Histoire du christianisme

PREMIÈRE PARTIE

Au commencement
Les débuts de l'histoire du christianisme
(Ier–Ve siècle)

Composante de la culture de notre temps, le christianisme est né à une époque précise de l’histoire du monde méditerranéen et proche-oriental, l’Antiquité, dans un pays, la Judée, qui faisait alors partie de l’Empire romain ; enraciné dans la foi et la culture juives, il se développe très vite dans la culture gréco-romaine.

Le christianisme est issu de la prédication du prophète juif Jésus de Nazareth, en qui les chrétiens reconnaissent le Fils de Dieu incarné, mort et ressuscité pour le salut des hommes. Leur foi est fondée sur le témoignage des premiers disciples, qui ont reconnu en Jésus le Messie ou Christ (d’où le nom de chrétiens qui leur a été donné), annoncé par les prophètes. Ils ont proclamé que celui qui avait été mis à mort par la main des hommes, Dieu l’avait ressuscité avec son corps, qu’ils ont touché – fondement de la croyance des chrétiens en la résurrection de la chair –, et que, disparu à leurs yeux par la suite, il leur avait été envoyé l’Esprit saint qui les animait pour annoncer cette Bonne Nouvelle (Évangile) « jusqu’aux extrémités de la terre », conformément à la mission que Jésus leur avait confiée.

De petites communautés de croyants se sont formés parmi les juifs et les non-juifs (ou « gentils »), en Palestine, puis dans la partie orientale de l’Empire romain et à Rome, et ensuite dans sa partie occidentale, mais aussi dans des régions extérieures – Mésopotamie et peut-être Inde dès l’époque apostolique, Arménie, Géorgie, Éthiopie – et chez des peuples barbares : Wisigoths, Ostrogoths, Vandales, aux IVe et Ve siècles.

Les croyants chrétiens des premiers siècles ont vécu et pratiqué leur foi dans les conditions concrètes du monde de leur temps. C’est en grec que la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ et les autres textes qui forment le Nouveau Testament ont été mis par écrit, même si l’araméen, l’hébreu et le syriaque ont été conjointement utilisés dans certains cas. La Bible (Ancien et Nouveau Testament – le premier avait déjà une traduction grecque, la Septante) fut traduite dans différentes langues : latin, gothique, syriaque, copte, arménien, slavon. C’est en grec également que les premières formules de foi ont été conceptualisées et formulées. Les chrétiens de l’Antiquité ont usé des modes de la pensée juive, des catégories philosophiques de la pensée grecque, des techniques de discours de la rhétorique grecque et latine pour formuler une théologie qui s’est affinée au fil du temps. Ceux qui l’ont fait – évêques réunis en conciles, apologistes, Pères de l’Église – avaient la conviction de s’exprimer sous l’inspiration de l’Esprit saint.

Quand il fut évident que le retour du Christ, que les premiers chrétiens avaient attendu, n’était pas imminent, les communautés s’organisèrent et se structurèrent, unies par un lien de communion. Si, spirituellement, l’Église se définit comme corps mystique du Christ qui en est la tête et tous les baptisés les membres, concrètement l’Église s’est constituée à partir des Églises locales unies par un fonds commun de croyances et de rites essentiels (baptême et eucharistie). À l’aide des concepts d’hérésie et d’orthodoxie, élaborés petit à petit, s’est définie une doctrine qui a conduit, en marginalisant certains courants, à la construction de la « Grande Église ».

Persécutés par les autorités juives dès le début, les chrétiens le sont, une fois identifiés comme tels, par les autorités romaines, qui punissent leur refus de vénérer les dieux communs à tous. Soumis cependant à l’État et au pouvoir, pour lequel ils prient, les chrétiens se distinguent par leur foi et leur attachement à des valeurs et des modes de vie qui font qu’ils vivent avec leurs contemporains, mais « dans le monde sans être du monde ». De ce fait, ils sont en butte à l’hostilité populaire et au mépris des gens cultivés. Aux uns comme aux autres, des intellectuels chrétiens répondent, tandis qu’en temps de persécution des hommes et des femmes témoignent de leur foi et revendiquent leur identité chrétienne jusqu’à la mort ; ces martyrs deviennent des modèles vénérés, mais les pasteurs acceptent de réconcilier au terme d’une pénitence appropriée ceux qui ont failli et sont tombés. Avec la fin des persécutions, l’ascétisme remplaça le martyre comme moyen pour atteindre la sainteté par une parfaite identification au Christ.

La reconnaissance de la liberté religieuse face à l’échec des persécutions et l’adhésion personnelles de l’empereur Constantin à la foi chrétienne (à partir de 312) puis celle de ses successeurs, à l’exception de Julien, créent des conditions radicalement nouvelles. Désormais, l’empereur accorde des faveurs aux chrétiens, ce qui permet une certaine christianisation de l’espace et du temps. Il intervient aussi dans les affaires de l’Église, y compris dans la définition de la foi, ce qui fut, au cours du IVe siècle, source de conflits. Il réprime petit à petit les cultes traditionnels jusqu’à les interdire à la fin du IVe siècle, faisant du christianisme la religion de l’État. Cette évolution fut sous-tendue par une théologie chrétienne du pouvoir politique et de l’histoire. Les chrétiens avaient à penser le souverain chrétien et sa place dans l’Église, mais aussi la fonction de l’empire romain dans le plan providentiel de Dieu, pour finalement comprendre, quand Rome fut menacée, que le sort de l’Église n’était lié à aucun État, fût-il chrétien. Les chrétiens apprenaient ainsi à se penser « citoyens du ciel » et à aspirer au « Royaume qui n’aura point de fin » (Augustin, Cité de Dieu, XXII, 30).

FRANÇOISE THELAMON

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant