Théologie Systématique – V. et VI. La Morale Chrétienne

§ 1. De la famille.

Les rapports constitutifs de la famille, considérée dans la plénitude de sa notion, sont les rapports conjugaux, ceux des parents et des enfants, ceux des frères et sœurs. Un élément accessoire, mais qui rentre pour ainsi dire par adoption dans notre sujet, ce sont les rapports des membres de la famille et de leurs hôtes, et, quand ces hôtes sont les auxiliaires de la famille, les rapports des maîtres et des serviteurs.

L’institution divine de la famille nous est relatée Genèse 2.23-24.

A. Des rapports conjugaux.

Nous avons à traiter ici successivement de la vocation de l’homme et de la femme ; de la valeur respective du mariage et du célibat au point de vue moral ; de l’état du mariage, et enfin de la dissolution du mariage.

1. De la vocation de l’homme et de la femme.

Du fait naturel de la différence des sexes, à laquelle correspondent d’ailleurs des différences psychiques et intellectuelles, découle pour la morale naturelle déjà la différence des vocations de l’homme et de la femme ; et ce n’est pas une des moindres aberrations de notre temps que de prétendre égaliser les droits entre les deux fractions de l’humanité et identifier leurs tâches et leurs devoirs, tandis que l’égalisation des facultés et des forces est hors de notre portée. L’émancipation de la femme est peut-être actuellement, comme on l’a remarqué, le plus sérieux danger de la civilisation anglo-saxonne, d’ailleurs si vigoureuse et si féconde. Nous devons remarquer en effet que le principe de l’émancipation de la femme, tel qu’il est défendu aujourd’hui, conduit droit au socialisme. Distraite de ses devoirs naturels, qui devraient retenir la maîtresse de maison au foyer de son mari et de ses enfants, lancée sur le terrain des luttes publiques et des activités dévolues par la nature au sexe fort, la mère abandonnera forcément l’éducation de ses enfants à la société, en retour du surcroît de services qu’elle prétend lui rendre, et l’école de l’Etat, avec ses obligations et ses compétences toujours plus étendues, usurpera toujours davantage le terrain réservé à la famille.

L’Ecriture a jugé le principe de l’émancipation de la femme dès sa première page ; au v. 15 du chap. 3 de la Genèse, dans une sentence fort dure, mais qui ne l’est pas plus que la chose elle-même, elle annonce à la séductrice de l’homme, comme son lot dans le développement de l’humanité, les douleurs et les incommodités de la grossesse et la dépendance qui la lie à son mari.

Le portrait de la femme sage et forte (Proverbes 31) ne contient rien de semblable aux droits politiques et sociaux de la femme, et n’en est que plus touchant dans sa simplicité. L’Evangile, qui, dans les passages déjà cités, reconnaît à la femme et à l’homme un droit égal à la gloire de Dieu en Jésus-Christ, n’en a pas moins maintenu la subordination actuelle de la femme dans la famille et dans l’Eglise, à plus forte raison dans la société civile. Dans la famille, il lui est recommandé la soumission, et même, dans certains cas plus pénibles, la soumission silencieuse, le respect du foyer dont il lui confie la garde (Éphésiens 5.22 ; Colossiens 3.18 ; 1 Timothée 2.11-12 ; 3.4-5 ; Tite 2.5 ; 1 Pierre 3.1) ; dans l’Eglise, il est défendu à la femme, tout au moins à la femme mariée, de parler et d’enseigner (1 Corinthiens 15.34-35). Saint Paul a motivé ce rapport de subordination de la femme dans l’Eglise et dans les relations conjugales, par deux traits empruntés au récit génésiaque : 1° le fait que la femme a été prise de l’homme (1 Corinthiens 11.9) ; 2° le fait qu’elle a été la séductrice de l’homme (1 Timothée 2.11-14). Ce dernier passage, qui ne traite que des rapports privés de la femme avec son mari, paraît proscrire a fortiori le droit de parler en public.

Toutefois, la question tout actuelle du ministère public de la femme suscite des difficultés exégétiques sérieuses, et l’on discute sur la façon dont s’accordent les interdictions, qui paraissent absolues, faites à la femme de parler en public, avec les cas où le ministère de la femme semble admis par l’apôtre lui-même. Les passages de la première catégorie sont 1 Corinthiens 14.34-35 ; 1 Timothée 2.12-15 ; tandis que 1 Corinthiens 11.5 serait en faveur du second point de vue.

On a cherché à résoudre la difficulté en supposant que saint Paul, dans 1 Corinthiens 11, ne se prononce point encore sur la question de fond, mais seulement sur un incident, et que, sans avoir à décider pour le moment s’il est convenable ou non que la femme prie ou prophétise, il juge avec sévérité celle qui se permettrait de le faire la tête découverte. Cette interprétation ne serait point sans analogie dans cette épître même et serait par conséquent très admissible. Nous croyons cependant qu’on peut trouver dans 1 Corinthiens 11 une concession qui n’invaliderait point la défense de 1 Corinthiens 14, mais à la condition de souligner les mots ἐν ἐκκλησίᾳ, « en assemblée. » Sans exclure absolument le droit pour la femme de prier ou de prophétiser devant témoins (chap. 11), saint Paul lui refuserait toute autorisation de parler en public dans une assemblée régulière de l’Eglise (chap. 14) ; il ne recule pas devant les expressions les plus fortes (αἰσχρόν), pour qualifier de semblables pratiques, d’accord sur ce point avec le sentiment naturel des convenances aussi bien qu’avec les prémisses bibliques. Il va sans dire que le terme de « prophétiser » n’équivaut pas, dans notre interprétation, à ceux de prêcher, d’exhorter, de consoler. De ce que celui qui prophétise exhorte, il ne s’en suit pas que toute personne qui exhorte, prophétise. La condition de la femme auteur, comme celle de la prophétesse dans la primitive Eglise, peut sans doute se légitimer parfois par le succès ; Dieu est toujours libre de faire des exceptions à la règle, en adressant à qui il veut, même à une femme, vocation à remplir un rôle public. Mais nous doutons que ce rôle puisse impunément prendre un caractère de permanence ou de régularité ; et, même dans ces cas exceptionnels, il est entendu que la femme ne quittera pas le signe — vêtement ou chevelure — qui doit faire reconnaître sa dépendance, et qu’indiquent les us et coutumes des différents temps et des différents pays (1 Corinthiens 11.4). La raison profonde de ces dispositions, qui peuvent paraître mesquines et formalistes, nous est révélée dans le même passage : c’est que l’homme a la priorité dans le conseil divin, et que, de même que l’homme est la gloire de Dieu, comme son serviteur le plus fidèle sur la terre, la femme est la gloire de l’homme, comme son aide la plus dévouée.

Serait-ce à dire que l’action, le rôle ou l’influence de la femme fussent amoindris par ce point de vue dans le monde et dans l’histoire ? Bien loin de là ; cette action est tout aussi efficace et nécessaire que celle de l’homme ; elle est seulement d’une autre nature, correspondant aux aptitudes propres qui lui ont été départies par le Créateur.

Aussi, quelle belle place l’histoire évangélique n’assigne-t-elle pas à la femme, depuis Marie, la mère du Seigneur, et Elisabeth, jusqu’aux Marthe et aux Marie, jusqu’à Marie Magdeleine, le premier témoin de la résurrection. La femme selon Dieu apparaît dans l’Ecriture comme l’agent caché derrière les plus grands événements, derrière la vocation d’un Moïse ou d’un Samuel, comme elle le sera aussi derrière celle d’un saint Augustin ; mais elle ne peut agir efficacement qu’à la condition de rester à sa place, qui redoute le bruit et la notoriétéa.

a – Voir les sermons d’Ad. Monod sur la Femme.

2. De la valeur respective du mariage et du célibat au point de vue moral.

L’Eglise catholique a attribué un caractère de sainteté intrinsèque au célibat, et l’esprit de réaction a porté quelques moralistes protestants, Mb de Gasparin par exemple, à y voir un désordre, comme le monde est disposé à en faire un sujet d’opprobre et de railleries. L’Evangile évite l’un et l’autre excès, par la raison bien simple que tour à tour le célibat et le mariage peuvent devenir, dans tel cas donné, une vocation providentielle, et par conséquent une obligation stricte, qui ne serait pas violée impunément ; mais ces cas ont un caractère tout individuel, et l’idée morale se fausse et se matérialise, dès qu’à cette obligation particulière, déterminée par des raisons toutes morales et dont la conscience individuelle reste seul juge, se substitue une règle collective imposée à un état ou à une classe d’hommes, aux membres d’un clergé par exemple, transformé par là en une caste. Le principe qui doit diriger le chrétien dans cette alternative, comme dans toute autre, c’est la règle de la fidélité aux indications providentielles. Il n’y a donc en soi pas plus de sainteté intrinsèque dans un des états que dans l’autre, chacun d’eux étant sanctifié uniquement par l’esprit qui le porte.

b – me.

Il y a des vocations diverses dans le Royaume de Dieu, toutes également saintes, puisque toutes procèdent de Dieu, mais non pas toutes également avantageuses ou glorieuses. Le célibat s’est trouvé être, principalement à l’époque critique de la fondation du christianisme (1 Corinthiens 7.26), un état plus approprié à un grand déploiement d’activité dans le règne de Dieu, parce qu’il est plus dégagé de complications et de soucis, et il a ainsi été taxé par Jésus-Christ et par saint Paul comme un privilège, mais un privilège réclamant une grâce spéciale (Matthieu 19.10-11 ; 1 Corinthiens 7). Saint Paul se place, d’ailleurs, dans l’appréciation du célibat et du mariage, non pas au point de vue de l’obligation morale, qui ne comporterait pas de degrés, mais de l’intérêt bien entendu (πρὸς τὸ ὑμῶν αὐτῶν συμφέρον λέγω, v. 35) ; et nous en concluons que, dans tous les cas où il n’y a pas vocation spéciale, soit au célibat, soit au mariage, le parti à prendre est remis à l’option individuelle et rentre dans ce que nous avons appelé la catégorie du permis. Comp. 1 Corinthiens 7.28-38.

3. De l’état de mariage.

Le mariage se distingue de toute autre union ou affection terrestre, en ce qu’il constitue un rapport de nature à la fois charnelle (Genèse 2.23), psychique et morale entre l’homme et la femme, rapport qui dès lors comporte, d’une part, la dualité et non pas la pluralité des conjoints (monoandrie et monogamie), et, d’autre part, l’indissolubilité, jusqu’à la mort de l’un des conjoints.

C’est ce qui ressort des termes mêmes de l’institution (Genèse 2.23-24 ; comp. Matthieu 19.10). L’union des sexes, même illégitime, consomme déjà ce rapport en lui prêtant un caractère de permanence et même de perpétuité (1 Corinthiens 6.16), et en demeure la base, en constitue le degré inférieur ; et la première intention divine de cette institution se réalise, au cours de l’économie présente, par la perpétuation de l’espèce (Luc 20.34-35 ; comp. 1 Timothée 2.15).

Mais nous dirons de cette institution, comme de celle du sabbat, qu’elle devient ce que l’homme la fait, et qu’elle est de nature à répondre aux différents états et degrés du développement psychique et moral des membres de l’humanité placée sous son régime. Le mariage ne répond pleinement à l’idée de Dieu que dans le perfectionnement moral et spirituel des conjoints l’un par l’autre ; et c’est à ce titre seulement qu’il peut servir de type à l’union mystique de Christ et de l’Eglise (Éphésiens 5.23 ; comp. Colossiens 3.18 ; 1 Pierre 3.1-7).

Ainsi les deux points de vue auxquels Paul considère successivement le mariage, celui qui est exprimé 1 Corinthiens 7 et celui que nous présente Éphésiens 5, se complètent, sans se contredire, comme on l’a prétendu ; l’union mystique formée de la soumission reconnaissante d’une des parties, de l’amour protecteur de l’autre et du dévouement de toutes les deux, est la consommation souveraine de l’union terrestre, et celle-ci n’acquiert toute sa dignité que comme type de l’union spirituelle, où Christ figure comme l’époux suprême et l’Eglise comme l’épouse.

L’Ancien Testament avait déjà eu quelques pressentiments de cette vue sublime, lorsqu’il assimilait à l’union conjugale les rapports entre Jéhovah et son peuple (Osée ch. 1 à 3 et Ézéchiel ch. 16).

Des principes qui précèdent résulte pour le chrétien l’obligation de se marier « selon le Seigneur », c’est-à-dire avec une personne partageant ses croyances (1 Corinthiens 7.39). Cette homogénéité des sentiments moraux et religieux ne doit pas être le motif du choix, mais l’absence de cette condition sera un motif d’abstention.

4. De la dissolution du mariage.

Au point de vue chrétien, l’union conjugale n’est dissoute que par la mort (Romains 7.1-6) ou par l’adultère d’un des conjoints, qui équivaut à la mort du coupable (Matthieu 5.32 ; Marc 10.11 ; Luc 16.18).

La polygamie d’une part, le divorce de l’autre (dans tout autre cas que celui d’adultère), c’est-à-dire la séparation de corps et de biens impliquant la faculté pour l’un des conjoints de contracter une union nouvelle, sont donc exclus tout à la fois par la loi chrétienne et par l’idée primitive de l’institution. Ce ne fut donc que par une accommodation provisoire à la dureté du c{\oe}ur de l’homme que l’ancienne économie toléra cette double anomalie, comme Jésus lui-même le déclare, Matthieu 19.3-10.

Le point de vue de l’Etat en matière de divorce peut différer de celui de l’Eglise : par une accommodation toute semblable à celle pratiquée par Moïse lui-même, la société civile, qui ne se compose pas de chrétiens seulement, aura le droit, pour éviter de plus grands maux, d’étendre la faculté du divorce au-delà des limites tracées par le Seigneur à ses disciples et aux membres de son Eglise. L’interdiction complète du divorce, que l’Eglise catholique a imposée à certaines législations civiles, a eu des effets plus désastreux pour la morale publique que n’aurait fait une latitude trop étendue. La nécessité de l’état-civil en matière matrimoniale, qui se déduit déjà du caractère originel de l’institution du mariage, se démontre ici en fait d’une manière plus palpable et toute pratique ; car, sauf le cas d’adultère, l’Eglise ne peut sanctionner un divorce et consacrer une seconde union, que l’Etat, dans certains cas donnés, fera bien d’autoriserc.

c – Un cas qui ne doit pas être confondu avec celui du divorce, est celui de la séparation de corps temporaire mentionnée 1 Corinthiens 7.5. Des séparations de consentement mutuel sont admises par l’apôtre, pourvu qu’elles soient motivées par le besoin d’une sainte retraite et qu’elles ne soient pas prolongées.

Dans le cas, traité par l’apôtre 1 Corinthiens 7.12-16, où, l’un des conjoints étant chrétien, l’autre qui est infidèle consent à habiter avec lui, le conjoint fidèle doit y consentir aussi ; car la partie infidèle, dit saint Paul, est sanctifiée par la partie fidèle, et non la fidèle souillée par l’infidèle, comme on aurait pu le croire ; et la cohabitation acceptée d’un commun accord implique un consentement tacite, si inerte qu’on le suppose, à la foi chrétienne. Que si l’infidèle se sépare, le conjoint fidèle n’est pas tenu de le rejoindre ; car, ajoute l’apôtre, « que sais-tu, femme, si tu convertiras ton mari ? et que sais-tu, mari, si tu convertiras ta femme ? » Toutefois, cette séparation ne saurait emporter la faculté de contracter une seconde union, qui dans ce cas serait un adultère, puisqu’il n’y a eu jusqu’ici adultère ni d’un côté ni de l’autre.

B. Rapports des parents et des enfants.

Le mariage, tel qu’il est institué sur la terre, ayant pour but inférieur, mais essentiel, la perpétuation de l’espèce humaine et pour but supérieur la réalisation la plus pure et la plus complète de l’amour entre les créatures, dont l’amour trinitaire est le type ineffable, complète son idée par l’éducation des enfants. Cela ne signifie pas que la famille n’existe pas déjà par le mariage ; elle est fondée, mais elle n’est pas complétée, ce qu’indique déjà l’emploi usuel du mot français : famille. C’est qu’aussi l’amour conjugal se purifie de tout élément égoïste et se sublimise, en continuant son évolution dans l’amour paternel et maternel ; et, dans la famille humaine comme en Dieu même, la relation à trois épuise l’idée de l’amour en ce que le sentiment réciproque des deux premières parties se reporte conjointement sur une troisième.

Aussi l’autorité paternelle, émanée elle-même de la paternité divine (Éphésiens 3.15), est-elle tenue dans l’Ecriture et dans l’antiquité en général pour la source de toute autorité terrestre ; et le père de famille est à la fois magistrat, c’est-à-dire, le cas échéant, juge (Genèse 38.24), et sacrificateur (Genèse 12.7). La place du cinquième commandement, immédiatement à la suite des devoirs envers Dieu, donne au père et à la mère (remarquons la mention de la mère !) la qualité de représentants naturels de Dieu sur la terre. On a donc raison dans l’instruction religieuse populaire de rattacher les devoirs envers les supérieurs en général, dans l’Etat et dans l’Eglise, à ceux des enfants envers leurs parents.

Les devoirs respectifs des parents et des enfants sont exposés dans Éphésiens 6.1-4 ; Colossiens 3.21 ; comp. Deutéronome 6.7,20 ; Proverbes 29.17.

L’éducation morale de l’enfant, qui commence dès le premier jour de sa vie, doit se conformer aux principes de la pédagogie divine et suivre dans tous les domaines cette marche graduée et lentement progressive, sans laquelle il n’y a pas de résultats véritablement et définitivement acquis. L’éducation religieuse actuelle, en activant et en précipitant le développement moral, et en offrant au cœur et à l’esprit de l’enfant une nourriture spirituelle pour laquelle il n’est pas préparé et dont le besoin ne s’est pas encore fait sentir chez lui, ne peut produire que des fruits hâtifs et dégénérés. Avant que le sentiment de la sainteté de Dieu et de sa loi soit fondé dans le for intime de la conscience, et en l’absence d’un sentiment au moins élémentaire du péché et de la coulpe, les mots de grâce et de pardon gratuit sont vides de sens pour l’enfant et n’auront d’autre effet que d’affaiblir chez lui l’idée du bien et du devoir.

Les devoirs des frères et des sœurs ne sont pas expressément mentionnés dans l’Ecriture ; mais ils sont partout supposés comme enseignés par la nature, et ils servent, dans le langage de l’Eglise, de type aux devoirs mutuels des enfants du même Dieu, devenus frères en Jésus-Christ.

C. Devoirs des membres de la famille envers leurs hôtes.

L’arrivée dans la famille d’un hôte qui lui est étranger par le sang, doit être considérée par tous ses membres comme un appel de Dieu à lui faire part des biens non seulement temporels, mais spirituels dont elle jouit.

Le devoir de l’hospitalité, qui subsiste encore, malgré la multiplication des hôtels, nous est recommandé Hébreux 13.2, et est appuyé de l’exemple d’Abraham et de Lot (Genèse ch. 18 et 19). L’hospitalité d’Abraham est racontée avec beaucoup de fraîcheur dans Genèse 18 ; elle se distingue par l’empressement personnel à servir même des inconnus. Le point de vue auquel se place l’auteur de l’épître aux Hébreux, c’est que l’hospitalité est un avantage et un bienfait tout d’abord pour la famille qui la donne.

L’hospitalité est naturellement soumise aux mêmes règles de discernement que tout autre exercice de la bienfaisance.

D. Rapports des maîtres et des serviteurs.

Les rapports des maîtres et des domestiques, autrefois esclaves, se rattachent de près à la catégorie précédente, puisque les serviteurs doivent être considérés et traités comme les hôtes auxiliaires de la famille.

Comme nous l’avons déjà fait remarquer, l’Evangile n’a pas aboli violemment l’esclavage, pas plus que le despotisme dans l’Etat, mais il a lentement travaillé à le rendre finalement impossible. Tout en paraissant river ses fers, le christianisme a réellement affranchi l’esclave, d’abord intérieurement (1 Corinthiens 7.22), en faisant de lui l’esclave ou l’affranchi du Seigneur, le modèle des serviteurs en même temps que celui des maîtres (1 Pierre 2.21), transformant ainsi sa servitude matérielle en offrande volontaire faite à Dieu pour l’amour de Christ, et, lorsque le maître était chrétien, relevant l’esclave aux yeux de celui-ci comme aux siens propres, tout en lui interdisant de se prévaloir de sa réhabilitation spirituelle pour oublier sa dépendance sociale (1 Timothée 6.2).

Mais l’Evangile, principe de la vraie liberté, devait apporter au monde toutes les autres par surcroît (Luc 4.19). Par la transformation qu’il a opérée dans les mœurs des sociétés où il agi comme le levain dans la pâte, l’Evangile devait finir par affranchir matériellement l’esclave. L’épître à Philémon est le premier traité sur la cause de l’émancipation des esclaves.

Les principes qui régissaient les rapports des maîtres et des esclaves chrétiens sont donc encore applicables à ceux des maîtres et des serviteurs ; car la morale chrétienne a entendu régler non les conditions extérieures, mais les dispositions (Éphésiens 6.5-9 ; Colossiens 3.22 ; 1 Pierre 2.18-23).

L’inégalité, reconnue par l’Evangile, des maîtres et des serviteurs, des hommes appelés à commander et des hommes appelés à obéir, — la plus choquante de toutes pour le sentiment naturel, car elle l’est davantage que celle des riches et des pauvres, — n’en a pas moins une valeur morale et un but pédagogique et bienfaisant ; elle doit provoquer la compassion des uns et le dévouement, la fidélité humble et résignée des autres ; elle doit avoir son effet bienfaisant pour ceux qui sont en bas, comme pour ceux qui sont en haut, en sollicitant de la part de chacun les vertus appropriées à son état, les manifestations variées du même principe de l’amour.

Il résulte de ce que nous avons dit de la nature et de la destination de la famille qu’elle doit à ses membres, outre les moyens de développer et d’entretenir les forces de leur corps et de leur esprit, les moyens les plus efficaces de perfectionnement moral et de progrès spirituel ; elle doit être comme la pépinière et la souche de l’Eglise, et le culte domestique doit précéder et soutenir le culte public. L’œuvre éducative de la famille ne fait que se continuer dans l’école et dans l’Eglise.

Le chrétien, membre d’une famille spirituelle répandue dans les cieux et sur la terre, n’a pas pour cela répudié ses obligations envers ses parents selon la chair, même alors qu’ils n’auraient pas la même foi et les mêmes espérances que lui. Tout en mettant au-dessus de toute autre affection la cause de l’Evangile et de Jésus-Christ (Matthieu 10.37), il n’oublie jamais qu’il a des devoirs spéciaux et directs envers les siens, soit quant à leur corps, soit quant à leur âme (1 Timothée 5.4,8). Sous prétexte que les devoirs de l’évangélisation sont plus importants que ceux d’épouse et de mère, il n’est pas permis à la femme chrétienne de sacrifier, sans autre vocation que celle d’une impulsion intérieure, ceux ci à ceux-là, et les pasteurs incapables de diriger leur propre famille sont déclarés indignes de gouverner l’Eglise de Dieu (1 Timothée 3.4-5).

Sur la croix même, Jésus s’est souvenu du devoir d’assister sa mère (Jean 19.26), à laquelle il avait dû répondre autrefois : « Femme, qu’y a-t-il entre toi et moi ? » (Jean 2.4).

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