Explication pratique de la première épître de Jean

IV
La connaissance de Dieu

2.3-6

3 Et c’est en ceci que nous reconnaissons que nous l’avons connu, savoir si nous observons ses commandements. 4 Celui qui dit : « Je l’ai connu » – et qui n’observe pas ses commandements est menteur et la vérité n’est point en lui. 5 Mais quiconque observe sa parole, l’amour de Dieu est véritablement accompli en lui : c’est par là que nous reconnaissons que nous sommes en lui. 6 Celui qui fait profession de demeurer en lui doit aussi marcher lui-même comme il a marché.

Le découragement d’une part, la fausse sécurité de l’autre, tels sont les deux dangers de la vie spirituelle qui paraissent surtout préoccuper l’écrivain sacré, et contre lesquels il prémunit tour à tour ses lecteurs. Dans ce but, tantôt il les exhorte à s’appuyer avec confiance sur Jésus-Christ, tantôt il leur développe les conditions d’une confiance solide. Après avoir relevé, comme il vient de le faire, l’œuvre et la personne de Christ, il met maintenant ses lecteurs en garde contre un christianisme illusoire et leur indique la marque certaine d’un christianisme vrai. Cette marque, la Voici : « Et c’est à ceci que nous reconnaissons que nous l’avons connu, savoir si nous observons ses commandements. » Il y a une connaissance théorique qui reste sans rapport avec la vie : mais aussitôt qu’il s’agit des choses de Dieu, saint Jean se refuse à voir une connaissance réelle dans cette connaissance-là. Pour lui, comme nous l’avons vu, la vérité n’est pas seulement du ressort de l’esprit, elle tient au fond même de la vie : de même, la connaissance, dans le domaine religieux, n’a pas son siège dans la tête, mais procède de la vie intime et doit marquer de son empreinte toute notre conduite. Cette connaissance véritable suppose une certaine communion avec l’objet de la connaissance ; ainsi connaître Jésus, le Saint et le Juste, c’est en même temps aimer, rechercher la sainteté. Une telle disposition du cœur se manifestera dans la vie par l’observation des commandements de Christ, qui ne sont point des préceptes arbitraires, mais qui découlent immédiatement de sa personne et sont comme autant de rayons de ce nouveau soleil de justice qu’il est venu faire briller dans nos âmes.

Telle est la règle d’après laquelle chacun est appelé à examiner si la connaissance qu’il a de Jésus-Christ est véritable ou illusoire. La pensée de l’Apôtre n’est pas que la seule preuve de la conversion du cœur soit l’observation parfaite des commandements de Christ : il n’est pas un seul chrétien, même des plus avancés, dont la vie résistât à une pareille épreuve ; toujours on y trouve des taches et des lacunes. Néanmoins il faut reconnaître que, malgré ces imperfections, il existe une différence tranchée entre ceux qui ont à cœur d’observer les commandements de Christ, dont la vie est toute dirigée dans ce sens, et ceux qui ne s’en préoccupent jamais. Qu’il y ait des degrés dans la pratique de la vie chrétienne, saint Jean n’a garde de le nier ; mais, selon sa coutume, il pose le principe sous sa forme absolue, sans s’inquiéter des nuances d’application. Toujours est-il que la pierre de touche de toute connaissance chrétienne, c’est l’observation des commandements de Christ : à une connaissance plus pure correspondra infailliblement une obéissance plus complète. Sil’on fût toujours demeuré fidèle à cette règle de saint Jean, si l’on n’avait pas réduit la religion à quelques étroites formules, si à la place de la vérité divine on n’avait pas mis des théories d’école et une orthodoxie de tête, que les controverses dogmatiques eussent été différentes au sein de l’Église chrétienne !

L’Apôtre, pour mieux relever l’importance de la vérité qu’il vient d’exposer, la reprend sous forme négative : « Celui qui dit : je l’ai connu — et qui n’observe pas ses commandements est menteur, et la vérité n’est point en lui. » Le lien entre la connaissance de Christ et l’observation de ses commandements est aux yeux de saint Jean tellement intime, tellement nécessaire, que partout où il n’existe pas il y a contradiction manifeste, mensonge pratique. L’homme qui tolère en lui une pareille contradiction prouve que l’amour de la vérité n’occupe pas la première place dans son cœur ; il ne s’est pas sérieusement examiné lui-même à la lumière divine, il se fait illusion, et de cette hypocrisie inconsciente naît bientôt le mensonge volontaire, le désir de paraître autre que l’on n’est en réalité. Du fait qu’il vient d’établir saint Jean tire la conclusion suivante : « Mais quiconque observe sa parole, l’amour de Dieu est véritablement accompli en lui. » L’observation des commandements de Christ est ramenée à l’observation de sa parole ; c’est qu’en effet il n’est pas question de préceptes moraux isolés, mais de la parole même qu’a révélée le Christ et qui embrasse tout ensemble la foi et la vie ; ses commandements ne sont qu’autant de développements divers, d’applications spéciales de cette parole qui domine et façonne la vie entière. Si quelqu’un l’observe de tout son cœur, l’amour de Dieu est véritablement accompli en lui, c’est-à-dire qu’il aime Dieu comme on doit l’aimer et non d’un amour de parole et de langue, qui demeure stérile et que dément la conduite. Encore ici saint Jean se place au point de vue du principe absolu ; selon qu’il est plus ou moins complètement appliqué, les fruits que ce principe porte avec lui seront plus ou moins beaux : le degré de notre amour pour Dieu se mesure au degré de notre zèle pour la parole de Jésus-Christ ; une obéissance absolue supposerait un amour parfait. L’amour de Dieu dont parle l’Apôtre n’est pas un vague sentiment de l’âme, c’est l’amour chrétien, qui est inséparable de la connaissance de Jésus-Christ ; saint Jean ne connaît point d’autre amour pour Dieu que l’amour filial qu’allume dans nos cœurs la miséricorde de notre Père céleste. Jusqu’à ce que cet amour qui éclate dans le don de son Fils ait affranchi le pécheur, il demeure sous la colère divine ; mais dès ce moment il est capable d’aimer Dieu, et cet amour devient pour lui le plus pressant besoin ; il porte alors en lui un principe fécond qui le pousse à garder la parole de Christ et à observer ses commandements. Tel est le lien indissoluble qu’établit l’Apôtre entre la vraie connaissance de Christ et le véritable amour pour Dieu ; c’est la vie pratique qui leur sert de pierre de touche. Aussi ajoute-t-il : « C’est par là que nous reconnaissons que nous sommes en lui. » Etre en Christ c’est vivre en communion avec lui ; il n’est pas un seul chrétien qui ne puise en Christ sa vie ; la vie chrétienne consiste à vivre de la vie de Christ. Saint Paul nous représente aussi le Seigneur comme le fondement sur lequel s’élève tout l’édifice de la vie chrétienne. Le connaître, aimer Dieu, être en Christ, autant d’expressions presque synonymes, autant d’éléments du vrai christianisme qui ne peuvent aller l’un sans l’autre. L’observation de la parole de Christ est la preuve qui constate la réalité de ces dispositions spirituelles.

Saint Jean explique en quoi consiste cette observation : « Celui qui fait profession de demeurer en Lui doit aussi marcher lui-même comme il a marché. » Demeurer en Christ, c’est plus encore qu’être en lui ; c’est, après être entré en communion avec lui, y persévérer, retenir avec soin la grâce divine une fois reçue. Il s’agit donc de chrétiens affermis ; ils sont exhortés à conformer leur vie à celle de leur divin Maître, preuve nouvelle qu’il ne s’agit pas ici d’une série de préceptes isolés, d’après lesquels il faille régler sa vie, mais d’une loi unique qui a son siège dans l’âme de l’homme et qui inspire toute sa conduite. Ce n’est plus la loi de l’ancienne alliance consistant en une foule d’ordonnances et se résumant en cette parole terrible : « Fais cela et tu vivras ; » c’est la loi de la nouvelle alliance, devenue vivante en Christ ; il est lui-même la sainteté incarnée, la loi faite homme ; les préceptes de détail qu’il donne aux hommes, entre autres dans le sermon sur la montagne, la vraie charte du royaume de Dieu, sont autant de traits divers de cette sainteté qui avant lui était encore inconnue au monde, et qu’il a tout à la fois révélée et réalisée. Ses commandements, c’est Lui-même ; ils ne sont que des reflets de sa personne. Marcher comme Christ, c’est donc laisser agir la vie nouvelle qu’il produit par sa grâce dans tout cœur qui se donne à lui ; car cette vie est la vie même de Christ, qui se répandant du dedans au dehors, marque de son sceau toute la conduite du chrétien ; il la règle sur ce divin modèle et par conséquent les préceptes de détail y trouvent leur accomplissement naturel. Christ étant le type de l’humanité régénérée, la vie du chrétien ne devrait être qu’une libre reproduction de la sienne. C’est pourquoi, dit saint Jean, la fidélité à suivre ses traces est la seule marque d’une communion réelle avec lui.

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