- Ce sacrement confère-t-il la grâce ?
- L'effet de ce sacrement est-il l'obtention de la gloire ?
- L'effet de ce sacrement est-il la rémission du péché mortel ?
- Le péché véniel est-il remis par ce sacrement ?
- Toute la peine du péché est-elle remise par ce sacrement ?
- Ce sacrement préserve-t-il des péchés futurs ?
- Ce sacrement profite-t-il à d'autres qu'à ceux le consomment ?
- Ce qui empêche l'effet de ce sacrement.
Objections
1. Ce sacrement est une nourriture spirituelle. Or on ne donne de nourriture qu'au vivant. Puisque la vie spirituelle est constituée par la grâce, ce sacrement ne convient qu'à celui qui a déjà la grâce. La grâce n'est donc pas conférée par ce sacrement, en tant qu'il donnerait la grâce première. Semblablement, il ne la donne pas davantage en tant qu'il augmenterait la grâce ; car la croissance spirituelle appartient, on l'a vu a, au sacrement de confirmation. La grâce n'est donc pas conférée par ce sacrement.
2. Ce sacrement est employé comme une réfection spirituelle. Mais la réfection spirituelle semble se rattacher davantage à l'utilisation de la grâce qu'au don de la grâce. Il apparaît donc que la grâce n'est pas conférée par ce sacrement.
3. Comme on l'a vu plus haut, dans ce sacrement « le corps du Christ est offert pour le salut du corps et le sang pour le salut de l'âme ». Mais ce n'est pas le corps qui est sujet de la grâce : c'est l'âme, comme on l'a montré dans la deuxième Partie. Donc, au moins à l'égard du corps, la grâce n'est pas conférée par ce sacrement.
En sens contraire, le Seigneur dit en S. Jean (Jean 6.52) : « Le pain que je donnerai, c'est ma chair, pour la vie du monde. » Mais la vie spirituelle est donnée par la grâce. Donc la grâce est conférée par ce sacrement.
Réponse
L'effet de ce sacrement doit être considéré : 1° et à titre de principe à partir de ce qui est contenu dans ce sacrement, et qui est le Christ. Celui-ci, venant visiblement dans le monde, a apporté au monde la vie de la grâce (Jean 1.17) : « La grâce et la vérité a été faite par Jésus-Christ. » Et de même, venant sacramentellement dans l'homme, il produit la vie de la grâce, selon cette parole (Jean 6.58) : « Celui qui me mange vivra par moi. » Ce qui fait dire à S. Cyrille : « Le Verbe de Dieu vivifiant, s'unissant à la chair qui lui est propre, la rend vivifiante à son tour. Il convenait donc qu'il s'unisse d'une certaine façon à nos corps par sa chair sacrée et son sang précieux, que nous recevons pour une bénédiction vivifiante, dans le pain et le vin. »
2° On considère l'effet de ce sacrement à partir de ce qui est représenté par ce sacrement, et c'est, comme on l'a vu, la passion du Christ. Et c'est pourquoi ce sacrement opère dans l'homme l'effet que la passion du Christ a opéré dans le monde.
D'où cette parole de Chrysostome commentant S. Jean (Jean 19.34) : « Aussitôt il jaillit du sang et de l'eau » : « Puisque c'est de là que les saints mystères tirent leur principe, lorsque tu t'approches de la coupe redoutable, c'est comme si tu t'approchais du côté du Christ pour y boire. » D'où cette parole du Seigneur lui-même, en S. Matthieu (Matthieu 26.28) : « Ceci est mon sang, qui sera répandu pour vous, en rémission des péchés. »
3° On considère l'effet de ce sacrement à partir du mode selon lequel ce sacrement nous est donné ; or il est donné par mode de nourriture et de boisson. Aussi tout l'effet que la nourriture et la boisson matérielle produisent à l'égard de la vie matérielle — sustenter, accroître, réparer et délecter — tout cela, ce sacrement le fait à l'égard de la vie spirituelle. Ainsi S. Ambroise : « Ceci est le pain de la vie éternelle, qui fortifie la substance de notre âme. » Et Chrysostome, commentant S. Jean : « Il se présente à nous, qui désirons le toucher, le manger et l'embrasser. » Si bien que le Seigneur dit lui-même (Jean 6.56) : « Ma chair est vraiment nourriture et mon sang est vraiment boisson. »
4° On considère l'effet de ce sacrement à partir des espèces sous lesquelles ce sacrement est donné. D'où cette parole de S. Augustin : « Notre Seigneur a présenté son corps et son sang dans ces éléments qui, à partir d'une multitude, sont réduits à l'unité car l'un », le pain, « est une seule masse faite de multiples grains ; l'autre », le vin, « est un seul liquide fait de multiples grappes ». Et il dit ailleurs : « Ô mystère de bonté, ô signe d'unité, ô lien de charité ! »
Et puisque le Christ et sa passion sont cause de la grâce, et que la réfection spirituelle et la charité ne peuvent exister sans la grâce : de tout ce qu'on vient de dire il apparaît avec évidence que ce sacrement confère la grâce.
Solutions
1. On doit dire que ce sacrement possède par lui-même la vertu de conférer la grâce ; car personne ne possède la grâce avant la réception de ce sacrement à moins qu'il ne l'ait reçu par un certain vœu, soit par lui-même, comme les adultes, soit par le vœu de l'Église, comme les tout-petits, ainsi qu'on l'a dit plus haut. Aussi revient-il à l'efficacité de sa vertu, au moins par le vœu qu'on en a, qu'on obtienne la grâce par laquelle on est vivifié spirituellement. Il reste donc que, lorsque le sacrement est reçu réellement, la grâce est augmentée et la vie spirituelle perfectionnée. Mais c'est autrement que par le sacrement de confirmation, dans lequel la grâce est augmentée et perfectionnée pour nous faire tenir bon contre les assauts extérieurs des ennemis du Christ. Tandis que, par notre sacrement, la grâce est augmentée et la vie spirituelle perfectionnée pour que l'homme soit parfait en lui-même, par union à Dieu.
2. Ce sacrement confère la grâce d'une façon spirituelle, avec la vertu de charité. Aussi le Damascène compare-t-il ce sacrement à la braise de la vision d'Isaïe. Car « la braise n'est pas du bois ordinaire, mais du bois uni au feu : c'est ainsi que le pain de la communion n'est pas du pain 6rditaire, mais du pain uni à la divinité ». Comme le dit S. Grégoire : « L'amour de Dieu n'est pas oisif ; car, s'il existe, il fait de grandes choses. » Aussi ce sacrement, autant que cela dépend de sa vertu, non seulement confère l'habitus de la grâce et de la vertu, mais encore l'excite à produire son acte, comme dit S. Paul (2 Corinthiens 5.14) : « La charité du Christ nous presse. » De là vient que, par la vertu de ce sacrement, l'âme est spirituellement restaurée, du fait qu'elle est délectée et d'une certaine manière enivrée par la douceur de la bonté divine, selon la parole du Cantique (Cantique 5.1) : « Mangez, mes amis, et buvez ; et enivrez-vous, mes bien-aimés. »
3. Parce que les sacrements opèrent le salut qu'ils signifient, on dit, selon une certaine assimilation, que, dans ce sacrement, « le corps est offert pour le salut du corps, et le sang pour le salut de l'âme », bien que l'un et l'autre opèrent pour le salut de tous deux, puisque le Christ tout entier est sous chacun d'eux, comme on l'a vu. Et bien que le corps ne soit pas sujet immédiat de la grâce, cependant l'effet de la grâce rejaillit sur le corps ; puisque, présentement, « nous faisons de nos membres des armes pour la justice de Dieu » (Romains 6.13) et que, dans l'avenir, notre corps partagera l'incorruption et la gloire de l'âme.
Objections
1. L'effet est proportionné à sa cause. Mais ce sacrement convient aux voyageurs, d'où son nom de « viatique ». Donc, puisque les voyageurs ne sont pas encore capables de posséder la gloire, il apparaît que ce sacrement ne cause pas l'obtention de la gloire.
2. La cause suffisante étant posée, l'effet est posé. Mais beaucoup reçoivent ce sacrement, qui ne parviendront jamais à la gloire, comme le montre S. Augustin. Ce sacrement n'est donc pas cause de l'obtention de la gloire.
3. Un être plus grand n'est pas produit par un être moindre. Car rien n'agit au-delà de son espèce. Mais c'est chose moindre de recevoir le Christ sous une apparence étrangère, ce qui a lieu dans ce sacrement, que de jouir de lui sous son apparence propre, ce qui est le fait de la gloire. Donc ce sacrement ne cause pas l'obtention de la gloire.
En sens contraire, il est dit en S. Jean (Jean 6.52) : « Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement. » Mais la vie éternelle est la vie de la gloire. L'effet de ce sacrement est donc l'obtention de la gloire.
Réponse
On peut considérer dans ce sacrement d'une part ce dont il tient son effet, c'est-à-dire le Christ en personne, qu'il contient, et sa passion, qu'il représente. Et d'autre part ce par quoi il produit son effet, c'est-à-dire l'usage du sacrement et les espèces sacramentelles. Et à ce double point de vue, il revient à ce sacrement de causer l'obtention de la vie éternelle. En effet le Christ en personne, par sa passion, nous a ouvert l'accès de la vie éternelle : « Il est médiateur de la nouvelle alliance pour que, par l'intermédiaire de sa mort, ceux qui sont appelés reçoivent l'éternel héritage promis » (Hébreux 9.15). C'est pourquoi on dit, dans la forme de ce sacrement : « Ceci est la coupe de mon sang, de la nouvelle et éternelle alliance. » De même encore, la réfection produite par la nourriture spirituelle, et l'unité signifiée par les espèces du pain et du vin, sont bien possédées présentement, mais de manière imparfaite, alors qu'elles seront possédées de manière parfaite dans l'état de gloire. Aussi S. Augustin dit-il, sur le texte de S. Jean (Jean 6.56) : « Ma chair est vraiment une nourriture » : « Puisque les hommes demandent à la nourriture et à la boisson de n'avoir plus faim ni soif, en vérité cela n'est accordé que par cette nourriture et cette boisson qui rendent ceux qui les consomment immortels et incorruptibles dans la société des saints, où il y aura la paix, et une unité complète et parfaite. »
Solutions
1. La passion du Christ, en vertu de quoi ce sacrement opère, est bien cause suffisante de la gloire, mais non pas à ce point que par elle nous soyons introduits aussitôt dans la gloire : il faut d'abord « que nous souffrions avec lui », pour ensuite « être glorifiés avec lui » (Romains 8.17). De la même façon ce sacrement ne nous introduit pas aussitôt dans la gloire, mais il nous donne la force de parvenir à la gloire. Et c'est pourquoi il est appelé « viatique ». Ceci est figuré au 1er livre des Rois (1 Rois 19.8), où l'on raconte qu'Élie « mangea et but, et il marcha, dans la force procurée par cette nourriture, pendant quarante jours et quarante nuits, jusqu'à l'Horeb, la montagne de Dieu ».
2. La passion du Christ ne produit pas son effet chez ceux qui ne se comportent pas envers elle comme ils le doivent ; de même, ce sacrement ne procure pas la gloire à ceux qui ne le reçoivent pas comme il faut. Ce qui fait dire à S. Augustin : « Le sacrement est une chose, et la vertu du sacrement en est une autre. Beaucoup participent à l'autel et y trouvent la mort. Mangez donc spirituellement le pain du ciel : présentez-vous à l'autel avec innocence. » Il n'y a donc pas à s'étonner si ceux qui ne gardent pas l'innocence n'obtiennent pas l'effet de ce sacrement.
3. Si l'on mange le Christ sous une apparence étrangère, cela tient à la notion même du sacrement, qui agit comme une cause instrumentale. Or rien n'empêche une cause instrumentale de produire un effet qui la dépasse, comme on l'a montré plus haut.
Objections
1. On dit dans une oraison : « Que ce sacrement lave nos crimes. » Mais les « crimes » désignent les péchés mortels. Donc les péchés mortels sont lavés par ce sacrement.
2. Ce sacrement agit par la vertu de la passion du Christ, de même que le baptême. Mais nous avons vu que les péchés mortels sont remis par le baptême. Ils le sont donc aussi par ce sacrement ; d'autant plus qu'on dit, dans la forme de ce sacrement : « Qui sera répandu pour la multitude, en rémission des péchés. »
3. On vient de voir que la grâce est conférée par ce sacrement. Mais c'est par la grâce que l'homme est justifié des péchés mortels, selon S. Paul (Romains 3.24) : « Nous avons été justifiés gratuitement par sa grâce. » Donc les péchés mortels sont remis par ce sacrement.
En sens contraire, on lit dans la 1ère aux Corinthiens (1 Corinthiens 11.29) : « Celui qui mange et boit indignement mange et boit son propre jugement. » Or la Glose dit à cet endroit que « celui qui mange et boit indignement, c'est celui qui est dans le crime, ou qui se comporte sans respect ; et celui-là mange et boit son propre jugement, c'est-à-dire sa damnation ». Donc celui qui est dans le péché mortel, du fait qu'il reçoit ce sacrement, accumule sur lui-même les péchés, plus qu'il n'obtient la rémission de son péché.
Réponse
On peut considérer la vertu de ce sacrement en se plaçant à deux points de vue. On peut considérer le sacrement en lui-même. À ce point de vue, ce sacrement a la vertu qu'il faut pour remettre n'importe quels péchés, en vertu de la passion du Christ, qui est la source et la cause de la rémission des péchés.
Mais on peut se placer à un autre point de vue et considérer ce sacrement par rapport à celui qui le reçoit, selon qu'on trouve en lui, ou non, obstacle à percevoir l'effet de ce sacrement. Or quiconque a conscience d'un péché mortel possède en lui-même un obstacle à percevoir l'effet de ce sacrement, parce qu'il n'est pas un sujet adapté à ce sacrement ; d'une part, parce que spirituellement il n'a pas la vie, et ainsi il ne doit pas prendre une nourriture spirituelle, ce qui n'appartient qu'à un vivant ; d'autre part, parce qu'il ne peut pas s'unir au Christ, — ce que réalise ce sacrement —, aussi longtemps qu'il est attaché au péché mortel. C'est pourquoi il est dit, au livre des Croyances ecclésiastiques : « Si l'âme est attachée au péché, la réception de l'eucharistie la charge plus qu'elle ne la purifie. » Par conséquent, chez celui qui reçoit l'eucharistie avec la conscience d'un péché mortel, ce sacrement n'opère pas la rémission du péché.
Ce sacrement peut toutefois opérer la rémission du péché de deux façons. D'abord lorsqu'il n'est pas reçu effectivement, mais par vœu : c'est le cas de l'homme qui reçoit la justification première de son péché. Ensuite, lorsqu'il est reçu par un homme en péché mortel, mais qui n'a pas conscience de son péché et n'y est pas attaché. Peut-être en effet que, tout d'abord, il n'avait pas été suffisamment contrit ; mais, venant avec dévotion et respect, il obtiendra par ce sacrement la grâce de la charité, qui rendra parfaites sa contrition et la rémission de son péchés.
Solutions
1. Nous demandons « que ce sacrement lave nos crimes ». Ou bien il s'agit de ceux dont nous n'avons pas conscience, selon la parole du Psaume (Psaumes 19.13) : « Purifie-moi, Seigneur, des fautes qui me sont cachées » ou bien nous demandons que la contrition devienne parfaite en nous pour la rémission de nos péchés ; ou bien encore nous prions pour obtenir la force d'éviter les crimes.
2. Le baptême est une génération spirituelle, qui est un passage du non-être spirituel à l'existence spirituelle ; et il est donné par mode d'ablution. Aussi, à ces deux points de vue, il n'est pas illogique qu'un homme vienne au baptême avec la conscience du péché mortel. Mais, par l'eucharistie, l'homme absorbe le Christ par mode de nourriture spirituelle ; ce qui ne convient pas à celui dont ses péchés font un mort. C'est pourquoi la comparaison ne vaut pas.
3. La grâce est cause suffisante de la rémission du péché mortel ; toutefois elle ne remet effectivement le péché mortel que lorsqu'elle est donnée au pécheur pour la première fois. Or ce n'est pas ainsi qu'elle est donnée dans ce sacrement. Par conséquent, l'argument ne porte pas.
Objections
1. Ce sacrement, dit S. Augustin, est « le sacrement de la charité ». Mais les péchés véniels ne sont pas contraires à la charité, comme on l'a vu dans la deuxième Partie. Puisque le contraire est enlevé par son contraire, il apparaît donc que les péchés véniels ne sont pas remis par ce sacrement.
2. Si les péchés véniels étaient remis par ce sacrement, la même raison pour laquelle un seul est remis ferait que tous le seraient. Mais il n'apparaît pas que tous soient remis ; autrement il arriverait souvent qu'on n'aurait aucun péché véniel, ce qui s'oppose à la parole de S. Jean (1 Jean 1.8) : « Si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous trompons nous-même. » Donc aucun péché véniel n'est remis par ce sacrement.
3. Les contraires s'excluent réciproquement. Mais les péchés véniels n'interdisent pas de recevoir ce sacrement, car la parole en S. Jean (Jean 6.59) : « Si quelqu'un en mange, il ne mourra jamais » est ainsi commentée par S. Augustin « Approchez-vous de l'autel dans l'innocence pourvu que les péchés, fussent-ils quotidiens, ne soient pas mortels. » Donc les péchés véniels, eux non plus, ne sont pas ôtés par ce sacrement.
En sens contraire, Innocent III dit que ce sacrement « détruit le péché véniel et préserve des péchés mortels ».
Réponse
On peut considérer deux choses dans ce sacrement : le sacrement lui-même, et la « réalité » du sacrement.
Et des deux côtés on voit que ce sacrement possède une vertu pour la rémission des péchés véniels. Car ce sacrement se prend sous l'aspect d'un aliment nourrissant. Or la nutrition procurée par l'aliment est nécessaire au corps pour restaurer ce que perd quotidiennement par l'action de la chaleur naturelle. Et, sur le plan spirituel, il se produit en nous, quotidiennement, une déperdition due à l'ardeur de la convoitise, par les péchés véniels qui diminuent la ferveur de la charité, comme on l'a montré dans la deuxième Partie. C'est pourquoi il appartient à ce sacrement de remettre les péchés véniels. Aussi S. Ambroise dit-il qu'on mange ce pain quotidien « pour remédier à la faiblesse quotidienne ».
Quant à la « réalité » de ce sacrement, c'est la charité, dont ce sacrement excite non seulement l'habitus, mais l'acte : c'est par là que les péchés véniels sont effacés. Il est donc évident que les péchés véniels sont remis par la vertu de ce sacrement.
Solutions
1. Les péchés véniels, bien qu'ils ne s'opposent pas à la charité quant à son habitus, s'opposent cependant à la charité quant à la ferveur de son acte, qui est excitée par ce sacrement. C'est pour ce motif qu'il enlève les péchés véniels.
2. Il ne faut pas entendre cette parole de S. Jean en ce sens qu'il serait impossible, à aucun moment, de n'avoir à se reprocher aucun péché véniel, mais en ce sens que même les saints ne passent pas la vie présente sans commettre de péchés véniels.
3. La charité, que donne ce sacrement, a plus de force que les péchés véniels ; car la charité, par son acte, enlève les péchés véniels, et cependant ceux-ci ne peuvent totalement empêcher l'acte de la charité. Et le même raisonnement vaut pour ce sacrement.
Objections
1. Par ce sacrement, l'homme reçoit en lui l'effet de la passion du Christ, on l'a dit a, de même que par le baptême. Mais par le baptême l'homme reçoit la rémission de toute la peine, en vertu de la passion du Christ, qui a suffisamment satisfait pour tous les péchés, comme on l'a montré plus haut. Il apparaît donc que, par ce sacrement, l'homme reçoit rémission de toute la dette de peine.
2. Le pape Alexandre dit : « Il ne peut rien y avoir dans les sacrifices de plus grand que le corps et le sang du Christ. » Mais par les sacrifices de l'ancienne loi l'homme satisfaisait pour ses péchés, car il est écrit dans le Lévitique (Lévitique 4, 5) : « Si un homme a péché, qu'il offre (ceci ou cela) pour son péché, et son péché lui sera remis. » Donc, à bien plus forte raison, ce sacrement vaut-il pour la remise de toute la peine.
3. Il est évident que, par ce sacrement, quelque chose est acquitté de la dette de peine ; c'est pourquoi on enjoint à certains, comme satisfaction, de faire célébrer des messes pour eux-mêmes. Mais la raison pour laquelle une partie de la peine est remise vaut aussi pour le reste, puisque la vertu du Christ, qui est contenue dans ce sacrement, est infinie. Il apparaît donc que, par ce sacrement, toute la peine est enlevée.
En sens contraire, à ce compte, on ne devrait imposer à personne aucune autre peine, comme on fait pour celui qui vient de recevoir le baptême.
Réponse
Ce sacrement est tout ensemble sacrifice et sacrement. Mais il a raison de sacrifice en tant qu'il est offert ; et il a raison de sacrement en tant qu'il est mangé. Et c'est pourquoi il produit l'effet du sacrement en celui qui mange, tandis qu'il produit l'effet du sacrifice en celui qui offre, ou en ceux pour qui il est offert.
Donc, si on le considère en tant que sacrement, il a un double effet : l'un directement, en vertu du sacrement ; l'autre en vertu d'une certaine concomitance, comme on l'a dit au sujet de ce qui est contenu dans le sacrements. En vertu du sacrement, il produit directement cet effet pour lequel il a été institué. Or, il n'a pas été institué en vue de satisfaire, mais pour produire une nutrition spirituelle par union au Christ et à ses membres, de même que la nourriture s'unit à celui qui est nourri. Mais, parce que cette unité se fait par la charité, dont la ferveur nous obtient la rémission non seulement de la faute, mais encore de la peine, il s'ensuit que, par voie de conséquence, grâce à une certaine concomitance qui accompagne l'effet principal, on obtient rémission de la peine ; non sans doute de la peine entière, mais selon la mesure de sa dévotion et de sa ferveur.
En tant qu'elle est sacrifice, au contraire, l'eucharistie a une puissance satisfactoire. Mais dans la satisfaction on considère davantage le sentiment de l'offrant que la quantité de l'oblation. Aussi le Seigneur dit-il en S. Luc (Luc 21.4), au sujet de la veuve qui avait offert deux piécettes, qu'elle « a donné plus que tout le monde ». Aussi, bien que cette oblation de l'eucharistie, quant à sa quantité, suffise à satisfaire pour toute la peine, cependant elle a valeur satisfactoire à l'égard de ceux pour qui elle est offerte, ou même à l'égard de ceux qui l'offrent, selon la quantité de leur dévotion, et non pour toute la peine.
Solutions
1. Le sacrement de baptême est directement ordonné à la rémission de la faute et de la peine, mais non l'eucharistie ; car le baptême est donné à l'homme comme mourant avec le Christ ; l'eucharistie lui est donnée comme devant être nourri et perfectionné par le Christ. La comparaison n'est donc pas valable.
2. Les autres sacrifices et oblations n'opéraient pas la rémission de toute la peine, ni selon la valeur de la chose offerte, comme c'est le cas dans notre sacrifice ; ni selon la dévotion de l'homme, à cause de laquelle il arrive, ici aussi, que toute la peine n'est pas ôtée.
3. Si, par ce sacrement, une partie seulement de la peine est ôtée et non la peine tout entière, cela ne vient pas d'une insuffisance de la vertu du Christ, mais d'une insuffisance de dévotion chez l'homme.
Objections
1. Beaucoup, qui prennent comme il faut ce sacrement, tombent ensuite dans le péché. Cela n'arriverait pas si ce sacrement préservait des péchés futurs. L'effet de ce sacrement n'est donc pas de préserver des péchés futurs.
2. L'eucharistie est « le sacrement de la charité », on l'a déjà dite. Mais il n'apparaît pas que la charité préserve des péchés futurs. Car celui qui a possédé une fois la charité peut la perdre par le péché, comme on l'a établi dans la deuxième Partie. Il apparaît donc que ce sacrement non plus ne préserve pas l'homme du péché.
3. L'origine du péché en nous est « la loi du péché, qui est dans nos membres » (Romains 7.23). Mais l'atténuation de ce foyer de convoitise qu'est la loi du péché n'est pas donnée comme l'effet de ce sacrement mais plutôt du baptême. Préserver des péchés futurs n'est donc pas l'effet de ce sacrement.
En sens contraire, le Seigneur dit en S. Jean (Jean 6.50) : « Tel est le pain qui descend du ciel, que celui qui en mange ne meurt pas. » Cela ne peut évidemment pas s'entendre de la mort corporelle. Il faut donc comprendre que ce sacrement préserve de la mort spirituelle, qui est le péché.
Réponse
Le péché est comme la mort spirituelle de l'âme. On est donc préservé du péché futur à la manière dont le corps est préservé de la mort future. Cela se fait de deux façons. D'abord en ce que la nature de l'homme est fortifiée intérieurement contre les forces intérieures de destruction ; c'est ainsi qu'on est préservé de la mort par la nourriture et les remèdes. Ensuite parce qu'on est protégé contre les attaques extérieures ; et c'est ainsi qu'on est préservé par les armes dont on protège son corps.
Notre sacrement préserve du péché de ces deux façons. Car d'abord, du fait qu'il unit au Christ par la grâce, il fortifie la vie spirituelle de l'homme à la manière d'un aliment spirituel et d'un remède spirituel, selon cette parole du Psaume (Psaumes 104.15) : « Le pain fortifie le cœur de l'homme. » Et S. Augustin dit : « Approche sans crainte, c'est du pain, non du poison. »
Puis, en tant que ce sacrement est un signe de la passion du Christ, par quoi les démons ont été vaincus, il repousse toute attaque des démons. D'où cette parole de Chrysostome : « Nous quittons cette table comme des lions, en soufflant le feu, devenus redoutables au démon. »
Solutions
1. L'effet de ce sacrement est reçu dans l'homme selon sa condition d'homme, comme il arrive pour n'importe quelle cause active, dont l'effet est reçu dans une matière selon le mode de cette matière. Or l'homme, dans son état de voyageur, est dans une condition telle que son libre arbitre peut s'incliner au bien ou au mal. Aussi, bien que ce sacrement, autant qu'il dépend de lui, ait la vertu de préserver du péché, il n'enlève pourtant pas à l'homme la possibilité de pécher.
2. La charité aussi, autant qu'il dépend d'elle, préserve l'homme du péché : « L'amour du prochain ne fait pas le mal » (Romains 13.10). Mais, à cause de l'inconstance du libre arbitre, il arrive qu'on pèche après avoir eu la charité ; de même après avoir reçu ce sacrement.
3. Bien que ce sacrement ne soit pas directement ordonné à l'atténuation du foyer, il l'atténue cependant en vertu d'une certaine conséquence, en tant qu'il accroît la charité. Car, dit S. Augustin : « L'accroissement de la charité est la diminution de la convoitise. » Et, directement, ce sacrement confirme le cœur de l'homme dans le bien. Par là encore, l'homme est préservé du péché.
Objections
1. Ce sacrement est du même genre que les autres, puisqu'on le comprend dans la même énumération. Or, les autres sacrements ne profitent qu'à ceux qui les reçoivent. Ainsi le baptisé seul reçoit l'effet du baptême. Donc ce sacrement, lui aussi, ne profite qu'à celui qui le consomme.
2. L'effet de ce sacrement est l'obtention de la grâce et de la gloire, et la rémission de la faute, au moins vénielle. Donc, si ce sacrement produisait un effet chez d'autres que ceux qui le consomment, il pourrait arriver que quelqu'un obtienne et la grâce, et la gloire, et la rémission de la faute, sans avoir rien fait ni rien subi lui-même, parce qu'un autre aurait consommé ou offert ce sacrement.
3. Multipliez la cause, et vous multipliez l'effet. Donc, si ce sacrement profitait à d'autres qu'à ceux qui le consomment, il s'ensuivrait qu'il profiterait davantage à quelqu'un, si beaucoup le consommaient en mangeant beaucoup d'hosties consacrées à une seule messe. Or, telle n'est pas la coutume de l'Église, à savoir que beaucoup communient pour le salut de quelqu'un. Il n'apparaît donc pas que ce sacrement profite à un autre qu'à celui qui le consomme.
En sens contraire, dans la célébration de ce sacrement, on prie beaucoup pour les autres. Ce serait en vain si ce sacrement ne profitait pas à d'autres. Donc il ne profite pas seulement à ceux qui le consomment.
Réponse
Comme on l'a déjà dit, ce sacrement n'est pas seulement sacrement, il est encore sacrifice. Car en tant que, dans ce sacrement, la passion du Christ est rendue présente, par laquelle le Christ « s'est offert à Dieu en victime » (Éphésiens 5.2), il a raison de sacrifice. Mais en tant que, dans ce sacrement, la grâce est invisiblement donnée sous une apparence visible, il a raison de sacrement. Ainsi donc, ce sacrement profite à ceux qui le consomment et par mode de sacrement, et par mode de sacrifice, car il est offert pour tous ceux qui le consomment ; en effet on dit dans le canon de la messe : « Quand nous recevrons, en communiant ici à l'autel, le Corps et le Sang infiniment saints de ton Fils, puissions-nous tous être comblés des grâces et des bénédictions du ciel ». Mais aux autres, qui ne le consomment pas, il profite par mode de sacrifice, en tant qu'il est offert pour leur salut ; aussi dit-on, au canon de la messe : « Souviens-toi, Seigneur, de tes serviteurs et de tes servantes... pour qui nous t'offrons, ou qui t'offrent eux-mêmes ce sacrifice de louange pour eux et pour tous les leurs, afin d'obtenir leur propre rédemption, la sécurité et le salut dont ils ont l'espérance. » Et le Seigneur a manifesté ce double profit lorsqu'il a dit en S. Matthieu (Matthieu 26.28) : « qui pour vous » qui le consommez, « et pour beaucoup » d'autres, « sera répandu en rémission des péchés ».
Solutions
1. Ce sacrement l'emporte sur les autres en ce qu'il est sacrifice. Par conséquent la comparaison ne vaut pas.
2. La passion du Christ profite bien à tous en tant queue est suffisante et pour la rémission de la faute, et pour l'obtention de la grâce et de la gloire, mais elle ne produit son effet qu'en ceux qui s'unissent à la passion du Christ par la foi et la charité ; de même ce sacrifice, qui est le mémorial de la passion du Seigneur, ne produit son effet qu'en ceux qui sont unis à ce sacrement par la foi et la charité. Ce qui fait dire à S. Augustin : « Offre-t-on le corps du Christ, sinon pour ceux qui sont membres du Christ ? » Aussi, au canon de la messe, ne prie-t-on pas pour ceux qui sont hors de l'Église. Quant aux autres, il leur profite plus ou moins, selon la mesure de leur dévotion.
3. Consommer l'eucharistie ressortit à sa raison de sacrement ; mais l'offrir ressortit à sa raison de sacrifice. Et c'est pourquoi, du fait qu'un homme, ou même plusieurs, consomment le corps du Christ, cela n'augmente pas le secours que d'autres peuvent en recevoir. De même aussi, le fait qu'un prêtre consacre, à la même messe, un plus grand nombre d'hosties, ne multiplie pas l'effet de ce sacrement, parce qu'il n'y a jamais qu'un seul sacrifice. Car il n'y a pas plus de vertu dans un grand nombre d'hosties consacrées que dans une seule, puisque, dans toutes ou dans une seule, il n'y a jamais que le Christ tout entier. Et c'est pourquoi, si quelqu'un, au cours d'une seule messe, consomme beaucoup d'hosties consacrées, il ne participera pas à une plus grande efficacité du sacrement ; tandis qu'en un plus grand nombre de messes, l'oblation du sacrifice est multipliée. Et c'est pourquoi l'efficacité du sacrifice et du sacrement est alors multipliées.
Objections
1. Commentant S. Jean (Jean 6.59) « Vos pères, ont mangé la manne », S. Augustin dit : « Mangez spirituellement le pain du ciel, présentez-vous à l'autel avec innocence ; pourvu que les péchés, fussent-ils quotidiens, ne soient pas mortels. » Il en ressort que les péchés véniels, appelés ici quotidiens, n'empêchent pas la manducation spirituelle. Mais ceux qui mangent spirituellement perçoivent l'effet de ce sacrement. Donc les péchés véniels n'empêchent pas l'effet de ce sacrement.
2. En outre, ce sacrement n'a pas une moindre vertu que le baptême. Mais, on l'a dit plus haut, seule la « fiction » empêche l'effet du baptême, et les péchés véniels n'y ont pas de rapport, car, selon le livre de la Sagesse (Sagesse 1.5) « L'Esprit-Saint, qui nous instruit, fuira l'homme menteur » ; et l'Esprit Saint n'est cependant pas mis en fuite par les péchés véniels. Donc l'effet de ce sacrement, lui non plus, n'est pas empêché par les péchés véniels.
3. Rien de ce qui est écarté par l'action d'une cause ne peut empêcher l'effet de cette cause. Mais les péchés véniels sont ôtés par ce sacrement. Ils n'empêchent donc pas son effet.
En sens contraire, le Damascène dit : « Que le feu du désir qui est en nous, accru par l'ardeur qui vient de cette braise », c'est-à-dire de ce sacrement, « brûle nos péchés et illumine nos cœurs, pour que nous soyons transformés en feu et déifiés par la participation au feu divin ». Mais le feu de notre désir, c'est-à-dire de notre amour, est empêché par les péchés véniels, qui empêchent la ferveur de la charité, comme on l'a établi dans la deuxième Partie. Donc les péchés véniels empêchent l'effet de ce sacrement.
Réponse
On peut prendre les péchés véniels à deux points de vue : selon qu'ils sont passés, ou selon qu'ils sont actuellement commis. Au premier point de vue, les péchés véniels n'empêchent aucunement l'effet de ce sacrement. Car il peut arriver que quelqu'un, après avoir commis de nombreux péchés véniels, s'approche avec dévotion de ce sacrement et en obtienne pleinement l'effet.
Au second point de vue, les péchés véniels n'empêchent pas totalement, mais partiellement, l'effet de ce sacrement. Car, nous l'avons dit, l'effet de ce sacrement n'est pas seulement l'obtention de la grâce habituelle ou de la charité, mais aussi une certaine réfection actuelle de douceur spirituelle. Or celle-ci est empêchée si quelqu'un s'approche de ce sacrement avec une âme distraite par les péchés véniels. Mais cela n'empêche pas l'accroissement de la grâce habituelle ou de la charité.
Solutions
1. Celui qui s'approche de ce sacrement avec un péché véniel actuel, le mange spirituellement d'une façon habituelle, mais non actuelle. Par conséquent, il perçoit l'effet habituel de ce sacrement, mais non son effet actuel.
2 Le baptême n'est pas ordonné, comme ce sacrement, à l'effet actuel, c'est-à-dire à la ferveur de la charité. Car le baptême est une régénération spirituelle, par laquelle on acquiert la perfection première, qui est un habitus ou une forme ; tandis que ce sacrement est une manducation spirituelle, qui comporte une délectation actuelle.
3. Cet argument vaut pour les péchés véniels passés, qui sont ôtés par ce sacrement.
Il faut ensuite étudier l'usage, ou manducation de ce sacrement. D'abord en général (Q. 80) ; ensuite nous verrons comment le Christ a usé de ce sacrement (Q. 81).