- Tous les péchés mortels sont-ils enlevés par la pénitence ?
- Peuvent-ils être enlevés sans elle ?
- Peuvent-ils être remis l'un sans l'autre ?
- La pénitence enlève-t-elle la faute en laissant subsister la dette de peine ?
- Laisse-t-elle subsister des restes de péché ?
- La pénitence enlève-t-elle le péché en tant qu'elle est vertu, ou en tant qu'elle est sacrement ?
Objections
1. S. Paul dit d'Ésaü (Hébreux 12.17) : « Il ne trouva plus la pénitence, bien qu'il l'ait cherchée avec larmes », ce qui veut dire, d'après la Glose : « Il ne trouva plus de pardon ni de bénédiction par la pénitence. » On dit également d'Antiochos (2 Maccabées 9.13) : « Ce scélérat priait Dieu, qui ne devait plus avoir pitié de lui. » Il ne semble donc pas que tous les péchés soient remis par la pénitence.
2. S. Augustin écrit : « Si quelqu'un, après avoir connu Dieu par la grâce du Christ, attaque la fraternité et se laisse agiter par les feux de l'envie contre la grâce elle-même, la plaie de son péché est telle que cette âme ne peut plus accepter l'humilité de la prière, même si sa mauvaise conscience l'oblige à reconnaître et à dénoncer son péché. » Il n'est donc pas vrai que tout péché puisse être enlevé par la pénitence.
3. Le Seigneur lui-même a dit (Matthieu 12.32) : « Si quelqu'un dit une parole contre l'Esprit Saint, cela ne lui sera remis ni dans ce siècle, ni dans l'autre. »
Donc tout péché ne peut pas être remis par la pénitence.
En sens contraire, on lit dans Ézéchiel (Ézéchiel 18.22) : « De toutes les iniquités qu'il a commises, je ne me souviendrai plus. »
Réponse
Qu'un péché ne puisse être effacé par la pénitence, cela ne pourrait arriver que de deux façons : ou bien parce que le pécheur ne pourrait plus se repentir de son péché, ou bien parce que la pénitence ne pourrait effacer celui-ci. Le premier cas est celui des démons et aussi des hommes damnés, dont les péchés ne peuvent être effacés par la pénitence, parce que leurs cœurs sont confirmés dans le mal de telle sorte que le péché ne peut plus leur déplaire, en tant que faute. Il ne leur déplaît que pour la peine qu'ils subissent. Ce déplaisir leur donne une certaine pénitence, mais une pénitence infructueuse, selon la Sagesse (Sagesse 5.3) : « Ils font pénitence et gémissent sous l'angoisse de l'esprit. » Une telle pénitence n'est pas accompagnée de l'espoir du pardon, mais du désespoir.
Or cela ne peut être le cas de l'homme voyageur, dont le libre arbitre reste toujours capable de se porter au bien ou au mal. Ainsi donc, dire qu'il peut y avoir en cette vie un péché dont le pécheur ne puisse pas se repentir, c'est une erreur. D'abord parce que c'est supprimer le libre arbitre, ensuite parce que c'est rabaisser la puissance de la grâce qui peut amener à la pénitence le cœur de n'importe quel pécheur, selon les Proverbes (Proverbes 21.1) : « Le cœur du roi est dans la main de Dieu qui l'inclinera où il voudra. »
C'est également une erreur de dire qu'un péché ne peut être remis par la vraie pénitence. 1° Cela contredit la miséricorde divine dont Joël nous dit (Joël 2.13) : « Dieu est bon, miséricordieux, patient, et l'abondance de sa miséricorde l'emporte sur la malice du pécheur. » C'est Dieu, au contraire, qui serait d'une certaine façon vaincu par l'homme, si l'homme voulait la rémission d'un péché, alors que Dieu ne la voudrait pas. 2° Cette erreur rabaisse la puissance de la passion du Christ, par laquelle opère la pénitence, comme les autres sacrements, puisqu'il est écrit (1 Jean 2.2) : « Lui-même (Jésus) est propitiation pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais pour ceux du monde entier. » Donc il faut dire, sans restriction, que tout péché en cette vie peut être effacé par la pénitence.
Solutions
1. La pénitence d'Ésaü n'était pas une vraie pénitence. On le voit par ce qu'il disait (Genèse 27.41) : « Quand on fera le deuil de mon père, je tuerai Jacob mon frère. » De même la pénitence d'Antiochos : il ne regrettait pas sa faute à cause de l'offense faite à Dieu, mais à cause de la maladie corporelle dont lui-même souffrait.
2. Voici comme il faut entendre cette parole de S. Augustin : « La plaie du péché est telle que cette âme ne peut plus accepter », c'est-à-dire accepte difficilement « l'humilité de la prière ». Ainsi appelle-t-on incurable celui qui guérit difficilement. Mais cette difficulté peut être vaincue par la vertu de la force divine qui, parfois, « ramène des profondeurs de la mer » (Psaumes 68.23).
3. Cette parole ou blasphème contre l'Esprit Saint, c'est l'impénitence finale, dit S. Augustin. C'est un péché tout à fait irrémissible, car après la fin de cette vie il n'y a plus de rémission des péchés. Cependant, si l'on entend par blasphème contre le Saint-Esprit le péché commis par malice voulue, ou le blasphème proprement dit contre le Saint-Esprit, on dit qu'il n'est pas remis pour signifier qu'il n'est pas remis facilement, soit parce qu'un tel péché n'a pas en lui de cause excusante, soit parce qu'un péché de ce genre est puni dans ce siècle et dans le siècle futur, comme nous l'avons montré dans la deuxième Partie.
Objections
1. Dieu n'a pas moins de pouvoir sur les adultes que sur les enfants. Mais aux enfants il remet les péchés sans pénitence, donc aussi aux adultes.
2. Dieu n'a pas lié sa vertu aux sacrements. Mais la pénitence est un sacrement. Par la vertu divine, les péchés peuvent donc être remis sans la pénitence.
3. La miséricorde de Dieu est plus grande que celle de l'homme. Mais parfois l'homme pardonne l'offense qui lui a été faite, même si l'offenseur ne fait pas pénitence. De là cet ordre du Seigneur lui-même (Matthieu 5.44) : « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. » A plus forte raison, Dieu pardonne-t-il aux hommes qui ne font pas pénitence de l'offense qu'ils lui ont faite.
En sens contraire, le Seigneur dit (Jérémie 18.8) : « Si cette nation fait pénitence du mal qu'elle a fait, moi aussi je ferai pénitence du mal que j'ai pensé lui faire. » Réciproquement, il semble donc que si l'homme ne fait pas pénitence, Dieu ne lui remet pas son offense.
Réponse
Il est impossible que le péché mortel actuel soit remis sans la pénitence en tant qu'elle est vertu. En effet, puisque le péché offense Dieu, celui-ci remet le péché à la façon dont il remet toute offense commise contre lui. Or l'offense est en opposition directe avec la faveur, car on dit que quelqu'un est en état d'offensé à l'égard d'un autre, quand il l'exclut de ses faveurs. Mais, comme nous l'avons vu dans la deuxième Partie, il y a, entre la faveur de Dieu et celle de l'homme, cette différence que la faveur humaine ne cause pas, mais présuppose la bonté vraie ou apparente chez l'homme qui en est l'objet, tandis que la faveur de Dieu cause la bonté chez l'homme agréable à Dieu, parce que la volonté divine du bien, que le mot « grâce » signifie, est cause de tout bien créé. Il peut donc arriver qu'un homme pardonne l'offense qui l'a mis en état d'offensé vis-à-vis d'un autre, sans qu'il y ait aucun changement dans la volonté de celui-ci. Mais il ne peut arriver que Dieu pardonne une offense à quelqu'un sans que la volonté de ce pécheur soit changée. Or l'offense qu'est le péché mortel vient de ce que la volonté de l'homme s'est détournée de Dieu pour se tourner vers un bien périssable. Aussi est-il requis, pour la rémission de l'offense faite à Dieu, que la volonté humaine soit changée de telle sorte qu'elle se tourne vers Dieu avec détestation de sa conversion antérieure au bien créé, et avec ferme propos de réparer. C'est là l'essence même de la pénitence, en tant qu'elle est vertu. Il est donc impossible qu'un péché soit remis sans la pénitence en tant que vertu.
Quant au sacrement de pénitence, nous l'avons dit précédemment, il trouve son achèvement dans l'office du prêtre liant et déliant le pécheur. De cet office, Dieu peut se passer pour remettre le péché. C'est ainsi que le Christ a pardonné à la femme adultère (Jean 8.1), et à la pécheresse (Luc 7.47). Mais il ne leur a pas pardonné sans l'intervention de la vertu de pénitence, car, dit S. Grégoire, « par la grâce, il a intérieurement attiré » à la pénitence « la pécheresse que, par miséricorde, il accueillait extérieurement ».
Solutions
1. Chez les enfants, il n'y a que le péché originel, qui ne consiste pas dans le désordre actuel de la volonté, mais dans le désordre habituel de la nature, comme nous l'avons montré dans la deuxième Partie. C'est pourquoi la rémission du péché, dans les enfants, n'implique pas de changement actuel, mais seulement un changement de leur disposition habituelle, changement produit par l'infusion de la grâce et des vertus. Mais quant à l'adulte, qui a des péchés actuels consistant dans un désordre de l'inclination actuelle de la volonté, les péchés ne lui sont pas remis, même par le baptême, sans le changement actuel de la volonté qui se fait par la pénitence.
2. Cet argument ne vaut que pour la pénitence en tant qu'elle est sacrement.
3. La miséricorde de Dieu a plus de vertu que la miséricorde de l'homme, en ce qu'elle change la volonté de l'homme et l'amène à pénitence, ce que la miséricorde de l'homme ne peut pas faire.
Objections
On lit dans Amos (Amos 4.7) : « J'ai fait pleuvoir sur une cité et pas sur l'autre. Une seule partie a été arrosée, et la partie sur laquelle il n'a pas plu s'est desséchée. » Commentant ces paroles, S. Grégoire nous dit : « Quand celui qui hait son prochain se corrige des autres vices, une seule et même cité est en partie arrosée et en partie desséchée, car il y a des pécheurs qui, retranchant certains vices, continuent à commettre d'autres fautes graves. » Un péché peut donc être remis par la pénitence sans qu'un autre le soit.
2. S. Ambroise nous dit : « La première consolation, c'est que Dieu n'oublie pas de faire miséricorde ; la seconde vient de la punition, quand cette punition, même en l'absence de la foi, est satisfaction et relèvement. » Il est donc possible que quelqu'un soit relevé d'un péché, alors que demeure le péché d'infidélité.
3. Quand des choses ne vont pas nécessairement ensemble, l'une peut être enlevée sans l’autre. mais comme nous l’avons vu dans la deuxième Partie, il n'y a pas de connexion entre les péchés, et l'un peut exister sans l'autre. Ils peuvent donc être remis séparément par la pénitence.
4. Les péchés sont des dettes dont nous demandons la remise, puisque nous disons dans l'oraison dominicale : « Remets-nous nos dettes. » Mais l'homme remet quelquefois une dette sans remettre les autres. Dieu peut donc, lui aussi, remettre un péché sans remettre les autres.
5. C'est par son amour que Dieu remet aux hommes leurs péchés, selon Jérémie (Jérémie 31.3) : « je t'ai aimé d'amour éternel, et c'est pourquoi je t'ai attiré par miséricorde. » Mais rien n'empêche que Dieu aime certaines choses chez l'homme, tout en demeurant offensé par d'autres choses. C'est ainsi qu'il aime le pécheur pour sa nature, tout en le haïssant pour son péché. Il semble donc possible que Dieu remette un péché sans remettre les autres.
En sens contraire, S. Augustin écrit « Il en est plusieurs qui se repentent d'avoir péché, mais pas complètement, se réservant certains péchés dans lesquels ils se complaisent. Ils n'ont pas remarqué que le Seigneur a guéri à la fois de la surdité et du mutisme le possédé qu'il a délivré du démon et nous a enseigné par là que nous ne serions jamais guéris sans l'être de tous nos péchés. »
Réponse
Il est impossible que, par la pénitence, un péché soit remis sans qu'un autre le soit. La première raison en est que le péché est remis en tant que l'offense de Dieu est enlevée par la grâce. C'est pourquoi on a vu dans la deuxième Partie qu'aucun péché ne peut être remis sans la grâce. Mais tout péché mortel est contraire à la grâce et l'exclut. Il est donc impossible qu'un péché soit remis sans qu'un autre le soit.
Une deuxième raison, c'est que le péché mortel, comme nous l'avons vu tout à l'heure, ne peut être remis sans la pénitence, à laquelle il appartient essentiellement de renoncer au péché en tant qu'il est une offense à Dieu, ce qui est un caractère commun à tous les péchés mortels. Mais là où il y a le même principe d'action, l'effet est le même. On ne peut donc pas être vraiment pénitent si l'on se repent d'un seul péché sans se repentir d'un autre. Car si ce péché déplaisait en tant qu'il offense Dieu aimé pardessus toutes choses, ce qui est essentiel à la vraie pénitence, il s'ensuivrait qu'on se repentirait de tous ses péchés. Il est donc impossible que, par la pénitence, un seul péché soit remis indépendamment des autres.
Troisièmement enfin, cette rémission partielle serait en contradiction avec la miséricorde de Dieu dont « les œuvres sont parfaites », dit le Deutéronome (Deutéronome 32.4). À qui Dieu fait miséricorde, il la fait donc totalement. Et c'est ce que nous dit S. Augustin : « Espérer un demi-pardon de celui qui est le juste et la justice, c'est une impiété qui tient de l'infidélité. »
Solutions
1. Cette parole de S. Grégoire ne doit pas s'entendre de la rémission de la faute, mais de la cessation de l'acte du péché. Parfois celui qui a l'habitude de commettre plusieurs sortes de péchés, renonce à telle habitude mauvaise sans renoncer à telle autre. Cela se fait à la vérité par le secours divin, mais par un secours qui ne va pas jusqu'à la rémission de la faute.
2. Dans ce texte de S. Ambroise on ne peut entendre le mot « foi » de la croyance au Christ. En effet, sur ce texte, en S. Jean (Jean 15.22) : « Si je n'étais pas venu et si je ne leur avais pas parlé, ils n'auraient pas eu de péché », S. Augustin nous dit : « Le péché d'infidélité, car c'est le péché qui englobe tous les péchés. »
Mais il faut entendre le mot « foi » au sens de conscience, car parfois les peines que l'on souffre patiemment obtiennent la rémission d'un péché dont on n'a pas conscience.
3. Bien qu'il n'y ait pas connexion des péchés quant à la conversion au bien qui passe, cette connexion existe quant à l'aversion à l'égard du bien immuable. Cette aversion se retrouve dans tous les péchés mortels et leur donne précisément ce caractère d'offense à Dieu qui ne peut être enlevé que par la pénitence.
4. Une dette ayant pour objet un bien extérieur comme de l'argent, n'est pas en contradiction avec l'amitié qui fait remettre une dette. Une dette de ce genre peut donc être remise indépendamment des autres. Mais la dette morale, conséquence d'une faute, est incompatible avec l'amitié ; en conséquence, une faute qui est une offense ne peut pas être remise à part. Il semble ridicule en effet de demander à quelqu'un, même à un homme, le pardon d'une offense, sans demander pardon pour les autres.
5. L'amour que Dieu a pour la nature de l'homme, n'est pas ordonné au bien de la vie glorieuse dont l'homme est exclu par tout péché mortel. Mais l'amour de grâce surnaturelle, par lequel se fait la rémission du péché mortel, ordonne l'homme à la vie éternelle, selon l'épître aux Romains (Romains 6.23) : « La grâce de Dieu, c'est la vie éternelle. » Aussi la comparaison ne porte-t-elle pas.
Objections
1. La cause étant supprimée, l'effet l'est aussi. Or la faute est la cause de la dette de peine, car si quelqu'un mérite une peine, c'est parce qu'il a commis une faute. Donc, une fois la faute remise, la dette de peine ne peut subsister.
2. Selon l'Apôtre (Romains 5.5), le don du Christ est plus efficace que le péché d'Adam. Mais en péchant, l'homme encourt à la fois la faute et la dette de peine. À plus forte raison le don de la grâce apportera-t-il à la fois la remise de la faute et de la dette de peine.
3. La rémission des péchés se fait dans la pénitence par la vertu de la Passion, selon S. Paul (Romains 3.25) : « Dieu nous a proposé Jésus comme propitiateur par la foi que nous avons dans son sang pour la rémission des péchés d'autrefois. » Mais la passion du Christ a une valeur de satisfaction suffisante pour tous les péchés, on l'a dit précédemment. Il ne reste donc, après le pardon de la faute, aucune dette de peine.
En sens contraire, David pécheur ayant dit à Nathan (2 Samuel 12.13-14) : « J'ai péché contre le Seigneur », Nathan lui répondit : « Le Seigneur t'a pardonné ton péché ; tu ne mourras pas, mais le fils qui t'est né mourra », et cette mort fut la peine du péché précédent, dit le même passage. Donc, il reste encore après la remise de la faute la dette d'une peine.
Réponse
Ainsi qu'on l'a vu dans la deuxième Partie, il y a deux éléments dans le péché mortel : l'aversion loin du Dieu immuable, et la conversion désordonnée au bien qui passe. Du fait de son aversion loin du bien immuable, le péché mortel encourt une peine éternelle, en sorte que celui qui a péché contre le bien éternel doit être éternellement puni. Du fait de la conversion au bien qui passe, conversion désordonnée, le péché mérite aussi quelque peine. En effet, c'est seulement par la peine que le désordre de la faute est ramené à l'ordre de la justice. Il est juste en effet que celui qui a permis à sa volonté plus de satisfaction qu'il ne devait, ait à souffrir quelque chose de contraire à sa volonté. C'est ainsi qu'il y aura égalité. D'où cette parole de l'Apocalypse (Apocalypse 18.7) : « Autant il s'est glorifié et a vécu dans les délices, autant devez-vous lui donner de tourments et de larmes. » Cependant la conversion au bien qui passe étant d'ordre fini, le péché ne mérite pas, à ce titre, de peine éternelle, mais seulement une peine temporelle. De là vient que si la conversion au bien qui passe n'implique pas de mouvement d'aversion loin de Dieu, comme dans les péchés véniels, le péché ne mérite pas la peine éternelle, mais seulement une peine temporelle.
Quand donc, par la grâce, la faute est remise, l'état d'aversion de l'âme envers Dieu disparaît, en tant que l'âme est unie à Dieu par la grâce, et par conséquent la dette de peine éternelle disparaît en même temps ; mais il peut rester quelque dette de peine temporelles.
Solutions
1. La faute mortelle est constituée par ce double élément : une aversion envers Dieu, et une conversion au bien qui passe. Mais comme on l'a vu dans la deuxième Partie, l'aversion envers Dieu en est comme le principe formel, et la conversion au bien créé tient lieu de principe matériel. Or la suppression du principe formel d'une réalité lui enlève son caractère spécifique. Enlevez du composé humain ce qui le rend raisonnable, vous n'avez plus de réalité spécifiquement humaine. Voilà pourquoi l'on dit que la faute mortelle est remise du seul fait que la grâce enlève l'état d'aversion de l'esprit envers Dieu et la dette de peine éternelle ; mais il reste l'élément matériel du péché, l'état de conversion désordonnée au bien créé, pour laquelle le pécheur mérite une peine temporelle.
2. Ainsi qu'on l'a vu dans la deuxième Partie il appartient à la grâce d'être opérante dans l'homme, en tant qu'elle le justifie en le séparant du péché, et d'être coopérante au bon exercice de notre activité humaine. C'est donc à la grâce opérante qu'appartient la remise de la faute et de la dette de peine éternelle ; mais la remise de la dette temporelle appartient à la grâce coopérante en tant que l'homme, supportant patiemment ses peines avec le secours de la grâce divine, est aussi libéré de la dette temporelle. En conséquence, puisque l'effet de la grâce opérante précède celui de la grâce coopérante, la rémission de la faute et de la peine éternelle précède aussi la pleine absolution de la peine temporelle. L'un et l'autre effet ont pour cause la grâce, mais le premier dépend de la grâce seule, le second, de la grâce et du libre arbitre.
3. La passion du Christ est par elle-même suffisante pour obtenir la rémission de toute la dette de peine, non seulement celle de la peine éternelle mais aussi celle de la peine temporelle. Dans la mesure où l'homme participe à la vertu de la passion du Christ, il reçoit aussi l'absolution de la dette de peine. Or, dans le baptême, l'homme entre en participation totale de la vertu de la passion du Christ, en tant que par l'eau et l'Esprit du Christ, il est mort avec le Christ au péché, et régénéré dans le Christ pour une vie nouvelle. C'est pourquoi dans le baptême l'homme obtient la rémission de toute la dette de peine. Dans la pénitence au contraire l'homme obtient le bénéfice de la vertu de la passion du Christ selon la mesure de ses actes propres, qui sont la matière de la pénitence, comme l'eau est la matière du baptême, nous l'avons dit. Voilà pourquoi toute la dette de peine n'est pas remise aussitôt par le premier acte de pénitence qui obtient remise de la faute, mais seulement quand tous les actes de pénitence sont accomplis.
Objections
1. S. Augustin dit : « jamais le Seigneur n'a guéri quelqu'un sans le libérer complètement ; car il a guéri “l'homme tout entier” (Jean 7.23), le jour du sabbat, libérant son corps de toute infirmité, et son âme de toute contagion du mal. » Or les restes du péché appartiennent à l'infirmité du péché. Il ne semble donc pas possible que ces restes demeurent, la faute étant remise.
2. D'après Denys, « le bien est plus efficace que le mal, car le mal n'agit qu'en vertu du bien ». Or l'homme, en péchant, encourt toute l'infection du péché. À plus forte raison doit-il, en faisant pénitence, être libéré même de tous les restes du péché.
3. L'œuvre de Dieu est plus efficace que l'œuvre de l'homme. Or l'application de l'activité humaine à de bonnes actions fait disparaître les restes du péché qui leur est contraire. Donc, à plus forte raison, ces restes disparaîtront-ils avec le pardon de la faute, pardon qui est l'œuvre de Dieu.
En sens contraire, on lit en S. Marc (Marc 8.22) que l'aveugle guéri par le Seigneur a retrouvé d'abord une vue imparfaite qui lui fait dire : « je vois les hommes comme des arbres qui marchent » ; puis la vue parfaite : « En sorte qu'il voyait clairement toute chose. » Or la vue rendue à l'aveugle signifie la libération du pécheur. C'est donc qu'après le premier pardon de la faute, par lequel le pécheur est rendu à la vie spirituelle, il y a encore en lui des restes du péché passé.
Réponse
Le péché mortel, en tant qu'il est une conversion désordonnée au bien qui passe, engendre dans l'âme une disposition spéciale ou même un habitus, s'il est fréquemment répété. Or, nous l'avons dit, c'est l'état d'aversion de l'âme envers Dieu qui est supprimé par la grâce dans la rémission du péché mortel. Mais cette disparition de l'état d'aversion n'empêche pas que puisse demeurer ce qui vient du désordre de la conversion au bien qui passe, puisque cette conversion peut exister indépendamment de l'aversion, comme nous l'avons dit à l'article précédent. Rien ne s'oppose donc à ce que les dispositions causées par les actes antérieurs, et appelées « restes du péché », demeurent après le pardon de la faute. Elles ne demeurent cependant qu'affaiblies et diminuées, de telle sorte qu'elles ne dominent plus l'homme. Elles n'agissent plus à la manière de véritables habitus, mais plutôt comme de simples dispositions, comme fait le foyer du péché qui reste après le baptême.
Solutions
1. Dieu guérit parfaitement l'homme tout entier, mais quelquefois subitement, ainsi qu'il l'a fait pour la belle-mère de S. Pierre, rétablie en si parfaite santé que, « s'étant levée, elle les servait » (Luc 4.39) ; et d'autres fois par degrés, comme nous l'avons dit pour l'aveugle auquel il a rendu la vue. Ainsi en va-t-il dans l'ordre spirituel. Quelquefois l'ébranlement subi par le cœur de l'homme, dans sa conversion, est si puissant qu'il retrouve subitement une parfaite santé spirituelle. Non seulement la faute est remise, mais tous les restes du péché disparaissent, comme on le voit dans le cas de Madeleine. D'autres fois, au contraire, la faute est d'abord remise par la grâce opérante, puis la grâce coopérante fait disparaître peu à peu les restes du péché.
2. Le péché, lui aussi, ne cause parfois tout d'abord qu'une faible disposition, comme celle qui procède d'un seul acte, et d'autre fois une inclination plus forte, effet d'actes multipliés.
3. Un seul acte humain ne suffit pas à faire disparaître tous les restes du péché, car, selon Aristote, « le dépravé ramené à de meilleures pratiques y progressera d'abord un peu et s'améliorera », mais c'est par la multiplication de ces pratiques qu'il en arrivera à être bon, de vertu acquise. Avec beaucoup plus d'efficacité, la grâce divine obtient le même résultat, soit par un seul acte, soit par plusieurs.
Objections
1. Il semble que la rémission de la faute ne soit pas l'effet de la pénitence en tant qu'elle est vertu. En effet, la pénitence est appelée vertu en tant qu'elle est principe d'un acte humain. Or il n'y a pas d'acte humain qui opère dans la rémission de la faute, car celle-ci est l'effet d'une grâce opérante. Donc la rémission de la faute n'est pas un effet de la pénitence vertu.
2. Certaines autres vertus sont supérieures à la pénitence. Mais la rémission de la faute n'est attribuée à aucune autre vertu comme son effet. Donc elle n'est pas non plus un effet de la pénitence.
3. La rémission de la faute ne se fait qu'en vertu de la passion du Christ, selon l'épître aux Hébreux (Hébreux 9.22) : « Sans effusion de sang, pas de rémission. » Or c'est la pénitence, en tant que sacrement, qui opère en vertu de la passion du Christ, comme les autres sacrements, on l'a vu précédemment. La rémission de la faute n'est donc pas l'effet de la pénitence vertu, mais de la pénitence sacrement.
En sens contraire, la cause propre d'un effet déterminé est la réalité sans laquelle cet effet ne peut pas exister ; car tout effet dépend de sa cause. Or Dieu peut remettre la faute sans le sacrement, mais non sans la pénitence vertu, comme on l'a dit plus haut. C'est ainsi qu'avant les sacrements de la nouvelle loi, Dieu remettait les péchés aux pénitents. La rémission de la faute est donc principalement l'effet de la pénitence vertu.
Réponse
La pénitence est vertu en tant qu'elle est principe de certains actes humains. Mais les actes humains venus du pécheur tiennent lieu de matière dans le sacrement de pénitence. Or tout sacrement produit son effet, non seulement en vertu de sa forme, mais aussi en vertu de sa matière, les deux éléments ne formant qu'une seule réalité sacramentelle. C'est ainsi que la rémission de la faute se fait dans le baptême non seulement en vertu de la forme, mais aussi en vertu de la matière, c'est-à-dire de l'eau baptismale, bien que l'efficacité appartienne principalement à la forme, d'où l'eau elle-même reçoit sa vertu. Il en va de même dans le sacrement de pénitence. La rémission de la faute y est principalement causée par la vertu du pouvoir des clés que possèdent les ministres. C'est d'eux que vient le principe formel du sacrement, comme on l'a dit plus haut. La causalité des actes du pénitent qui relèvent de la vertu de pénitence, vient en second. Il est donc évident que la rémission de la faute, tout en étant l'effet de la pénitence vertu, l'est primordialement davantage de la pénitence sacrements.
Solutions
1. La justification de l'impie est un effet de la grâce opérante, nous l'avons dit dans la deuxième Partie. Dans cette justification, il y a non seulement infusion de la grâce et rémission de la faute, mais il y a aussi un élan du libre arbitre vers Dieu, élan qui est un acte de foi informée par la charité et un mouvement du libre arbitre rejetant le péché, mouvement qui est un acte de pénitence. Toutefois, ces actes humains se présentent ici comme des effets de la grâce opérante, produite en même temps que la rémission de la faute. Il s'ensuit que la rémission de la faute ne se produit pas sans un acte de pénitence Vertu, bien qu'elle soit un effet de la grâce opérante.
2. Dans la justification de l'impie, il n'y a pas seulement un acte de pénitence, mais aussi un acte de foi, comme on vient de le dire. C'est pourquoi la rémission de la faute n'est pas seulement un effet de la pénitence vertu, mais plus primordialement encore un effet de la foi et de la charité.
3. L'acte de la pénitence vertu est en relation avec la passion du Christ, et par la foi, et par sa subordination au pouvoir des clés de l'Église. C'est ainsi que, de ces deux façons, il est cause de la rémission de la faute, en vertu de la passion du Christ.
Quant à l'objection qu'on nous oppose, il faut répondre que l'acte de pénitence vertu a bien ce caractère de nécessité telle que sans lui la rémission de la faute est impossible. Mais cela vient de ce qu'il est un effet inséparable de la grâce, cause principale de la rémission de la faute, cause qui agit dans tous les sacrements. De ce fait, on ne peut donc tirer qu'une conclusion, c'est que la grâce est cause principale de la rémission de la faute, plus encore que le sacrement de pénitence.
Encore faut-il savoir que, même dans l'ancienne loi, et dans la loi de nature, il y avait une manière de sacrement de pénitence, comme on l'a dit précédemment.