Échec à la dépression

RÉTICENCES

La première question que je pose à un malade des nerfs est la suivante : « Voulez-vous guérir aujourd’hui ? Etes-vous décidé à sortir du tunnel sans délai ? Avec détermination ? »

Il semble évident qu’une personne en pleine débâcle et qui voit souffrir son entourage, désire en finir au plus tôt avec ses angoisses et ses obsessions. Rien n’est moins certain. On oppose souvent le silence à cette question apparemment saugrenue, quand elle ne provoque pas de vives réactions. Il m’a été rapporté qu’un malade – chrétien de surcroît – avait été réellement fâché contre moi en m’entendant affirmer que la guérison était pour MAINTENANT.

Qu’il est rare d’obtenir un « non » au tourment et un « oui » au Seigneur vraiment nets. Quand ils sont formulés, je devine des réticences. Le « oui », un oui timide qui n’engage pas, est souvent accompagné d’un « mais » qui le ramène à un « non » déguisé. Souhaite-t-on réellement en sortir ? Aussi longtemps que ce « oui Seigneur ! » ne sera pas « franc et massif », il n’y aura pas d’intervention d’En-Haut.

Mais alors, pourquoi ces réticences et ces oui hésitants ?

Les motifs sont variés. En voici quelques-uns :

1. Refus par ignorance

Un malade peut, en toute bonne foi, tolérer sa dépression parce qu’il ne sait pas qu’elle est l’œuvre du diable et donc qu’il doit refuser angoisses et tourments en s’abandonnant à Jésus-Christ.

Un père me demanda de parler à sa fille qui broyait du noir depuis trois ou quatre ans :

– Je ne sais plus que faire avec elle, me dit-il. Accepteriez-vous de lui parler pour l’aider à guérir ?

J’entamai donc une conversation avec la jeune fille et, une fois éclairé sur son cas, je lui demandai à brûle-pourpoint si elle était disposée à tomber d’accord avec le Père qui voulait sa joie et son équilibre. Sans hésiter une seconde, elle répondit par un « oui » catégorique, presque éclatant. Elle comprit son péché et désira vivement être délivrée pour la gloire de Dieu. Le lendemain, je l’interrogeai :

– Et alors, comment cela va-t-il ?

– Merveilleux ! fut sa réponse. Le Seigneur est puissant qui m’a gardé dans sa victoire. Depuis hier, je n’ai eu qu’une seule fois l’occasion de dire : « Non au tourment ».

2. L’égoïsme

J’ai connu un entraîneur de jeunes, d’ordinaire gentil garçon, gai et dynamique, qui traversait assez fréquemment des périodes sombres au cours desquelles il se montrait susceptible et soupe-au-lait. Lors d’une conversation très libre – il avait sa franchise – il m’avoua soudain :

– Voulez-vous que je vous dise la vérité ? Broyer du noir, moi, j’aime ça !

Se moquait-il de nous ? Certainement pas. Il parlait sérieusement car, en vérité, la dépression faisait de lui un cas intéressant. Il inspirait de la pitié et l’entourage était à ses petits soins. Tout effort et toute démarche désagréable lui étaient épargnés et on le dispensait, avec bonne conscience, d’aller au devant des autres pour les servir ou les secourir. L’entendait-on soupirer ? Aussitôt l’on accourait, soucieux de savoir ce qui l’indisposait. L’entourage s’affairait à son chevet. L’un rétablissait l’oreiller trop enfoncé, l’autre lui relevait la tête et un troisième tirait la couverture ou bordait le lit. Bref ! Il était devenu un centre d’intérêt et cela ne lui déplaisait pas, aussi en profitait-il.

3. Des motifs erronés

Dernièrement, un jeune homme m’a dit naïvement : « Jusqu’à ce jour, j’étais persuadé qu’il était dans le plan de Dieu que je sois ainsi éprouvé et même sur les conseils d’un vieux croyant, je bénissais le Seigneur pour ces longs mois de vague à l’âme. »

Ma réponse ne se fit pas attendre :

– Quel stupide conseil ! Un chrétien peut-il, selon Jacques 1.3, « regarder comme un sujet de joie complète » sa dépression ? Certainement pas. Les angoisses et les tourments qui font justement barrage à la joie, doivent pousser tout malade des nerfs à lancer un vigoureux appel à une urgente délivrance. Une épreuve est de Dieu lorsqu’il est possible de la traverser dans la paix et la victoire (Romains 5.5).

4. L’incrédulité

Certains déprimés refusent la guérison parce qu’ils ont essayé tant de fois sans succès et ont essuyé de telles défaites qu’ils renoncent à croire en la délivrance. Ils se jugeraient même hypocrites de prétendre affirmer qu’ils veulent en sortir sans délai. Ils ont en vain consulté médecins et psychiatres, absorbés des tas de comprimés sans réaliser le moindre progrès et se refusent d’espérer une fois de plus. Le sort s’abat sur eux. C’est ainsi et ils n’y peuvent rien. Ils doivent subir leur malheur et attendre patiemment que ça passe. Mais quand ?

5. Un désir de vengeance

J’ai reçu le « non » catégorique d’une personne qui avait eu une jeunesse difficile. En réaction contre les siens qui, pensait-elle, l’avaient fait souffrir, elle se plaisait à cultiver une maladie qui éprouvait ses parents et lui fournissait le moyen de prendre sa revanche. Sans doute voulait-elle obtenir de la sorte des égards et des soins dont elle croyait avoir été privée jadis. Cette personne devait être amenée à confesser ses mauvais sentiments et à désirer une prompte libération.

6. Une crainte injustifiée

Une dame m’avoua la raison de son refus de guérir. Elle redoutait tout simplement de reprendre un travail qu’elle faisait à contre-cœur, dans une ambiance difficile d’incompréhension et de moquerie. – Tel jeune homme, pour un motif analogue, tremblait à la pensée de devoir réintégrer le milieu familial où il était rudoyé et presque un souffre-douleur. La clinique était sa sécurité, aussi ne souhaitait-il pas vraiment la guérison. – Telle jeune fille faisait des objections parce qu’elle redoutait le retour à la vie active, n’ayant aucune formation ni aucun diplôme qui pouvaient lui assurer une situation honorable. La peur du lendemain lui faisait « aimer » son mal.

7. Une confiance illimitée dans les hommes de science

Une chrétienne repoussa catégoriquement l’idée d’une délivrance immédiate parce que son psychiatre lui avait dit : « Mademoiselle, vous en avez au moins pour deux ans ». Était-ce la confiance qu’elle plaçait en cet homme ou le sentiment de sécurité qu’elle éprouvait de se savoir à l’hôpital, entourée de blouses blanches qui veillaient sur elle ? Je ne saurais le dire. La chose certaine, c’est qu’elle se défiait de Celui-là seul qui pouvait la libérer de ses craintes.

8. La passivité

D’autres dépressifs estiment qu’ils doivent subir leur épreuve jusqu’au bout, sans agir en quoi que ce soit pour hâter la guérison. C’est le cas de cette maman qui, périodiquement, traversait un temps de sombre désarroi. Elle en avait chaque fois pour dix à quinze mois avant de s’en remettre. A tel point qu’elle attendait son mal lorsqu’elle allait encore bien. Aussi, sa réponse à ma question plusieurs fois répétée était-elle invariable :

– Ah, Monsieur, je voudrais bien ! Mais c’est comme ça.

Ne soyons pas dupes. « Je voudrais bien » ne signifie nullement « je veux ». Les pécheurs invités à suivre le Seigneur disent souvent « je voudrais bien avoir la foi que vous avez … » mais ne font rien pour la posséder. N’étant pas réellement décidés à changer de vie, ils demeurent dans leur perplexité sans qu’on puisse accuser Dieu de ne pas répondre à leur vague désir.

9. La pensée d’être une victime

J’ai trouvé sur ma route des gens qui, à la suite d’un grand malheur, ont sombré dans la dépression : revers de fortune, grave injustice, perte d’un être aimé, infidélité du conjoint … De telles personnes se considèrent, souvent à juste titre, comme des victimes de la méchanceté des hommes et, ce qui est impensable, de l’injustice de Dieu. C’est pourquoi, il leur apparaît qu’elles ont le droit d’être tristes, et plus encore le devoir d’entretenir leur détresse qui leur semble justifiée. Que de veuves, de femmes abandonnées, de mères en deuil, de vieillards injustement dépossédés qui cultivent le chagrin et trouveraient choquant d’envisager la consolation. Certes, il y a des larmes légitimes et notre devoir est de pleurer avec ceux qui pleurent. Cependant, même le temps du deuil doit prendre fin (Genèse 23.3). Rester dans ses larmes et entretenir sa douleur est une révolte déguisée. C’est le refus d’accepter le plan de Dieu pour soi. N’est-ce pas Lui qui fait mourir et vivre ?

10. Le dégoût de la vie

Quelques malades, hélas ! refusent catégoriquement d’envisager la guérison en disant : « N’insistez pas. La vie ne m’intéresse pas. Je veux en finir avec une existence insipide qui ne m’apporte que tristesses et déboires. ». Ces déprimés comptent sur la mort pour mettre fin à leur malheur. Quelle illusion tragique. Certains même ont des pensées de suicide, tel ce jeune homme qu’on avait repêché in-extrémis dans le lac et qui me déclarait avec un brin d’arrogance : « A la première occasion je replonge et ce sera, j’espère, pour de bon ! ».

A ces faux ou vrais désespérés qui parlent parfois de suicide avec fanfaronnade, je tiens un langage sévère car il importe qu’ils comprennent combien il est redoutable de rencontrer le Seigneur dans de telles conditions. Franchir ainsi le seuil de la mort c’est se trouver brusquement face à face avec le Dieu de sainteté. Plutôt que de s’apitoyer sur le malade (il aime cela) ou de supplier le suicidaire (il se croirait un personnage important), j’ai le devoir de les avertir solennellement, quand bien même ils devraient être arrêtés par la peur.

Dieu soit loué ! Il y a ceux qui veulent vraiment attendre du Seigneur une prompte délivrance, mais quelle bataille avant que le patient ne capitule. D’ailleurs, il n’est pas rare d’observer une grave rechute après l’entretien. Alors l’entourage s’affole et regrette de m’avoir fait appeler, me déclarant sur un ton de reproche : « Après votre départ, notre garçon s’est montré plus triste et n’a rien voulu dire de toute la soirée. Nous avons essayé de le rassurer en lui disant que vous alliez un peu loin … ». Cette rechute ne doit nullement nous étonner. Chaque fois que l’homme est placé devant un acte d’obéissance à accomplir, il commence par résister. La crise qu’il traverse révèle qu’il a parfaitement compris ce que Dieu attend de lui. C’est bon signe pourvu que la lutte débouche sur un total abandon entre les mains du Tout-Puissant.

11. L’extrême faiblesse

Il y a des cas, je le sais, où le malade est si affaibli, ses douleurs et ses maux de tête sont tels qu’il s’avère incapable de réfléchir, de comprendre et de réagir, incapable semble-t-il de dire « Non » au tourment en regardant au Seigneur. Dieu le sait et sait pourquoi. Il faut ménager de telles personnes, se garder de les accabler de conseils mais les confier au Christ comme jadis les porteurs compatissants amenèrent le paralytique à Jésus (Marc 2.1-12). Il est vrai qu’en cette circonstance l’impotent consentait à guérir, ce qui n’est pas toujours le cas avec les malades que nous visitons.

Persuadons-nous que Dieu ne s’occupe de nos problèmes que si nous les lui confions. Lui refuser cela, c’est se défier de lui et accorder à Satan le droit de nous tourmenter. Au contraire, le « oui » à l’action d’en-haut permet à Dieu d’accomplir en nous un miracle à sa gloire. Que notre volonté soit toujours au diapason de la sienne.

« Que celui qui VEUT prenne de l’eau de la vie, gratuitement … »
(Apocalypse 22.17)

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