Théologie Systématique – V. et VI. La Morale Chrétienne

Chapitre 2 : Des sources de l’éthique chrétienne.

Etant donné que, comme cela a été établi précédemment,c les documents bibliques de l’Ancien et du Nouveau Testament constituent les sources et la norme de la Théologie systématique et de l’Ethique chrétienne en particulier, il reste à nous demander quels seront les différents usages à faire de ces deux classes de documents d’origine, de forme et de contenu si divers.

cExposé, tome I. p. 252 et suiv. ; tome II. p. 493 et suiv.

La distinction dans leur union intime des deux morales juive et chrétienne a été d’ailleurs reconnue et accentuée par Jésus-Christ lui-même dès le commencement de son ministère (Matthieu 5.17) Il a dit qu’il n’était pas venu abolir (union), mais accomplir (distinction), car évidemment ce qui est accompli est distinct de ce qui ne l’est pas encore. Ici donc surgit une première difficulté pour la science morale dans l’emploi à faire d’une partie des documents de la révélation : comment accommoder à la morale chrétienne des documents appartenant à un ordre de choses préparatoire ? On pourra se demander si leur accord même avec cette morale supérieure ne rend pas leur utilité contestable ; il sera en tout cas difficile de maintenir tout à la fois l’union et la distinction des deux religions et des deux morales.

Mais l’usage du Nouveau Testament lui-même ne sera pas sans difficulté et sans écueil pour l’Ethique chrétienne. Tous les écrits du Nouveau Testament ont été en effet plus ou moins des écrits de circonstance ; ce furent des actes plutôt encore que des livres. Nulle part le Nouveau Testament ne nous présente un traité complet de morale, mais seulement des fragments faisant suite à des morceaux dogmatiques incomplets eux-mêmes, et dont le contenu, tout en ayant une portée universelle et permanente, n’en porte pas moins l’empreinte des circonstances locales et temporaires d’où ils ont surgi. Il s’agira donc de faire le départ dans les parties morales du Nouveau Testament entre l’élément permanent et universel et l’élément local et temporaire qui n’était que l’enveloppe éphémère du principe souverain, de même que l’Ancienne Alliance tout entière était l’enveloppe préparatoire de la Nouvelle.

Nous aurons donc deux écueils à éviter en ce qui concerne l’usage des documents de l’Ancien et du Nouveau Testament dans l’Ethique chrétienne : l’un, le latitudinarisme ou l’ultraspiritualisme, c’est-à-dire la liberté scientifique dégénérant en licence ; la tendance à s’écarter dans les applications particulières des principes généraux renfermés dans les Saintes Ecritures ; ou aussi la tendance à négliger dans l’Ecriture et surtout dans l’Ancien Testament les parties législatives et impératives pour ne s’en tenir qu’aux parties dogmatiques, qui laissent plus de latitude aux différentes opinions en matière morale. On sera tenté, en particulier, de ne plus faire autant de cas de la morale de l’Ancien Testament, par la raison qu’elle est abolie par l’esprit nouveau de l’Evangile. On oublie ici que l’Ancien Testament n’a pas été aboli, mais accompli.

La seconde tendance, opposée à la première, sera le littéralisme, qui consistera à copier plus ou moins servilement et à transporter telles quelles dans notre temps et nos circonstances les règles morales données soit dans l’Ancien Testament, soit dans le Nouveau, soit à l’ancien peuple d’Israël, soit aux chrétiens de l’Eglise primitive. On oublie ici que l’Evangile n’a pu accomplir l’Ancien Testament, tant dans sa partie dogmatique que dans sa partie morale, qu’en sacrifiant la lettre, l’enveloppe, le rite extérieur qui a été aboli ; et quant aux préceptes du Nouveau Testament, ils veulent être interprétés selon le même esprit qu’apportaient les auteurs du Nouveau Testament lui-même dans l’interprétation de l’Ancien.

A ces deux aberrations extrêmes dans la tractation de la science morale et dans l’usage des documents dont elle dispose, en correspondent deux dans la pratique morale elle-même : l’antinomisme, d’une part, l’étroitesse timorée, de l’autre. La première est l’exagération du principe nouveau, c’est le progressisme révolutionnaire ; la seconde est le retour intempestif au principe ancien, c’est le conservatisme aveugle. La première de ces tendances était représentée à l’époque apostolique principalement par l’Eglise de Corinthe ; la seconde, par le parti judaïsant.

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