Un livre pour les femmes mariées

Chapitre XV

L'âme enchaînée, l'âme délivrée
(Concerne Clémence Giraud)

Quelques années s'étaient écoulées ; souvent Louise Latour, Clémence, Justine témoignaient à la digne Mme Dubois leur reconnaissance pour ses conseils pieux, et Mme Dubois, à qui chaque jour enseignait mieux ce que c'est que la sanctification et ce que c'est que la malice du cœur de l'homme, Mme Dubois leur répondait : « Chères enfants, je suis pécheresse comme vous, j'ai comme vous beaucoup à combattre, comme vous j'ai souvent offensé, j'offense souvent encore mon Sauveur, toute force vient de Lui, toute lumière du Saint-Esprit ; ne vous attachez donc pas aux paroles d'une pauvre servante de Christ, mais allez à christ ! »

Clémence, chez laquelle la vie évangélique s'était développée à un étonnant degré, remarquait, depuis quelque temps, une amélioration sensible autour d'elle. Les domestiques de la ferme, autrefois rebutés par sa hauteur, maintenant l'aimaient et prenaient plaisir à suivre ses directions ; deux d'entre eux paraissaient très près de devenir vraiment chrétiens. Son plus jeune fils lui rendait caresses pour caresses ; par moments il semblait céder aux appels de Dieu. L'autre, hélas ! se tenait toujours à l'écart ; il avait des égards pour Clémence, il remplissait régulièrement ses devoirs de travailleur, cependant ni son frère ni surtout sa mère ne possédaient sa confiance. L'indifférence religieuse de l'un le faisait souffrir, l'hérésie de l'autre le scandalisait ; mais il avait plutôt une obéissance aveugle pour son église qu'une foi vivante et positive en elle ; il. ne tentait aucun effort pour arracher sa mère à ce qu'on lui faisait envisager comme une erreur damnable, et quant à son père, il ne cherchait pas tant à ranimer chez lui des convictions chrétiennes qu'à le ramener aux pratiques du catholicisme,romain. Thomas avait pour de Dieu, de ce Dieu qu'on apaise au moyen de pénitences douloureuses, qu'on n'ose aborder que par l'intermédiaire des saints ;

Thomas, par conséquent, n'éprouvait pas un ardent besoin d'amener les autres à cette religion qui ne lui donnait ni paix ni joie ; seulement il s'effrayait de l'influence qu'exerçait le christianisme fervent de sa mère, et s'efforçait de mettre lui-même et son Père en garde contre l'action de l'Évangile.

Le père Giraud avait fait quelques pas ; la soumission, l'amitié de Clémence le touchaient.... autant qu'un cœur endurci par l'habitude de l'avarice et de l'égoïsme peut se laisser toucher. Les progrès de Clémence, qui chaque année allaient croissant, lui arrachaient lorsqu'il y pensait cette exclamation : « Les protestants valent mieux que nous !... » mais il y pensait le moins possible, parce que ces réflexions l'amenaient devant son propre péché, qu'elles le plaçaient en face de la justice, de la grâce divine, et que tout cela le mettait mal à l'aise.

Clémence lui parlait avec liberté du bonheur qu'elle éprouvait à se sentir une enfant rachetée de Christ, du calme avec lequel elle envisageait toutes choses, de la confiance avec laquelle elle attendait son dernier jour. Souvent elle le pressait affectueusement de chercher lui aussi l'Éternel. Il l'entendait, agenouillée le soir près de son lit,prier pour ses enfants et pour lui ; tout cela travaillait sourdement son cœur, et tantôt pour obéir à un impérieux besoin de sa conscience, tantôt pour faire plaisir à sa femme, tantôt dans la pensée très-fausse, très-coupable, mais très-commune, de se mettre en règle de tous les côtés, de se faire un peu protestant pour le cas où la religion qui ne s'appuie que sur la Bible serait la vraie, de rester un peu catholique pour le cas où le culte qui s'appuie sur la tradition et sur les imaginations humaines serait le bon ; Giraud permettait à Clémence de lui lire de loin en loin quelques versets de l'Écriture Sainte.

Dans ses bons jours, dans les jours où la conclusion d'une affaire avantageuse le mettait en belle humeur, où quelque attention de Clémence le disposait en sa faveur, il allait jusqu'à s'écrier en lui tapant sur l'épaule : « Voyons, voyons, petite femme ! faut rendre quelque chose au bon Dieu ; dis-moi tes prières. » – Clémence alors ne « disait pas ses prières, » car dire ses prières, dans l'esprit de Giraud comme dans celui de beaucoup de catholiques, c'est murmurer un certain nombre de fois un certain nombre de mots, souvent même de mots latins ; mais attentive à cet ordre du Seigneur : « Quand vous priez, n'usez point de vaines redites ! » (Matthieu 6.7) Clémence se recueillait en la présence de son Père céleste, et allant droit à Lui, ne s'appuyant pour s'en faire écouter que sur le nom de Christ, elle répandait son cœur devant la Trinité sainte, demandant ce dont elle avait besoin, rendant grâce pour ce qu'elle avait reçu, s'humiliant à cause, de, ses péchés, se réjouissant avec les anges et les élus de ce qu'un Sauveur nous est né, implorant avec ferveur sur toute sa famille les grâces du Seigneur.

Oh ! qu'elle se sentait doucement émue quand, après ces courts instants d'union chrétienne, elle apercevait une fugitive trace d'émotion sur les traits de Giraud !

Cette joie dura peu. Comme en un de ces matins où l'aube qui blanchit à l'orient voit tout-à-coup ses clartés naissantes obscurcies par les vapeurs qui s'élèvent de la terre, l'âme du fermier un instant éclairée, s'enveloppa de nouveau de toutes les ténèbres de l'erreur.

Thomas, épouvanté de la complaisance que mettait son père à lire cette Bible, terreur de Rome, avait raconté dans la confession tout ce qu'il savait des rapports religieux de Clémence avec Giraud.

Les prêtres se rapprochèrent du fermier, ils le visitèrent plus régulièrement, ils lui remirent en mémoire les prescriptions de l'Église ; Thomas, qui se sentait soutenu, employa pour dominer son père les moyens dont on s'était servi pour l'assujettir lui-même, il s'efforça de le troubler en lui parlant de l'enfer et du purgatoire, de le tranquilliser en lui parlant de l'efficacité des pénitences et de la puissance de l'absolution donnée par un homme ! Giraud se souvenait bien de certaines déclarations de la Bible qui contredisent évidemment ces doctrines romaines, de celles-ci par exemple : « Celui qui croit au Fils de Dieu a le témoignage de Dieu en soi-même. (1 Jean 5.10) Christ est celui qui ouvre et personne ne ferme, qui ferme et personne n'ouvre ; » (Apocalypse 3.7) de celles-là : « Vous êtes sauvés par grâce, par la foi, et cela ne vient point de nous, c'est le don de Dieu ; non point par les œuvres, afin que personne ne se glorifie ; » (Ephésiens 2.8) mais on lui répondait qu'un homme illettré comme lui ne peut rien comprendre à la Parole de Dieu, et il se tenait pour satisfait, car son cœur naturel parlait comme l'Église de Rome. Il ne se souciait point de ce salut gratuit qui nous engage à l'égard de Christ et nous dégage à l'égard du péché, il lui préférait ce rachat de l'homme par l'homme, ce rachat impossible qui, nous plaçant vis-à-vis de Dieu dans la position de l'acquéreur vis-à-vis du marchand, nous permet de nous tourner tantôt du côté de l'Éternel quand la conscience crie trop fort, tantôt vers le diable quand c'est la convoitise qui parle.

Sous un prétexte ou sous l'autre, Giraud cessa de lire les Saintes-Écritures avec Clémence ; il évita toutes les conversations qui auraient pu le ramener en face de la vérité. En revanche, il fut à la messe, puis il dit son chapelet matin et soir, puis il fit maigre, puis à ses prières habituelles il joignit de dévotes invocations à la Vierge. Il est vrai qu'en prononçant ces mots. « Mère sans souillure et sans tache... un seul nom ne peut suffire pour exprimer cette incomparable pureté que vous avez conservée dans toutes les puissances de votre âme et de votre corps, dans tous les temps de votre vie, dans toutes les circonstances de votre divine maternité, par l'exemption de toute espèce de péché ;... » (Mois de Marie) il est bien vrai qu'en prononçant ces mots, les paroles de Marie elle-même : « Mon esprit se réjouit en Dieu qui est mon Sauveur, » parce qu'il a regardé à la « bassesse de sa servante » (Luc 1.48) retentissaient désagréablement à ses oreilles ; il est bien vrai que lorsqu'il s'adressait à « l'unique avocate des pécheurs, » (Mois de Marie) cette déclaration de saint Paul : « Il y a un seul médiateur entre Dieu et les hommes, savoir Jésus-Christ homme ! » (1 Timothée 2.5) semblait s'écrire en lettres de feu sur son livre ; tout cela l'inquiétait ; mais, pour revenir en arrière, il eut fallu s'approcher sérieusement de Dieu, accepter son pardon, se donner.... et Giraud passait outre.

Plus tard il fit encore un pas, le dernier qui lui restât à franchir, il se rendit à confesse, et dès ce moment la défiance repartit, les relations conjugales redevinrent contraintes, la tristesse rentra dans le cœur de la pauvre Clémence.

Il y avait des instants où, poussé par un secret remords, par un secret instinct peut-être, Giraud adressait quelques paroles amicales à sa femme ; mais bientôt la préoccupation des affaires, les soucis, la crainte de déplaire aux prêtres reprenant le dessus, le fermier rentrait dans sa froideur habituelle.

– Faut faire sa religion ! répondait-il à Clémence, lorsque celle-ci, navrée à la pensée de l'inutilité des jeûnes et des pénitences tout extérieures qu'il s'imposait, lui citait ce passage des Psaumes : « Tu ne prends point plaisir aux sacrifices, autrement j'en donnerais ; l'holocauste, ne t'est point agréable. Les sacrifices de Dieu sont l'esprit froissé ; (Psaumes 51.17) » ou ces mois du Sauveur. « Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l'homme ; mais ce qui sort de la bouche, c'est ce qui souille l'homme ; » (Matthieu 15.11) ou ceux-ci de saint Paul, « l'Esprit dit expressément, qu'aux derniers temps quelques-uns se révolteront de la foi, s'adonnant aux esprits séducteurs et aux doctrines des démons.... commandant de s'abstenir des viandes que Dieu a créées pour les fidèles et pour ceux qui ont connu la vérité, afin d'en user avec des actions de grâces ; car toute créature de Dieu est bonne, et il n'y en a point qui soit à rejeter, étant prise avec des actions de grâces, parce qu'elle est sanctifiée par la Parole de Dieu et par la prière. » (1 Timothée 4.1)

– Faut faire sa religion !

– Mais il n'y a pas deux religions également bonnes, mon ami ; il n'y a pas deux vérités également vraies !... Il n'y a qu'un chemin, qu'une vérité, qu'une vie ; et c'est Jésus. Il n'y a qu'une Parole de Dieu d'après laquelle nous serons tous jugés ; et c'est la Bible !...

Ces tristes mots si souvent répétés jadis : « Tu as ta religion, j'ai la mienne ! » venaient fermer la bouche de Clémence.

Clémence touchait au terme. Une grave maladie lui fit faire de dernières et précieuses expériences. Elle se vit couchée sur un lit de douleur, elle apprit à se détacher de beaucoup de choses à l'égard desquelles elle se croyait libre, mais qui tenaient une trop grande place dans son cœur. Lorsque le Seigneur l'eut mise dans l'inaction, l'eut exposée à de cruelles souffrances, elle sentit vraiment que Christ nous suffit. L'affection de ses frères chrétiens lui fit éprouver des joies inconnues jusqu'alors. Chaque visite du pasteur lui apportait de nouvelles lumières ; chaque conversation avec Louise, avec Antoine, avec Justine, lui donnait comme un avant-goût de la communion des élus. L'angoisse lui ôtait-elle jusqu'à la force de prier ? elle savait que des supplications s'élevaient pour elle jour et nuit. Demeurait-elle dans l'isolement ? Jésus se tenait près d'elle. Parfois le démon s'efforçait de lui arracher sa confiance en entassant devant elle ses péchés d'autrefois, ses péchés de tous les jours ; mais le cœur de Clémence était garde par le vainqueur de Satan, et sa sérénité, un instant troublée, revenait plus parfaite. À mesure qu'elle voyait mieux sa misère spirituelle, elle saisissait avec plus de force la justice de Christ pour s'en couvrir tout entière comme d'un resplendissant manteau.

Autour d'elle, hélas ! les ténèbres s'obscurcissaient. Thomas, de plus en plus troublé, épouvanté par le voisinage de la mort, ne s'approchait du lit de sa mère qu'en tremblant ; chez lui l'effroi étouffait presque l'amour.

Le père Giraud, sombre, mais repoussant la tristesse comme il repoussait tout ce qui pouvait soulever dans son esprit les terribles questions de jugement ou de nouvelle naissance, redoublait d'activité extérieure, n'entrait chez sa femme que pour lui nier un danger qu'il se niait à lui-même, et fuyait plus que jamais les moments d'expansion qui l'eussent mis en présence de l'éternelle vérité.

Que de larmes Clémence avait versées sur ces tristes liens si près de se rompre ! Ce mari, nu instant touché, un instant rapproché d'elle,qui maintenant échappait prématurément à l'union bientôt brisée ; ce fils, ce fils de ses entrailles, devenu presque un étranger pour elle ; pas une prière près de son lit, pas une voix d'époux, d'enfant bien-aimé qui vint la fortifier en lui transmettant les réjouissantes promesses du Seigneur. Pierre seul, angoissé, malheureux, de temps en temps lisait pour lui obéir un Psaume de David, un chapitre de l'Évangile. - Quelle tristesse !... et pour ces pauvres âmes quel avenir ! ...

À cette pensée d'avenir, un trouble indéfinissable agitait le cœur de l'épouse, de la mère. Enfin, le Seigneur triompha de ses défiances comme il avait triomphé de son orgueil, de sa rébellion, de tout ce qui s'opposait au bonheur qu'il lui voulait donner.

Clémence avec une pleine foi déposa tout ce qui lui était cher dans les miséricordieuses mains de Dieu.

Le dernier jour arriva. Une douce conversation avec le pasteur avait réjoui le cœur de Clémence ; Justine restée auprès d'elle la soutenait par son affection et par sa foi. Entraîné, sans se l'avouer peut-être, par le besoin d'échapper à des scènes cruelles, Giraud était allé terminer une affaire à la ville voisine ; Thomas, guidé par le même instinct,s'était éloigné de la maison ; il n'y rentrait au reste qu'avec répugnance, depuis que la maladie de sa mère y attirait des chrétiens évangéliques ; depuis que les convictions de cette dernière, débarrassées de leurs dernières entraves par le voisinage du départ, s'exprimaient avec une liberté, avec un amour contre lesquels il avait peine à défendre son cœur. Pierre, assis, ou plutôt affaissé au pied du lit, regardait Clémence d'un œil terne. Pauvre jeune homme ! Aucun rapport de goûts, de pensées ne l'unissait à son frère, aucun à son père, que l'étourderie de ce caractère, que son éloignement pour les affaires d'intérêt exaspérait souvent. Avec sa mère allait lui échapper toute affection, tout appui, tout bonheur !... La maison paternelle se faisait déserte pour lui, son âme désespérée tantôt s'adressait à Dieu, mais sans amour, tantôt se cramponnait à cette idole chérie et la défendait contre l'Éternel.

Clémence se souleva un peu... « Personne, » dit-elle en promenant ses regards affaiblis dans la chambre ; un nuage de tristesse passa sur son front. « Personne !... Oh !... si... toi mon enfant... toi Justine,.. tu leur diras que je vais au Seigneur,... que j'ai la paix,... qu'ils cherchent Christ... » Épuisée, elle posa le doigt sur un livre entr'ouvert près d'elle... « Pierre,... ma bible... à toi... » Un sourire épanouit ses lèvres, ses deux mains s'élevèrent vers le ciel comme pour répondre à un appel, toute sa figure parut illuminée par un éclair de félicité, et son dernier souffle passa doucement.

Quand Giraud rentra le soir, le silence de la ferme, les sanglots de Pierre, la morne tristesse de Thomas assis dans un coin, lui apprirent la vérité. Il pleura, il eut un instant d'épanchement. pondant lequel, serrant Pierre dans ses bras, il promit de remplacer auprès de lui sa tendre mère. Un jour après, le pasteur qui vint présider aux funérailles trouva Giraud encore ému, et cependant pressé de recommencer le train ordinaire de la vie. Par degrés, tout dans la ferme reprit l'ancienne marche ; Thomas devint de plus en plus taciturne ; Pierre, qui, malgré les promesses de son père, avait Vite retrouvé chez lui la défiance, la sévérité d'autrefois, chercha des consolations auprès des joyeux compagnons qui hantaient les cafés de Saint-Agrève ; il se laissa entraîner au jeu, à la boisson, et s'aliéna de plus en plus le cœur de Giraud. Celui-ci se tourna du côté où l'attiraient ses sympathies naturelles, et mit Thomas à la tête de la ferme. Dès lors, tout alla de mal en pis, jusqu'au moment où Pierre exaspéré s'engagea dans l'armée d'Afrique et partit, n'emportant de la maison paternelle que ses hardes et la Bible de sa mère, pauvre Bible couverte de poussière qui vint au dernier moment frapper ses regards, et qu'il enfonça dans son sac avec un gros soupir.

Quant au père Giraud, nul ne peut dire ce qui se passa dans son âme. Quelquefois, lorsqu'un marché à conclure appelait Thomas hors de la ferme, on le voyait s'asseoir dans la chambre de sa femme, et prendre un Nouveau-Testament que Clémence lui avait donné jadis. Il l'ouvrait, tournait quelques pages, semblait méditer, secouait la tête, puis fermait précipitamment le volume et s'en allait.

Le père Giraud avait tous les dehors d'un catholique romain fidèle à son église ; il récitait régulièrement ses prières, il jeûnait et manquait rarement la messe. Il faut le dire, à mesure que les années affaiblissaient le corps et l'esprit du fermier, Thomas prenait un plus grand empire sur lui ; Thomas n'aurait pas laissé passer sans discussion la négligence ou l'oubli d'une seule des pratiques du culte. Toute la maison revêtit bientôt l'apparence de ce bigotisme superstitieux. Une petite statue de Marie fuit placée dans une niche à côté de la porte ; les appartements se tapissèrent,d'images de saints et de saintes ; on suspendit des branches de buis partout, les prêtres vinrent répandre l'eau bénite sur les terres et sur les récoltes. Thomas essaya d'expulser le Nouveau-Testament qui lui rappelait d'une manière douloureuse l'hérésie de sa mère ; mais le père Giraud s'entêta, et le Nouveau-Testament garda sa place à côté des Codes et du Voltaire dépareillé. Le fermier, ainsi l'heure de la mort arriva ainsi qu'elle était arrivée pour Clémence. Il la vit s'approcher avec épouvante ; sa tête s'embarrassa vite ; dans ses rêveries, le nom de Clémence, ses derniers adieux transmis par Justine revenaient sans cesse. On accomplit sur lui, plutôt qu'avec lui, les cérémonies du culte romain ; il fut reconnu pour le fils fidèle et soumis de l'Église. comme tel, on l'enterra en terre sainte.

Il est bien vrai que Thomas avait retrouvé sous le chevet de son père le Nouveau-Testament, si obstinément conservé ; il est bien vrai que plus d'une fois il avait entendu sortir des lèvres du mourant des phrases telles que celles-ci : « ... bon Jésus... près de Clémence... ! » Tout cela lui donnait de sourdes inquiétudes ; mais, il les étouffa en faisant dire une centaine de messes pour le repos de l'âme du fermier, que,contrairement à ces paroles de Dieu : après la Mort suit LE JUGEMENT, (Hébreux 9.27) il croyait retenu pour des milliers d'années dans les flammes du purgatoire.

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