La valise introuvable

LE SERGENT BERTHON

En ce dimanche matin déjà rempli de soleil, un petit auditoire, plus réduit qu’à l’ordinaire, est rassemblé dans la salle du poste. A côté de Maryse, Tante Emma en uniforme, médite, les yeux fermés. Autour d’elle, la fillette découvre des visages connus, et lorsque ses yeux en rencontrent d’autres, elle voit de beaux sourires pleins d’affection qu’elle interprète ainsi : « Tu es des nôtres, Maryse. Tu es chez toi parmi nous ».

Le jeune officier, après quelques lectures bibliques et deux ou trois prières spontanées entrecoupées de petits refrains entraînants, invite les soldats du poste — selon la coutume salutiste — à dire « un mot de témoignage ».

Un moment de silence, rempli d’hésitations et de luttes, succède à cette invitation. Alors, un monsieur d’une cinquantaine d’années, vêtu très modestement, se lève timidement puis vient se placer devant ses amis. Il est ému et cela se voit sur toute sa personne.

— Je suis venu… Heu ! C’est un témoignage… C’est mon témoignage que je veux. Enfin je veux vous dire…

En toute occasion un tel prélude eut déclenché un immense fou rire. Mais personne n’y songe en cet instant, et chacun souffre avec cet homme désemparé.

— Voilà, continue-t-il. Il y a cinq jours de cela, c’était tard. Je venais de lire le chapitre quatre des Philippiens et m’apprêtais à me coucher, harassé après une journée de travail. lorsque j’entends un fracas épouvantable dans le couloir Je bondis à la porte, éclaire l’escalier et que vois-je ? Une fillette qui prend « la défile »… Quelque voleuse sans doute. Que pouvait-elle faire d’autre à une heure pareille ? Alors furieux, je lui crie tout ce qui me passe par la tête et je fonce dans l’escalier, derrière elle. Mais bernique ! Elle est plus leste que moi… et je la vois tourner le coin de la rue. Allez la chercher ! De retour chez moi, pensant à cette scène mouvementée, un verset de la Bible me traverse le cœur comme une flèche. C’est le Saint Esprit qui me parle : « Que votre DOUCEUR soit connue de tous les hommes… » De la douceur ! De la douceur ! Je n’en avais guère. Alors, je vis combien mon cœur était de pierre. J’en fus bouleversé et attristé. J’étais brisé… Je réclamai le pardon de Dieu, sa patience pour l’avenir, son amour… même pour les voleuses. J’en avais terriblement besoin. Oui, chers amis, nous manquons d’amour. Je n’ai pu offrir à cette enfant dépravée que ma colère. C’est affreux ! Je bénis Dieu pour son pardon merveilleux : je sais qu’il m’aidera car je veux aimer comme Lui.

Maryse avait écouté ces paroles avec une émotion grandissante. La petite voleuse, c’était elle. Elle revivait la scène que ce vieux salutiste avait vue du premier étage et qu’il venait d’évoquer si simplement. Cet homme timide et humilié, c’était le locataire tant redouté, la brute qui l’avait mise en fuite.

De son côté, tante Emma qui devine le trouble de l’enfant, a tout compris elle aussi. Le sergent Berthon, c’est le bonhomme acariâtre… Elle prend discrètement la main de Maryse et la serre vivement, sans détourner la tête. Ce geste signifie : « on a saisi ».

L’amen final prononcé, tandis que les gens se retirent sans bruit ou se rapprochent pour converser ici ou là dans la salle, Tante Emma appelle le sergent Berthon :

— Dites, sergent, voici votre voleuse !

Maryse ne sait où se mettre. La voilà traitée publiquement de voleuse !

— Que dites-vous ? s’écrie le gros monsieur tout surpris.

— Oui, c’est elle. Mais pour être vrai, ce n’est pas une voleuse.

Et brièvement, Tante Emma explique l’odyssée de sa protégée. Un groupe s’est rapidement formé autour d’eux, très intéressé par cette aventure dont Maryse est l’héroïne. Un brin d’orgueil monte en son cœur !

Le sergent regarde l’enfant avec une réelle affection. Ce locataire grincheux est un brave homme, des plus sympathiques en somme.

— Alors, c’est toi ?

— Oui, Monsieur.

— Ah ! tu m’as fait courir, tu peux l’dire. Maintenant que je t’connais, je regrette d’autant plus mes cris et mes menaces. Dire que j’aurais pu, ce soir-là, t’accueillir dans ma demeure et t’éviter ainsi tes aventures de la nuit. Tu me pardonnes, je pense.

— Oh ! bien sûr ! Maryse est touchée par cet homme si bon malgré tout.

— Mais alors, poursuit Tante qui ne perd pas le nord, vous devez bien connaître les parents de Pierrot ? Ce sont vos voisins.

— Naturellement ! Qui ne les connaît pas ? Que trop ! On les connaît par leurs cris, et par leurs disputes quasi quotidiennes. Vraiment, ma chère enfant, tu étais tombée dans un drôle de milieu. Si on les connaît ! Seulement, on n’ose guère les approcher, c’est pourquoi… On les connaît peu.

— Eh bien ! nous irons les voir cet après-midi, suggère Tante Emma, bien décidée. Nous irons après le repas, pas vrai Maryse ?

Maryse approuve sans enthousiasme. Elle se sent gênée de devoir retourner dans cette maison.

— C’est entendu, nous irons tout à l’heure.

Et chacun se sépare, après une bonne poignée de main.

— C’était quand même un beau témoignage ! dit Tante qui se faufile à travers la foule endimanchée.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant