Histoire du christianisme

Le renouvellement de la théologie et du culte marials

Au lendemain du concile de Trente (1545-1563), la Vierge des temps modernes devient la madone du catholicisme reconquérant face aux avancées de la Réforme qui suspecte d’idolâtrie la dévotion à Marie. La Contre-Réforme catholique donne au culte marial une visibilité d’autant plus grande qu’elle est réactive.

Au XVIIe siècle, les églises de la Vierge des Victoires et de la Vierge de Lorette aux lauriers victorieux s’implantent dans toute l’Europe catholique, où les monarchies convoquent à leur tour la figure victorieuse de Marie pour construire ou consolider leur pouvoir. L’Immaculata légitime, par exemple, les tentatives de restauration monarchique des États ibériques. Le « vœu de Louis XIII » (10 février 1637) place la France sous la protection mariale. Le visage de la Vierge sert également les desseins des missionnaires qui cherchent à évangéliser le Nouveau Monde, vaste terrain par définition « vierge » de christianisme.

C’est également auprès des images mariales que le clergé des missions intérieures – Pierre de Bérulle († 1629), Jean Eudes († 1680), Louis-Marie Grignion de Monfort († 1716) – trouve les moyens de l’évangélisation en profondeur des campagnes européennes au XVIIIe siècle. Vœu à Marie, imitation de ses vertus, saint esclavage marial, récitation du rosaire constituent alors les pratiques dévotionnelles les plus répandues. C’est dans le contexte d’un essor des pèlerinages aux sanctuaires mariaux que la Révolution de 1789 conduit la Mère de Dieu en exil et fait trôner la déesse Raison à Notre-Dame de Paris.

Au lendemain de la Révolution française, la Vierge retrouve une visibilité sous la forme d’une statue vêtue de blanc et de bleu, dans un XIXe siècle traversé par les syncrétismes religieux. Vers 1830, les illustrateurs des catéchismes de la rue Saint-Sulpice à Paris donnent encore à Marie le visage de la femme-fleur des romantiques. Les images pieuses sentent la rose et la violette. Les associations des « enfants de Marie », fondées en 1845 processionnent à leur tour vêtues de blanc et de bleu. Leurs mères se retrouvent sous les traits de la mère de cette sainte Famille exemplaire que le nouveau catholicisme social cherche à diffuser. Notre-Dame de Grâce, de Charité, de Piété ou du Bon Secours soutient la majorité silencieuse des masses laborieuses et travailleuses sur fond de montée des socialismes. Durant les années 1830-1840 revivent de nombreux pèlerinages marials, comme par exemple au Puy. Le rétablissement des fêtes patronales, la redécouverte de statues miraculeuses solennellement portées sur les autels accompagnent le nouvel essor du culte marial.

En 1858, les apparitions de la Vierge à Lourdes précipitent les foules en prière sur le lieu des visions de la bergère Bernadette Soubirous. La croyance aux apparitions mariales, qui grandit, est instrumentalisée dans les grand débats du siècle : Église contre État, catholicité contre laïcité, miracle contre science, etc. L’authentification des apparitions par l’Église (La Salette, 19 septembre 1851 ; Lourdes, 18 janvier 1862, etc.) s’inscrit dans une stratégie. Comme au Moyen Âge, l’aval donné aux apparitions accompagne l’évolution du dogme. C’est le cas de la croyance en l’Immaculée Conception qui, de doctrine approuvée, devient dogme révélé en 1854, quatre ans avant que la Vierge de Lourdes ne déclare : « Je suis l’Immaculée Conception ».

Dès 1835, la frappe à des milliers d’exemplaires de la médaille miraculeuse et de son inscription révélée à une fille de la Charité, Catherine Labouré († 1876) – « Ô Marie, conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous » – a préparé le terrain de la reconnaissance dogmatique. L’introduction des termes d’« immaculée conception » dans les litanies de Lorette, les pétitions du peuple chrétien, la consultation des cardinaux puis de l’ensemble de l’épiscopat catholique précipitent le mouvement. La définition solennelle de l’Immaculée Conception de Marie est proclamée par le pape Pie IX, le 8 décembre 1854 (bulle Ineffabilis Deus). Elle déclare « doctrine révélée de Dieu » l’exemption de Marie du péché originel dès le premier instant de son existence. Cette définition devient une pierre d’achoppement supplémentaire avec les Églises d’Orient et celles de la Réforme. Protestants et orthodoxes dénient en effet à Marie l’exemption, qui ne trouve pas d’appui dans l’Écriture et qui reste tributaire de l’interprétation du péché originel par la tradition occidentale, différente de celle de l’Orient. La proclamation du nouveau dogme marial s’inscrit également dans un contexte d’affirmation du pouvoir papal. Elle précède la proclamation du dogme de l’infaillibilité pontificale par le concile Vatican I (1870) autre point de désaccord entre les Églises chrétiennes.

Après cette date, face aux doctrines libérales et anticléricales, la figure apocalyptique de la femme qui combat le dragon devient le symbole de la lutte de l’Église catholique et romaine contre les périls révolutionnaires du présent. Par ailleurs, la Vierge prend les allures de la Femme forte de l’Ancien Testament. Elle domine de ses cinq, dix ou vingt mètres de hauteur les rochers et les clochers de France, écrasant de sa stature imposante un serpent qui porte le nom de tous les universalismes du moment, qu’ils soient laïcs ou républicains.

Au lendemain de la Première Guerre mondiale (1914-1918) et de la révolution russe de 1917, les miracles et les apparitions continuent d’être instrumentalisés. Ainsi, les relectures apocalyptiques des apparitions de Fatima (1917) alimentent la propagande anticommuniste durant l’entre-deux-guerres. La Dame du Ciel entre également dans le discours d’un catholicisme radical et intransigeant où priment autorité et antimodernisme. C’est cette Vierge qui domine toute la première moitié du XXe siècle. Dans le même temps s’esquissent de nouvelles tentatives de construction de la figure mariale, entre tradition et modernité. Son visage de « Reine de la paix », titulature ajoutée aux litanies de Lorette par Benoît XV (1914-1922), participe aux efforts de la reconstruction morale, religieuse et pacifique de l’après-guerre. Son cœur percé d’épines répond immédiatement aux attentes de la dévotion des femmes particulièrement éprouvées par la Grande Guerre. Son image universelle accompagne par ailleurs les programmes d’évangélisation massive des colonies d’Afrique, d’Asie ou d’Inde.

Entre Vatican I (1870) et Vatican II (1962-1965), la dévotion mariale est également relancée par l’inscription de nouvelles fêtes au calendrier romain. En 1944, celle du Cœur immaculé de Marie (22 août) est imposée par Pie XII à tout le rite romain, dix ans avant celle de Marie Reine (31 mai). Le culte de Marie s’honore également d’un nouveau dogme. S’appuyant sur le privilège d’infaillibilité, le pape Pie XII proclame, en 1950, l’Assomption de la Vierge « élevée en corps et en âme à la gloire céleste » (Constitution apostolique Minificentissimus Deus, 1er novembre 1950). La réflexion sur l’origine et la fin terrestre de Marie, qui avait préoccupé les esprits depuis l’époque patristique, se trouve désormais close. La théologie mariale du milieu du XXe siècle se voit donc placée devant un choix : pousser plus loin l’approfondissement de ces définitions ou, au contraire, penser un autre visage de la Vierge.

Le concile Vatican II (1962-1965) ouvre le débat. La Constitution Lumen gentium insiste sur le recentrage christologique de la dévotion et sur la nécessité d’une redéfinition de la place de Marie dans l’histoire du salut et de l’Église. Une série d’encycliques et de documents – de Marialis cultus de Paul VI (1974) à Redemptoris mater de Jean-Paul II (1987) – viennent compléter et préciser les orientations de Vatican II. La pastorale à tonalité mariale lancée par ces papes à l’échelle planétaire dynamise à nouveau une dévotion plutôt en perte de vitesse depuis les années 1950 (que l’on songe à l’« année mariale 1986-1987 »). Le culte voué à Marie continue, en définitive, de chercher sa voie.

SYLVIE BARNAY

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