Histoire du christianisme

Les communautés chrétiennes d'origine juive en Palestine

Dresser l’histoire des communautés chrétiennes d’origine juive en Palestine, c’est toucher à la naissance du christianisme : ce n’est pas chose aisée ; étant donné l’état parcellaire de la documentation, on est obligé de procéder par touches successives, ne permettant pas une réelle synthèse.

Jésus n’est pas le fondateur du christianisme en tant que religion indépendante. Il est tout au plus le fondateur de la communauté chrétienne de Jérusalem dans le cadre du judaïsme de son temps. Parler des communautés chrétiennes d’origine juive en Palestine implique de se pencher sur les disciples de Jésus, les grandes figures comme Jacques le Juste, Pierre et Paul, qui ont diffusé progressivement son message à travers les milieux juifs comme à travers les milieux païens.

En l’an 30 de notre ère, à Jérusalem, Jésus de Nazareth, qui est depuis deux ans prédicateur itinérant, originaire de Galilée, et prophétise l’imminence du règne de Dieu, est arrêté, jugé et exécuté pour des raisons politico-religieuses – Ponce Pilate étant préfet de la province romaine de Judée. Au lendemain de la mort de leur maître, ses disciples, dans un premier moment, paraissent s’être dispersés à travers toute la Palestine. Toutefois, on les retrouve, dans un second moment, à Jérusalem, proclamant qu’a été ressuscité « celui » qui a été crucifié. Ils annoncent un temps nouveau et la réalisation, lors du retour de Jésus, de l’antique promesse de salut faite par le Dieu d’Israël aux ancêtres de son peuple. Un mouvement religieux aux origines prophétiques et aux tendances de plus en plus messianiques est en train de naître. Il est constitué par des juifs qui, disciples de Jésus, vivent de son Esprit, dont ils héritent la puissance créatrice, guérissant les malades et expulsant les démons comme leur maître l’avait fait avant eux.

Cela se passe à Jérusalem, la ville sainte du judaïsme, alors sous domination domaine depuis près d’un siècle. La nouvelle communauté des disciples de Jésus est relativement peu homogène, constituée de juifs venus d’horizons extrêmement divers : certains sont de culture et de langue hébraïques (les Hébreux), d’autres de culture et de langues grecques (les Hellénistes). Elle subsiste grâce à la mise en commun des bien vendus pour satisfaire aux besoins de tous, et semble avoir comme centre une « synagogue » située sur le mont Sion, dans le lieu même où Jésus a pris son dernier repas avec ses disciples les plus proches (les apôtres).

Les nouveaux adeptes sont admis dans le groupe des « saints », appellation qu’ils se donnent, par une initiation sous forme d’une ablution lustrale – un baptême au nom de Jésus le Messie. Ses membres fréquentent le Temple avec assiduité ; c’est le cas de son premier responsable, Jacques le Juste, le frère de Jésus.

Cette communauté est parfois persécutée par les autorités religieuses juives, ce qui obligera certains de ses membres à la dispersion, conduisant à la diffusion du message du Règne de Dieu parmi les communautés juives de la Diaspora. Parmi les chrétiens d’origine juive de langue grecque, Étienne, en 33, est condamné à mort par lapidation pour blasphème contre le Temple ; la même année sans doute, Paul de Tarse devient membre du mouvement des disciples de Jésus : il sera l’un des plus grands missionnaires chrétiens connus. Ces chrétiens répandent alors ce qu’ils considèrent comme la « Bonne Nouvelle » (c’est-à-dire l’Évangile de Jésus le Messie) : ainsi, en 33, Philippe, un des Sept choisis par les Hellénistes pour le « service des tables » (c’est-à-dire l’intendance de leur communauté), la propage en Samarie ; en 34, des chrétiens d’origine juive de langue grecque sont amenés à créer une communauté à Antioche où les croyants recevront pour la première fois le nom de « chrétiens », c’est-à-dire « messianistes ».

Des chrétiens d’origine juive de langue hébraïque comme Pierre et Jacques (le frère de Jean et non de Jésus) sont également persécutés en 43-44 : le second est exécuté par décapitation sur ordre d’Hérode Agrippa Ier, tandis que le premier est contraint à la fuite dans des conditions présentées comme miraculeuses. Pierre est alors amené à propager la « Bonne Nouvelle » de la croyance messianique en Jésus jusqu’à Rome, la capitale impériale. Jacque le Juste est aussi exécuté par lapidation, en 62, sur ordre du grand prêtre alors en exercice, pour violation de la Loi de Moïse – lors d’une vacance de la procuratèle romaine. La communauté de Jérusalem paraît alors désorganisée et contrainte à se réfugier à Pella (Transjordanie) en 68, durant le siège de la ville par les légions romaines : elle n’y reviendra partiellement qu’après 70.

La diffusion du message chrétien a été réalisée dans un premier temps en milieu juif, puis dans un second temps en milieu païen. Mais la plupart des non-juifs touchés par ce message sont en réalité des païens sympathisants du judaïsme, relativement nombreux à cette époque dans les communautés juives de l’empire romain.

Des années 30 à 135, l’entrée des païens dans les communautés sera cause de difficultés, puis d’affrontements entre les différentes tendances traversant le mouvement chrétien. Jacques, Pierre et Paul se trouvent au centre des conflits dont les enjeux peuvent se résumer en ces termes : la nouvelle croyance messianique doit-elle imposer les observances juives aux païens, notamment la circoncision ? Les réponses semblent avoir été diverses et graduées : les observances demeurent pour les juifs mais ne sont pas nécessairement à imposer aux païens – les uns et les autres devant toutefois partager la même table, au moins durant l’eucharistie.

La répartition des champs de mission entre Pierre et Paul est une idée qui apparaît tardivement dans la littérature chrétienne : de fait, entre ces deux grandes figures, il y a concurrence dans la propagation du message chrétien – on peut le constater en Anatolie, mais aussi à Rome. Sans compter que des envoyés de Jacques le Juste ont joué un rôle non négligeable dans cette rivalité. De fait, il y a conflit des interprétations : certains considèrent que la seule croyance au Messie suffit au salut (Paul, en ce qui concerne les chrétiens d’origine païenne uniquement) ; d’autres estiment que l’observance et la croyance conjointes à la Loi et au Messie sont nécessaires (Jacques et, dans une moindre mesure, Pierre).

Quoiqu’il en soit, dans les années 60 de notre ère, on trouve partout des chrétiens dans l’Orient romain, mais aussi à Rome. Ils ne sont sans doute pas nombreux et pratiquent le secret pour se protéger de toutes parts. Mais, s’ils constituent des communautés dispersées, ils partagent essentiellement d’une manière ou d’une autre la croyance que Jésus est le Messie ou Christ envoyé par le Dieu d’Israël et que, nonobstant sa mise à mort, il a été arraché aux puissances des ténèbres pour siéger à la droite de son Père, envoyant son Esprit capable de transformer les cœurs et de pardonner les péchés dans l’attente de son retour prochain.

Ces communautés sont encore dans le judaïsme malgré la présence en leur sein de chrétiens d’origine grecque. Durant une période difficile à déterminer avec précision, elles resteront dans le giron du judaïsme, nonobstant les conséquences des révoltes juives contre Rome de 66-74, de 115-117 et de 132-135. Il est difficile de parler de christianisme, en tant que religion constituée et plus ou moins acceptée, si ce n’est reconnue, avant la seconde moitié du IIe siècle – dans le meilleur des cas. Auparavant, le christianisme est soit dans le judaïsme, soit hors du judaïsme, mais sans constituer pour autant une religion déliée de ses racines juives.

Au milieu du IIe siècle, le christianisme acquiert son autonomie relative à l’égard du judaïsme, sans même avoir à couper les ponts : ce courant religieux n’a pas vraiment de date de naissance, car son édification a duré plus d’un siècle, jusqu’à cet essai d’émancipation – un divorce qui ne sera jamais prononcé, malgré les excommunications réciproques. La séparation ou la rupture (?) d’avec le judaïsme sera le résultat d’un parcours semé de conflits, lesquels prendront une forme interjuive (entre juifs chrétiens et juifs non chrétiens) avant de revêtir ensuite une forme antijuive (entre chrétiens et juifs).

Au cours du IIe siècle, on assiste à la marginalisation des communautés chrétiennes d’origine juive (le judéo-christianisme) au profit des communautés chrétiennes d’origine païenne (le pagano-christianisme) : ce sont ces dernières qui s’érigeront progressivement en « Grande Église ».

Durant les années 30-150/180, les chrétiens n’ont pas encore réalisé l’utopie de l’unité, même si les sources transmises par ceux qui proclament appartenir à la « Grande Église » affirment évidemment le contraire. De fait, le christianisme de la « Grande Église » s’est construit, tout au long des IIe et IIIe siècles, en élaborant des concepts nouveaux, comme ceux d’hérésie et de dogme. Ils lui ont permis de se construire aux dépens des autres tendances dans l’ombre de la marginalité, aussi bien judaïsantes (nazoréens, ébionites, elkasaïtes…) que gnosticisantes (basilidiens, valentiniens…) ou marcionites (Marcion), montanistes (Montan) qu’encratites (Tatien). De certaines de ces marges émergeront d’autres courants religieux : au IIIe siècle, c’est de l’elkasaïsme que naîtra le manichéisme.

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