Histoire du christianisme

Le renouveau protestant
Du piétisme au pentecôtisme en passant par les réveils

Par ses principes même (Écriture seule, foi seule, ecclesia semper reformanda) le protestantisme – déjà pluriel au XVIe siècle – a toujours fait surgir en son sein des Églises et mouvements nouveaux. Certains de ces renouveaux ont exercé une influence observable jusqu’à nos jours.

Au milieu du XVIIe siècle, l’Europe, désormais constituée de nombreuses entités confessionnelles (catholique, réformée, luthérienne, anglicane), voit la fin des guerres religieuses. L’expérience collective de combats pour la foi produit des effets divers et parfois contradictoires. Sur le continent et au Royaume-Uni, on constate une certaine lassitude, voire une grande indifférence, à l’égard des Églises. En même temps, l’« orthodoxie protestante » continue à se développer, créant une forme de scolastique réformée ou luthérienne qui se conçoit de manière surtout polémique.

Au sein du luthéranisme continental se dessine une réaction qui se veut un appel à revenir à la dynamique des premières années de la Réforme. Philippe Jacques Spener (1635-1705), pasteur luthérien né en Alsace, représente cette tendance nouvelle, qui sera appelée « piétisme ». Aspirant à une spiritualité plus intérieure et engagée, rejetant la polémique et la dispute tout en se voulant luthérien orthodoxe, Spener fait sa thèse de doctorat à Strasbourg sur le thème de la « nouvelle naissance » (Jean 3.3) et devient le chef de file d’un mouvement de renouveau du luthéranisme en Allemagne. Selon Spener, le luthéranisme courait le danger de devenir de plus en plus une religion formaliste dont les adeptes n’auraient que peu de foi ou d’engagement réels. La théologie dynamique de Luther se transformerait en orthodoxie desséchante.

Son ouvrage classique (Pia desideria, 1675) propose un programme de renouveau accepté par les uns et stigmatisé par les autres. Parmi ses propositions : une foi plus consciente et personnelle, l’étude de la Bible en famille et en petits groupes, un christianisme pratique fondé sur l’amour fraternel et le refus de la polémique, une réforme des facultés de théologie.

Avec des personnages comme Spener et son élève August Hermann Francke (1663-1727), le piétisme deviendra un courant important au sein du luthéranisme, ayant ses propres universités, facultés de théologie (Halle) et projets d’engagement social (orphelinats…). Spener s’est toujours proclamé luthérien fidèle et a voulu amener son Église à ce qu’en était à ses yeux la dynamique d’origine. Ce premier piétisme se voulait donc rénovateur et non pas schismatique. Malheureusement, ce ne fut pas toujours le cas. Au XVIIIe siècle, le comte Louis von Zinzendorf (1700-1760), nourri dès son enfance du piétisme de Halle, est l’instigateur d’une tendance piétiste qui finira par quitter le giron de l’Église luthérienne. Dans la rencontre entre Zinzendorf et un groupe de moraves (hussites) émigrés sur les terres de son père naît l’Église de l’unité des frères. Marqués par une piété émotionnelle centrée sur le Christ et sa souffrance, les moraves ont un élan spirituel qui accélère sa diffusion en Europe. Peu après la mort du fondateur, il y a déjà 226 missionnaires « moraves » envoyés en dehors de l’Europe (Antilles, Amérique du Sud et du Nord, Afrique du Sud).

John Wesley (1703-1791), prêtre anglican, rencontre le piétisme allemand sur le bateau qui l’amenait comme missionnaire vers la colonie de Géorgie, peuplée de prisonniers anglais. Revenu à Londres, il noue avec les moraves des contacts qui aboutissent à une conversion de type piétiste (1738). Voulant renouveler l’Église anglicane de l’intérieur, Wesley et ses adeptes rencontrent dans un premier temps une certaine opposition. L’impossibilité de prêcher dans les Églises les pousse à discourir en plein air et, ainsi, le mouvement attire fortement les classes populaires. John Wesley et George Whitefield annoncent un message de conversion qui appelle à un changement de vie important (la sanctification). Ayant un esprit très rigoureux, Wesley structure de manière efficace son mouvement, qui se diffuse rapidement. Vers la fin de sa vie, il consacre lui-même – sans autorisation ecclésiale – des évêques dans les colonies devenues les États-Unis, événement qui conduit à un schisme entre l’Église d’Angleterre et les « méthodistes ».

En effet, ces mouvements du type piétiste ou wesleyen contribuent à la naissance d’un nouveau protestantisme, qui traverse les frontières nationales et confessionnelles : on trouve ainsi un courant piétiste chez les luthériens et les réformés continentaux, ainsi que chez les anglicans, les puritains et des groupes plus séparatistes comme les baptistes anglais, qui étaient déjà nés au début du XVIIe siècle. Ce type de protestantisme trouve un accueil très favorable en Amérique du Nord.

Une autre manière de caractériser ce protestantisme serait de parler du phénomène des « réveils ». Le piétisme contribue à forger une réalité protestante anglophone transatlantique à partir du XVIIIe siècle. Vers 1750, il est question du « premier grand réveil », caractérisé par des réunions en plein air où l’Évangile est prêché et les auditeurs invités soit à se convertir soit à se « réveiller », c’est-à-dire à renouveler un engagement chrétien qui se serait affadi. Parfois ces réunions sont accompagnées de phénomènes et de réactions émotionnelles, que John Wesley finit par critiquer.

Le « deuxième grand réveil » a lieu en Amérique du Nord et en Europe pendant la première moitié du XIXe siècle. Les prédicateurs populaires continuent à rassembler les foules pour annoncer l’Évangile. Ces réveils façonneront de manière importante l’ensemble du protestantisme américain – blanc et noir –, dans lequel les méthodistes et les baptistes deviennent majoritaires. Ce protestantisme est très populaire, soutenant la mise en place de la démocratie américaine et croyant à l’amélioration possible de la vie (conjonction entre la sanctification méthodiste et le « progrès » des Lumières). En Europe, pendant la même période, des mouvements de réveil partent du Royaume-Uni vers le continent, et influencent les milieux réformés en Suisse et en France, tout en y introduisant des courants nouveaux (baptistes et méthodistes).

Après la guerre de Sécession (1861-1865), l’abolition de l’esclavage, l’industrialisation et une immigration catholique importante, le protestantisme américain à la fin du XIXe siècle et du début du XXe connaîtra encore un « réveil » important. Certains milieux méthodistes sont mécontents de la morosité et du pessimisme ambiants, ce qui fait naître des « mouvements de sanctification » se réclamant des origines du mouvement wesleyen, insistant donc sur l’importance de l’expérience individuelle du Saint-Esprit et de la sanctification. En 1906, dans l’église Azusa Street à Los Angeles, se produit un grand réveil accompagné de manifestations de glossolalie et de guérisons. Son prédicateur est William Seymour (1870-1922), fils d’anciens esclaves. Ce mouvement, bientôt appelé « pentecôtisme », populaire et multiracial à ses origines, se répand rapidement dans le Sud des États-Unis et ailleurs dans le monde – en Europe dès 1906 et en France dans les années 1920 – pour devenir aujourd’hui l’une des familles chrétiennes mondiales les plus importantes.

Le lecteur averti reconnaîtra dans ce développement les racines d’une large partie des tendances protestantes appelées aujourd’hui « évangéliques ». Si ces tendances ont un lien important avec les États-Unis, leurs origines sont bien européennes et remontent au moins au XVIIe siècle, sinon à la Réforme elle-même.

NEAL BLOUGH

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