- Convenait-il que le Christ monte au ciel ?
- Selon quelle nature l'ascension lui convenait-elle ?
- Est-il monté par sa propre puissance ?
- Est-il monté au-dessus de tous les cieux corporels ?
- Est-il monté au-dessus de toutes les créatures spirituelles ?
- Les effets de l'Ascension.
Objections
1. D'après le Philosophe, « les réalités les plus parfaites possèdent leur bien sans se mouvoir ». Or, le Christ tient le rang le plus élevé ; car, selon sa nature divine, il est le souverain bien, et selon sa nature humaine, il est au sommet de la gloire. L'ascension étant un mouvement, il ne convenait pas que le Christ monte au ciel.
2. Tout mouvement se fait en vue d'un bien meilleur. Or, le Christ n'eut pas une meilleure existence au ciel que sur la terre, car il n'a rien acquis au ciel, ni pour son âme, ni pour son corps.
Il semble donc que le Christ ne devait pas monter au ciel.
3. Le Fils de Dieu a pris la nature humaine pour notre salut. Mais il aurait été plus salutaire pour les hommes qu'il vive toujours avec nous sur la terre. Il le déclare lui-même à ses disciples (Luc 17.22) : « Des jours viennent où vous désirerez voir un seul des jours du Fils de l'homme, et vous ne le verrez pas. » Il semble donc qu'il ne convenait pas au Christ de monter au ciel.
4. Selon S. Grégoire le corps du Christ n'a subi aucun changement après sa résurrection. Or, ce n'est pas immédiatement après la résurrection qu'il est monté au ciel, puisque le Seigneur dit lui-même aussitôt après sa résurrection (Jean 20.17) : « je ne suis pas encore monté vers mon Père. » Il semble donc qu'il ne devait pas davantage monter au ciel quarante jours plus tard.
En sens contraire, le Seigneur l'affirme (Jean 20.17) : « je monte vers mon Père et votre Père. »
Réponse
Le ciel doit être proportionné à ce qui y réside. Le Christ, par sa résurrection, a commencé une vie immortelle et incorruptible. Or, le lieu où nous habitons est celui de la génération et de la corruption, mais le ciel est celui de l’incorruption. Il ne convenait donc pas qu’après sa résurrection le Christ demeure sur la terre ; mais bien au contraire, il fallait qu’il mont au ciel.
Solutions
1. La réalité la plus parfaite qui possède son bien sans se mouvoir est Dieu lui-même. Il est, en effet, absolument immuable (Malachie 3.6) : « Moi, le Seigneur, je ne change pas. » Or, d'après S. Augustin, toute créature est de quelque manière soumise au changement. La nature prise par le Fils de Dieu étant demeurée toujours une nature créée, nous l'avons dit il n'y a pas d'inconvénient à lui attribuer quelque mouvement.
2. L'ascension du Christ au ciel ne lui a rien procuré de ce qui appartient à l'essence de la gloire, soit du corps, soit de l'âme ; elle lui a donné toutefois un lieu honorable, ce qui constitue un supplément accidentel de gloire. Non que son corps ait rien acquis des corps célestes, ni de leur perfection, ni de leur conservation, mais il a obtenu uniquement un lieu plus honorable. Or, cela contribuait de quelque façon à sa gloire. De fait, le Christ a éprouvé de la joie ; non pas qu'il ait commencé de s'en réjouir pour la première fois, au moment où il est monté au ciel ; mais il s'en est réjoui d'une nouvelle manière comme d'une réalité qui arrive à son achèvement. Aussi, ce verset du Psaume (Psaumes 16.11) : « Délices éternelles à ta droite », la Glose le commente en ces termes : « La dilatation et la joie s'empareront de moi lorsque je serai assis à ton côté, loin des regards des hommes. »
3. L'ascension a retiré aux fidèles la présence corporelle du Christ ; cependant, par sa divinité, le Christ reste toujours présent parmi eux. Aussi dit-il lui-même en S. Martthieu (Matthieu 28.20) : « Voici que je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles. » Celui « qui est monté aux cieux, dit S. Léon n'abandonne pas ceux qu'il a adoptés. » Mais l'ascension du Christ qui nous a privés de sa présence corporelle, nous a été plus utile que ne l'aurait été cette présence elle-même, pour les raisons suivantes :
1° Elle augmente notre foi, qui a pour objet ce qu'on ne voit pas. Le Seigneur lui-même dit en S. Jean (Jean 16.8) que l'Esprit Saint, lorsqu'il sera venu, « convaincra le monde au sujet de la justice », la justice « de ceux qui auront cru », remarque S. Augustin : « car la comparaison des fidèles avec les infidèles est par elle-même la condamnation de ces derniers ». Aussi le Seigneur ajoute-t-il : « je vais au Père, et vous ne me verrez plus. » S. Augustin reprend : « Bienheureux ceux qui ne voient pas et qui croient. Ce sera donc par notre justice que le monde sera condamné, car vous croirez en moi sans me voir. »
2° Elle relève notre espérance. Le Seigneur déclare (Jean 14.3) : « Lorsque je m'en serai allé et que je vous aurai préparé une place, je reviendrai et je vous prendrai avec moi, afin que là où je suis, vous y soyez aussi. » Et le Christ, en emmenant au ciel la nature humaine qu'il avait prise, nous a donné l'espoir d'y parvenir, car « partout où sera le corps s'assembleront les aigles » (Matthieu 24.28). Et Michée (Michée 2.13) avait prophétisé « Il monte en frayant le chemin devant eux. »
3° Elle dirige vers les réalités célestes l'affection de notre charité : « Recherchez les choses d'en haut, où le Christ demeure assis à la droite de Dieu ; affectionnez-vous aux choses d'en haut, et non à celles de la terre » (Colossiens 3.1). Car, d'après S. Matthieu, « où est ton trésor, là aussi est ton cœur ». L'Esprit Saint étant l'amour qui nous ravit vers les réalités du ciel, le Seigneur dit aux disciples (Jean 16.7) : « Il vous est bon que je m'en aille car, si je ne m'en vais pas, le Défenseur ne viendra pas à vous ; mais si je m'en vais, je vous l'enverrai. » Ce que S. Augustin commente ainsi : « Vous ne pouvez saisir l'Esprit Saint tant que vous persistez à connaître le Christ selon la chair. Lorsque le Christ se fut éloigné corporellement, non seulement l'Esprit Saint, mais encore le Père et le Fils leur furent présents spirituellement. »
4° Au Christ ressuscité pour la vie immortelle il convenait d'être dans un lieu céleste ; toutefois, il a retardé son ascension afin de prouver la réalité de sa résurrection. Aussi lit-on dans les Actes (Actes 1.3) : « Après sa passion, il se montra vivant à ses disciples, leur en donnant des preuves nombreuses pendant quarante jours. » La Glose fournit plusieurs explications de ce texte : « Ayant subi la mort pendant quarante heures, il a voulu pendant quarante jours confirmer qu'il était vivant. Par ces quarante jours, on peut aussi entendre le temps du monde présent durant lequel le Christ vit avec son Église ; l'homme est composé en effet de quatre éléments, et il est instruit à ne pas transgresser les dix commandements. »
Objections
1. On lit dans le Psaume (Psaumes 47.6) « Dieu monte au milieu des acclamations », et dans le Deutéronome (Deutéronome 33.26) : « Il chevauche les cieux pour te secourir. » Or, ces paroles sont appliquées à Dieu avant même l'incarnation du Christ. Il convenait donc au Christ de monter au ciel en tant que Dieu.
2. Celui qui monte au ciel est celui-là même qui en est descendu, selon cette parole (Jean 3.13) : « Personne ne monte au ciel, sinon celui qui en est descendu », et selon S. Paul (Éphésiens 4.10) : « Celui qui est descendu, c'est celui-là même qui monte. » Or, le Christ est descendu du ciel non comme homme, mais comme Dieu. C'est donc en tant que Dieu qu'il y est monté.
3. Par son ascension, le Christ monte vers le Père. Or, ce n'est pas comme homme qu'il est parvenu à l'égalité avec le Père ; il dit en effet (Jean 14.28) : « Le Père est plus grand que moi. » Il semble donc que le Christ est monté au ciel en tant que Dieu.
En sens contraire, sur l'épître aux Éphésiens (Éphésiens 4.9) : « Que signifie : Il est monté, sinon qu'il était d'abord descendu », la Glose remarque : « Il est évident que c'est selon son humanité que le Christ est monté et descendu. »
Réponse
L'expression « en tant que » peut servir à désigner deux choses : soit la condition de celui qui monte, soit la cause de l'ascension.
Si elle désigne la condition de celui qui monte, le fait de monter ne peut convenir au Christ selon la condition de la nature divine. Tout d'abord, parce que rien, où l'on puisse monter, n'est plus élevé que la divinité. Ensuite, parce que l'ascension est un mouvement local, lequel ne convient pas à la nature divine, qui est immobile et n'a pas de lieu. Mais de cette manière au contraire l'ascension convient au Christ en tant qu'homme, car la nature humaine est contenue dans un lieu et peut être soumise au mouvement. Voilà pourquoi, dans ce sens, on peut dire que le Christ est monté au ciel en tant qu'homme, mais non en tant que Dieu.
Par contre, si l'expression « en tant que » désigne la cause de l'ascension, le Christ étant aussi monté au ciel par la vertu de sa divinité, mais non par celle de sa nature humaine, il faut dire que le Christ est monté au ciel non en tant qu'homme, mais en tant que Dieu. Aussi S. Augustin écrit-il : « C'est par ce qu'il tenait de nous que le Fils de Dieu a été suspendu à la croix, mais c'est par ce qu'il tenait de lui qu'il est monté aux cieux. »
Solutions
1. Les témoignages invoqués s'appliquent prophétiquement à Dieu, en tant qu'il devait s'incarner. Toutefois, on peut dire que si le fait de monter n'appartient pas en propre à Dieu, cela peut du moins lui convenir par métaphore. On dit en effet que Dieu « monte dans le cœur de l'homme » lorsque ce cœur se soumet à Dieu et s'humilie devant lui. Ainsi dit-on métaphoriquement de Dieu qu'il s'élève au-dessus d'une créature lorsqu'il se la soumet.
2. Celui qui monte au ciel est celui-là même qui en descend. S. Augustin écrit en effet : « Qui est celui qui descend ? L'Homme-Dieu. Qui est celui qui monte ? Le même Homme-Dieu. »
Toutefois deux sortes de descentes sont attribuées au Christ. L'une par laquelle il est descendu du ciel. On l'attribue à l'Homme-Dieu en tant que Dieu. Cette descente est à entendre, non selon un mouvement local, mais selon « l'anéantissement par lequel, étant dans la forme de Dieu, il a pris celle d'un esclave » (Philippiens 2.7). Il s'est anéanti, non pas en perdant sa plénitude, mais en prenant notre petitesse. Pareillement, on dit qu'il est descendu du ciel, non parce qu'il a quitté le ciel, mais parce qu'il a pris une nature terrestre dans l'unité de sa personne.
L'autre descente est celle par laquelle, « il est descendu dans les parties inférieures de la terre » (Éphésiens 4.9). Il s'agit ici d'une descente locale. Elle convient donc au Christ en tant qu'homme.
3. On dit que le Christ est monté vers son Père pour autant qu'il est monté s'asseoir à sa droite. Or, cela convient au Christ et selon sa nature divine, et selon sa nature humaine, ainsi qu'on l'exposera dans la question suivante.
Objections
1. On lit en S. Marc (Marc 16.9) : « Après avoir parlé à ses disciples, le Seigneur Jésus fut enlevé au ciel », et dans les Actes des Apôtres (Actes 1.9) : « Il fut élevé en leur présence et une nuée le déroba à leurs regards. » Or, ce qui est pris et enlevé est mû par un autre. Ce n'est donc pas par sa propre puissance, mais par celle d'un autre, que le Christ a été porté au ciel.
2. Le corps du Christ était un corps terrestre comme le nôtre. Or, il est contraire à la nature d'un corps terrestre d'être élevé en l'air, et aucun mouvement ne peut venir de la propre puissance de ce qui est mû contre sa nature. Le Christ ne s'est donc pas élevé au ciel par sa propre puissance.
3. La puissance propre du Christ est la puissance divine. Mais ce mouvement de montée ne pouvait venir de la puissance divine parce que, celle-ci étant infinie, l'ascension aurait dû être instantanée. Mais alors le Christ n'aurait pas pu « s'élever dans le ciel sous les regards de ses disciples », comme on le lit dans les Actes. Le Christ n'est donc pas monté au ciel par sa propre puissance.
En sens contraire, Isaïe (Ésaïe 63.1) prophétise au sujet du Christ : « Il est magnifique dans son vêtement, et il s'avance dans la grandeur de sa force. » Et S. Grégoire remarquer : « Il est dit d'Élie qu'il est monté au ciel dans un char ; c'est pour montrer avec évidence que celui qui n'est qu'un homme avait besoin d'un secours étranger. Quant à notre Rédempteur, il ne s'est élevé ni dans un char, ni avec l'aide des anges : lui qui a fait toutes choses, il a été porté au-dessus de toutes choses par sa propre puissance. »
Réponse
Il y a dans le Christ deux natures, la nature divine et la nature humaine. On peut entendre la puissance propre du Christ selon l'une et l'autre nature. Selon sa nature humaine, on peut aussi entendre une double puissance du Christ : l'une naturelle, qui procède des principes de la nature ; il est évident que, par cette puissance, le Christ ne pouvait s'élever dans le ciel. L'autre puissance dans la nature humaine du Christ est la vertu de la gloire ; c'est selon cette puissance que le Christ est monté au ciel.
Certains cherchent la raison de cette puissance dans une « quinte essence », la lumière. Celle-ci, affirment-ils, entre dans la composition du corps humain, et c'est par elle que les éléments contraires s'harmonisent dans l'unité. Il en résulte que, dans l'état présent de la vie mortelle, la nature des éléments prédomine dans le corps humain et, suivant cette prédominance de la nature des éléments, le corps humain se trouve attiré en bas par sa puissance. Mais, dans l'état de gloire, ce sera la nature céleste qui prédominera ; aussi est-ce suivant l'inclination et la puissance de cette nature que le corps du Christ et celui des saints sont portés au ciel. On a déjà discuté cette opinion dans la première Partie et elle sera exposée avec plus de développement dans le traité de la résurrection générale.
Cette opinion étant rejetée, d'autres trouvent la source de cette puissance du côté de l'âme glorifiée, dont le rejaillissement glorifiera le corps, ainsi que le déclare S. Augustin. La soumission du corps glorieux à l'âme bienheureuse sera telle, dit encore S. Augustin, que « le corps sera à l'instant même là où le voudra l'esprit ; et l'esprit ne voudra rien qui ne puisse lui convenir, non plus qu'au corps ». Or, nous l'avons établi, il convenait au corps glorieux et immortel d'être dans un lieu céleste. Aussi est-ce par la puissance de l'âme qui le voulait, que le corps du Christ est monté au ciel.
De même que le corps devient glorieux en participant de l'âme, « de même en participant de Dieu, l'âme devient bienheureuse », remarque S. Augustin. C'est pourquoi la première cause de l'ascension du Christ au ciel est la vertu divine. Ainsi donc, si le Christ est monté au ciel, c'est par sa propre puissance ; tout d'abord, par la puissance divine ; en second lieu, par la puissance de l'âme glorifiée qui meut le corps comme elle le veut.
Solutions
1. Bien que le Christ ait été ressuscité par le Père, on dit cependant qu'il est ressuscité par sa propre puissance, parce que la puissance du Père et celle du Fils est la même. Pareillement, le Christ est monté au ciel par sa propre puissance, quoiqu'il ait été élevé et pris par le Père.
2. L'objection montre que sa propre puissance, par laquelle le Christ est monté au ciel, n'est pas celle qui est naturelle à sa nature humaine, mais celle de sa vertu divine, et aussi celle qui appartient à son âme bienheureuse. Il est vrai que le fait de monter vers les hauteurs est contraire à la nature du corps humain dans son état présent, où notre corps n'est pas entièrement soumis à l'esprit ; mais cette ascension ne sera ni un acte contraire à la nature du corps glorieux, ni un acte de violence, puisque toute la nature du corps glorieux est parfaitement soumise à l'esprit.
3. Bien que la puissance divine soit infinie et opère d'une manière infinie, en ce qui dépend de celui qui agit, l'effet de sa vertu est reçu dans les choses selon leur capacité et selon le plan de Dieu. Or, le corps n'est pas capable de changer de lieu instantanément ; car il faut qu'il se mesure à l'espace et, comme le prouve Aristote, ce sont les divisions de l'espace qui divisent le temps. Aussi n'est-il pas nécessaire que le corps mû par Dieu le soit instantanément ; il l'est avec la rapidité que Dieu lui assigne.
Objections
1. On dit dans le Psaume (Psaumes 11.4) « Le Seigneur est dans son temple saint, il a son trône dans les cieux. » Or. ce qui est dans le ciel n'est pas au-dessus des cieux. Le Christ n'est donc pas monté au-dessus de tous les cieux.
2. Deux corps ne peuvent être situés en un même lieu, comme le prouve Aristote. Or, un corps ne peut se déplacer d'une extrémité à l'autre sans passer par le milieu. Il semble alors que le Christ ne pouvait monter au-dessus des cieux sans que le ciel lui-même fût divisé. Ce qui est impossible.
3. Il est dit dans les Actes (Actes 1.9) : « Une nuée le déroba à leurs yeux. » Mais les nuées ne peuvent monter au-dessus du ciel. Le Christ n'est donc pas monté au-dessus de tous les cieux.
4. Nous croyons que le Christ demeure pour toujours là où il est monté. Or, ce qui est contre nature ne peut exister toujours ; car ce qui est conforme à la nature ne se trouve réalisé que le plus souvent et dans la plupart des cas seulement. Étant donné qu'il est contraire à la nature qu'un corps céleste soit élevé au-dessus des cieux, il semble donc que le Christ ne s'est pas élevé au-dessus des cieux.
En sens contraire, S. Paul écrit (Éphésiens 4.10) « Le Christ s'est élevé au-dessus de tous les cieux afin de tout accomplir. »
Réponse
Plus certains corps participent d'une manière parfaite de la bonté divine, plus ils sont supérieurs à l'ordre corporel qui est un ordre local. Aussi remarque-t-on que les corps qui réalisent le plus de forme appartiennent à un ordre naturellement plus élevé, comme l'enseigne le Philosophe ; c'est en effet par la forme qu'un corps participe de l'être divin, dit encore Aristote. Or, un corps participe plus de la bonté divine par la gloire que tout autre corps naturel par la forme de sa nature. Et, parmi les corps glorieux, il est évident que le corps du Christ est le plus resplendissant de gloire. Il lui convenait donc éminemment d'être établi au-dessus de tous les corps. Voilà pourquoi sur ce verset (Éphésiens 4.8) : « Il s'est élevé dans les hauteurs », la Glose précise « par le lieu et la dignité ».
Solutions
1. Le trône de Dieu est dans le ciel, non que celui-ci le renferme, mais c'est plutôt ce trône qui contient le ciel. Aussi, bien loin que quelque partie du ciel lui soit supérieure, doit-il se trouver lui-même au-dessus de tous les cieux comme dit le Psaume (Psaumes 8.2 Vg) « Ô Dieu, ta gloire s'est élevée au-dessus de tous les cieux. »
2. Il n'est pas dans la nature d'un corps de subsister avec un autre en un même lieu. Cependant, Dieu peut faire par un miracle que deux corps existent simultanément dans un même lieu. Ainsi a-t-il fait que « le corps du Christ sorte du sein fermé de la Bienheureuse Vierge » et que ce corps vienne vers les disciples « portes closes », remarque S. Grégoire. Il en résulte que le corps du Christ peut être simultanément avec un autre corps dans un même lieu ; non pas en vertu de ses propriétés naturelles, mais grâce à la vertu divine qui l'aide et qui produit cet effet.
3. La nuée n'a pas fourni au Christ, lors de son ascension, une aide semblable à celle d'un véhicule. Elle apparut comme un signe de la divinité, de même que la gloire du Dieu d'Israël s'était montrée dans une nuée au-dessus du tabernacle.
4. Le corps glorieux, en vertu des principes de sa nature, n'a pas le pouvoir d'être dans le ciel ou au-dessus du ciel. Ce pouvoir lui vient de l'âme bienheureuse dont il reçoit sa gloire. Et de même que le mouvement du corps glorieux vers les hauteurs n'est pas violent, de même son repos. Donc, rien ne s'oppose à ce que ce repos dure toujours.
Objections
1. On ne peut comparer des réalités dépourvues de raison commune. Or le lieu n'est pas attribué pour la même raison aux corps et aux créatures spirituelles, on l'a prouvé dans la première Partie. On ne peut donc pas dire, semble-t-il, que le corps du Christ est monté au-dessus de toute créature spirituelle.
2. D'après S. Augustin, « l'esprit surpasse tout corps ». Or la réalité la plus noble doit occuper le lieu le plus élevé. Il semble donc que le Christ n'est pas monté au-dessus de toutes les créatures spirituelles.
3. Dans tout lieu il y a un corps, puisque le vide n'existe pas dans la nature. Donc, si aucun corps n'obtient une place plus élevée que l'esprit dans l'ordre des corps naturels, il n'y aura aucun lieu au-dessus de toute créature spirituelle. Le corps du Christ n'a donc pu s'élever au-dessus de ces créatures.
En sens contraire, l'Apôtre écrit (Éphésiens 1.20) : « Il l'a établi au-dessus de toute principauté, de toute autorité, de toute puissance, de toute domination et de tout ce qui peut se nommer, non seulement dans le siècle passé, mais encore dans le siècle à venir. »
Réponse
Une réalité doit occuper un lieu d'autant plus élevé qu'elle est plus parfaite, que ce lieu lui soit dû par mode de contact corporel comme pour les corps, ou par mode de contact spirituel comme pour les substances spirituelles. De ce fait, les réalités spirituelles ont droit à occuper un lieu céleste qui est le lieu suprême, parce que ces substances sont les plus élevées dans l'ordre des substances. Or le corps du Christ, si l'on considère la condition de sa nature corporelle, est inférieur aux substances spirituelles. Mais si l'on considère la dignité de l'union par laquelle il est personnellement uni à Dieu, il surpasse en dignité toutes les substances spirituelles. Aussi, pour le motif que nous avons dit, lui convient-il d'occuper un lieu plus élevé, au-dessus de toute créature, même spirituelle. Voilà pourquoi S. Grégoire dit : « Celui qui a fait toutes choses a été porté au-dessus de toutes par sa propre puissance. »
Solutions
1. Ce n'est pas pour la même raison que l'on attribue un lieu aux substances corporelles et aux substances spirituelles. Cependant, dans les deux cas, il reste que le lieu le plus élevé est attribué à la réalité la plus digne.
2. Cette objection ne considère le corps du Christ que selon la condition de sa nature corporelle, et non selon les exigences de l'union hypostatique.
3. Cette comparaison peut s'entendre de deux manières. Si l'on ne prête attention qu'aux lieux matériels, il n'y en a pas un qui soit tellement élevé qu'il surpasse la dignité de la substance spirituelle ; en ce sens l'objection est valable. Mais si l'on examine la dignité de ceux à qui l'on attribue un lieu, il convient au corps du Christ de se trouver au-dessus des créatures spirituelles.
Objections
1. Le Christ a été cause de notre salut en tant qu'il l'a mérité. Or, par son ascension il ne nous a rien mérité. Cette ascension appartient en effet à la récompense de son exaltation ; or, le mérite et la récompense ne sont pas identiques, pas plus que le chemin n'est le but. Il semble donc que l'ascension du Christ n'a pas été la cause de notre salut.
2. Si l'ascension du Christ est cause de notre salut, cela doit surtout se vérifier comme cause de notre propre ascension. Or, celle-ci nous est garantie par la passion du Christ : « Nous avons par le sang du Christ libre accès dans le sanctuaire » (Hébreux 10.19). L'ascension du Christ ne semble donc pas avoir été la cause de notre salut.
3. Le salut qui nous est conféré par le Christ est éternel. « Mon salut demeurera à jamais », dit Isaïe (Ésaïe 51.6). Or, le Christ n'est pas monté au ciel pour y rester toujours. « Ce Jésus que vous avez vu monter au ciel en reviendra de la même manière », lit-on dans les Actes (Actes 1.11). Et il est écrit aussi qu'il s'est montré sur terre après son ascension à beaucoup de saints, comme à S. Paul (Actes 9). L'ascension du Christ n'a donc pas été la cause de notre salut.
En sens contraire, le Christ déclare en S. Jean (Jean 16.7) : « Il vous est utile que je m'en aille », c'est-à-dire que je m'éloigne de vous par l'ascension.
Réponse
L'ascension du Christ est la cause de notre salut de deux façons : tout d'abord par rapport à nous ; puis par rapport au Christ lui-même.
Par rapport à nous, l'ascension du Christ est cause de notre salut : grâce à elle, en effet, notre esprit se tourne vers lui. Ainsi qu'on vient de le voir, l'ascension est utile : 1° à notre foi ; 2° à notre espérance ; 3° à notre charité. 4° En outre, notre respect pour le Christ s'augmente, car nous ne le considérons plus comme un homme terrestre, mais comme Dieu. Aussi l'Apôtre écrit-il (2 Corinthiens 5.16) : « Si nous avons connu le Christ selon la chair », c'est-à-dire, d'après la Glose, selon une chair mortelle qui nous faisait penser qu'il n'était qu'un homme, « à présent, nous ne le connaissons plus comme tel ».
Par rapport au Christ lui-même, l'ascension est cause de notre salut.
1° Il nous a préparé la voie pour monter au ciel, comme il le dit en S. Jean (Jean 14.2) : « je vais vous préparer une place » ; et ainsi que l'écrit Michée (Michée 2.13) : « Il est monté en ouvrant le chemin. » Il est en effet notre chef, et là où le chef a passé, il faut que passent les membres. Aussi le Christ affirme-t-il (Jean 14.3) : « Il faut que là où je suis, vous soyez aussi. » La preuve en est que les âmes des saints qu'il avait libérées de l'enfer, il les a conduites au ciel, comme le chante le Psaume (Psaumes 68.19) : « En montant au ciel, il a emmené captive la captivité. » Ceux qui avaient été faits captifs par le démon, il les a emmenés avec lui au ciel, comme en un lieu étranger à la nature humaine, captifs d'une bonne capture, puisqu'il les a acquis par la victoire.
2° De même que le grand prêtre de l'Ancien Testament entrait dans le sanctuaire afin de se tenir devant Dieu et de représenter le peuple, ainsi le Christ « est entré au ciel afin d'intercéder pour nous » (Hébreux 7.25). Sa présence même, par la nature humaine qu'il a introduite au ciel, est en effet une intercession pour nous. Dieu, qui a exalté de la sorte la nature humaine du Christ, aura aussi pitié de ceux pour lesquels le Fils de Dieu a assumé la nature humaine.
3° Le Christ siégeant ainsi dans les cieux comme Dieu et Seigneur, envoie de là-haut les biens divins aux hommes. « Il s'est élevé au-dessus de tous les cieux, afin de remplir toutes choses » (Éphésiens 4.10), de les remplir « de ses dons », explique la Glose.
Solutions
1. L'ascension du Christ est la cause de notre salut, non par mode de mérite, mais par mode d'efficience, comme nous l'avons montré pour la résurrection.
2. La passion du Christ est au sens propre la cause de notre ascension au ciel, en écartant le péché qui nous en fermait l'entrée, et par mode de mérite. Et l'ascension du Christ est la cause directe de la nôtre, parce qu'elle l'a commencée dans notre chef, auquel il faut que ses membres soient unis.
3. Le Christ, qui est monté une seule fois au ciel, a acquis à jamais pour lui et pour nous le droit et la dignité d'y résider. Toutefois, il n'y a aucune dérogation à cette dignité, si le Christ, pour quelque motif, descend parfois corporellement, c'est-à-dire en vertu d'une apparition quelconque. Le contraire ressort de ce que l'Apôtre dit de lui-même (1 Corinthiens 15.8) afin de confirmer la foi en la résurrection : « Et il apparut aussi à moi, qui suis comme le dernier de tous, comme l'avorton. » Du moins, cette vision ne témoignerait pas en faveur de la résurrection si S. Paul n'avait pas vu le vrai corps du Christ.