Saint en Christ

NOTE D

Notre sainteté n’est donc pas une simple imitation de celle de Jésus, que nous réaliserions par nos propres résolutions ; c’est la sienne elle-même, sa sainteté à Lui, celle qu’il a réalisée ici-bas à force de luttes et de sacrifices et que du sein de sa gloire, il nous communique. C’est la vie humaine telle qu’il l’a faite en sa personne, exempte de péché et agréable à Dieu, qu’il reproduit en nous. Prototype de cette vie nouvelle, il est en même temps la source d’où elle descend dans l’âme du croyant. Il fait resplendir dans le cœur de celui qui le contemple avec foi sa propre image et l’y fait rayonner avec une telle puissance qu’elle prend vie en lui, qu’elle y devient l’homme nouveau, et que le fidèle est ainsi « métamorphosé de gloire en gloire, comme par le Seigneur qui est Esprit ». {2Co 3.18}

Jésus avait indiqué lui-même cette relation qui devait exister un jour entre sa sainteté et la nôtre, dans cette parole, souvent jugée obscure, mais qui, après tout ce qui précède me paraît bien claire : « Je me sanctifie moi-même pour eux, afin qu’eux aussi soient sanctifiés en vérité. ». {Jn 17.19} En d’autres termes : « La sainteté que je réalise dans ma vie deviendra la leur par la communication que je leur en ferai ; et alors ils seront véritablement saints comme Je suis saint ». Jésus a exprimé cette même pensée dans ces mystérieuses images : boire son sang, manger sa chair, {Jn 6} qui se rapportent évidemment, d’après l’explication qu’il en donne lui-même (v. 6) à l’opération par laquelle son Esprit approprie au croyant sa chair, c’est-à-dire sa vie consacrée à Dieu et son sang, c’est-à-dire sa mort pour le péché, avec la mort au péché qui y est impliquée.

Notre sainteté n’est pas proprement nous, changeant et devenant meilleurs; car après cinquante ans de travail fidèle il nous arrive de nous retrouver tout à coup, dès que notre propre nature reprend le dessus, aussi mauvais qu’un demi siècle auparavant ; c’est bien plutôt Lui grandissant en nous, de manière à remplir notre cœur et à bannir graduellement notre moi naturel, notre vieil homme, qui, lui, ne s’améliore pas, et n’a autre chose à faire qu’à périr.

Comment s’opère dans la pratique cette espèce d’incarnation par laquelle Christ devient lui-même notre nouveau moi ? Par un procédé libre et moral, que Jésus a décrit dans une parole qui nous étonne parce qu’elle met sa sanctification presque sur le même pied que la nôtre : « Comme le Père qui est vivant m’a envoyé et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mange, lui aussi, vivra par moi ». {Jn 6.57} Jésus se nourrissait du Père qui l’avait envoyé, et vivait par lui. Cela signifie sans doute qu’à chaque fois qu’il devait agir ou parler, il commençait par s’effacer lui-même, puis il laissait le Père vouloir, penser, agir, être tout en Lui. Pareillement, lorsque nous sommes appelés à faire un acte ou à prononcer une parole, nous devons commencer par nous annuler nous-mêmes en face de Jésus, et après avoir supprimé en nous, par un acte énergique, tout désir propre, laisser Jésus déployer sa volonté, sa sagesse, sa force. C’est ainsi que nous vivons par lui, comme il vivait par le Père, que nous le mangeons, (c’est l’image dont il se sert) comme il se nourrissait du Père. Le procédé de Jésus et le nôtre sont identiques. Seulement celui de Jésus se rapportait directement à Dieu, parce qu’il était en communion immédiate avec Lui, tandis que le nôtre s’adresse à Jésus parce que c’est avec lui que le croyant communique immédiatement et par lui seulement que nous trouvons et possédons « le Père qui est vivant ». Là est le secret généralement si peu compris de la sanctification chrétienne.

Mais nul ne saurait pratiquer cet art suprême sans prendre dès l’abord la position glorieuse qui nous est faite en Jésus-Christ, telle que l’enseigne Saint Paul. Quand cet apôtre veut nous apprendre comment on parvient à mourir au péché et à vivre à Dieu, voici comment il s’exprime : « Faites votre compte que vous êtes morts au péché et vivants à Dieu, en Jésus-Christ, notre Seigneur ». Ce langage n’est guère conforme à celui de la raison. La sagesse humaine dit : « dégage toi peu à peu des liens du péché ; apprends graduellement à aimer Dieu et à vivre pour lui ». Mais de cette manière nous ne rompons jamais radicalement avec le péché et nous ne nous donnons jamais complètement à Dieu. Nous demeurons dans l’atmosphère terne et trouble de notre propre nature et nous ne parvenons point à la pleine clarté de la sainteté divine. La foi au contraire, nous élève en quelque sorte d’un bond à la position royale qu’occupe maintenant Jésus-Christ, et qui en lui est déjà la nôtre. De là nous voyons le péché sous nos pieds ; là nous savourons la vie de Dieu comme notre Véritable essence en Jésus-Christ. La raison dit : « Deviens saint pour l’être ». La foi dit : « Tu l’es ; deviens le donc. Tu l’es en Christ, deviens-le en ta personne ». Ou, comme dit Saint Paul : « Vous êtes morts ; mortifiez donc vos membres terrestres ».

C’est là ce qu’il y a de plus paradoxal dans le pur enseignement évangélique. Celui qui méconnaît ce fait intime ou le repousse, ne franchira jamais le seuil de la sanctification chrétienne. On ne rompt pas peu à peu avec le péché ; on consomme d’un coup la.rupture complète en s’appropriant l’expiation que Christ a consommée sur la croix. On ne gravit pas un à un les degrés du trône ; on s’y élance et s’y assied en Christ par l’acte de foi qui nous incorpore à Lui. Puis du haut de cette position, sainte par essence, on domine victorieusement le moi, le monde, Satan, toutes les puissances du mal. C’est dans ce milieu de sainteté absolue où l’on se trouve transporté, que l’on revêt l’image à la fois divine et humaine du Fils de Dieu.

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