Explication pratique de la première épître de Jean

XVII
L’amour de Dieu, base de l’amour fraternel

4.19 à 5.1

19 Nous l’aimons parce que Lui nous a aimés le premier. 20 Si quelqu’un dit qu’il aime Dieu et qu’il haïsse son frère, c’est un menteur ; car celui qui n’aime pas son frère qu’il a vu, comment peut-il aimer Dieu qu’il n’a pas vu ? 21 Et voici le commandement que nous avons de lui, savoir que celui qui aime Dieu aime aussi son frère. 1 Quiconque croit que Jésus est le Christ est né de Dieu, et quiconque aime Celui duquel il est né, aime aussi celui qui est né de lui.

Dans le but d’exhorter les chrétiens à l’amour fraternel, saint Jean leur rappelle un fait qui lui sert de point de départ. Ce fait, c’est qu’ils aiment Dieu, et que cet amour, loin d’être un acte méritoire, n’est que le produit de l’amour de Dieu pour eux, amour gratuit, infini, rédempteur, dont ils ont tous ensemble fait l’expérience. « Nous l’aimons, parce que Lui nous a aimés le premier, » dit l’Apôtre, se plaçant lui-même sur le même rang que ceux auxquels il s’adresse. Mais cet amour pour Dieu, allumé dans leurs cœurs par l’amour de Dieu pour eux, doit se montrer par des fruits ; il est un signe certain auquel on peut le reconnaître ; ce signe, c’est l’amour fraternel. Il ne suffit donc pas de dire qu’on aime Dieu : « Si quelqu’un dit qu’il aime Dieu et qu’il haïsse son frère, c’est un menteur ; » ses actes démentent ses paroles, car l’amour pour Dieu et la haine pour les hommes — tel est le principe duquel part l’écrivain sacré — sont deux termes absolument contradictoires. C’est encore ici le lieu de remarquer qu’entre la haine et l’amour saint Jean ne laisse place à aucun troisième terme. Tout homme se trouve dans l’une ou dans l’autre de ces deux voies : l’absence d’amour, c’est la haine en germe.

Les paroles qui suivent peuvent, au premier abord, paraître surprenantes. Après avoir fondé l’amour fraternel sur l’amour pour Dieu, qui en est le principe, parce que seul il déracine l’égoïsme du cœur, saint Jean semble maintenant faire dépendre celui-ci de celui-là : « Celui qui n’aime pas son frère qu’il a vu, comment peut-il aimer Dieu qu’il n’a pas vu ? » Cette apparente contradiction se résout d’elle-même, quand on remarque que, si l’on peut, avec justice, déduire d’un principe ses conséquences, il n’est pas moins légitime de conclure des conséquences au principe dont elles émanent. L’amour du chrétien pour son Dieu est un fait invisible, connu seulement de Celui qui lit dans les cœurs ; mais les effets de cet amour sont apparents et tombent sous l’appréciation humaine ; c’est par notre amour pour nos frères que se prouve la réalité de notre amour pour Dieu. Comment croire qu’un homme aime Dieu lorsqu’on ne trouve pas en lui le signe visible de cet amour ? Le visible est ici une garantie de l’invisible. L’homme d’ailleurs s’attache de préférence aux choses visibles ; elles le sollicitent plus facilement ; ce n’est qu’avec beaucoup plus de peine qu’il se soumet à l’influence des invisibles. Or, nous plaçant au point de vue de l’amour en soi, indépendant de toute circonstance extérieure, force propre qui appartient à la partie divine de notre être et qui a sa source en Dieu même, nous pouvons examiner de quel côté cette force sera dirigée ; il est évident que l’image visible de Dieu, reflétée en un homme, sera pour un autre homme un objet d’amour plus naturel, plus immédiat que ne le sont les invisibles perfections de Dieu lui-même. Comment donc celui qui ne se laisse pas toucher par ce qu’il voit, le serait-il par ce qu’il ne voit pas ? Comment attendre le plus de celui qui ne fait pas même le moins ?

Afin de mieux montrer encore l’étroite connexion entre les deux formes de l’amour dont il vient de parler, saint Jean insiste sur la communauté de vie qui existe entre tous les enfants de Dieu. « Voici le commandement que nous avons de lui, savoir que celui qui aime Dieu aime aussi son frère. Quiconque croit que Jésus est le Christ, est né de Dieu, et quiconque aime celui (Dieu) dont il est né, aime aussi celui qui est né de Lui (de Dieu). » Le principe de cette vie nouvelle, qui fait de tous les chrétiens une seule et même famille, c’est la foi. Par ce mot, saint Jean n’entend pas une foi morte, telle que celle dont parle saint laques, la simple admission de certains faits historiques qui n’affectent nullement la vie morale ; il ne s’agit pas davantage d’une adhésion de l’esprit à des articles de foi déposés dans la mémoire et qui réveillent en celui qui y adhère d’autant moins de doutes qu’ils ont pénétré moins profondément dans son âme et se sont arrêtés davantage à la surface de son esprit. Il s’agit d’une foi qui, reconnaissant Jésus comme le Christ, se réclame de lui, et qui suppose tous les faits particuliers compris dans ce fait général. Elle suppose l’hommage rendu au Crucifié comme au monarque du royaume de Dieu, au Rédempteur du monde ; elle suppose le sentiment du péché, le désir de la délivrance, le besoin profond d’une rédemption sans laquelle la foi au Rédempteur n’est qu’un vain mot ; elle suppose la croyance à sa résurrection, comme sanction divine de son œuvre rédemptrice ainsi que de sa royauté spirituelle, et la croyance à son ascension, comme témoignage de la puissance de la vie divine qui agissait en lui, et le faisait échapper glorieusement aux conditions misérables de la vie terrestre ; cette foi suppose enfin la croyance à la communion perpétuelle que, du haut de son trône, Jésus-Christ entretient avec les fidèles sur la terre. La foi dont parle saint Jean embrasse tout cet ensemble de faits : elle part du sentiment du péché, elle aboutit à la proclamation absolue de la grâce de Dieu en Christ, et parcourt tous les degrés intermédiaires de cette échelle spirituelle. Cette foi, quand elle pénètre dans un cœur, le détache de lui-même, l’unit à Jésus, dans lequel le pécheur a trouvé son Sauveur et son Maître, et lui inspire le désir de ne plus vivre que pour lui. Ce changement que produit la foi ne peut procéder des forces propres de l’homme, puisque, par nature, l’homme est replié sur lui-même et n’a en vue que son intérêt personnel. Si donc un nouveau mode d’existence commence pour lui, si sa vie a sa source et sa racine en Dieu, c’est qu’une force divine a agi en lui, c’est l’œuvre de Dieu, c’est la vie de Dieu ; un tel homme, dit saint Jean, est né de Dieu. Comme, par la naissance, un homme entre dans le monde extérieur, de même, par la foi, un homme entre dans le monde spirituel ; et comme un fils tire sa vie de la vie de son père et reproduit son image, de même le croyant vit de la vie de Dieu, il l’a reçue de Lui, il est enfant de Dieu, il lui devient semblable. Or, il est impossible que celui qui aime le Dieu dont il est issu, n’aime pas aussi son frère, issu de la même origine céleste et vivant de la même vie. C’est pourquoi tous les enfants de Dieu, en vertu de leur participation commune à la vie de Dieu, doivent se comprendre, s’aimer mutuellement, se sentir attirés les uns vers les autres par une sympathie si puissante qu’aucun autre lien humain, quel qu’il soit, ne lui puisse être comparé.

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