Histoire du christianisme

L’élaboration d’une orthodoxie aux IVe et Ve siècles

Ces deux siècles sont un temps d’intense élaboration doctrinale, marquée d’abord par des controverses trinitaires, puis, au Ve siècle, par la querelle christologique ; les premières comme la seconde mettaient en cause la divinité du Fils et du coup l’économie du salut qu’elle implique. Les solutions finalement retenues fondent la foi de la majorité des chrétiens encore aujourd’hui, même si nombreux d’entre eux avouent ne pas croire que Jésus soit réellement Fils de Dieu et semblent sceptiques sur sa Résurrection. Il s’agit pourtant du point fondamental dont dépend l’identité des chrétiens : au sein du monothéisme hérité des juifs, la foi en Jésus-Christ Fils de Dieu, liée à la question du salut, les contraint à formuler les relations que celui-ci entretient avec Dieu le Père. Est-il Dieu comme lui ? ou un être divin distinct du Père ? ou encore une créature de Dieu, fût-elle la première ? Pour assurer le salut de l’humanité, le Fils doit être pleinement Dieu et pleinement homme.

Diverses solutions avaient déjà été envisagées aux siècles précédents : recourant à des concepts de la philosophie grecque tels ousia (« substance » ou « essence »), hupostasis (« hypostase », existence réelle), prosopon (« personne ») ou phusis (« nature »), elles oscillaient entre deux écueils, le modalisme (représenté par Sabellius), insistant sur l’unité de la substance divine (ousia) au détriment de la reconnaissance des trois personnes distinctes, et le dithéisme accordant au Fils une substance divine propre et égale à celle du Père. La question est rouverte au début du IVe siècle par Arius, prêtre d’Alexandrie, qui, au nom de Dieu seul inengendré, considère le Fils, engendré par le Père, comme une créature et définir une théologie trinitaire selon laquelle le Fils est subordonné et inférieur au Père. Mais Constantin, seul empereur depuis 324, désireux de faire l’unité de l’Église après celle de l’Empire, réunit un concile général à Nicée en 325 pour définir une date de Pâques et une orthodoxie commune à tous les chrétiens de l’Empire. L’Église est en effet désormais reconnue comme une institution officielle dans l’ensemble de l’Empire. Contre l’arianisme, l’homoousios, qui affirme que le Fils est « de la même substance » (ou essence) que le Père, est adopté par toutes les Églises, et les propositions d’Arius anathématisées, lui-même étant exilé.

Cette formule suscita cependant plus des réserves parmi les évêques d’Orient à cause d’une interprétation sabellienne toujours possible. Aussi les discussions occasionnèrent-elles durant près de quarante ans une succession de synodes dans lesquels les arianisants, soutenus par l’empereur Constance (337-361), regagnèrent du terrain. Une théologie antinicéenne de la similitude se développa, oscillant entre le semblable selon la substance (homoios kat’ousian) et le simple semblable (homoios), destinée à écarter les extrêmes : sabelliens pour qui le Fils n’est qu’une modalité du Père et ariens radicaux défendant la différence de substance (heteroousios) du Fils.

Une solution médiane, l’homéisme, l’emporta en 359 ; elle fut adoptée le 1er janvier 360 comme foi officielle par Constance, qui voyait là le moyen d’imposer l’unité à tout l’Empire. Les opposants furent exilés. C’est cette foi que partagea aussi, hors de l’Empire, Ulfila, l’évangélisateur des Goths. La mort de Constance, en 361, remit en cause cet équilibre : face au danger de l’arianisme radical, les positions nicéennes sont réaffirmées à Alexandrie par Athanase (concile « des confesseurs » de 362), et reconnues à Antioche par l’ancien homéen Mélèce (synode de 363). Mais Valens (364-378) reprend à son tour la politique homéenne de Constance. Sa mort marque le début du revirement nicéen fortement soutenu par Théodose (379-395). Son édit du 28 février 380 définit l’orthodoxie à partir de la foi des évêques de Rome et d’Alexandrie, symbole à ses yeux de l’unité de l’Empire. Il convoque un synode de tout l’Orient à Constantinople, en mai 381, tandis qu’en Occident le concile d’Aquilée condamne les derniers homéens, exilés par Gratien (375-383). La foi de Nicée est réaffirmée par cent cinquante évêques et explicitée sur deux points, précisant que « le règne du Christ n’aura pas de fin » et affirmant la divinité de l’Esprit saint, « adoré et glorifié avec le Père et le Fils ». L’édit du 30 juillet 381 ne reconnaît comme « catholiques » que ceux qui professent cette foi, les autres étant rejetés comme hérétiques.

La réflexion christologique se poursuit autour de la question de la coexistence en Jésus de l’humain et du divin. Là encore, les positions extrêmes seront écartées après d’âpres discussions, au profit d’un compromis entre les deux principales tendances représentées par l’Église d’Alexandrie et celle d’Antioche. La première, monophysite, défendait une christologie de l’unique nature (phusis) du Christ, tout en reconnaissant son unité dans la personne réelle. Or la confusion entre les concepts de nature et de personne contribuait à brouiller le débat : les monophysites accusaient leurs adversaires de diviser le Christ et d’enseigner deux Fils, à quoi les diophysites répondaient que les monophysites niaient l’humanité du Christ et mettaient en cause l’économie du salut. On ne pouvait donc plus admettre une distinction trop affirmée dans le Christ entre le Verbe divin et l’homme Jésus, comme le faisait Nestorios de Constantinople, l’union réelle disparaissant alors au profit d’une simple union morale portant atteinte à la divinité de Jésus ; pas plus qu’on ne pouvait accepter le mélange des deux natures, divine et humaine, l’humain disparaissant au profit de la seule divinité – autre position extrême défendue par l’archimandrite Eutychès, qui séduisit Théodose II (408-450).

Celui-ci réunit un concile à Éphèse, en 431, pour résoudre la crise suscitée par la position nestorienne. Le parti de Cyrille d’Alexandrie (412-444), majoritaire, obtint la condamnation et la déposition de Nestorios, approuvées par les légats romains puis par l’empereur, qui l’exila, mais aucune décision doctrinale ne fut prise hormis la reconnaissance du symbole de Nicée. Une tentative de rapprochement entre Alexandrie et Antioche opérée après le concile, en 433, échoua. Eutychès, d’abord condamné par Flavien de Constantinople en 448, en accord avec Rome, se voit soutenu par le nouvel évêque d’Alexandrie, Dioscore (444-454) ; celui-ci est désigné par Théodose II pour présider un nouveau concile à Éphèse en 449, où Eutychès est réhabilité contre l’avis des légats romains, tandis que Flavien et les Antiochiens sont violemment écartés. Les décisions de ce concile, réaffirmant le monophysisme, furent confirmées par l’empereur, mais condamnées par Léon de Rome, auteur d’un Tome adressé à Flavien et nettement diophysite, qui dénonçait le « brigandage » d’Éphèse.

Le rapport des forces se renverse avec la mort de Théodose II. Le nouvel empereur, Marcien (450-457), hostile à Eutychès et à Dioscore, convoque un nouveau concile en 451, à Chalcédoine. Réunis en octobre, trois cent cinquante évêques, presque tous orientaux, annulent les décisions d’Éphèse II (449) et entérinent, après de longues discussions, une christologie diophysite, en partie reprise du Tome de Léon, proclamant l’union des deux natures parfaites dans la personne du Christ incarné : « Un seul et même Fils […], engendré pour nous et pour notre salut de la Vierge Marie, mère de Dieu [Théotokos] […], reconnu en deux natures, sans confusion, sans changement, sans division, sans séparation […], une seule personne et une seule hypostase. » Cette solution doctrinale de conciliation fut considérée comme un éclaircissement apporté au symbole de Nicée-Constantinople, et non comme une nouvelle définition de foi. Mais l’union ne put finalement se faire entre chalcédoniens et monophysites, qui s’organisèrent très tôt en Églises séparées, aujourd’hui encore actives (Égypte).

Nicée, Constantinople, Éphèse (431) et Chalcédoine sont considérés dans l’histoire de l’Église comme les quatre conciles « œcuméniques » qui ont fondé la doctrine chrétienne.

ANNICK MARTIN

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