C'est là un plus grand miracle que de changer l'eau en vin, parce que là subsiste une matière inanimée, alors qu'ici il domine les esprits de milliers d'hommes. » Et sur le texte de S. Jean (Jean 18.6) : « Ils reculèrent et tombèrent sur le sol », S. Augustin écrit : « Un seul mot, sans aucune arme, a frappé, repoussé et renversé une troupe à la haine féroce et aux armes terribles, car Dieu était caché dans la chair. » Et sur ce texte : « Jésus, passant au milieu d'eux, allait son chemin » (Luc 4.30), S. Jean Chrysostome exprime la même idée : « Passer au milieu d'ennemis menaçants sans se laisser prendre, montrait l'éminence de sa divinité. » Et sur cette notation (Jean 8.59) : « Jésus se cacha et sortit du Temple », S. Augustin dit : « Il ne se cacha pas dans un recoin du Temple comme apeuré, derrière un mur ou une colonne, mais par la puissance divine il se rendit invisible à ses ennemis et sortit en passant au milieu d'eux. »

De tout cela il ressort que le Christ, quand il le voulut, changea les âmes des hommes, non seulement en les justifiant et en y infusant la sagesse, ce qui est le but même des miracles, mais aussi en agissant extérieurement par un attrait, une terreur ou une stupéfaction, qui relèvent du miracle.

2. Le Christ était venu sauver le monde non seulement par la vertu divine, mais par le mystère de son incarnation. Et c'est pourquoi, dans la guérison des malades, non seulement il employait souvent la puissance divine en guérissant par mode de commandement, mais aussi en y ajoutant une action relevant de sa nature humaine. C'est pourquoi sur ce texte (Luc 4.40) : « En imposant les mains à chacun, il les guérissait tous », S. Cyrille remarque : « Comme Dieu, il aurait pu chasser d'un mot toutes les maladies, mais il les touche tous pour montrer que sa chair est efficace pour y porter remède. » Et sur ce texte de S. Marc (Marc 8.23) : « Avoir mis de la salive sur les yeux de l'aveugle, il lui imposa les mains », S. Jean Chrysostome dit : « Il fait de la salive et il impose les mains à l'aveugle afin de prouver que la parole divine jointe à l'action, accomplit des merveilles ; car la main indique l'action, et la salive, la parole proférée par la bouche. » Et sur le texte de S. Jean (Jean 9.6) : « Il fit de la boue avec sa salive et enduisit de cette boue les yeux de l'aveugle », S. Augustin donne ce commentaire : « Il a fait de la boue avec sa salive, parce que le Verbe s'est fait chair. » Ou encore, pour symboliser que c'était lui qui avait formé l'homme de la boue de la terre, selon S. Jean Chrysostome.

Il faut encore, au sujet des miracles du Christ, remarquer ceci : il accomplissait constamment des œuvres absolument parfaites. Sur la remarque (Jean 2.10) : « Tout homme sert d'abord le bon vin », S. Jean Chrysostome explique : « Les miracles du Christ sont tels qu'ils dépassent, en beauté et en utilité, les œuvres de la nature. » Pareillement, il conférait instantanément aux malades une santé parfaite. Sur cette phrase de S. Matthieu (Matthieu 8.15) : « La belle-mère de Pierre se leva et se mit à les servir », S. Jérôme souligne : « La santé que confère le Seigneur revient tout entière d'un seul coup. »

Le cas de l'aveugle est spécial, et le Christ a agi de façon opposée à cause de l'incroyance de cet homme, selon Chrysostome. Ou bien, pour S. Bède « celui qu'il aurait pu guérir tout entier d'un mot, il le guérit progressivement pour montrer la gravité de l'aveuglement humain qui, péniblement et par degrés, revient à la lumière, et afin de nous faire prendre garde à la grâce par laquelle se soutient chacun de nos progrès vers la perfection ».

3. Nous l'avons dit plus haut le Christ accomplissait des miracles par la vertu divine. Or « les œuvres de Dieu sont parfaites » (Deutéronome 32.4). Mais une action n'est parfaite que si elle réalise sa fin. Or la fin de la guérison extérieure opérée par le Christ, c'est la guérison de l'âme. C'est pourquoi il ne convenait pas que le Christ guérisse un corps sans guérir aussi l'âme. Aussi sur cette parole (Jean 7.23) : « J'ai guéri un homme tout entier le jour du sabbat », S. Augustin nous dit : « Il fut guéri pour avoir la santé dans son corps ; il crut pour avoir la santé dans son âme. »

Au paralytique, il est dit spécialement : « Tes péchés te sont remis » parce que, dit S. Jérôme : « Par là, il nous est donné de comprendre que la plupart des infirmités corporelles sont l'effet de péchés ; et peut-être, si la rémission des péchés précède, c'est pour que, une fois disparues les causes de l'infirmité, la santé soit rétablie. » Aussi est-il dit au paralytique guéri (Jean 5.14) : « Ne pèche plus, de peur qu'il ne t'arrive quelque chose de pire », et S. Jean Chrysostome en conclut : « Nous apprenons que cette maladie avait été produite par le péché. »

Pourtant, dit le même Père « Autant l'âme vaut mieux que le corps, autant remettre le péché est une œuvre plus grande que guérir le corps. Mais parce que ce n'est pas manifeste, le Christ accomplit l'œuvre moindre, qui est visible, afin de montrer l'œuvre qui est la plus grande et la plus cachée. »

4. Sur cette parole (Matthieu 9.30) : « Prenez garde ! Que personne ne le sache » S. Jean Chrysostome commente : « Ce qui est dit là ne contredit pas ce qui est dit à un autre (Luc 9.60) : “Va et annonce la gloire de Dieu.” Cela nous enseigne à faire taire ceux qui veulent nous louer pour nous-mêmes. Mais si cette louange est rapportée à la gloire de Dieu, nous ne devons pas l'interdire, mais au contraire la prescrire. »


4. Les miracles accomplis par le Christ sur des créatures dépourvues de raison

Objections

1. Les bêtes sont supérieures aux plantes. Or le Christ a fait des miracles sur les plantes, par exemple quand le figuier s'est desséché sur son ordre (Matthieu 21.19). Il semble donc qu'il aurait dû faire des miracles sur les bêtes.

2. On n'inflige de châtiment que pour une faute. Mais il n'y avait pas de faute chez le figuier où le Christ ne trouva pas de fruits quand ce n'était pas la saison. Il est donc choquant qu'il l'ait desséché.

3. L'eau et l'air son intermédiaires entre le ciel et la terre. Mais le Christ a fait des miracles dans le ciel, comme on l'a vu à l'article 2. Pareillement dans la terre quand, au moment de sa passion, celle-là a tremblé. Il semble donc qu'il aurait dû en faire aussi dans l'air et dans l'eau, en divisant la mer comme Moïse, ou même le Jourdain, comme Josué et Élie ; et aussi dans les airs, produire du tonnerre comme au Sinaï quand la loi fut donnée, et comme le fit Élie (1 Rois 18.45).

4. Les œuvres miraculeuses ressortissent à l'œuvre du gouvernement du monde par la providence divine. Or cette œuvre présuppose la création. Il paraît donc désordonné que le Christ, dans ses miracles, ait usé du pouvoir créateur, lorsqu’il a multiplié les pains. Les miracles sur les créatures irrationnelles semblent donc difficiles à admettre.

En sens contraire, le Christ est la « sagesse de Dieu » (1 Corinthiens 1.24) dont il est dit (Sagesse 8.1) « qu'elle dispose tout harmonieusement ».

Réponse

Comme nous l'avons dit plus haut, les miracles du Christ étaient ordonnés à faire connaître que la vertu de la divinité était en lui pour procurer le salut des hommes. Or il appartient à la puissance divine que toute créature lui soit soumise. Et c'est pourquoi il fallait qu'il fasse des miracles sur toutes les catégories de créatures, et non seulement sur les hommes, mais aussi sur les créatures dépourvues de raison.

Solutions

1. Par leur genre, les bêtes sont proches de l'homme, et c'est pourquoi elles ont été créées le même jour que lui. Et ce n'est pas parce qu'il faisait beaucoup de miracles sur les hommes qu'il aurait dû en faire sur les corps des bêtes, d'autant plus que, pour la nature sensible et corporelle, les hommes sont pareils aux animaux, surtout terrestres. Les poissons, du fait qu'ils vivent dans l'eau, sont plus différents des hommes par nature, et c'est pourquoi il ont été créés un autre jour. Le Christ a fait des miracles sur eux avec la pêche miraculeuse rapportée par Luc (Luc 5.4) et Jean (Jean 21.6), et aussi avec le poisson que Pierre pêcha et dans lequel il trouva une pièce d'un statère. Que des porcs se soient précipités dans la mer, ce n'était pas l'effet d'un miracle divin, mais d'une activité démoniaque permise par Dieu.

2. Selon S. Jean Chrysostome, « lorsque le Seigneur agit ainsi sur des plantes ou des bêtes, ne cherchez pas à savoir s'il était juste de dessécher le figuier, parce que ce n'était pas la saison des fruits, car une telle recherche est de la dernière démence », car en tout cela on ne trouve ni faute ni châtiment, « mais contemple le miracle et admire son auteur ». Et le Créateur ne fait aucun tort au propriétaire, s'il use librement de sa créature pour le salut d'autrui ; mais plutôt, dit S. Hilaire « nous trouvons là une preuve de la bonté divine. En effet, quand il a voulu offrir un exemple du salut qu'il apporte, il a exercé la puissance de sa vertu sur les corps humains ; mais là où il fixait la norme de sa sévérité envers les obstinés, il révéla la figure de l'avenir dans le dommage causé à cet arbre ». Et surtout parce que c'est un figuier : « Cet arbre étant gorgé d'eau, le miracle devait paraître d'autant plus grand. »

3. Même dans l'eau et dans l'air le Christ a fait des miracles qui convenaient à sa mission, par exemple quand on lit (Matthieu 8.26) « Il commanda à la mer et aux vents, et il se fit un grand calme. » Mais il ne lui convenait pas, à lui qui venait ramener toutes choses à la paix et à la tranquillité, de produire des perturbations dans l'air ou de diviser les eaux. D'où cette parole (Hébreux 12.18) : « Vous ne vous êtes pas approchés d'une réalité palpable : feu ardent, tourbillon, ténèbres et tempête. »

Cependant, au moment de la Passion « le voile se déchira » (Matthieu 27.51) pour montrer que les mystères de la loi étaient dévoilés ; « les tombeaux s'ouvrirent » pour montrer que par sa mort les morts recevaient la vie ; « la terre trembla et les rochers se fendirent », pour montrer que les cœurs de pierre des humains seraient attendris par sa Passion, et que par la vertu de sa Passion, le monde entier allait s'améliorer.

4. La multiplication des pains ne s'est pas réalisée par mode de création, mais par addition d'une matière étrangère, convertie en pain. Ce qui fait dire à S. Augustin : « Comme il multiplie quelques grains en moissons, il a multiplié dans ses mains les cinq pains. » Or il est évident que c'est par conversion que les grains se multiplient pour donner des moissons.

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