Biographie de Robert Murray Mac-Cheyne

I.
Jeunesse – préparation au ministère évangélique

Il y en aura beaucoup qui se réjouiront de sa naissance, car il sera grand devant le Seigneur.

(Luc 1.14-15)

Dans un temps d’agitation et d’activité inquiète comme le nôtre, le chrétien et surtout le ministre de l’Évangile a besoin de fixer souvent les yeux sur tout ce qui peut lui communiquer le calme et le recueillement ; et nous espérons que ce ne sera ni sans intérêt, ni sans profit, que l’on nous suivra dans l’étude d’une vie bien courte, mais qui, dans sa dernière période surtout, fut remplie de paix et d’une communion presque ininterrompue avec Dieu.

1.

Robert Murray Mac-Cheyne naquit le 21 mai 1813. Pour nous qui pouvons regarder en arrière vers le passé, il est évident que le Seigneur se préparait alors à bénir abondamment les églises d’Écosse. Des hommes de Dieu éminemment doués, apparurent pour plaider la cause de Christ. La croix fut relevée avec hardiesse au milieu d’églises qui en avaient eu honte pendant longtemps. Nos écoles de théologie subirent l’influence de ce mouvement, et on y vit prévaloir, après quelques années, une plus grande spiritualité et un sérieux plus réel. C’est au milieu de ces événements, précurseurs de la lumière que le Seigneur allait répandre sur notre pays, que parut dans le monde celui dont nous racontons la vie. Personne ne supposait qu’un enfant venait de naître auquel des centaines d’âmes regarderaient plus tard comme à leur père spirituel, néanmoins « beaucoup devaient se réjouir de sa naissance, » car elle allait devenir pour l’Écosse une de ces bénédictions semblables aux ondées fertilisantes sur une terre altérée et sans eau.

Les parents de Mac-Cheyne habitaient Édimbourg. Dernier-né de la famille, il fut appelé Robert Murray, du nom d’un de ses parents.

Dès son enfance, chacun était frappé de son caractère doux et affectueux. D’une intelligence extrêmement vive, il comprit et retint facilement les premières leçons qui lui furent données, et l’on reconnut de bonne heure en lui quelques-uns des dons spéciaux qui le distinguèrent plus tard. A l’âge de quatre ans, pendant sa convalescence d’une maladie, il choisit pour amusement l’étude de l’alphabet grec, dont il se rendit maître en peu de jours, assez bien pour pouvoir en nommer toutes les lettres et les écrire sur l’ardoise, d’une manière encore bien informe, il est vrai. Un an plus tard, il fut placé dans une école élémentaire où il ne tarda pas à faire de rapides propres et à surpasser tous ses camarades par sa belle voix et la manière douce et sentie avec laquelle il récitait. A cette époque, on profitait le dimanche des heures d’intervalle entre les deux services pour faire un catéchisme, et ce temps n’est pas assez éloigné pour que bien des personnes n’aient conservé le souvenir de l’intérêt qu’excitait l’enfant dans l’auditoire, par ses récitations aussi correctes que mélodieuses de Psaumes ou d’autres portions des saintes Écritures. Et cependant il ne connaissait pas encore le Seigneur, il vivait pour lui-même, « n’ayant point d’espérance et sans Dieu dans le monde. »

Il entra au collège en 1821, et y continua ses études littéraires pendant la période habituelle de six ans, se distinguant surtout dans la géographie et dans la récitation. Ce fut dans la dernière année seulement de son séjour au collège qu’il s’aventura à composer des poésies. Le premier sujet qu’il traita fut : « La Grèce et sa décadence. » Cette pièce est surtout caractérisée par un enthousiasme ardent pour la liberté et pour l’héroïsme des Grecs ; car son âme ne s’était point encore élevée à de plus hautes pensées. Ses amis d’enfance parlent encore de lui comme ayant alors déjà une individualité tout à fait remarquable. Grand, bien proportionné, d’une taille élancée qui annonçait l’élasticité et la vigueur ; enthousiaste du beau et ambitieux, il n’avait que dédain et mépris pour tout ce qui revêtait quelque apparence de bassesse ou d’hypocrisie. Beaucoup de personnes le jugeant sur les apparences auraient pu le croire chrétien, mais à tort ; car cet esprit si fin et si impressionnable n’avait pas encore pris son plaisir dans des joies plus relevées que celles que peut procurer la fréquentation d’une société aimable et cultivée : il était passionné pour la danse et pour la musique. Lui-même considéra plus tard cette époque de sa vie comme un temps où il était étranger à toute piété, où il avait une conduite morale, mais un cœur rempli de pharisaïsme. Nous lui avons entendu dire à lui-même qu’il mettait dans ses dévotions publiques ou particulières une telle exactitude et une si grande convenance, que beaucoup de personnes qui ne connaissaient pas son cœur, étaient disposées à y voir l’expression extérieure d’une piété réelle. Lorsqu’il fut plus tard appelé à paître des âmes, cette expérience de son propre cœur le porta à ne jamais s’en tenir aux signes extérieurs de la piété. Il avait éprouvé combien une âme morte encore à toute conviction de péché peut trouver à se satisfaire dans l’accomplissement des pratiques de la religion, par suite d’un sentiment orgueilleux d’intégrité et d’une dévotion sentimentale agissant sur l’imagination, sans changer le cœur.

Passionné pour la campagne, il avait l’habitude de passer la plus grande partie de ses vacances d’été dans le Dumfriesshire, et ses amis de Ruthwel et du voisinage ont conservé un vivant souvenir du jeune étudiant. Le tour poétique de son esprit lui faisait rechercher avec ardeur toutes les scènes de la nature propres à impressionner l’âme, et il conserva toute sa vie un grand goût pour les courses aventureuses. Pendant l’été, il faisait de fréquentes excursions avec son frère ou avec quelqu’un de ses amis pour visiter les lacs et les monts de nos Highlands (partie montagneuse de l’Écosse) ; il nourrissait ainsi pour les voyages un penchant naturel qui lui fut bien utile par la suite. Dans une de ces courses, les voyageurs eurent une aventure assez romanesque. Le jeune Mac-Cheyne et son ami s’étaient mis en route pour explorer à loisir Dunkeld et les montagnes avoisinantes. Ils passèrent un jour à Dunkeld et se remirent en marche le soir, au moment où le soleil allait se coucher, dans l’intention de traverser les montagnes qui les séparaient de Strathardle. Un épais brouillard ne tarda pas à envelopper toute la montagne. Ils hâtèrent le pas et perdirent dans leur précipitation le sentier qui conduisait dans la vallée. Les deux amis ne savaient où diriger leurs pas pour trouver une habitation. La nuit vint et il ne leur resta d’autre ressource que de se coucher dans la bruyère, sans autre couverture que leurs habits. Ils souffraient de la faim et du froid. Lorsqu’ils se réveillèrent au milieu de la nuit, le silence solennel de ces monts solitaires leur fit éprouver une frayeur étrange. Toutefois, se couchant de nouveau, ils se serrèrent l’un contre l’autre et dormirent du sommeil de l’enfance jusqu’au moment où le cri de quelque oiseau et la rosée du matin les réveillèrent.

2.

Mac-Cheyne fit son entrée à l’Université en novembre 1827, et remporta quelque prix dans chacune des classes qu’il parcourut. Il consacra le temps qui lui restait après s’être préparé pour ses cours, à l’étude des langues modernes, délassant son esprit par des exercices de gymnastique qui étaient pour lui la source de grands plaisirs. Il dessinait fort bien, et se préparait sans le savoir à esquisser plus tard les paysages de la Terre-Sainte. De plus il comprenait la musique d’une manière remarquable et chantait avec une aisance et un goût qui ne pouvaient manquer de lui attirer les suffrages des connaisseurs. Cela aussi était un don qu’il employa au service du Seigneur, don qui vivifiait merveilleusement ses dévotions secrètes et lui permit de conduire les cantiques de louanges de l’assemblée toutes les fois que cela fut nécessaire. La poésie fut constamment pour lui la source de grandes jouissances. Les talents qu’il y déploya ne tardèrent pas à attirer l’attention, et dans la classe de philosophie morale le professeur Wilson lui décerna un prix pour son poème sur « les signataires du Covenant. »

Pendant l’hiver de 1831, il commença à suivre les cours de théologie du docteur Chalmers et ceux d’histoire ecclésiastique du docteur Welsh. Ici l’on se demande tout naturellement par quel motif il en vint à désirer d’annoncer la bonne nouvelle à ses frères. Pouvait-il dire, comme Robert-Bruce : « Il a fallu premièrement que la grâce s’emparât de moi, pour que j’obéisse à ma vocation pour le ministère ?  » Il est peu de questions plus intéressantes, et la réponse que nous y ferons dévoilera quelques-unes des voies merveilleuses de celui dont le chemin est par la mer et les sentiers dans les grosses eaux, et dont on ne peut reconnaître les traces (Psaumes 77.19) ; car le même événement qui réveilla dans son âme le sentiment réel de sa misère et de son péché, le conduisit à se consacrer au ministère évangélique.

Pendant les années qu’il consacra à ses études littéraires et philosophiques il reçut quelques impressions sérieuses, mais aucune ne pénétra bien avant dans son cœur. Il est hors de doute que lui-même regardait la mort de son frère aîné, David, comme l’événement qui l’arracha à son sommeil de mort et introduisit dans son cœur le premier rayon de la lumière divine. C’est ainsi que le Seigneur appelait une âme à jouir des trésors de sa grâce au moment où il en faisait entrer une autre dans la gloire.

Ce frère, son aîné de huit ou neuf ans, fut un monument de la grâce divine qui brilla devant les hommes avec une beauté saisissante bien rare de nos jours. Riche de connaissances aussi étendues que variées, il avait été nommé employé à la chancellerie royale peu après avoir terminé ses études préliminaires. Un des traits les plus remarquables de son caractère était son amour pour la vérité, sa droiture d’une exquise délicatesse. Sa figure ne tardait guère à s’attrister si les paroles prononcées en sa présence contenaient la plus légère exagération ; et un récit fût-il vrai, il suffisait pour le mettre mal à l’aise que le narrateur le fît à un point de vue outré ou faux. Non seulement il éprouvait le besoin de dire lui-même la vérité, mais aussi que son interlocuteur la saisît tout entière. La plus grande partie de ses heures de loisir était consacrée aux plus jeunes membres de sa famille. Rempli de tendresse et d’affection, on dit que lorsque ceux-ci l’avaient attristé en résistant à ses conseils, son regard avait quelque chose de si doucement persuasif, qu’en définitive il réussissait toujours à gagner ceux auprès desquels les paroles n’avaient eu aucun effet. Il intercéda par beaucoup d’ardentes prières à Dieu en faveur de son frère, alors complètement entraîné par le torrent du monde. Malheureusement une mélancolie profonde, produite en grande partie par un mal physique qui le rongeait, s’empara de l’âme de David et en rompit tous les ressorts. C’est ainsi qu’il se traîna bien des mois dans une affreuse tristesse, jusqu’à ce qu’enfin les peines de son âme en eurent usé l’enveloppe. Pourtant la lumière brilla encore en lui avant sa mort. La joie résultant de la contemplation de son Père céleste entièrement réconcilié resplendit à la fin sur ce visage altéré par la souffrance, et la paix de ses derniers jours fut une douce consolation pour ses amis lorsqu’il s’endormit au Seigneur le 8 juillet 1831.

L’Esprit-Saint se servit de la mort de David Mac-Cheyne et des circonstances qui l’avaient accompagnée, pour produire une impression profonde sur l’âme du jeune Robert. Le caractère des deux frères se touchait par bien des côtés, et jusque par le goût qu’ils avaient l’un et l’autre pour la poésie. La vivacité de l’esprit toujours actif et enjoué du jeune Robert présentait le point de contraste le plus saillant. Ce trait de caractère le rendait éminemment propre à une carrière publique, pourvu qu’une discipline morale vînt y ajouter le sérieux. L’affliction produisit exactement cet effet. Peu de mois auparavant il s’était opéré un grand vide dans le cercle si heureux jusqu’alors de la famille Mac-Cheyne, par le départ pour les Indes du second frère, engagé au service médical du Bengale ; mais lorsque dans le courant de l’été David leur fut enlevé pour toujours, ce coup produisit des impressions ineffaçables, tout au moins dans le cœur de Robert. Naturellement passionné dans ses affections, son âme fut bouleversée par cette dispensation. Il semble que ses heures de solitude furent souvent remplies de celui qui était entré dans un monde meilleur. Du moins dans quelques poèmes retrouvés récemment, il en parle d’une manière extrêmement touchante et avec une vigueur et une hardiesse de style peu communes. Quelque temps après la mort de son frère, il essaya d’esquisser de mémoire cette figure qui était si bien gravée dans son cœur ; mais après plusieurs essais, désespérant d’y atteindre, il jeta son crayon, saisit la plume et laissa déborder sur le papier le trop-plein de son cœur. Rien ne pourrait mieux que ces vers donner une idée de l’impression profonde que cet événement avait faite sur lui. Mais ce n’était ni un regret passager, ni « une tristesse selon le monde. » Il avait dix-huit ans lorsque son frère mourut, et si ce ne fut pas l’année de sa nouvelle naissance, tout au moins fut-ce l’époque où les premiers rayons de l’étoile du matin pénétrèrent dans son âme. A partir de ce jour, ses amis observèrent en lui un changement progressif. Ses poésies devinrent de plus en plus sérieuses, et sa vie tout entière fut évidemment dominée par un autre esprit. Il devint sous-maître dans une école du dimanche, et commença à chercher Dieu de tout son cœur en lisant assidûment la Parole et en saisissant toutes les occasions d’entendre des prédications fidèles.

Les allusions fréquentes qu’il fit à cette époque pendant les derniers jours de son existence, montrent combien cette partie de sa vie lui paraissait importante à lui-même. Un an plus tard il écrit dans le journal où il consignait ses impressions quotidiennes : « Il y a un an ce matin que mon amour pour le monde reçut le premier échec vraiment écrasant : combien il a été béni pour moi, toi seul le sais, ô mon Dieu, qui l’as fait servir à mon bien ! » Chaque année il marque ce jour comme un de ces anniversaires auxquels on tient ; de temps à autre les souvenirs de cette époque inondent son âme comme un torrent. Dans une lettre à un ami, du 8 juillet 1842, sur un sujet purement local, il ajoute en post-scriptum : — « Il y a aujourd’hui onze ans que mon bienheureux frère David est entré dans son repos, à l’âge de vingt-six ans. » Et le même jour, répondant à une demande de l’un des membres de son troupeau de Dundee, il termine son billet en disant : — « Priez pour moi, afin que je devienne plus saint et plus rempli de sagesse, moins moi-même et ressemblant davantage à mon divin Maître ; que ma vie ne me soit point précieuse, et qu’ainsi je puisse consommer avec joie ma course (Actes 20.24). Il y a aujourd’hui onze ans que j’ai perdu un frère tendrement aimé et que j’ai commencé à chercher un frère qui ne peut mourir. »

Ce ne fut qu’à un petit nombre d’amis, dont les sentiments étaient en harmonie avec les siens, qu’il ouvrit son cœur sans réserve. A cette époque, il était bien rare que les âmes inquiètes de leur salut recherchassent les conseils de leur pasteur, en lui soumettant leur état avec simplicité. Une réserve de convention régnait même parmi les chrétiens vivants et fidèles. Il semblait presque qu’ils eussent honte du Fils de l’homme. Cette réserve lui parut extrêmement condamnable ; et il en sentit si bien tout le mal, qu’il fut toujours attentif par la suite à encourager les âmes troublées à s’ouvrir librement à lui. Quoi qu’il en soit, nous avons quelques données sur la nature de ses premières expériences chrétiennes. Quelques anciens condisciples étaient réunis un jour, je ne sais à quelle occasion, et nous nous racontions les uns aux autres les dispensations variées du Seigneur à l’égard de nos âmes, et comment il nous avait amenés à lui tous à peu près dans le même temps, mais pourtant sans l’intervention directe de quelque événement extraordinaire. Mac-Cheyne nous dit alors que sa conversion n’avait été rien moins que soudaine : il avait été conduit à Christ par des convictions qui, bien que profondes et durables, n’en avaient pas moins été exemptes de tout sentiment de terreur et de détresse. C’est en cela que nous voyons la souveraineté de la grâce de Dieu. En amenant une âme au Sauveur, le Saint-Esprit la conduit invariablement à avoir une conscience pleine et entière de son péché ; mais il rend ce sentiment intérieur de condamnation plus douloureux et plus intolérable pour les uns que pour les autres. Néanmoins il est un point sur lequel tous les pécheurs sauvés sont d’accord : c’est que leur âme ne leur présentait plus qu’un abîme de péché lorsque leur apparut la grâce salutaire de Dieu.

Le Saint-Esprit poursuivit son œuvre dans l’âme de Mac-Cheyne en lui donnant la conviction de plus en plus profonde de son impiété et de son entière corruption naturelle. Et pendant toute sa vie, il considéra le péché originel non comme une excuse, mais comme une aggravation de ses péchés journaliers. En cela, il était d’accord avec David, disant, inspiré parle Saint-Esprit : « Je connais moi-même mes rébellions, et mon péché est constamment devant moi. » (Psaumes 51.4)

3.

La lumière ne brilla d’abord que bien faiblement et bien lentement ; si lentement que, pendant un espace de temps considérable, Mac-Cheyne se laissa facilement entraîner dans l’occasion à prendre part à des plaisirs tout à fait mondains. Même après qu’il eut commencé ses études théologiques, on pouvait encore l’engager à prendre part à des joies frivoles. Cela dura bien deux ans, mais un trouble croissant s’emparait de son cœur. Quand il s’était laissé entraîner par des dissipations mondaines, nous le trouvons écrivant des lignes comme celles-ci : — « 14 septembre. Oh ! puisse ma vie renfermer peu de souvenirs semblables à celui-ci ! » — « 9 décembre. J’ai une épine dans le côté et beaucoup de tourment. » Ses yeux s’ouvrant de plus en plus sur le mal de ses plaisirs, il devient plus explicite. — « 10 mars 1832. J’espère ne plus jamais jouer aux cartes. » — « 28 mars. Je ne ferai plus de visites le dimanche soir. » — « 10 avril. Je ne suis pas allé au bal, mais les reproches sont difficiles à endurer. Il faut pourtant que j’essaie de porter la croix. » Il est probable que c’est au souvenir de ces fluctuations et de ces retours si fréquents au monde, qu’il écrivait, le 8 juillet 1836 : « Il y a cinq ans ce matin que mon bien-aimé frère David est mort, et que j’ai connu pour la première fois le vrai déchirement du cœur. Toutefois, cela m’était bon. Ah ! que je n’ouvre point la bouche, car c’est toi qui l’as fait ! et l’épreuve m’a été en bénédiction. Je ne sache pas qu’aucun homme ait jamais abusé d’une dispensation de Dieu autant que moi de celle-ci. Mais là où le péché s’est multiplié, la grâce a surabondé. »

Pour nous, qui connaissons le résultat de ce travail intérieur, il semble que le Seigneur permit qu’il se creusât bien des citernes crevassées, et qu’il goûtât l’amertume de bien des sources terrestres, afin qu’arrivé à la source d’eaux vives, il pût la mieux montrer à ce monde auquel il avait renoncé pour toujours, et lui rendre témoignage de l’excellence des biens qu’il avait trouvés, en même temps que de leur infinie supériorité sur ceux qu’il abandonnait.

M. Alexandre somerville, plus tard pasteur à Glascow, ami intime de Mac-Cheyne, avait été de moitié dans tous les plaisirs de sa jeunesse. Amené, lui aussi, et à peu près dans le même temps, à goûter les puissances du siècle à venir, il s’associa de nouveau à son ami pour rechercher des joies meilleures et plus durables. Ils se réunissaient souvent pour étudier la Bible dans la version grecque des Septante ou dans l’original hébreu. Mais ils se rencontraient bien plus fréquemment encore pour prier ensemble et converser sur des sujets pieux. Toutes leurs études se poursuivaient dans cet esprit, les deux amis s’encourageant mutuellement à chacun des pas qu’ils faisaient dans la voie étroite.

Mac-Cheyne pense avoir tiré grand profit des recherches qu’il fit à cette époque au sujet de l’élection et de la libre grâce de Dieu. Ce fut surtout la lecture du Résumé de la Science du Salut (Sum of Saving Knowledge), ordinairement joint à la confession de foi de l’église d’Écosse, qui l’amena à l’intelligence claire de l’unique moyen d’être reçu en grâce devant Dieu. Les personnes qui connaissent la manière admirable dont la vérité y est exposée, comprendront combien cet écrit était propre à diriger une âme désireuse de lumière. Quelques années plus tard, il écrivait : — « 11 mars 1834. Lu le Résumé de la Science du Salut ; c’est le premier écrit dont la lecture ait opéré un changement salutaire en moi. Avec combien d’ardeur n’en renouvellerais-je pas l’étude, si ce changement pouvait être amené à la perfection ! » On observera que, malgré toutes ses convictions de péché, il n’estima son âme sauvée que du moment où il fut entré dans le sanctuaire, en s’appuyant uniquement sur l’œuvre du Rédempteur ; croyance tout à fait scripturaire, car le pécheur est sous la condamnation jusqu’à ce qu’il soit allé au Père par le chemin que lui a ouvert Jésus. La connaissance de son péché, le sentiment de sa misère et de son danger, quelque grands et quelque amers qu’ils soient, ne peuvent l’éloigner d’un seul pas de l’étang ardent de feu et de soufre. C’est « celui qui vient à Christ » qui est sauvé.

David Mac-Cheyne, son frère, avait eu une haute estime pour le ministère évangélique, et il avait l’habitude d’en parler comme de la plus excellente et la plus bénie de toutes les œuvres. L’espérance de voir son frère cadet devenir un jour ministre de Christ, le transportait de joie, et il l’exprimait souvent. Ses paroles avaient eu de l’influence sur l’esprit de Robert et lui avaient donné quelque penchant pour le ministère. Aussi lorsqu’un changement se fut opéré en lui, que ses yeux devinrent capables de sonder le ciel et l’enfer, et que son cœur sentit l’amour d’un Dieu réconcilié, sa première pensée fut-elle de consacrer sa vie à proclamer le salut.

4.

Peu de mois avant la mort de son frère, il avait commencé à prendre note de ses études et de la manière dont il employait son temps ; mais pendant un laps de temps considérable ce journal ne contient que les petits incidents de sa vie de tous les jours, et, le dimanche, le texte des sermons qu’il avait entendus. Pendant cette période, une pensée sérieuse étincelle au milieu de l’obscurité, mais c’est la seule. A l’occasion des funérailles du docteur André Thomson, il parle de l’affliction profonde et universelle causée par cette mort, et il ajoute : « J’ai été très heureux de voir à quel point la mort d’un homme aussi digne a été sentie dans la population. Les temps sont bien changés depuis dix-huit siècles, alors que Joseph d’Arimathée allait en secret supplier qu’on lui remît le corps de Jésus, et que Nicodème et lui furent seuls à le porter dans son tombeau. »

C’est à la fin de l’année que l’on observe les traces d’un changement décisif. Dès lors, on trouve souvent, au milieu des lignes froides et sèches dont se compose son journal, des expressions qui font du bien et deviennent de moins en moins rares à mesure qu’on avance. En voici quelques spécimens :

12 novembre. — Lu la vie de Henri Martin. Oh ! que je voudrais pouvoir l’imiter, et abandonner père, mère, patrie, santé, vie, tout au monde pour l’amour de Christ. Et qu’est-ce qui m’en empêche ? O Seigneur ! purifie-moi et donne-moi la force de me consacrer à toi tout entier.

8 décembre. — Lu la vie de Legh Richmond. Pœnitentia profunda, non sine lacrymis. Nunquam me ipsum, tara vilem, tam inutilem, tam pauperem et præcipue tam ingratum, adhuc vidi. Sint lacrymæ dedicationis meæ pignora. (Repentir profond, non sans larmes. Jamais encore je ne me suis vu aussi vil, aussi inutile, aussi pauvre, et par-dessus tout aussi ingrat. Puissent ces larmes être le garant de ma consécration à Dieu !)

Dans ces premiers temps de renaissance religieuse, on rencontre fréquemment, au milieu d’autres sujets, quelque pensée exprimée en latin ainsi que la précédente. Il est probable que c’était afin de pouvoir jeter plus librement sur le papier ses préoccupations les plus intimes.

9 décembre. — Entendu un prédicateur de carrefour à l’accent étranger. Il paraissait réellement prendre sa tâche au sérieux. Il prononça ce passage remarquable : « L’Esprit et l’épouse disent : Viens ! et que celui qui entend, dise : Viens ! » paroles dont il semblait vouloir tirer son autorité. Ah ! que j’apprenne de cet homme à être un ferme témoin de la vérité et à mépriser les moqueries du monde.

18 décembre. — Après avoir passé une soirée avec un peu de légèreté, il écrit : « Mon cœur doit rompre avec toutes ces choses. De quel droit puis-je voler le temps de mon Maître et en abuser ? Rachète-le ! me crie-t-il. »

25 décembre. — Mon âme n’est point encore fixée fermement sur le Rocher des siècles.

12 janvier 1832. — Cor non pacem habet. Quare ? Peccatum apud fores manet. (Mon cœur n’a pas encore la paix. Pourquoi ? Le péché est à la porte.)

25 janvier. — Journée délicieuse. — On annonce au delà de quatre-vingts cas de choléra à Musselbourgh. L’épidémie s’approche de plus en plus, en rampant comme un serpent ! Qui en sera la première victime ici ? Que ton bras éternel nous couvre de son ombre et nous serons épargnés.

29 janvier. Dimanche. — Cette après-midi, j’ai entendu M. Bruce (alors pasteur à Edimbourg) sur Malachie 1.2-6. « La charge de la parole de l’Éternel contre Israël, par Malachie. Je vous ai aimés, a dit l’Éternel ; et vous avez dit : — En quoi nous as-tu aimés ? Esaü n’était-il pas frère de Jacob ? dit l’Éternel. Or, j’ai aimé Jacob, mais j’ai haï Esaü, et j’ai mis ses montagnes en désolation et son héritage pour les dragons du désert. Que si Edom dit : Nous avons été appauvris, mais nous retournerons et rebâtirons les lieux ruinés : l’Éternel des armées dit ainsi : Ils rebâtiront, mais je détruirai, on les appellera : Pays de méchanceté, et le peuple contre lequel l’Éternel est indigné à jamais. Vos yeux le verront et vous direz : L’Éternel se magnifie sur ceux qui sont aux frontières d’Israël. Le fils honore le père, et le serviteur son seigneur ; si donc je suis Père, où est l’honneur qui m’appartient ? et si je suis Seigneur, où est la crainte que l’on a de moi ? a dit l’Éternel des armées, à vous, sacrificateurs, qui méprisez mon nom ? Et vous avez dit : En quoi avons-nous méprisé ton nom. » C’est là justement ce qui constitue l’aggravation du péché de l’homme irrégénéré, qu’il a de l’affection pour ses parents et du respect pour ses maîtres terrestres, et rien de tout cela pour Dieu. Excellent discours.

2 février. — Pas une seule chose qui vaille un souvenir ! Et pourtant il faudra rendre compte de ces vingt-quatre heures.

5 février. Dimanche. — Dans l’après-midi, après avoir entendu M. Martin de l’église de Saint-Georgesa, il écrit en revenant chez lui : — « O quam humilem, sed quam diligentissimum ; quam dejectum, sed quam vigilem, quam die noctuque peccantem, decet me esse quum taies viros aspicio ! (Quand je vois de tels hommes, oh ! combien je désire de devenir humble et pourtant actif, abaissé et pourtant vigilant ; rempli d’un esprit de prière continuel !) »

a – Il dit de M. Martin, dans une antre occasion et après sa mort, — 8 juin 1834. « C’était un homme grandement aimé et dont le monde n’était pas digne. Un homme apostolique. » La sainteté calme et profonde de Mac-Cheyne lui-même se rapprochait à bien des égards de celle de M. Martin. (Note de l’auteur.)

Dès cette date il paraît suivre, ainsi que son ami somerville, presque exclusivement les prédications publiques de M. Bruce. Il prit des notes étendues de ses sermons et de ses méditations, notes que nous avons retrouvées parmi ses papiers.

28 février. — Conversation calme et grave. Combien volontiers ne l’aurais-je pas dirigée vers le plus intéressant de tous les sujets ! J’en ai été détourné par une lâche timidité, et cependant : — « Quiconque aura eu honte de moi et de mes paroles, le Fils de l’homme aura honte de lui, quand il sera venu dans sa gloire et celle du Père et des saints anges. »

Il apprit à cette époque qu’une jeune personne dont la famille était liée d’amitié avec la sienne, avait déclaré « être déterminée à ne pas renoncer au monde. » Il en conçut une grande tristesse et l’exprima dans quelques strophes pleines d’une poésie mélancolique, dont nous aurions donné une traduction si nous n’avions craint d’en altérer tout le charme.

6 mars. — Vent d’orage et pluie tout le jour. Classe d’hébreu, traduction et explication des psaumes. J’y découvre de nouvelles beautés chaque fois que je les lis dans l’original. Le docteur Welsh a pris pour sujet de sa leçon la lettre de Pline sur les chrétiens de Bithynie. Entendu le professeur Jameson sur le quartz. Le docteur Chalmers a puissamment réfuté les arguments de Hume. Soirée. Pris des notes et fait peu de choses outre cela. Affaissement de corps et d’esprit. — Ceci est un spécimen des notes qu’il prenait chaque jour sur ses études.

20 mars. — Après quelques phrases latines finissant par les mots : « In meam animam veni, Domine Deus omnipotens, » il écrit : — « Comme je m’appuyais sur un soutien de mon invention, il m’a manqué et s’est brisé sous moi. Ce n’était pas ton bâton, ô Seigneur ! J’avais follement résolu d’être Dieu, et tu m’as montré que je n’étais qu’un homme. Mais puisque mon soutien propre est brisé, pourquoi ne me saisirais-je pas du tien ? — Lu une partie de la vie de Jonathan Edwards. Combien la lumière de mon christianisme paraît faible à côté d’un pareil soleil ! Toutefois son éclat était aussi emprunté et la même source est toujours ouverte pour illuminer mon entendement. »

8 avril. — Trouvé beaucoup de paix en Celui qui s’est chargé de tous nos fardeaux.

26 avril. — Ce soir je me suis hasardé à briser la glace d’un silence antichrétien. Pourquoi, dans des matières aussi sacrées, l’égoïsme ne serait-il pas enseveli au plus profond de la mer ?

6 mai. — Samedi soir. Le lendemain il devait prendre la Cène, et au moment de s’approcher de nouveau de la table du Seigneur pour déclarer qu’il est à Christ, il fait l’examen de son état spirituel. Lorsqu’un an auparavant il avait fait sa première communion, sa conscience était à l’aise et il n’avait pas compris le sérieux de cet acte. Maintenant il s’assied, et regardant en arrière il écrit ses impressions à mesure que l’état de son âme lui est dévoilé : « Quelle masse de corruption je suis ? J’ai passé ma vie presque tout entière sans Dieu dans le monde, esclave de mes sens et de toutes les choses périssables qui m’entouraient. Sensible et passionné, comme je le suis, ma piété a été et est encore bien mélangée de ces éléments terrestres. Retenu par mon éducation et par la crainte des hommes loin du vice déclaré et ouvert, combien l’impiété n’a-t-elle pas régné dans mon cœur ? Combien souvent cette impiété n’a-t-elle pas renversé toutes les barrières, se montrant au jour par la colère et la convoitise, par des ambitions insensées et des paroles profanes ? Quoique toujours décent dans ma conduite, avec quelle subtilité le mal ne s’est-il pas emparé de moi, et quelle prépondérance terrible n’a-t-il pas eue ! Mes dimanches surtout s’élèvent en témoignage contre moi. Une partie de ce jour seulement était consacrée au service de Dieu et le reste se passait dans l’ennui et le dégoût. Longtemps je l’ai souillé par mes hypocrisies, mes vanités, mes pensées mondaines et mes amis mondains. Quel formalisme et quelle nonchalance dans la lecture de la Bible, et combien peu j’en lisais, — si peu qu’à l’heure qu’il est, je ne l’ai pas encore lue tout entière ! Quelle ardeur d’obéissance à toutes les impulsions extravagantes de mon cœur ! Et combien la créature n’était-elle pas plus aimée que le Créateur ? Oh ! mon Dieu, tu connais toutes ces choses, toi qui m’as supporté alors que je te déshonorais ! Ta main seule pouvait me sortir de cette mort où je restais volontairement ; tout mon désir n’était-il pas d’échapper au Berger qui me cherchait dans mon égarement ? mais il m’a pris dans ses bras et m’a ramené, non qu’il ait trouvé rien de bon en moi, car je n’étais pas plus propre à le servir que l’idolâtre, et pas plus digne que lui d’être choisi et appelé. Cependant pourquoi douterais-je que Dieu ne puisse et ne veuille me recevoir ? — J’ai l’assurance qu’il peut et qu’il veut. Mais peut-être mes péchés sont-ils trop grands et mon incrédulité trop manifeste ? Ah ! si je vais à Christ, ce n’est pas quoique je sois pécheur, mais parce que je suis un pécheur, et même le plus grand de tous. » — Plus loin il ajoute : — « Quoique l’imagination et un enthousiasme naturel puissent avoir une grande influence sur moi, je crois pourtant que mon âme est sincère et désire sérieusement tout ce qui peut la mettre au large avec Dieu et avec Christ ; je crois aussi que le royaume de Dieu occupe la plus grande place dans mes pensées et dans mes affections si longtemps corrompues. Loin de moi la pensée d’en tirer l’ombre d’une louange ou d’un mérite ; toute la gloire t’en appartient, ô Seigneur ! C’est toi qui m’as donné la bouche avec laquelle je te prie, et c’est toi aussi qui m’inspires toutes les prières que je t’adresse par la foi. Tu m’as fait tout ce que je suis et tu m’as donné tout ce que j’ai. »

Le jour suivant, après avoir pris la Cène, il écrit : — « Je me souviens fort bien que lorsque j’étais encore ennemi, ce sacrement me paraissait un esclavage et m’était particulièrement odieux ; mais si mon cœur est réellement uni à Christ, pourquoi craindrais-je des liens qui m’uniront plus complètement à lui ! » Dans la soirée : — « Beaucoup de paix. Regarde en arrière, mon âme, et considère les sentiments et les goûts qui te dominaient il n’y a pas plus d’un an, — mon âme, ta place est dans la poussière. »

19 mai. — Pensé avec plus de joie qu’à l’ordinaire à la perspective d’aller dans les pays étrangers comme témoin de Jésus.

4 juin. — Promenade avec A. somerville. Notre entretien a roulé sur les missions. Si jamais je dois aller parler aux païens des richesses inscrutables de Christ, il faut qu’une chose me soit donnée, — d’être en dehors de l’influence délétère de l’estime ou du mépris. Si des mobiles mondains m’accompagnent, jamais je ne convertirai une seule âme et je perdrai la mienne dans ce travail stérile.

22 juin. — Variété d’études. Lu dans Exode, version des Septante et Vulgate. Acheté les œuvres d’Edwards. Dessiné. — Vraiment il n’y avait rien en moi qui pût engager le Seigneur à me choisir. Comme tant d’autres tisons déjà allumés et qui brûleront éternellement, j’étais aussi incapable de croître en nouveauté de vie, que l’est la branche desséchée, plantée en terre, de prendre racine et de produire un arbre verdoyant.

25 juin. — Combien ne sommes-nous pas enclins à perdre notre temps dans de vains bavardages, ainsi que le fait le monde ? s’écrie-t-il à propos du saint ministère. — Comment cela est-il possible à des hommes choisis pour un service aussi magnifique, à des ouvriers de Dieu, à des messagers de son Fils, à des porteurs de la bonne nouvelle, mis à part pour l’œuvre, élus entre les élus, comme s’ils étaient la fleur même du troupeau, et destinés à briller comme des étoiles aux siècles des siècles ? Hélas ! hélas ! mon âme, où apparaîtras-tu ? Oh ! Seigneur Dieu, je suis un petit enfant. Mais voici, tu enverras un ange avec un charbon ardent pris sur l’autel, pour en toucher mes lèvres souillées ; et tu mettras tes paroles en ma bouche, de telle sorte que je puisse te dire avec Esaïe : « Me voici, envoie-moi ! » — Après avoir lu une petite partie des œuvres d’Edwards, il écrit encore : — « Oh ! que mon cœur et mon intelligence puissent croître et se développer ensemble comme un frère et une sœur, s’appuyant l’un sur l’autre ! »

27 juin. — Lu la vie de David Brainerd. Quel homme admirable ! Que de combats, d’abandon et d’affaissement ! que de force, de progrès et de victoires au dedans de ton cœur déchiré ! Je ne saurais exprimer ce qui se passe en moi quand je pense à toi. — Aujourd’hui plus que jamais j’ai été préoccupé de travaux missionnaires.

28 juin. — Oh ! que Dieu me donne l’humilité de Brainerd et son aversion pour le péché !

30 juin. — Beaucoup d’insouciance, de péché et de tristesse. Oh ! misérable que je suis ! qui me délivrera de ce corps de péché et de mort ? Mon âme, réfugie-toi sur le rocher, et cache-toi sous la cendre en présence du Seigneur et de la gloire de sa majesté !

3 juillet. — Cette dernière racine de mondanité, si amère et qui m’a déjà si souvent trahi, s’est emparée ce soir de mon cœur d’une manière si brutale, que je ne puis y voir qu’un moyen choisi de Dieu pour me la faire détester et abandonner à tout jamais. J’aimerais à faire un vœu, mais la prière sied mieux à un ver de terre tel que moi. Mon âme, ta place est dans la poudre.

Nous avons lieu de croire que ce dernier enseignement ne fut point perdu. A la fin de cette même année il fut encore entraîné dans des plaisirs mondains, mais ce fut la dernière fois.

7 juillet. Samedi. — Après avoir terminé mes études du jour, j’ai essayé de jeûner un peu, priant beaucoup et cherchant avec ardeur et sérieux la face du Seigneur, en souvenir de ce qui s’est passé il y a un an ce soir (allusion à la mort de son frère).

22 juillet. — J’ai eu ce soir une intelligence plus complète de ce dépouillement de soi-même et de ce sentiment d’abaissement qu’il faut avoir pour aller à Christ ; — du renoncement au moi, à ce moi que nous devons fouler aux pieds en reconnaissant le droit absolu et la justice de Dieu, qui ne pouvait que nous condamner entièrement et nous précipiter au plus profond des enfers, et j’ai senti que, même dans l’enfer, nous devrions adorer sa souveraineté et dire que toutes choses ont été faites avec justice.

15 août. — Peu travaillé et aussi peu combattu. Question menaçante : Racheté-je le temps ?

18 août. — Appris la mort de James somervilleb, par la fièvre, suite du choléra. Oh Dieu ! tes pensées et tes voies ne sont pas les nôtres ! Il venait de prêcher son premier sermon. Vendredi 27 juillet, je le vis à la porte de l’Académie, et je lui serrai la main, pensant peu que je ne le reverrais plus jamais sur cette terre.

b – Fils du pasteur de Drumelzier, jeune homme aimable et plein d’avenir. (Note de l’auteur.)

2 septembre. — Dimanche soir. Lu. Trop de préoccupations et trop peu de recueillement. Une chute se prépare. Avertissements. Nous pouvons être trop absorbés dans la partie extérieure et humaine des choses célestes.

9 septembre. — Oh ! que n’ai-je une humilité sincère et profonde ! Je sais que j’ai beaucoup de motifs d’être humble, et pourtant je ne connais pas la moitié de ces motifs. Je sais que je suis orgueilleux, mais je ne connais pas la moitié de cet orgueil.

30 septembre. — Quelque peu mal à mon aise par suite de la négligence que j’ai mise dans l’observation du dimanche. Le mieux est d’être explicite et courageux.

1er novembre. — Ressenti aujourd’hui beaucoup plus de désir de me consacrer au saint ministère. Que Christ m’estime assez fidèle pour m’appeler à prêcher l’Évangile. Plus bas il ajoute : — « Beaucoup de paix. J’ai la paix parce que je crois. »

2 décembre. — Jusqu’à cette date, il avait l’habitude de consacrer une grande partie de ses soirées du dimanche à développer ses notes sur les sermons de M. Bruce, mais de ce jour, il est « déterminé à les abréger, afin d’employer les soirées du dimanche d’une manière plus pratique, plus recueillie, et plus conforme à la destination du dimanche. »

11 décembre. — Mon esprit est entièrement incapable de dévotion. J’ai prié sans prier.

31 décembre. — Pendant l’année qui vient de s’écouler, Dieu m’a fait la grâce de me préparer au ministère, et je lui en rends grâces. Il m’a aidé à surmonter en grande partie la honte que j’éprouvais à parler de lui et à réclamer son nom ; il m’a donné la force de me déclarer pour lui, surtout devant quelques-uns de mes amis, et je l’en bénis. Il a éloigné de moi des amis qui auraient pu m’être en piège et qui devaient nécessairement devenir pour moi des occasions de chutes, et je l’en bénis. Enfin il m’a fait trouver un ami chrétien, et a scellé de plus en plus l’affection qui me liait à un autre ami, et mon cœur lui rend grâces avec allégresse.

3 février 1833. — Écrivant à un médecin, ami de son frère William, il lui dit : « Je me rappelle une observation que vous fîtes un jour à William, il y a déjà bien longtemps, et je ne saurais expliquer comment elle est restée aussi clairement gravée dans mon souvenir. Vous lui disiez que les médecins devraient faire de la Bible une étude toute particulière, dans le but surtout d’être en état d’apporter quelques consolations à leurs malades ou de les amener à des convictions chrétiennes. Si je ne me trompe, vous ajoutiez que vous aviez déjà commencé à la lire dans cet esprit. J’ai l’espoir que cette détermination, quoique prise dans votre jeunesse, est une de celles dont vous ne rougirez pas dans votre âge mûr. »

11 février. — Accablement et langueur. D’où cela vient-il ? sûrement de quelque défaut caché. Oublié de lire la Parole humblement et avec le désir d’en profiter. Quelle plante ne sécherait pas, lorsqu’elle n’est pas arrosée ?

16 février. — Promenade à Costerphine-Hill. La vue était d’une transparence admirable, — des eaux bleues, des terres brunies et des sapins verts. Beaucoup pensé à toutes les folies de ma jeunesse. Quel peut en être le nombre, oh ! Seigneur ? Ajoutées les unes aux autres, quel ensemble d’impiétés !

21 février. — Suis-je toujours aussi disposé à prêcher l’Évangile aux païens qui périssent ?

8 mars. — Étude critique de la Bible. Elle ne doit ni étouffer ni remplacer le travail intérieur de l’âme. Et cependant combien facilement cela n’arrive-t-il pas ?

12 mars. — De l’activité, de l’activité, de l’activité !

29 mars. — C’est aujourd’hui que finit la seconde année scolaire de mes études théologiques. Me voici donc au milieu de ma carrière. Dieu veuille me donner la persévérance !

31 mars. — Le taureau bondit dans ses liens. Pourquoi le chrétien aurait-il les mêmes inquiétudes que le mondain ?

20 mai. — Assemblée générale de l’Églisec. La motion au sujet des chapelles succursales a été rejetée par 106 voix contre 103. Que la lutte continue avec toujours plus de force et de persévérance, jusqu’à ce que la victoire ait été remportée.

c – Synode annuel de l’église d’Écosse. (Trad.)

4 juin. — Soirée presque perdue. Quoique la musique attendrisse mon cœur, elle ne le sanctifie pas.

22 juin. — Les péchés d’omission ouvrent la voie aux péchés de commission. Plût à Dieu que cela me fût un avertissement efficace ! Toutes les richesses du monde ne remplaceraient pas cette seule parole : « Si quelqu’un a péché, nous avons un avocat auprès du Père. Mais, étant morts au péché, comment pouvons-nous y vivre encore ? »

30 juin. — Examen de conscience. Pourquoi la vie missionnaire est-elle si fréquemment l’objet de mes rêves d’avenir ? Est-ce uniquement par amour pour les âmes ? Et s’il en est ainsi, pourquoi ne le montré-je pas davantage autour de moi ? Les âmes sont aussi précieuses ici que dans l’Inde. Le prestige attaché à ces travaux, — l’intérêt et l’estime de l’Église que j’emporterais avec moi, — les beaux rapports que j’enverrais, — les intéressantes lettres que j’écrirais et que je recevrais, tout cela ne serait-il pour rien dans mes désirs ?… Pour quel motif préféré-je aussi décidément les Indes orientales aux Indes occidentales ? M’abuserais-je moi-même, et n’aurais-je pas même une étincelle de vrai zèle missionnaire ? Seigneur, donne-moi l’intelligence et la vie de ces paroles célestes de ton bien-aimé Fils : « L’esclave n’est pas plus grand que son Seigneur, ni l’envoyé plus grand que celui qui l’a envoyé. — Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi, n’est pas digne de moi. » Gloria in excelsis Deo.

13 août. — Une conviction prononcée de péché est la seule vraie source d’un entier recours à la justice de Christ, et, si étrange que cela puisse paraître, le seul fondement de la paix de cœur et de la joie du chrétien.

8 août. — Lu les Pensées d’Adam. Que n’ai-je son humilité profonde ! Hélas ! sur quelles montagnes d’orgueil ne faut-il pas que je sois, puisque toute ma vie est comme saturée des péchés mêmes que cet homme déplore si amèrement ; et où sont mes gémissements et mes larmes sur mon amour de la louange ?

14 novembre. — Composition ; genre de travail agréable. Je crains que l’amour des applaudissements et le désir de faire de l’effet n’y soient pour beaucoup. Dieu me préserve de me prêcher moi-même au lieu de prêcher Christ crucifié.

15 janvier 1834. — Appris la mort de J. S. au delà du cap de Bonne-Espérance. O Seigneur, quels ravages tu fais dans les familles ! La maladie doit être bien dangereuse quand un chirurgien compatissant croit devoir couper profondément dans les chairs. Combien plus lorsque Dieu lui-même est l’opérateur, lui qui « ne prend point plaisir à affliger et à contrister les enfants des hommes. » (Lamentations 3.33)

23 février. — Dimanche. Je me suis levé de bonne heure pour chercher Dieu et j’ai trouvé celui que mon âme aime. Qui ne se lèverait matin pour jouir de pareille société ! Maintenant les nuages sont bien loin. Ceux qui sèment avec larmes recueilleront avec chants de triomphe.

22 février. — Il écrit à un ami, sous l’influence, craignait-il, d’une vague sentimentalité plutôt que d’une conviction réelle de péché : « Est-il possible, pensez-vous, qu’on tire vanité de ses misères ? Ah ! il peut y avoir un levain d’orgueil bien profond et subtil à dire combien l’on est désolé et insensible, à se complaire dans la contemplation de peines idéales, à entretenir l’idée que l’on est seul au milieu d’un monde sans sympathie, à se considérer enfin comme un invalide de l’hôpital de Christ. » Ces lignes nous montrent qu’il ne prenait pas aisément le change sur les dispositions morales. Du reste, l’Esprit lui avait enseigné qu’il y a plus d’humilité à accepter ce que la grâce offre, qu’à se lamenter sur ses besoins et sur son indignité.

Deux jours après, il note avec un étonnement reconnaissant qu’il a été pour la première fois en sa vie assez béni pour réveiller une âme. Tous ceux qui ont trouvé Christ sont contraints par les saintes exigences de l’amour de chercher le salut de leur prochain. André amène son frère Pierre, et Philippe va au-devant de son ami Nathanaël. Le jeune Mac-Cheyne ne fait pas exception. A peine est-il couvert de la justice de Christ qu’il désire avec ardeur de voir d’autres personnes s’en revêtir aussi. Il est fort intéressant de remarquer l’émotion profonde qu’il éprouva quand, pour la première fois, il vit que le Seigneur avait daigné se servir de lui pour amener une âme à Christ, lui qui plus tard devait être l’instrument béni par lequel tant de tisons seraient arrachés du feu. Mais laissons-le nous dire lui-même ses impressions :

23 février. — Après le culte. Appris avec joie qu’une âme a été touchée par la grâce du Sauveur. Si cela est vrai, quelle réponse à mes prières ! Quoi, ces ossements desséchés peuvent donc revivre ! Seigneur, tu le sais. Quelle bénédiction d’être témoin des premières angoisses d’une âme réveillée et d’entendre des paroles comme celles-ci : « Je ne puis sentir mon péché comme je le devrais ; je ne peux pas prier, car mon mauvais cœur s’égare toujours. » Cette bonne nouvelle m’a fait plus de bien que mille sermons. Je ne sais comment assez bénir et adorer Dieu pour cette première bénédiction. Seigneur, achève ce que tu as commencé. — Quelques jours plus tard, nous trouvons encore : — « O mon Dieu ! je te rends grâces de ce que tu m’as fait voir cette œuvre merveilleuse, quoique j’en aie été le spectateur rempli d’adoration bien plutôt que l’instrument. »

5.

Il n’est guère moins intéressant de connaître ce que Mac-Cheyne éprouva lorsqu’il fut conduit pour la première fois à faire des visites d’évangélisation, lui si bien doué pour réveiller les indifférents, et si singulièrement habile à manier l’épée de la Parole à côté des lits de mort. Quelques étudiants en théologie s’étaient alors formés en société, dans l’unique but de s’encourager les uns les autres à consacrer chaque semaine une heure ou deux à visiter les incrédules et les nécessiteux des quartiers les plus négligés de la ville. Nous nous étions fait une règle absolue de ne distraire pour cela aucun temps de nos études, mais d’y employer les heures que nous pouvions avoir de libres dans l’intervalle d’une leçon à l’autre, ou celles qui eussent été sans cela données au repos. Au commencement, nous sentîmes tous combien cette œuvre était dure à la chair, mais aucun de nous ne se repentit jamais d’y avoir persévéré. Un samedi matin, après avoir assisté à la réunion de prière qui se tenait régulièrement dans la sacristie du docteur Chalmers, nous nous rendîmes, Robert et moi, dans un des quartiers de Castle-Hill. Il n’avait pas encore sondé de près les plaies morales et la corruption de sa ville natale, et cette vue lui fut douloureuse.

3 mars. — Accompagné A. Bonar dans l’une de ses tournées au milieu des habitations les plus misérables que j’aie jamais vues. Il est impossible de rien imaginer de pareil. Ah ! pourquoi suis-je si étranger à l’état des pauvres dans ma ville natale ! Mille fois j’ai passé devant leurs portes, admirant souvent ces vastes agglomérations de noirs bâtiments, avec leurs hautes cheminées qui brisaient les rayons du soleil, et comment n’ai-je jamais essayé d’y pénétrer ? L’amour de Dieu vit-il réellement en moi ? Avec quelle cordialité des paroles de sympathie chrétienne sont reçues même par les créatures humaines les plus pauvres et les plus dégoûtantes ! Quelle effrayante quantité d’hommes entassés pêle-mêle qui jamais n’entendent la voix d’un ami ou d’un ministre ! Il semble qu’on peut lire sur chaque front cette pensée amère : « Personne ne prend soin de nos âmes. » Réveille-toi, mon âme ! Comment donnerais-je encore des heures et des jours aux vanités de la terre, tandis qu’à ma porte même gît un tel monde de misère. Seigneur, donne-moi ta propre force, confirme toute bonne résolution, pardonne cette longue vie insensée et inutile.

De ce moment il devint l’un des membres les plus actifs et les plus dévoués de notre société. Il s’associa à M. somerville pour visiter un des quartiers de Canongate, diriger une école du dimanche, et distribuer un petit journal religieux, le Visiteur mensuel. Les expériences qu’il fit étaient propres à lui montrer sous toutes ses faces la corruption profonde des pécheurs. Voici comment il se rend compte de sa première visite :

24 mars. — Visité deux familles avec quelque succès. Dieu veuille qu’une bénédiction nous accompagne. Commencé dans la crainte et la faiblesse, et avec un grand tremblement. Que toute puissance vienne de Dieu !

Bientôt après il raconte encore la scène suivante : — « Entré dans la maison de la femme L… En montant les escaliers, je l’entendais jurer, et je l’ai trouvée dans une grande colère contre les trois petits enfants que sa fille lui a laissés. C’est une pauvre misérable au cœur endurci et à la conscience cautérisée. Lu Ezéchiel ch. 23. Interrompu par la brusque entrée de la seconde fille réclamant avec fureur son trousseau de mariage. En m’apercevant, elle est devenue plus discrète, et s’en est allée en promettant de revenir, mais je ne l’ai plus revue. Bientôt après le beau-père entra ; spectacle hideux d’un vieil ivrogne demandant de l’argent. Quitté la maison après de sérieux avertissements. »

Il mentionne aussi particulièrement le cas d’une vieille femme qui, après avoir vécu jusqu’alors dans une indifférence complète, sembla tout à coup inondée de joie, sans, qu’elle pût donner de ce changement aucune explication satisfaisante et scripturaire. Je crois qu’elle demeura dans cet état jusqu’à sa mort ; mais Mac-Cheyne craignait que ce ne fût une séduction subtile de Satan déguisé en ange de lumière. Les visites des deux amis eurent cependant quelque résultat ; une âme fut, selon toute apparence, amenée au Rocher des siècles. C’étaient les prémices.

Pendant ce temps, le journal de Mac-Cheyne est continué régulièrement ; mais il s’écoule des intervalles souvent considérables sans qu’on y retrouve rien sur son état spirituel.

9 mai. — Avec combien de bonté Dieu ne m’a-t-il pas contrecarré toutes les fois que j’ai cherché à m’enchaîner moi-même ! J’apprendrai tout au moins à me glorifier dans mes désappointements.

10 mai. — Communié. Jamais le ministère du pasteur ne m’a fait moins de bien. Que le Maître du banquet parle seul à mon âme. — Il sentait dans de pareils moments ce que beaucoup d’enfants de Dieu ont éprouvé, que ce ne sont pas les paroles que prononce le ministre en donnant le pain et la coupe, mais la Cène elle-même, qui doit « rassasier leur âme de moelle et de graisse. »

Il est touchant pour nous de rencontrer des paroles comme celle-ci :

21 mai. — Aujourd’hui j’ai atteint ma vingt et unième année. Combien longtemps j’ai vécu inutilement ! toi seul tu le sais ; ô Seigneur ! Neff est mort à trente et un ans ; et moi, quand serai-je rappelé ?

[Il est remarquable combien souvent le Seigneur a accompli de grandes choses en quelques années seulement d’un saint ministère. Dans notre église G. Gillespie et J. Durham moururent à trente-six ans, Hugh Binning à vingt-six ans, et André Gray avait à peine vingt-deux ans lorsqu’il termina sa carrière. Dans d’autres églises, nous pourrions citer une quantité de cas pareils. Ainsi, John Janeway quitta ce monde à vingt-trois ans, David Brainerd à trente ans, et Henri Martyn à trente-deux ans. Leur vie fut courte, mais pleine de fruits bénis et couronnée de gloire et d’honneur. Que ne sommes-nous semblables à eux ! (Note de l’auteur)]

29 mai. — Ce jour-là il écrit avec beaucoup de fidélité à la fois et de bonté, à une personne de sa connaissance qui ne lui paraissait pas avoir la foi et et s’appropriait néanmoins les promesses de Dieu : — « Si vous êtes complètement incertaine à l’égard de votre conversion, ne vous contredisez-vous pas vous-même en affirmant que vous avez part aux promesses faites aux croyants ? Avez-vous l’assurance de croire ? S’il en est ainsi réjouissez-vous d’avoir part à l’héritage, mais réjouissez-vous en tremblant, car c’est là le caractère même des héritiers de Dieu. Mais si vous êtes incertaine, peut-être même dans une incertitude complète quant à votre foi, oh ! alors quelle présomption de dire à votre âme que ces promesses doivent appartenir indistinctement à tous, puisqu’elles sont dans la Bible. C’est une contradiction trop grossière pour que vous puissiez vous en contenter. » Il poursuit en montrant qu’il faut que le pécheur commence par accepter la grâce gratuite de Christ, pour que les promesses lui appartiennent. Le pécheur répond à l’appel : « Venez à moi ! » et après cela, mais non pas avant, il peut s’appuyer sur la promesse qui y est jointe : « Et je donnerai du repos à votre âme. »

14 août. — Jeûne partiel et recherche de la face de Dieu par la prière. Ce serait aujourd’hui le trentième anniversaire de la naissance de mon cher frère David. Que n’ai-je plus d’amour ! j’aurais plus de paix. — Le même soir il écrivit l’hymne intitulée le Figuier stérile.

17 octobre. — Renoncé à la méditation pour causer. Là est la racine du mal. Délaisse Dieu et il te délaissera.

Mac-Cheyne était sujet à de fréquents accès de fièvre. Le 15 novembre il était retenu sur un lit de douleur par une de ces attaques ; elle fut de courte durée cependant, car le 21 du même mois il écrit : « Mon âme, bénis l’Éternel et n’oublie aucun de ses bienfaits ! J’ai appris de plus en plus à connaître la valeur infinie de Jehovah Tzidkenn. » Trois jours avant il avait écrit cette hymne si connue : « J’étais jadis étranger, etc., » qu’il avait intitulée « Jehovah Tzidkenn, le cri de ralliement des réformateurs. » Fruit d’une légère indisposition, qui avait éprouvé son âme en la plaçant plus immédiatement en vue du tribunal de Christ, cette hymne si touchante et si douce révèle une confiance ferme et assurée.

9 novembre. — Je viens d’apprendre la mort d’Edouard Irving. Je ne puis m’empêcher de penser à lui avec un respect semblable à celui que j’éprouve pour les saints et les martyrs de l’antiquité. C’était un saint homme, en dépit de toutes ses illusions et de toutes ses erreurs. Il est maintenant avec son Sauveur et son Dieu, à la cause duquel il a fait tant de dommage, mais qu’il aimait néanmoins sincèrement, j’en ai la conviction. Ah ! c’est sur le Dieu de toute grâce et non sur nous-même que nous devons nous appuyer pour obtenir la sagesse.

21 novembre. — Si rien d’autre ne peut me détacher de mes péchés, oh ! Seigneur, frappe-moi de telles plaies, envoie-moi des épreuves si amères, que je sois réveillé de mon assoupissement terrestre. Il me sera toujours meilleur d’être vivant pour toi, quel que soit le moyen employé pour me vivifier. Je tremble en écrivant ces mots, car, hélas ! de tout côté je ne vois dans l’avenir que trop de causes d’afflictions et de douleurs.

15 février 1835. — C’est demain que je dois être examiné par le presbytère. Que Dieu me donne du courage à l’heure du besoin. Et que craindrais-je ? Si Dieu trouve bon de me faire entrer dans le ministère, qui m’en détournera ? Et s’il ne le veut pas, pourquoi m’y pousserait-on ? C’est à ton service, oh ! Seigneur, que je désire me consacrer tous les jours davantage.

1er mars. — Culte formaliste. Que de changements dans ce cœur ! Ah ! il y a des affections terrestres et désordonnées ; des passions violentes et sauvages ; des chaînes de fer et de soie tout ensemble. Je te remercie néanmoins, oh ! mon Dieu, de ce qu’elles me font crier : « Misérable que je suis ! » je me sens aussi abattu par la faiblesse physique.

29 mars. — J’en ai fini vendredi dernier avec la Faculté, et j’y ai paru pour la dernière fois. La vie elle-même s’enfuit rapidement. Il faut se hâter de travailler pour l’éternité.

6.

C’est dans des notes comme celles que nous venons de reproduire, que nous pouvons suivre les dispensations de Dieu envers son âme, jusqu’au moment où il fût appelé à prêcher l’Évangile. La discipline préliminaire du cœur et de l’intelligence, par laquelle le grand Chef de l’Église le fit passer, le qualifia d’une manière remarquable pour l’œuvre qu’il devait accomplir.

Mac-Cheyne avait été préparé à l’œuvre redoutable du ministère par une étude assidue de la parole de Dieu et par beaucoup de prières ; par des afflictions dans son corps, des épreuves intérieures et de rudes tentations ; par de nombreuses expériences de la profondeur de corruption de son propre cœur et d’abondantes découvertes de la plénitude de la grâce de son Sauveur. Il avait appris par expérience à dire : « Quel est celui qui surmonte le monde sinon celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu. (1 Jean 5.5) » Pendant les quatre ans qui suivirent sa conversion, souvent englouti par les grandes eaux, il en fut toujours tiré par la main divine qui l’en avait arraché une première fois, jusqu’à ce qu’enfin, bien que souvent ballotté avec violence par la tempête, le navire devint capable de flotter constamment au-dessus de la vague. Il apprit, semble-t-il, à connaître le chemin du salut par l’expérience, avant d’en comprendre la philosophie ; de là vint sans doute le caractère si saillant d’un ministère qui ne fut guère que l’expansion d’une puissante vie intérieure.

La Société pour les visites d’évangélisation dont nous avons déjà parlé eut une grande influence sur son développement spirituel, aussi bien que l’Association missionnaire et les réunions de prières qui y étaient jointes. Aucun des membres n’était plus régulier que lui à l’heure de la prière, et nul ne se faisait plus souvent notre interprète auprès du trône de grâce. Pendant quelque temps, secrétaire de l’Association, il s’intéressait profondément aux plus menus détails des travaux missionnaires. Ces sentiments ne s’affaiblirent jamais ; jusqu’à la fin ses pensées erraient volontiers vers les champs lointains des missions : un des derniers billets qu’il écrivit, adressé au secrétaire de l’Association à Edimbourg, lui exprimait l’intérêt aussi vif que jamais qu’il portait à cette œuvre.

Pendant ses premières années de collège, l’étude n’absorba pas à beaucoup près toute son attention, mais le changement de son cœur n’eut pas plutôt commencé que son travail s’en ressentit grandement. Un sentiment profond de sa responsabilité s’empara de lui et le força pour ainsi dire à faire valoir les talents qui lui étaient confiés, et nous ne connaissons pas beaucoup d’hommes qui, tout en cherchant constamment à mettre toute leur activité au service du Seigneur, aient conservé pour l’étude une estime aussi persévérante et aussi inaltérable. Pendant qu’il suivait les classes ordinaires de littérature et de philosophie, il trouva le temps de s’occuper particulièrement de géologie et d’histoire naturelle. Et plus tard, alors qu’il prêchait avec le plus de succès et que son attention tout entière était concentrée sur l’état de son âme et de sa paroisse, nous l’entendîmes souvent exprimer le regret de n’avoir pas amassé dans sa jeunesse une plus grande somme de connaissances : il se sentait capable d’employer au service de Christ même les trésors des Egyptiens. Ses études précédentes lui suggéraient parfois des illustrations singulièrement heureuses de quelque vérité divine au moment même où il était le plus ardemment engagé à annoncer l’Évangile à des multitudes aussi ignorantes que dégradées.

Les propres paroles de Mac-Cheyne montreront mieux qu’aucune autre chose à quel point il appréciait la science et comment il la comprenait : « Avancez dans vos études, » écrit-il en 1840 à un jeune étudiant. « Souvenez-vous que vous préparez maintenant, dans une grande mesure, le caractère de votre ministère futur, si Dieu vous conserve. Si vous vous laissez aller à des habitudes de négligence et de nonchalance dans l’étude, vous ne pourrez plus les surmonter. Faites donc chaque chose en temps convenable, avec sérieux ; dans tout ce qui vaut la peine d’être fait, déployez toute votre énergie. Par-dessus tout, demeurez beaucoup en la présence de Dieu. Que jamais vous ne voyiez la face de l’homme avant d’avoir contemplé celle du Dieu qui est notre vie, notre tout. Priez pour votre prochain, pour vos maîtres, pour vos condisciples, etc., etc. » Il écrit encore à un autre étudiant : « Gardez-vous de l’atmosphère des classiques. Certes elle est pernicieuse, et vous avez besoin pour en annuler les effets que les Écritures soient rendues par le Saint Esprit bien vivantes dans votre âme. Il est vrai que nous devons les connaître, mais seulement à la manière des chimistes qui étudient les poisons, pour en découvrir les qualités et non pour en infecter leur sang. » Plus tard encore : « Priez, non seulement afin que le Saint-Esprit fasse de vous un jeune homme plein de foi et de sainteté, mais pour qu’il vous rende sage et intelligent dans vos études. Un rayon de la lumière divine pénétrant dans l’âme illumine parfois d’une manière merveilleuse, même un problème de mathématiques. Le sourire de Dieu calme l’esprit, la main de Jésus soutient la tête défaillante, et le Saint-Esprit ranime le cœur, tellement que les études même les plus arides se poursuivent un million de fois plus aisément et plus gaiement. »

Avant d’entrer à la faculté de théologie il avait suivi des leçons particulières d’hébreu ; aussi plus tard les deux cours du docteur Brunton lui firent-ils faire de grands progrès. Il pouvait lire l’original hébreu de l’Ancien Testament avec autant de facilité que beaucoup de nos ministres en ont à consulter l’original grec du Nouveau Testament.

C’est dans le courant de la première année de son séjour à l’Académie, que je commençai à le connaître intimement. Pendant les vacances d’été et lorsque la plupart de nos condisciples étaient partis pour la campagne, quelques-uns d’entre nous demeurèrent en ville, afin de racheter le temps. Nous nous réunîmes alors un matin de chaque semaine pour discuter quelque point de théologie systématique et nous communiquer le résultat de nos lectures particulières. Dans une autre occasion nous nous associâmes encore, jusqu’à ce que nous eussions surmonté les principales difficultés de la controverse avec les catholiques. Le désir d’approfondir notre connaissance des Écritures grecques et hébraïques nous réunit de nouveau ; puis un été nous nous occupâmes une fois par semaine, de grand matin, des prophéties non accomplies, et quoique nos vues différassent beaucoup sur certains points, jamais nous ne nous séparions sans avoir été nourris par les Écritures que nous sondions. Mais de toutes les associations de cette nature aucune ne nous fut aussi agréable et aussi utile que celle que nous appelions notre Société exégétique. Elle se réunissait durant le temps de nos études tous les samedis à six heures et demie du matin. Notre objet était l’étude critique de la Bible et de tout ce qui était propre à répandre quelque lumière sur la parole de Dieu. Nos réunions se tinrent régulièrement pendant quatre sessions scolaires, et Mac-Cheyne se considérait comme grandement redevable à cette société de cette connaissance profonde de la littérature juive et de la géographie de la Bible qui furent si utiles plus tard dans la mission près des Juifs de Palestine.

Tous ces secours ne furent pourtant jamais que supplémentaires, et les cours réguliers et systématiques de l’Académie lui fournirent les principaux éléments de son développement intellectuel. Quatre ans passés sous la direction du docteur Chalmers pour la théologie et du docteur Welsh pour l’histoire ecclésiastique, étaient des avantages peu ordinaires pour élargir l’intelligence. Chaque jour il entrevoyait des perspectives nouvelles, des champs de méditation à cultiver. Ses notes et son journal rendent témoignage qu’il travaillait avec énergie à retenir tout ce qu’il entendait et qu’il lisait un aussi grand nombre des livres recommandés par ses professeurs que son temps le lui permettait. Bien des années après avoir quitté l’Académie, il parlait avec reconnaissance des cours qu’il y avait suivis. Un jour qu’il se rendait d’Abernyte à Dundee, avec M. Hamilton, aujourd’hui pasteur de la chapelle écossaise à Londres, les deux amis furent amenés à discuter sur la meilleure manière de diviser un sermon. « Pendant que je suivais les leçons du docteur Welsh, dit Mac-Cheyne, j’avais assez l’habitude de dédaigner les règles qu’il nous donnait pour nos compositions ; mais aujourd’hui je sens qu’il faut que je les suive, car rien n’est plus nécessaire qu’un ordre logique pour qu’un sermon fasse impression sur l’âme et reste gravé dans la mémoire. »

Il était doué d’une puissance intellectuelle de premier ordre. La vue claire de son sujet, des explications heureuses et des images frappantes de vérité le plaçaient au-dessus de tous ses collègues. A un ardent désir d’arriver à une connaissance large de la vérité en toutes choses, à une mémoire exercée et qui retenait tout ce qui lui était confié, il joignait une candeur remarquable dans l’examen de tout ce qui avait quelque prétention d’être la vérité. Son esprit, aussi ingénieux que hardi, était capable tout au moins de s’approprier les idées qui lui étaient suggérées et de les mettre en œuvre, lorsqu’il n’en faisait pas surgir quelque lumière nouvelle. La faculté d’investigation et d’analyse était également remarquable en lui, et la finesse de son jugement lui faisait souvent découvrir de singulières analogies. Quant à son imagination, elle s’élevait rarement au grandiose ; ainsi qu’un de ses amis le disait avec beaucoup de vérité, « son œil calme et bon savait trouver dans la nature le vivant et le beau, plutôt que le majestueux et le sublime. »

Quoiqu’il eût pu arriver à la célébrité littéraire, il renonça à toute espérance de ce genre pour se consacrer entièrement à gagner des âmes. Avec des talents aussi distingués, sa prédication était bien faite, dans quelque position qu’il se trouvât d’ailleurs placé, pour attirer un public d’élite ; mais tous ses dons il les subordonna complètement au simple désir de réveiller ceux qui étaient morts dans leurs fautes et dans leurs péchés. Jamais il n’aurait espéré de devenir un instrument de salut pour d’autres, s’il n’eût été lui-même un monument de la grâce de Dieu. Il estimait indispensable d’être en Christ avant que d’être dans le ministère, et sur ce sujet faisait fréquemment allusion à ces paroles si graves de Jérémie 23.21-22 : Je n’ai point envoyé ces prophètes, et ils ont couru ; je ne leur ai point parlé, et ils ont prophétisé. S’ils avaient assisté à mon conseil, ils auraient fait entendre mes paroles à mon peuple, et ils les auraient détournés de leur mauvaise voie et de la méchanceté de leurs actions.

Ce fut donc avec la foi dans le cœur qu’il s’engagea dans le saint office du ministère, recevant du Seigneur lui-même la verge avec laquelle il devait faire des miracles. Et après s’en être servi pour ouvrir les rochers et en faire surgir des sources d’eaux vives, il n’oublia jamais de la replacer dans l’arche d’où elle avait été tirée, donnant gloire à Dieu. Il ne savait pas le chemin par lequel Dieu le menait, et néanmoins il était guidé par la colonne de nuée. C’est à cette époque que remonte l’hymne intitulée : Ils chantent le cantique de Moïse. Il la composa au moment de s’élancer dans l’arène ; maintenant qu’il a atteint le but, il nous suffit de jeter un regard en arrière pour voir que la foi qu’il y exprimait n’était point vaine.

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