Vie de Saint Antoine

AUSTÉRITÉS DE SAINT ANTOINE

Cependant, après avoir vaincu le démon, Antoine ne se relâcha pas, et le démon, après sa défaite, ne cessa pas de lui dresser des embûches. Il rôdait autour de lui comme un lion cherchant l’occasion de surprendre sa proie ; mais Antoine, qui avait appris de l’Écriture que Satan a plusieurs ruses, s’adonnait avec ferveur à la vie ascétique, persuadé que si le démon n’avait pu le séduire par l’attrait des voluptés charnelles, il chercherait à lui dresser des embûches par d’autres moyens, car il ne se complaît que dans le péché. C’est pourquoi le saint solitaire mortifiait toujours son corps et le réduisait en servitude de peur que, vainqueur d’un côté, il ne succombât de l’autre. Il résolut donc de s’habituer à une vie plus austère ; plusieurs s’en étonnaient, lui au contraire en supportait les peines avec plus de facilité, car le zèle prolongé de son âme lui avait procuré une forte constitution ; aussi, la moindre occasion qu’il rencontrait chez les autres solitaires, il la saisissait pour augmenter l’ardeur de ses austérités. Ainsi il prolongeait souvent ses veilles jusqu’à passer des nuits entières sans dormir ; il ne mangeait qu’une fois le jour après le coucher du soleil, souvent il passait deux jours et même quatre jours sans rien prendre ; du pain et du sel faisaient toute sa nourriture, l’eau seule était sa boisson. Quant à la viande et au vin, il est inutile d’en parler, puisqu’on ne trouve rien de semblable chez les vrais solitaires. Pour dormir, une natte lui suffisait, et la plupart du temps il couchait sur la terre nue. Il ne voulut jamais s’oindre le corps d’huile, parce que, disait-il, les jeunes gens doivent plutôt s’adonner à la mortification que de rechercher ce qui amollit le corps, et s’habituer aux travaux en ayant toujours dans la mémoire cette parole de l’apôtre : « Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort. (II Corinth., XII, 10.) » Il disait que la vigueur de l’âme augmentait à mesure que les plaisirs du corps s’affaiblissaient ; il pensait avec raison qu’il ne faut pas mesurer par le temps le chemin de la vertu, ni la retraite par la longueur du chemin, mais par désir et par choix. Jamais il ne rappelait dans son esprit le temps écoulé, mais regardait chaque jour comme le commencement de la vie ascétique ; il s’efforçait par de plus grandes austérités de parvenir à la perfection, et s’appliquait à lui-même ces paroles de saint Paul : « Oubliant ce qui est derrière moi et m’avançant vers ce qui est devant moi. (Philip., III, 14.) » Il rappelait aussi dans sa mémoire cette parole du prophète Élie : « Vive le Seigneur en la présence duquel je suis aujourd’hui (III Rois, XVIII, 15), » car il remarquait qu’Élie, en disant aujourd’hui, ne mesurait pas le temps écoulé, mais que, le considérant toujours comme s’il ne faisait que commencer, il s’efforçait chaque jour de se montrer tel qu’il faut être pour paraître devant Dieu, pur de cœur, prêt à obéir à ses ordres et à nul autre qu’à lui seul ; il pensait qu’un solitaire doit apprendre, d’après l’exemple du grand Élie, à régler sa vie comme dans un miroir.

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