Histoire du christianisme

Le concile Vatican II (1962-1965)

Le second concile du Vatican, vingt et unième concile œcuménique, s’est déroulé dans la basilique Saint-Pierre-de-Rome du 11 octobre 1962 au 8 décembre 1965. Il représente une suite tardive au concile Vatican I, réuni en la même place du 8 décembre 1869 au 20 octobre 1870 et suspendu sine die à la suite de la prise de Rome, capitale des États pontificaux, par la jeune monarchie italienne, le 20 septembre 1870. Vatican II, à l’instar du concile précédent, est appelé œcuménique dans la mesure où il rassemblait, par convocation expresse de Jean XXIII (1881-1963, pape depuis le 28 octobre 1958), la totalité des archevêques, évêques et supérieurs d’ordres religieux du monde entier, en tant que successeurs des Apôtres disposant de la capacité à discuter les matières d’Église touchant la foi et les mœurs. Ces Pères conciliaires constituèrent une Assemblée délibérante de près de deux mille cinq cents personnes. Les épiscopats des pays de l’Est reçurent l’autorisation de se rendre à Rome, sauf le primat de Hongrie et l’archevêque de Zagreb. Il faut ajouter environ deux cents experts à voix consultative et quelques observateurs laïcs, dont deux femmes.

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le Saint-Siège, seul en mesure de convoquer un concile, perçut que l’Église catholique était confrontée à une mutation radicale : elle perdait les moyens d’appeler le monde à la conversion ; le monde lui demandait de s’adapter à lui. Des projets de concile avaient été examinés par Pie XI en décembre 1922 et Pie XII en 1948. La lourdeur de l’entreprise avait dissuadé les prédécesseurs de Jean XXIII. L’initiative de celui-ci, élu pape depuis trois mois, fut sans relation avec ces tentatives. On souligna même à quel point elle était personnelle pour mieux la présenter comme l’effet de la divine Providence. Jean XXIII n’avait jamais pensé que le concile souhaité serait aussi long et difficile. Il avait imaginé une réunion de quelques mois consécutifs sur moins d’un an, propre à procéder à un aggiornamento de l’Église, c’est-à-dire à une mise à jour de son discours et de sa pratique face au monde moderne. Le terme de « réforme » fut écarté pour éviter toute confusion avec les Églises réformées au XVIe siècle.

La réunion plénière de Vatican II fut précédée d’une phase dite antépréparatoire (18 juin 1959-30 mai 1960), pendant laquelle les futurs Pères conciliaires furent chargés de recueillir autour d’eux, et notamment auprès des laïcs et des mouvements d’action catholique, les souhaits des uns et des autres pour l’élaboration d’un programme conciliaire… On a pu parler au Vatican même de « consultation plébiscitaire ». L’expression de ces vœux (vota) porta surtout sur le refus de toute condamnation et d’une ouverture plus pastorale de l’Église, d’une meilleure définition du ministère épiscopal, laissée en suspens lors de Vatican I et grevée par le vote de l’infaillibilité pontificale, et d’une prise en considération de la place des laïcs dans l’Église. Le rapprochement des Églises catholique, protestante et orthodoxe ne fut guère mentionné. Ce matériau très abondant, divers, offrant de l’Église catholique une image très éclatée, fit l’objet d’un classement en grands thèmes par des commissions préconciliaires. Elles fixèrent le programme de Vatican II sur la discussion de soixante-douze schémas. Un règlement conciliaire (6 octobre 1962) établit que les schémas seraient discutés par chapitre et donneraient lieu à des votes partiels par oui (placet), non (non placet) ou amendement (placet juxta modum). Les textes adoptés seraient promulgués par le souverain pontife en séance solennelle.

L’ouverture solennelle de Vatican II, le 11 octobre 1962, fut retransmise en Eurovision. L’événement fut d’autant plus remarqué que le monde traversait une grande période de tensions due à l’affrontement entre les États-Unis et l’URSS à propos de Cuba. Très vite, il apparu que le concile devait faire face à deux difficultés : la place occupée par la curie romaine dans le déroulement du concile, trop importante dès la mise en œuvre de celui-ci ; le poids de l’opinion publique nourrie par des médias du monde entier, de plus en plus attentifs et critiques. Jean XXIII dut se résoudre à organiser en sessions annuelles les travaux d’un concile qui s’ouvrit sous le signe d’un conflit avec les bureaux romains, dès le 13 octobre, à propos des modalités d’élection des commissions conciliaires. D’emblée se dégagèrent une majorité conciliaire dite progressiste, c’est-à-dire souhaitant faire de Vatican II une véritable assemblée délibérative, en accord avec le souverain pontife, et une minorité conservatrice et réactionnaire, essentiellement curialiste, considérant le concile comme une entrave à l’autorité du pape et de Rome. La très grande habileté de Jean XXIII et l’immense respect qu’il inspirait sauvèrent le concile, qui se sépara le 8 décembre 1962 dans un climat d’incertitude. Des commissions mixtes siégeant entre les sessions furent créées, notamment dans le domaine de l’œcuménisme.

Jean XXIII mourut le 3 juin 1963. Le concile fut suspendu, comme le prévoyait le droit canon. Le cardinal archevêque de Milan, Giovanni Battista Montini, fut élu rapidement. Il prit le nom de Paul VI, rappelant ainsi celui de l’apôtre convertisseur des païens. Il convoqua le concile pour une deuxième session, le 29 septembre 1963. Le nouveau pape se donna pour mission de faire aboutir le concile sur quelques points fondamentaux d’un programme resserré : la place de la révélation ; la définition de la nature intime de l’Église ; le ministère épiscopal dans sa fonction de subsidiarité au sein de l’Église enseignante ; la liturgie comme expression vivante de la foi ; le rôle des laïcs ; les relations avec les Églises chrétiennes ; celles avec le judaïsme ; la mission de l’Église par rapport aux autres cultures ; les rapports entre l’Église et le monde moderne.

La deuxième session fut la plus difficile de toute l’histoire de Vatican II. La question de la liberté religieuse (la liberté de croire et de ne pas croire) prit une place qui n’était pas attendue et c’est à ce moment qu’apparurent les racines du futur schisme des partisans de Mgr Lefebvre. Paul VI faisait preuve à la fois de trop d’autorité et de trop d’hésitations. Une certaine mémoire du conciliarisme – le gouvernement de l’Église par une assemblée conciliaire, sorte de parlementarisme – refaisait surface, relayée par les médias, face à un pape qui n’entendait pas se contenter d’être le premier parmi les égaux. Les voyages effectués par le pape conféraient au Saint-Siège une renommée internationale qui mettait le concile en porte-à-faux.

Le concile trouva un rythme plus tranquille à la troisième session, au cours de laquelle furent votés d’importants textes, en particulier la Constitution dogmatique sur l’Église et celle sur l’œcuménisme. Mais Paul VI annonça que la session suivante serait la dernière. Celle-ci, qui se déroula du 14 septembre au 8 décembre 1965, fut décisive : sept constitutions ou déclarations, sur un ensemble de seize documents conciliaires, furent votées. Le 7 décembre, ce fut le tour de la très attendue Constitution Gaudium et spec, alias L’Église dans le monde de ce temps, qui fut l’un des textes les plus ambitieux du programme et à propos de laquelle se produisirent de forts affrontements au sein du concile ainsi qu’entre le pape et ce dernier. L’opinion publique avait fondé sur la qualification de « pastoral » attribué au concile l’espoir du recouvrement d’une plus grande liberté en matière de morale privée. Elle était inspirée par l’individualisme et l’esthétique de la personnalité. Elle constata avec un étonnement auquel l’avaient peu préparées les Pères conciliaires que le concile non seulement ne s’était pas prononcé précisément sur les questions de mœurs, mais que ces sujets – essentiellement la question du mariage et de la régulation des naissances – étaient réservés par Paul VI à sa seule juridiction. Une grave crise s’ouvrit dans l’Église à la suite de la publication par le pape, le 25 juillet 1968, de l’encyclique Humanae vitae sur le mariage et le don de la vie. Mais l’œuvre de Vatican II demeure une référence quant à la volonté de l’Église de se faire comprendre par le monde moderne, et inversement.

PHILIPPE LEVILLAIN

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