Explication de l’Épître aux Éphésiens

3. Prière de l’Apôtre pour les Éphésiens.

3.14-21

14 C’est pourquoi, dis-je, je fléchis les genoux devant le Père [de notre Seigneur Jésus-Christ], 15 duquel toute famille dans les cieux et sur la terre tire son nom ; 16 afin qu’il vous donne, selon la richesse de sa gloire, que vous soyez fortifiés en puissance par son Esprit dans l’homme intérieur, 17 que Christ habite par la foi dans vos cœurs, 18 étant enracinés et fondés dans l’amour, afin que vous soyez capables de comprendre, avec tous les saints, quelle est la largeur et la longueur et la profondeur et la hauteur, 19 et de connaître l’amour de Christ qui surpasse toute connaissance, afin que vous soyez remplis jusqu’à toute la plénitude de Dieu. 20 Or à celui qui, selon la puissance qui opère en nous, peut faire par-dessus toutes choses, infiniment au delà de tout ce que nous demandons ou pensons, 21 à lui la gloire dans l’Église en Jésus-Christ, dans toutes les générations du siècle des siècles. Amen !

C’est pourquoi. C’est ici que l’Apôtre reprend la prière annoncée au verset 1, mais suspendue par la parenthèse renfermée dans les versets 2-13. Les mots « c’est pourquoi » se rapportent donc ici, comme dans le verset 1, aux derniers versets du chapitre 2, et plus spécialement aux versets 19-22. C’est parce que les Éphésiens ont été, par la foi en Jésus-Christ, associés aux Juifs croyants et reçus dans la maison de Dieu, que l’Apôtre demande leur accroissement dans la grâce et leur accomplissement spirituel. Cette seconde prière de saint Paul pour les Éphésiens a ainsi le même motif que la première (1.15-20), dont elle n’est guère que la reprise et le développement. Telle est la gratuité des dons de Dieu et notre pauvreté propre, que nous n’avons pas d’autre titre à des grâces nouvelles que les grâces déjà reçues ; mais ce titre suffit. Car « en commençant une bonne œuvre en nous, » ce Dieu fidèle s’est engagé à « l’accomplir jusqu’à la journée de Jésus-Christ » (Philippiens 1.6) ; pensée empruntée au Psaumes 138, que saint Paul paraît avoir eu devant les yeux en écrivant le verset 16 de notre chapitre, ainsi que nous le dirons tout à l’heure : « L’Eternel achèvera ce qui me concerne. Eternel, ta bonté demeure à toujours ; tu n’abandonneras point l’œuvre de tes mains » (Psaumes 138.8). Autant d’applications de cette maxime profonde du Seigneur, qui contient la substance de toute la doctrine évangélique : « On donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance » (Matthieu 13.12).

Devant le Père, littéralement « vers le Père » ou « au Père ; » le choix de la préposition convient moins à l’idée énoncée de fléchir les genoux qu’à l’idée sous-entendue de prier. Les genoux se fléchissent devant Dieu ; mais la prière est dirigée vers Dieu. Les mots : de notre Seigneur Jésus-Christ, manquent dans les manuscrits les plus anciens, et les meilleurs critiques s’accordent à les supprimer. Il est facile de comprendre que les copistes les aient ajoutés, d’après Éphésiens 1.3 ; Colossiens 1.3, etc. Ce n’est pourtant pas le seul endroit, même dans cette épître, où saint Paul ait désigné Dieu sous le seul nom de Père, sans complément : 2.18 ; 5.20 ; Colossiens 1.12.

Duquel toute famille dans les cieux et sur la terre tire son nom. Le pronom duquel devrait être rapporté non à Jésus-Christ, mais au Père, alors même que les mots « de notre Seigneur Jésus-Christ » seraient conservés. Cela est évident dans le texte original par une nuance que la traduction ne peut pas rendre, et sans laquelle notre verset ne saurait pourtant être bien compris. Le mot que nous traduisons famille est dérivé en grec du mot père, à peu près comme le mot créature l’est dans notre langue du mot Créateur. Si nous disions : Je prie le Créateur, duquel toute créature tire son nom, etc., chacun saisirait notre pensée ; il y a entre le créateur et la Créature un lien que ce nom seul de créature rappelle, et qui doit nous engager à nous approcher de Dieu avec confiance. La pensée de l’Apôtre est toute semblable. Entre le père (grec, pater) et la famille (grec, patria), il y a un lien que ce nom seul de patria rappelle et qui doit engager les membres de la famille à s’approcher de lui avec une confiance filiale. La version de Martin a essayé de conserver cette nuance en traduisant par parenté le mot que nous rendons par famille ; mais, outre que le rapport du mot parenté à père est peu sensible en français, ce mot est équivoque ; il s’emploie non seulement de la famille, mais encore de la relation réciproque des membres qui la composent. Quelques commentateurs ont adopté, en effet, ce dernier sens ; dans ce cas, il vaudrait mieux traduire paternité que parenté, et la pensée de l’auteur sacré serait que toute idée de paternité a son type et son origine dans le rapport qui existe entre Dieu et ses créatures ; mais ce sens, bien qu’ingénieux, ne se lie pas avec le contexte, et, ce qui est surtout décisif, n’est pas justifiable philologiquement, le mot grec patria n’ayant jamais la signification abstraite de paternité, ni dans les auteurs profanes ni dans le Nouveau Testament, où on le trouve en deux autres endroits, Luc 2.4 (la famille de David), et Actes 3.25 (la famille de la terre). La famille dont saint Paul entend parler dans notre verset, c’est une famille spirituelle ; et c’est pour cela qu’il a pu parler, non seulement d’une famille terrestre, mais encore d’une famille céleste, c’est-à-dire des anges. Toute famille spirituelle, soit celle des anges dans le ciel, soit celle des Juifs croyants ou des Gentils croyants sur la terre, tire son nom du Père, l’invoque comme Père et reçoit de lui le titre d’enfants. Les hommes croyants, Juifs ou Gentils, sont appelés « enfants de Dieu, » et les anges fidèles sont également appelés « fils de Dieu » (Job 1.6, etc.). Au lieu de « toute famille, » Olshausen traduit « toute la famille, » toute la famille de Dieu, tant la partie de cette famille qui se compose des hommes croyants que celle qui se compose des anges fidèles. Nous convenons que le sens du verset est facilité par cette traduction ; mais elle est moins en harmonie que la nôtre avec l’original, qui n’a pas l’article. Harless traduit ainsi que nous : « toute famille. » Luther a traduit : Der der rechte Vater ist über alles was da Kinder heisst im Himmel und auf Erden, c’est-à-dire « qui est le véritable Père de tout ce qui s’appelle du nom d’enfant dans le ciel ou sur la terre. » Cette belle version rend fort bien le fond de la pensée, quoique en s’écartant des mots. L’objet que l’Apôtre s’est proposé dans ce verset y est clairement exprimé : c’est de fortifier la confiance filiale des Éphésiens en Dieu, au moment où il va prier le Père en leur faveur.

Selon la richesse de sa gloire (Voyez 1.17-18).

Que vous soyez fortifiés en puissance. On peut l’entendre de deux manières : ou que vous receviez un accroissement de puissance, comme être fortifié en lumière, en charité, etc., serait recevoir un accroissement de lumière, de charité, etc. (Harless) ; ou bien, que vous soyez fortifiés avec puissance, avec un déploiement éclatant de la puissance divine au dedans de vous (Olshausen). Nous préférons cette dernière explication, à cause des parallèles, Romains 1.4, et Actes 4.33 ; mais en faisant observer qu’il ne faut pas traduire puissamment comme l’ont fait nos versions. Qu’on essaye de cette traduction dans Romains 1.4, et l’on sentira qu’elle affaiblit la pensée de l’original, et même qu’elle ne la rend pas exactement. Jésus-Christ n’a pas été puissamment déclaré Fils de Dieu par la résurrection, ce qui n’aurait pas de sens ; mais il l’a été avec un déploiement éclatant de la puissance divine (Éphésiens 1.20). Au reste, nous ne pouvons douter que l’Apôtre n’ait eu présent à l’esprit, en écrivant ce verset, le Psaume 138.3 : « Au jour que j’ai crié, tu m’as exaucé, et tu m’as fortifié (littéralement enorgueilli, rempli de confiance) en force dans mon âme ; » en force correspond à notre en puissance, et dans mon âme à notre dans l’homme intérieur. Le passage que nous expliquons, éclairci par le verset du psaume, l’éclaircit à son tour, et nous montre qu’il faut s’en tenir à la traduction de ce dernier passage que nous venons de citer, et ne pas traduire, avec quelques commentateurs : « Tu m’as rempli de confiance ; la force est dans mon âme » (Stier). On ne saurait trop insister sur la lumière que les deux Testaments répandent l’un sur l’autre.

Par son Esprit dans l’homme intérieur. La langue grecque a deux prépositions qui répondent à notre préposition unique dans. L’une suppose le mouvement et s’emploie quand il est question d’aller dans un lieu ; l’autre suppose le repos et s’emploie quand il est question d’être dans un lieu. C’est de la première que saint Paul fait usage dans notre verset, tandis qu’il fait usage de la seconde au verset suivant. Cette nuance est importante, et pour la conserver, nous traduirions volontiers jusque dans l’homme intérieur, si cette traduction n’avait l’inconvénient de l’outrer et même de l’altérer un peu. La version de Lausanne, 1839, quant à l’homme intérieur, n’est ni heureuse ni exacte. Bornons-nous à faire remarquer que le choix de la préposition dont saint Paul s’est servi nous dépeint le Saint-Esprit jaloux d’agir sur l’homme intérieur et de faire pénétrer jusqu’à lui cette force qu’il nous communique. L’homme intérieur, qu’il ne faut pas confondre avec l’homme nouveau (Éphésiens 4.24) ou avec l’homme spirituel (1 Corinthiens 2.15), c’est la partie la plus intime de notre être, par opposition à ce qui est extérieur (2 Corinthiens 4.16 ; Romains 7.22), ce fond de notre nature où tout le reste a sa racine et « duquel procèdent les sources de la vie » (Proverbes 4.23) ; ou, comme s’exprime saint Pierre, « l’homme caché du cœur. » C’est ce fond de l’homme que le Saint-Esprit va chercher ; car le caractère et la mission propre du Saint-Esprit est d’opérer sur cette partie intime de notre esprit ; d’où il arrive que le mot spirituel désigne également ce qui est opéré par l’Esprit de Dieu ou ce qui est opéré dans l’esprit de l’homme, ou l’un et l’autre à la fois, sans que cette équivoque touche au fond de la pensée, puisqu’il s’agit des mêmes objets ; vus seulement sous deux faces diverses. On peut avoir, sans cette action intérieure du Saint-Esprit, une certaine connaissance de la vérité ; et même une connaissance assez étendue et assez précise pour nous rendre capables de l’exposer et de la défendre. Mais cette connaissance est comme en dehors de nous ; elle s’arrête à la région de l’intelligence, ou du moins à celle du sentiment ; elle ne pénètre pas jusqu’au fond, jusqu’à ce que le Saint-Esprit la prenne et la fasse entrer dans l’homme intérieur. Cette œuvre est clairement décrite et distinguée d’avec la révélation extérieure qui s’écrit sur les pages d’un livre ou sur des tables de pierre, tandis que le Saint-Esprit écrit « sur les tables charnelles du cœur » (2 Corinthiens 3.3). Alors seulement il se fait un vrai renouvellement dans le cœur, « le renouvellement du Saint-Esprit, » comme l’appelle notre Apôtre (Tite 3.5). Alors aussi la foi prend un caractère vivant, parce qu’elle a pénétré jusqu’aux racines de la vie, et un caractère personnel, parce qu’elle repose désormais, non sur le témoignage d’autrui, mais sur l’expérience propre (Jean 4.42). Celui qui croit de la sorte « a le témoignage au dedans de lui-même » (1 Jean 5.10) ; il ne reçoit plus la vérité sur l’évidence des preuves, mais il la sent instinctivement d’une manière qui a quelque analogie avec celle dont Dieu la contemple, et il n’en peut pas plus douter qu’il ne peut douter de lui-même1.

1 – Il y a, de nos jours, bien des chrétiens qui ont cru sincèrement au Seigneur, et qui pourtant demeurent vacillants, incertains, abattus, et plus vaincus que vainqueurs. Ne serait-ce pas l’œuvre du Saint-Esprit, décrite dans notre verset, qui leur manque ? Ne seraient-ils pas semblables aux disciples de l’Ancien Testament, ou tout au plus à ceux du Nouveau, avant la Pentecôte ?

L’action du Saint-Esprit, que nous avons cherché à caractériser, est celle du Saint-Esprit donné sous la nouvelle alliance et à ceux qui ont déjà cru en Jésus-Christ (Jean 7.39). Il y a une action plus générale du Saint-Esprit qui précède la foi et la produit (1 Corinthiens 12.3), et qui s’est exercée déjà sous l’Ancien Testament. (Psaumes 51.13-14). Cette action générale, les Éphésiens l’avaient déjà éprouvée (2.18), et c’est ce qui encourage l’Apôtre à demander pour eux cette autre action plus spéciale et plus intime du même Esprit, comme il l’a fait dans 1.17 (à rapprocher de 1.13). Parce qu’ils ont été scellés du Saint-Esprit, l’Apôtre demande pour eux le Saint-Esprit. Cette contradiction apparente s’explique par la remarque que nous venons de faire : il y a Saint-Esprit et Saint-Esprit, ou pour parler plus exactement, bien qu’un apôtre n’ait pas craint l’expression moins précise, mais plus énergique (Jean 7.39), il y a plus d’une opération du Saint-Esprit. Une fois entrés dans la voie du Seigneur, les progrès que nous sommes appelés à faire ne sont que de nouveaux développements d’un germe déjà reçu. C’est pour cela que les mêmes termes qui servent à décrire les commencements de la vie divine dans l’homme, servent également à en décrire l’accroissement et même l’accomplissement final ; mais il faut donner alors à la signification de ces termes une extension graduelle, qui se proportionne à ce développement successif. Par une raison semblable l’Apôtre souhaite, dans le verset suivant, à des hommes qui sont déjà en Christ (1.13 ; 2.13), et en qui Dieu habite en Esprit (2.22), « que Christ habite dans leurs cœurs par la foi. » Harless et Olshausen ont vu là une difficulté sérieuse ; nous n’y en voyons pas plus que dans notre verset, où l’Apôtre souhaite l’action du Saint-Esprit à des hommes qui ont été déjà scellés du Saint-Esprit (1.13 ; 2.18, etc.). Et comment expliquer autrement Jean 2.11 : « Et ses disciples crurent en lui ; » ou Jean 15.8 : « C’est en cela que le Père sera glorifié, que vous portiez beaucoup de fruit ; et vous deviendrez mes disciples ; » ou 1 Jean 5.13 : « Je vous ai écrit ces choses, à vous qui croyez au nom du Fils de Dieu, afin que vous croyiez2 ? »

2 – D’après la leçon reçue. De bons critiques suppriment les derniers mots.

Que Christ habite par la foi dans vos cœurs. La grâce que l’Apôtre demande ici pour les Éphésiens est une conséquence de celle qu’il a demandée dans le verset précédent ; ou si l’on veut, c’est la même grâce vue par un autre côté. En ajoutant en sorte que, avec nos versions, on rend les choses plus claires qu’elles ne sont dans, l’original.

Saint Paul fait allusion à Éphésiens 2.22, où il a appelé les Gentils convertis « une habitation de Dieu en Esprit » (1 Corinthiens 6.19). Le Saint-Esprit est dit également « habiter en nous » (Jacques 4.5). Christ habite en nous par la foi (Galates 2.20) : cela ne signifie pas seulement que la foi en Christ est dans notre cœur ; Christ lui-même y habite réellement, mais spirituellement, « comme Dieu en Christ » (Colossiens 2.9), par l’Esprit, qui est appelé également l’Esprit de Dieu et l’Esprit de Christ. « Nous (le Père et moi) viendrons vers lui, » dit Jésus-Christ (Jean 14.23), en parlant de celui qui l’aime, « et nous ferons notre demeure chez lui. » Nous l’avons déjà dit : ce n’est pas l’idée de Christ qui nous sauve, nous sanctifie ou nous console, c’est Christ lui-même ; ce ne sont pas ses dons, c’est lui-même, que nous avons besoin de recevoir. Voilà la vraie présence réelle, à laquelle nous croyons de tout notre cœur ; mais elle s’accomplit « par la foi, » non par la communion, qui a seulement cela de particulier qu’elle peint aux yeux, par une vive et touchante image, cette présence de Christ en nous qui est le privilège constant de la foi. Il faut lire à ce sujet Calvin, dans son Institution et sur le VIe chapitre de saint Jean. Dans ce chapitre, qu’on a coutume de citer de préférence pour établir la doctrine catholique romaine ou la doctrine luthérienne de la Cène, il n’est pas question de la Cène, mais de la foi ; voyez verset 35, à rapprocher du verset 54.

Étant enracinés et fondés dans l’amour, afin que vous soyez capables de comprendre, avec tous les saints, quelle est la largeur et la longueur, et la profondeur et la hauteur. Nos versions, renversant cet ordre, traduisent : « Afin qu’étant enracinés, etc., vous soyez capables, etc. » Mais la grammaire ne permet pas cette construction de la phrase grecque, malgré les exemples qu’on en a cru trouver dans Romains 11.31 ; 1 Corinthiens 9.15 ; 2 Corinthiens 2.4, et Galates 2.10, mais qui n’offrent pas d’analogie réelle avec notre verset. Il est vrai que, selon notre traduction, les participes enracinés et fondés ne s’accordent pas régulièrement avec la fin du verset précédent ; mais il y a intention dans cette irrégularité, qui fait mieux ressortir la pensée des deux participes, et dont nous avons des exemples ailleurs dans saint Paul (Éphésiens 4.2, et surtout Colossiens 2.2). Harless et Olshausen sont d’accord pour traduire ainsi que nous l’avons fait, et il ne nous paraît pas douteux qu’ils n’aient raison. Seulement la difficulté, selon nous imaginaire, que ces deux commentateurs trouvent à la prière du verset précédent, ainsi que nous l’avons dit plus haut, les a jetés l’un et l’autre dans des explications forcées du rapport qui unit le commencement du verset 18 au verset 17. Ce rapport est, selon Harless, une condition, sans laquelle Christ ne saurait habiter dans le cœur des Éphésiens : « pourvu que vous soyez enracinés, etc., » et, selon Olshausen, une explication de la manière dont Christ habite dans leurs cœurs : « comme il habite en ceux qui sont enracinés, etc. » Nous voyons tout simplement ici l’état spirituel que l’Apôtre souhaite aux Éphésiens, dépeint par un nouveau trait, mais par un trait qui se rattache à celui qui a été décrit dans le verset 17. C’est quand Christ habite en nous, que nous habitons en lui, et que nous sommes enracinés dans son amour. Ainsi les premiers mots du verset 18 ne font que compléter et éclaircir la pensée du verset 17. Il est intéressant de remarquer que les deux mêmes grâces que saint Paul demande ici pour les Éphésiens l’action du Saint-Esprit en eux, et l’habitation du Saint-Esprit dans leurs cœurs, sont aussi promises, et dans le même ordre, par Jésus-Christ à ses disciples, dans Jean 14 et 15, la première tenant la principale place dans le chapitre 14, et la seconde dans le chapitre 15 ; et encore, que la seconde de ces deux grâces est représentée dans le chapitre 15 de saint Jean, aussi bien que dans Éphésiens 3.17-18 alternativement comme une habitation de Christ en nous et comme une habitation de nous en Christ (Jean 15.4, 5, 7), ou dans son amour (9, 10, etc.).

On demande si ces mots dans l’amour doivent s’entendre ici de l’amour du Seigneur pour nous, ou de notre amour pour lui. D’après Harless, qu’a suivi Olshausen, il faut l’entendre du second ; l’amour n’est pas alors le sol dans lequel saint Paul souhaite que les Éphésiens soient enracinés, mais la disposition avec laquelle ils s’y attachent ; quant au sol, c’est Christ, dont le nom est sous-entendu, à peu près comme s’il y avait : « Étant enracinés et fondés, avec amour (en Christ). » Il cite Colossiens 1.23 ; 2.7, et 2.2. Nous ne saurions adopter ce sentiment. C’est sous-entendre en Christ sans nécessité, et donner aux mots dans l’amour un sens différent de celui qui se présente tout d’abord à l’esprit ; et il nous semble qu’il entre moins dans l’esprit de l’Apôtre de décrire la disposition personnelle du croyant que d’exalter la grandeur infinie de l’amour dont le Seigneur l’a aimé. C’est la même raison qui nous a décidés à interpréter les mêmes mots de l’amour du Seigneur, à la fin de 1.4. Nous pensons que c’est aussi dans l’amour du Seigneur que saint Paul souhaite de voir les Ephésiens enracinés et fondés. Ou, si l’on veut, c’est dans l’amour en général, sans que la distinction soit faite entre l’amour qui unit le Seigneur à nous, et celui qui nous unit à lui ; car, au fond, c’est un même amour qui, après être descendu de Dieu à nous, remonte de nous à Dieu, par une nouvelle grâce de Dieu. Cette dernière remarque expliquerait pourquoi l’Apôtre n’a pas ajouté, comme il le fait au verset suivant, le complément de Christ, ou de Dieu, pour éclaircir sa pensée. Que si l’on prend le mot amour dans cette acception plus large et moins déterminée, le fond de la pensée reste le même, puisque c’est toujours l’amour de Dieu qui est le principe de tout ce qu’il y a d’amour dans l’Évangile, et que l’amour même dont « nous l’aimons, parce qu’il nous a aimés le premier, » est encore un don de son amour. Toujours est-il que celui qui a Christ habitant dans son cœur par la foi, est « enraciné et fondé dans l’amour, » dans l’amour de Dieu, ou dans l’amour qui « vient de Dieu » (1 Jean 4.7), ou en Dieu lui-même qui « est amour » (8), peu importe, enraciné, comme un arbre dans le sol ; fondé, comme une maison sur le roc ; et si fermement attaché que ni orages, ni torrents, ni vents ne peuvent l’arracher de son lieu.

Remarquez le lien qui unit ce qui va suivre avec ce qui a précédé ; il est indiqué par deux afin que (verset 18 et verset 19), qui dépendent l’un de l’autre. Nous avons vu dans les versets 14 et 15 le fondement de la confiance avec laquelle l’Apôtre prie pour les Éphésiens ; nous venons de voir dans les versets 16 et 17 et le commencement du 18 l’objet de sa prière ; nous allons en voir maintenant le but ; d’abord le but prochain, que les Éphésiens connaissent l’amour de Christ (fin du verset 18 et commencement du 19), ensuite le but final, auquel le premier n’est qu’un acheminement, qu’ils soient remplis jusqu’à la plénitude de Dieu (fin du 19).

Afin que vous soyez capables de comprendre. Le verbe grec que nos versions rendent par que vous puissiez, marque de grands efforts pour parvenir à comprendre ; c’est pour conserver cette nuance d’énergie que nous avons donné la préférence à Lausanne 1839. Au reste, on comprend pour croire, et tout ensemble on croit pour comprendre. Il faut un commencement d’intelligence pour croire en Jésus-Christ ; mais il faut aussi avoir cru, et être affermi dans la foi, pour recevoir une nouvelle mesure d’intelligence. Voyez Colossiens 1.9-10 et notre note sur Éphésiens 1.17.

Avec tous les saints ; plus spécialement, avec ces saints d’Israël, qui sont les premiers appelés, et auxquels vous avez été récemment associés par la foi en Jésus-Christ (2.13, etc.). En même temps, cette pensée incidente rappelle un trait essentiel de la vérité et de la sainteté chrétiennes. L’amour fraternel rend tout commun entre les enfants de Dieu ; non pas seulement la propriété, comme on l’a vu dans l’Église primitive de Jérusalem, mais aussi le trésor spirituel, la lumière, l’action, le progrès, tout enfin. Dans l’Église, tout se fait en famille, et le corps a d’autant plus de vie que les membres sont plus unis entre eux. L’isolement, qui est souvent une condition de force dans le monde, est toujours une cause d’affaiblissement dans l’Église.

Quelle est la largeur, la longueur, la profondeur et la hauteur. De quoi ?Harless et Olshausen, qui ont suivi Chrysostome, Théodoret, etc., répondent : du mystère dont il a été parlé dans le verset 9, et d’après l’explication qu’ils ont donnée des mots dans l’amour, on ne voit pas quelle autre réponse ils pourraient donner. Mais nous, qui entendons ces mots de l’amour du Seigneur, nous avons une réponse bien plus facile. Il ne s’agit pas du mystère, qu’il faut aller chercher bien des versets en arrière, et encore dans une parenthèse, mais de l’amour du Seigneur, dont l’Apôtre vient de nous entretenir au commencement de notre verset, dont il va nous entretenir encore dans le verset suivant, et dont son âme est toute remplie.

Ainsi, les mots, « comprendre quelle est la longueur, » nous paraissent expliqués par ceux qui les suivent tout aussitôt : « Connaître l’amour de Christ qui surpasse toute connaissance. » Au reste, la marche des idées serait plus claire, si la division du texte par versets était faite avec plus de soin. Selon nous, le verset 18 n’aurait dû commencer qu’aux mots « Afin que vous soyez capables, etc., » et le verset 19 aux mots « afin que vous soyez remplis, etc. » Le croyant, qui a été représenté tantôt comme enraciné et fondé dans l’amour du Seigneur, l’est ici comme enveloppé de toutes parts de cet amour, qui s’étend dans tous les sens autour de lui à perte de vue. Suspendu au sein de l’amour infini, comme la terre au sein de l’espace, il regarde devant lui, à côté de lui, au-dessus de lui et au-dessous de lui, pour prendre la juste mesure de cet amour qui l’a sauvé ; mais tout cela n’aboutit qu’à constater l’impossibilité de le mesurer. La largeur ? A sa droite et à sa gauche, l’immensité. La longueur ? Devant lui et derrière lui, l’immensité. La profondeur ? Sous ses pieds l’immensité. La hauteur ? Au-dessus de sa tête, encore l’immensité. Quelques commentateurs ont cherché une signification particulière dans chacune de ces quatre dimensions de l’amour du Seigneur. On a vu, par exemple, dans la largeur, cet amour s’étendant à tous ; dans la longueur, cet amour durant éternellement ; dans la profondeur, cet amour nous tirant du fond de l’enfer ; et dans la hauteur, cet amour nous élevant au troisième ciel. Mais, sans parler de ce qu’il y a d’arbitraire dans ces explications, cette précision de détails nous paraît étrangère à la pensée de notre Apôtre, et ne sert qu’à rapetisser ce qu’elle pense éclaircir.

Et connaître l’amour de Christ qui surpasse toute connaissance. Cette belle antithèse est naturellement amenée par ce qui précède, où l’on a vu le croyant faisant effort pour comprendre l’amour du Seigneur, et ne réussissant qu’à comprendre qu’il est incompréhensible. L’antithèse est dans les habitudes de style de saint Paul (Galates 2.19 ; 2 Corinthiens 8.2 ; Hébreux 2.14, etc.). Elle est d’ailleurs dans l’essence de l’idée chrétienne, qui apparaît dans le monde comme un paradoxe perpétuel, par l’opposition où elle se trouve avec tout l’ordre des maximes reçues. Aussi le langage de Jésus-Christ est-il tout rempli d’antithèses, qui seraient recherchées si elles n’étaient si profondes, et qui tiennent à ce qu’il parle dans un monde où la vérité a perdu son empire sans y perdre ses droits (Rapprochez Philippiens 4.7).

Afin que vous soyez remplis jusqu’à toute la plénitude de Dieu. Voici le but du premier but indiqué dans le verset 18, et la dernière fin de la prière de l’Apôtre. En recevant Christ dans l’homme intérieur par le Saint-Esprit, on comprend l’amour de Christ, autant qu’il peut se comprendre ; et en comprenant l’amour de Christ, on est « rempli jusqu’à toute la plénitude de Dieu ; » c’est-à-dire on est rempli graduellement de la gloire de Dieu (2 Corinthiens 3.18), jusqu’à ce qu’à la fin cette plénitude de gloire qui réside en Dieu, et qui fait comme le fond de Dieu, se communique tout entière au croyant. Le croyant est rendu « participant de la nature divine » (2 Pierre 1.4), « parfait comme Dieu est parfait » (Matthieu 5.48). Voyez ce que nous avons dit sur la plénitude de Christ, et de Dieu, en expliquant 1.23. Quelle vocation ! Est-il possible que ce soit la nôtre ? En lisant de telles choses, le croyant se dit : Suis-je vraiment chrétien ? tant est petit le commencement qu’il trouve en son cœur. Mais il s’écrie le moment d’après : Que je suis heureux d’être chrétien ! car ce commencement lui répond de toute la suite (Philippiens 1.6) et contient en germe toute la plénitude de Dieu. Quelles que soient les langueurs et les douleurs des croyants, un jour viendra où « Dieu sera tout en tous ! »

Or à celui qui, selon la puissance qui opère en nous, peut faire par-dessus toutes choses, infiniment au delà de tout ce que nous demandons ou pensons, à lui soit la gloire dans l’Église en Jésus-Christ, dans toutes les générations du siècle des siècles. Amen !

Cette doxologie, qui termine à la fois la prière de l’Apôtre et la première partie de son épître, serait remarquable partout ; mais elle l’est doublement à cette place. Après que saint Paul apôtre, parlant par le Saint-Esprit, a fait effort pour dépeindre ce qu’il appelle ailleurs « la surabondante grandeur de la puissance de Dieu envers nous qui croyons » (1.19), le voici qui confesse sa propre insuffisance ; et, après les plus magnifiques promesses que le langage humain soit capable d’exprimer, voici le Saint-Esprit finissant par déclarer que tout ce qui se peut exprimer est encore infiniment au-dessous de la réalité qui est en Dieu. Nous avons beau nous élever, même sur les pas d’un apôtre ; nous ne pouvons contempler, après tout, que « les bords des voies de Dieu » (Job 26.14), et il faut toujours finir par « des soupirs qui ne se peuvent exprimer » (Romains 8.26). Aussi bien, rien autre ne nous peut suffire que cette déclaration d’insuffisance ; rien de moins ne répondrait au besoin vague et immense de notre cœur. Tout ce que l’esprit parvient à saisir nettement et la bouche à énoncer avec précision, est incapable de nous satisfaire. Ainsi, cette fin étonnante et inattendue est exactement ce qu’il nous fallait. – Rien ne saurait retenir ou limiter la puissance de Dieu envers nous ; ni rien en lui, ni même rien en nous ; ni aucunes bornes mises à sa puissance, car elle n’en connaît point, ni même la faiblesse de nos prières et l’imperfection de notre connaissance, car il peut dépasser toutes nos demandes et toutes nos conceptions.

Mais hélas ! Si ce même langage, qui est infiniment au-dessous de la réalité qui est en Dieu, était infiniment au-dessus de la réalité qui est en nous ? Imaginez un christianisme pratique conçu d’après le seul texte des Écritures et sans égard à l’expérience personnelle des croyants ; imaginez ensuite un christianisme pratique conçu d’après la seule expérience des croyants et sans égard à ce qui est écrit. Ne dirait-on pas de deux religions différentes ? En passant de l’Écriture à notre expérience, on se croit tombé du ciel sur la terre, pour ne pas dire, quelquefois, dans l’enfer…Assortissons notre christianisme ; et veuille le Seigneur nous apprendre à mettre notre expérience en harmonie avec ses promesses ! Véritablement, nous avons besoin d’un nouveau baptême du Saint-Esprit.

Par-dessus toutes choses, infiniment au-dessus de tout, etc. Ce pléonasme, omis dans nos versions, et même dans Lausanne 1839, est dans l’original et doit être reproduit dans la traduction. Il y a une intention manifeste dans cette accumulation de termes3.

3 – Uperekperissou. On retrouve ce mot, ou les mots analogues composés avec l’adjectif perissoc, Marc 6.51 ; 7.37 ; 2 Corinthiens 11.2-3 ; 1 Thessaloniciens 3.10 ; 5.13 ; et on les trouve construits avec le génitif, comme ici, Matthieu 5.37. Ils répondent à l’hébreu yeter, al-yeter, yeter meod, dont ce rapprochement achève de déterminer le sens dans Ésaïe 56.12, littéralement : « grand surabondamment beaucoup ; » mais non, comme l’ont rendu nos versions, « plus grand. »

Selon la puissance ; celle du Saint-Esprit (verset 16 ; 1-19).

A lui la gloire. Si l’on tient à ajouter le verbe sous-entendu, j’aimerais mieux dire « à lui est la gloire, » que « à lui soit la gloire, » comme le font nos versions ; d’abord parce que la présence de l’article devant le mot gloire favorise cette traduction, ensuite parce que l’Apôtre nous paraît avoir voulu plutôt déclarer que la gloire appartient à Dieu, qu’exhorter, à la lui rendre. La même remarque s’applique à presque toutes les doxologies bibliques, le verbe y étant généralement sous-entendu. Au surplus, la nuance que nous indiquons ici est peu sensible.

Dans l’Église, en Christ. Il y a une autre leçon : « et en Christ, » ou « en Christ et dans l’Église. » Mais nous croyons, avec Harless et Olshausen, que le texte reçu doit être préféré. – « Dans l’Église en Christ, » c’est-à-dire, selon Olshausen, dans l’Église qui est en Christ. Mais nous n’hésitons pas à rapporter avec Harless, « en Christ » au mot « gloire. » C’est « en Christ » que la gloire appartient et doit être rendue à Dieu « dans l’Église, » parce que ce n’est qu’en tant qu’unie avec Christ que l’Église peut donner gloire à Dieu. Ailleurs il est dit que nous devons glorifier Dieu ou lui rendre grâces « par Christ » (Colossiens 3.17), parce qu’il est le médiateur par lequel toutes nos prières doivent passer. L’expression « au nom de Christ » (Éphésiens 5.20 ; Jean 14.13-14, etc.) réunit l’une et l’autre de ces deux idées.

Dans toutes les générations du siècle des siècles. L’Apôtre dit ordinairement, pour exprimer la même pensée : « Aux siècles des siècles » (Galates 1.5 ; Philippiens 4.20 ; 1 Timothée 1.17 ; 2 Timothée 4.18 ; Apocalypse 1.6). Les siècles sont alors les périodes dans lesquelles l’éternité est censée divisée, et les siècles des siècles sont ces périodes se succédant et formant l’éternité par leur réunion indéfinie. Dans l’expression de notre texte, qui répond à une expression hébraïque de Daniel 7.18, et qu’on retrouve en cet endroit dans la version des Septante, le siècle paraît désigner l’éternité elle-même, et le siècle des siècles, c’est l’éternité renfermant dans son sein les périodes successifs dont nous venons de parler4.

4 – On trouve une fois dans les Septante (2Esdras 4.38) cette expression : « Jusqu’au siècle du siècle. »

Quant au mot générations, que nos versions rendent par âges, il a parfois le même sens que nous venons de reconnaître au mot siècles (Psaumes 102.25) auquel on le trouve réuni (Colossiens 1.26) ; mais il s’emploie cependant plus spécialement des périodes moins considérables du développement humain et de la vie humaine (Psaumes 77.5 ; Luc 1.50). Peut-être est-ce pour cela que saint Paul s’en est servi dans notre texte, où il traite de la gloire rendue à Dieu « dans l’Église » et par conséquent sur la terre. Les générations seraient alors les périodes du temps, et les siècles les périodes de l’éternité, qui succèdent au temps. Si cette remarque, qui est d’Olshausen, paraît un peu subtile, on peut ne voir ici qu’une de ces accumulations de termes semblables dont saint Paul fait souvent usage pour épuiser une idée.

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