Étude pratique sur l’épître de Jacques

12. La source des dissensions

4.1-6

1 D’où viennent les guerres et les luttes parmi vous ? n’est-ce pas de ceci, savoir de vos voluptés qui livrent assaut dans vos membres ? 2 Vous convoitez, mais vous ne possédez pas ; vous êtes meurtriers et envieux, et cependant vous ne pouvez obtenir ; vous luttez et vous combattez ; vous ne possédez pas, parce que vous ne demandez pas. 3 Vous demandez et ne recevez pas, parce que vous demandez mal, dans le but de fournir à vos voluptés. 4 Hommes adultères et femmes adultères ! ne savez-vous pas que l’amitié du monde est ennemie de Dieu ? Donc quiconque veut être ami du monde se pose en ennemi de Dieu. 5 Ou vous figurez-vous que l’Ecriture parle en vain ? Est-ce vers l’envie que tendent les désirs de l’esprit qui demeure en vous ? 6 (Non) il accorde au contraire une grâce plus excellente ; c’est pourquoi elle dit : Dieu résiste aux orgueilleux, mais il fait grâce aux humbles.

Jacques est amené par ce qu’il vient de dire à parler de la source des nombreuses dissensions qui troublaient ces églises ; il la trouve dans les désirs insatiables dont chacun était tourmenté : D’où viennent les guerres et les luttes parmi vous ? n’est-ce pas de ceci, savoir de vos voluptés qui livrent assaut dans vos membres ? Jacques enseigne, ainsi que Paul, qu’il se livre au dedans de l’homme une lutte opiniâtre entre la chair et l’esprit (Romains 7.15-24 ; 8.1-14). Comme le corps est la manifestation extérieure de l’homme, comme c’est au corps que s’attaquent les passions mauvaises, en lui qu’elles trouvent à exercer leur empire, Paul appelle cette puissance du mal sous laquelle il gémissait « la loi des membrese » (Romains 7.23) ; de même, Jacques parle ici des voluptés qui livrent assaut dans les membres. Chez l’homme irrégénéré il n’y a d’autre contrepoids au pouvoir du péché que cette nature supérieure, indélébile que tout homme porte au dedans de lui, et qui est la meilleure partie de lui-même ; mais, si élevée qu’elle soit, et quelque résistance qu’elle puisse momentanément offrir au péché, elle est trop faible pour en triompher. C’est ce combat mystérieux et sans issue qui met l’homme dans un irrémédiable désaccord avec lui-même, que décrit Paul au chap. 7 des Romains. Chez l’homme régénéré par Jésus-Christ, il en est autrement : pour lui, la lutte dont nous parlons continue, il est vrai ; mais avec cette différence que chez le chrétien la nature supérieure de l’homme n’est plus abandonnée à elle-même ; elle a reçu, par la communication de l’Esprit divin, des forces toutes nouvelles qui la rendent capable de vaincre la puissance du mal. Mais il ne peut vaincre qu’à la condition de lutter ; dès l’instant où la lutte cesse, le mal se réveille, fait des progrès, gagne du terrain et peut finir par étouffer la vie nouvelle. C’est à cette lutte vigilante que Jacques exhorte ses lecteurs ; en même temps, comme plusieurs d’entre eux se négligeaient à cet égard, il indique le grave danger attaché à cette négligence. Il est hors de doute, à en juger par les reproches qui suivent, qu’il se trouvait aussi dans ces congrégations une foule de personnes qui, tout en portant le nom de chrétiens, étaient encore bien éloignées de la nouvelle naissance ; la lutte entre les deux tendances opposées de la chair et de l’esprit se présente chez ces chrétiens de nom sous le même aspect que chez les mondains décidés. Aussi Jacques leur dit-il : Vous convoitez (des biens terrestres que tous voulez faire servir à vos voluptés) mais vous ne possédez pas ; vous êtes meurtriers, envieux et cependant vous ne pouvez obtenir. Il ne peut être question ici de meurtres proprement dits, car il est difficile de croire que le meurtre fût un crime répandu parmi ces chrétiens ; mais Jacques choisit à dessein les expressions les plus fortes, afin de montrer, sous ses traits les plus repoussants, le mal qu’il combat et qui est toujours le même, sous quelque forme qu’il se manifeste. Le meurtre n’est que le point culminant, le dernier période de la haine et de l’envie ; car ces péchés impliquent, par eux-mêmes, le désir de se débarrasser de ceux qui en sont les objets ; au fond de la haine se trouve toujours le désir secret que telle personne disparaisse de devant nous ; l’homme haineux voit dans la présence de l’objet de sa haine un obstacle dont il aspire à s’affranchir. Le plus souvent, ce désir ne se réalise pas ; la nature supérieure de l’homme conserve généralement trop de puissance pour que l’acte criminel s’achève ; mais la disposition au meurtre n’en existe pas moins au fond de tout mouvement de haine, et la Parole de Dieu nous enseigne à reconnaître déjà dans les tendances cachées du cœur l’odieux péché qui, parvenu plus tard à sa pleine consommation, excitera l’horreur universelle. C’est pourquoi Jésus-Christ, afin de s’opposer à ceux qui comprenaient la loi de Moïse dans un sens matériel et littéral, déclare que quiconque se met en colère contre son frère sera passible « du jugement » c’est-à-dire : de la condamnation (Matthieu 5.22), et saint Jean affirme « que celui qui hait son frère est un meurtrier » (1 Jean 3.15).

e – Elles livrent assaut, non entre elles, mais contre le bien.

Mais Jacques ne se borne pas à blâmer ses lecteurs ; il a soin de leur indiquer aussi, comme il l’a déjà fait au commencement de son épître, la source véritable de tout bien ; c’est là qu’il les invite à puiser de quoi combler tous leurs désirs, satisfaire tous leurs besoins. S’ils se consument en efforts impuissants, sans jamais atteindre leur but, si le choc de leurs intérêts égoïstes les jette dans des rivalités et des contestations incessantes, c’est uniquement parce qu’ils veulent se procurer par eux-mêmes des avantages qu’ils devraient chercher en Dieu seul, dans un esprit d’humilité et d’abandon à sa volonté ; ils négligent la prière qui peut seule faire descendre la bénédiction sur leur travail ; c’est à cette lacune que Jacques attribue la stérilité de tout leur labeur et leurs funestes dissensions.

En même temps, il devait se trouver dans ces congrégations un grand nombre de personnes qui, tout en bornant leur piété à quelques actes extérieurs de religion, unissaient à ce formalisme, et toujours par esprit de formalisme, une certaine habitude de prière. Mais cette prière, Jacques déclare qu’elle ne pouvait produire aucun fruit, parce qu’elle ne sortait pas du cœur. Loin d’être l’expression d’un véritable désir de l’âme vers Dieu, ces prières n’étaient inspirées que par des convoitises terrestres qui cherchaient à mettre la puissance de Dieu au service du péché ; les grâces qui lui étaient demandées ne l’étaient qu’au bénéfice des plus mauvaises passions : Vous luttez et vous combattez ; vous ne possédez pas, parce que vous ne demandez pas. Vous demandez et ne recevez pas, parce que vous demandez mal, dans le but de fournir à vos voluptés. Il en revient toujours au mal qui est la racine de tous les autres et contre lequel il s’est déjà plus d’une fois élevé : l’absence d’unité religieuse dans l’âme et dans la vie, le mélange impur d’une foule de pratiques pieuses avec des désirs encore entièrement tournés vers le monde ; tout l’être doit dépendre de Dieu seul, et ce sentiment suprême marquer de son cachet la vie entière, dans toutes ses directions. Cette union du peuple de Dieu avec son créateur étant représentée dans l’Ancien Testament sous l’image d’une alliance, et sa rébellion contre lui sous l’image d’un adultère, Jacques appelle « adultères » ces hommes et ces femmes qui associent le service de Dieu avec l’amour du monde. Il les rend attentifs à la sainte jalousie de Dieu qui demande le cœur tout entier de l’homme et ne souffre point qu’il reste partagé entre lui et le monde ; il faut que le principe dominant de la vie soit ou l’amour pour Dieu, ou l’amour pour le monde ; aussi quiconque prend le monde pour but de ses efforts et se dévoue à lui, quiconque cherche dans le monde le bien suprême, entre par cela même dans une voie d’inimitié contre Dieu ; c’est dans le même sens que Jésus-Christ lui-même a dit que l’on ne peut servir Dieu et Mammon (Matthieu 6.24).

Hommes adultères et femmes adultères ! ne savez-vous pas que l’amitié du monde est ennemie de Dieu ? Donc, quiconque veut être ami du monde se pose en ennemi de Dieu. » Jacques rappelle, d’une manière générale, les déclamations de l’Ecriture sainte qui représente partout ces deux tendances comme absolument inconciliables. Ou bien, dit-il, vous figurez-vous que l’Ecriture parle en vain ? L’esprit qui demeure en vous : est un esprit jaloux ; c’est-à-dire que cet esprit ne peut supporter aucun rival ; pour qu’il se développe dans un cœur il faut nécessairement que l’amour du monde en soit d’abord bannif. Mais au contraire, ajoute-t-il, comme une consolation à la suite de son avertissement sévère, il accorde une grâce plus excellente que celle dont il a déjà fait part ; partout où Dieu rencontre un cœur qui s’abandonne pleinement à Lui et reçoit ses dons avec humilité, il déclare cette condition suffisante et accorde des grâces plus abondantes. Le passage que Jacques cite à l’appui de ces exhortations est tiré, de Proverbes 3.34 : C’est pourquoi l’Ecriture dit : Dieu résiste aux orgueilleux, mais il fait grâce aux humbles. Bien que les chrétiens auxquels s’adresse cette Épître fussent à l’abri de l’arrogance dédaigneuse qui accompagne l’incrédulité, cependant l’humilité n’était pas encore devenue le caractère dominant de leur vie ; ils ne vivaient pas dans une dépendance entière de Dieu ; la conviction profonde et perpétuelle qu’ils n’étaient rien et ne pouvaient rien sans Lui, leur faisait trop souvent défaut. Ce qui servait entre autres à le prouver, c’est la confiance qu’ils plaçaient dans les biens terrestres et les moyens humains. Au fond de l’esprit mondain il y a toujours un manque d’humilité. Aussi Jacques leur fait-il remarquer que Dieu retire aux orgueilleux ses grâces et son secours, parce qu’ils manquent de la condition essentielle que Dieu exige de la part de l’homme pour avoir part à ses dons ; au contraire, l’humilité ouvre les voies à toutes les grâces divines. (Comparez 1 Pierre 5.5 et Proverbes 29.23)

f – Nous avons dû respecter dans ce passage la pensée de l’auteur ; mais nous ne croyons pas possible de rendre les mots grecs autrement que par une interrogation, ainsi que nous l’avons fait dans la traduction du texte. Jacques, voulant montrer que Dieu et le monde sont irréconciliables, cite l’Ecriture ; mais au moment de faire cette citation, il s’interrompt pour en appeler à l’expérience personnelle de ses lecteurs : « A défaut de l’Ecriture, l’esprit nouveau qui est en vous ne suffirait-il pas ? Est-ce vers l’envie qu’il vous pousse ? Au contraire, puisque cet esprit nous confère des biens infiniment supérieurs à ceux de ces hommes que nous avons la folie d’envier et qui ne sont pas conduits par lui. » Après cette parenthèse, il fait sa citation (Proverbes 3.34). — Nous n’osons affirmer que ce soit là la véritable explication de ce passage, l’un des plus difficiles de tout le Nouveau Testament. Mais aucune des interprétations proposées jusqu’ici ne nous ayant paru satisfaisante, nous hasardons celle-ci.

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