Théologie Systématique – III. Prolégomènes et Cosmologie

Article II
Du péché adamitique

Notre expérience quotidienne nous montre que le monde dans lequel nous vivons est anormal et désordonné. Cela n’est pas un dogme, c’est un fait. Les principaux des maux physiques, la souffrance et la mort sont là, au besoin, pour rendre ce fait plus palpable, plus indéniable encore. L’expérience éclairée par la conscience nous atteste également que le mal moral, comme le mal physique, a atteint tous les enfants des hommes, et confirme sur ce point l’enseignement scripturaire. Ainsi, réalité du mal physique certifiée par l’expérience universelle, réalité du mal moral certifiée par la conscience universelle : voilà des données qu’on peut appeler acquises à la discussion.

Mais s’agit-il de remonter à l’origine du fait et d’en définir l’essence, c’est ici, et on le comprend, que les divergences d’opinions commencent. Les uns accordent l’universalité originelle du mal, mais en en affirmant la nécessité ils en nient par là même la culpabilité, et convertissent le mal en bien. Ce sont les optimistes. Les autres, tout en constatant l’universalité actuelle du mal, nient que cette universalité soit originelle, et tiennent le mal pour un accident se renouvelant dans l’universalité des cas par l’effet du hasard. Ce sont les pessimistes. L’optimiste se juge dans le meilleur des mondes possible ; et à ses yeux aussi, le sens moral qui appelle le mal mal et accuse le coupable, ne représente qu’un degré inférieur de la conscience de l’humanité. Selon les autres, le monde est mauvais et aussi mauvais qu’il peut l’être, et cela sans cause et sans raison. Rousseau et Voltaire, Leibnitz et Schopenhauer, les uns disant que le monde est aussi bon, les autres qu’il est aussi mauvais qu’il peut l’être, s’accordent en ce point que l’état du monde est sans remède.

Selon la conception biblique, l’état de péché où se trouve l’humanité actuelle est un fait à la fois universel et accidentel, fatal pour l’individu et affecté d’une coulpe spécifique ; et la synthèse de ces éléments, contradictoires en apparence, se trouve dans la doctrine d’une chute primitive de l’humanité survenue chez le premier auteur de l’espèce. Cette donnée qui n’est point une solution, n’en est pas moins la conception qui, au point de vue rationnel même, soutient le mieux l’examen ; car quelque sévères que soient les épithètes que l’on attache à la doctrine traditionnelle dite du péché originel, on ne saurait faire ni que le péché ne soit pas universel, ni que la conscience cesse d’y voir une anomalie.

« Le dogme chrétien de la chute de l’humanité, a écrit M. Naville, renferme la doctrine philosophique qui rend le mieux compte à la raison des données de l’expérience à l’occasion desquelles se pose le problème du malp. »

pLe Problème du mal, 4e discours.

« Les philosophes qui rejettent la chute, a écrit à son tour M. Ch. Secrétan, ne se mettent pas en peine de rendre compte des faits. Il y a chez eux du parti pris ; ce n’est pas comme on se l’imagine quelquefois, l’idée de la chute qui les détourne du Christianisme ; au contraire, ils ne veulent pas de la doctrine philosophique de la chute, qui s’imposerait à tout observateur sincère et sans préoccupation, parce qu’ils sentent que cette doctrine les mènerait au Christianisme… Mais pour échapper à la chute, il n’y a qu’une issue : le fatalismeq. »

qRecherches de la méthode. De l’humanité et de l’individu, p. 289.

Nous avons à exposer dans un premier chapitre le fait primitif de la chute du premier couple, tel qu’il est attesté par les documents bibliques, et dans un second, les conséquences que ce fait a eues pour les auteurs eux-mêmes, pour la nature et pour l’humanité.

Nous ne saurions absolument nous associer au programme d’une étude du péché tracé par M. le professeur Bouvier dans le rapport présenté par lui à la Société pastorale suisse à Genève, le 19 août 1885.

« Approprier, a dit le rapporteur, notre enseignement de la doctrine chrétienne du péché, nous ne disons pas au caprice, à la mode, mais aux expériences et aux besoins de notre époque, quoi de plus vaste, je dirai presque de plus vague ! Essayons de circonscrire la tâche.

Les expériences de notre époque ? Je crois en distinguer quatre : la démocratie ; — le règne de la science ; — la foi au progrès ; — la foi à la vie. »

Outre que ces quatre facteurs ne nous paraissent pas s’exclure logiquement les uns les autres, nous nous sommes demandé ce que la démocratie entre autres venait bien faire en cette affaire. Il ne manquerait plus que d’interroger le suffrage universel sur la nature du péché originel.

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