Étude pratique sur l’épître aux Philippiens

II.
Exhortations ayant trait spécialement à la position particulière des Philippiens

1. De la persévérance dans la souffrance

L’Eglise de Philippes, comme nous l’avons remarqué, avait eu bien des persécutions à endurer. Paul devait l’encourager à la fidélité. De quelle manière le fait-il ? Il est important pour nous de le savoir, car ses exhortations sont applicables à tous les combats que le christianisme doit soutenir. L’apôtre recommande aux Philippiens de ne point se laisser intimider par leurs adversaires : « Ce qui est pour eux une preuve de leur perdition, mais pour nous une preuve de notre salut, et cela de la part de Dieu, parce qu’il nous a fait la grâce, par rapport à Jésus-Christ, non seulement de croire en lui, mais encore de souffrir pour lui. (Philippiens 1.28-29) » Cherchons le sens intime de ces paroles. Supposons le contraire de ce qui était arrivé, et nous les comprendrons parfaitement. Si les ennemis de l’Evangile étaient parvenus à effrayer les Philippiens, on y eût vu une preuve de la force des premiers, et on eût imputé à l’Evangile lui-même la faiblesse de ses défenseurs ; ou bien on eût regardé la lutte contre les Philippiens et leurs adversaires comme une lutte purement humaine ; ils auraient montré combien ils manquaient d’énergie et de foi. Il en était tout autrement s’ils ne se laissaient pas épouvanter par ceux qui les combattaient avec des armes charnelles. Ils prouvaient par là qu’ils servaient une cause divine, triomphant de toutes les attaques humaines, et que l’invincible puissance de Dieu agissait en eux. Leur combat faisait ressortir et éprouvait leur foi et leur courage, en même temps qu’il manifestait le néant de leurs ennemis. Et comme Jésus-Christ nous apprend que le Saint-Esprit a pour mission de nous amener à croire à la condamnation du prince de ce monde, dans l’impuissance de ses organes (Jean 16.11), les Philippiens manifestaient par leur conduite la vertu du Saint-Esprit. Ils annonçaient le jugement de Dieu qu’appelaient sur leur tête les serviteurs du prince de ce monde. D’un autre côté, ils avaient dans leur souffrance un gage nouveau de leur salut ; car la foi persévérante au sein du combat est assurée du salut. Ils avaient ainsi la garantie que la force divine qui les avait fortifiés les conduirait au travers de toutes les luttes au but glorieux ; car la grâce appelle la grâce et une œuvre de Dieu répond d’une autre œuvre de Dieu. Paul déclare que ce n’est point une vaine imagination d’homme, mais comme le sceau pour eux de la grâce divine.

L’apôtre ajoute : Il vous a été donné de souffrir pour Christ. Il voit dans la souffrance un don, une grâce ; en effet, celui qui suit Christ dans sa souffrance doit le suivre également dans son triomphe. Remarquons la force des expressions de Paul ; il vous a été donné, non seulement de croire, mais encore de souffrir pour Christ. Celui qui croit en Christ d’une foi véritable est assuré de son salut ; mais la foi se montre comme véritable en mettant ceux qui la possèdent au-dessus de toute crainte et en leur faisant trouver en Christ la force de participer à ses souffrances. Sans doute la foi en Christ renferme en germe toute la vie chrétienne et toutes les vertus qui en découlent ; cependant, dans un sens, la souffrance pour Christ est plus que la simple foi ; elle seule manifeste la puissance et la sincérité de la foi, car il pourrait arriver qu’un homme s’imaginât avoir une foi véritable et fût détrompé à l’heure de l’épreuve, en s’y dérobant lâchement. Mais n’oublions pas que, dans un autre sens, la souffrance est moins que la foi ; il est des souffrances, endurées en apparence pour Christ, qui ne procèdent pas de la vraie foi, agissant en charité : « Quand je livrerais mon corps pour être brûlé, dit Paul, si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien. » (1 Corinthiens 13.3) Nous trouvons dans ce dernier passage une application spéciale du principe général qui subordonne l’extérieur à l’intérieur, les bonnes œuvres à la foi, tout en reconnaissant dans les œuvres diverses de la piété le développement et la manifestation nécessaire de la foi.

2. L’esprit de discernement et l’amour

La vie chrétienne n’est pas mue par une sorte d’instinct religieux plus ou moins inconscient ; il faut qu’un tact spirituel, délicat et intelligent, préside à tous les rapports de la vie pour distinguer ce qui est de Dieu et ce qui est contre Dieu, ce qui est selon sa volonté, selon l’esprit du christianisme et ce qui lui est contraire. Le chrétien ne peut pas remplir sa vocation sans cet esprit de prudence et de sage examen. La chair et l’esprit se trouvent en présence en lui, et sont en guerre ouverte ; il faut donc qu’il reconnaisse nettement ce qui appartient à l’un de ces éléments ou à l’autre, pour qu’il n’obéisse pas à la chair en croyant suivre l’impulsion de l’esprit. Il était surtout nécessaire de faire cette distinction dans les Eglises fondées au sein du judaïsme et au sein du paganisme ; elles se trouvaient dans un milieu étranger au christianisme, dans une société pénétrée de principes qui lui étaient hostiles ; tout était à refaire de nouveau ; il s’agissait d’une nouvelle création. Combien de fois ne devait-on pas se poser des questions comme celle-ci : Qu’exige le christianisme ? En quoi est il en opposition avec le point de vue païen ou juif ? Dans quelle mesure le chrétien peut-il frayer avec le monde ? Aussi Paul souhaite-t-il tout particulièrement aux Philippiens de croître en connaissance et en intelligence pour bien discerner la différence des choses, pour reconnaître où est le bien, où est le mal, où est le vrai, où est le faux (Philippiens 1.9-10). L’apôtre déclare qu’un sens fin et délié est indispensable pour cela, et que l’exercice peut seul former ce bon et sain jugement chrétien. Nous retrouvons la même pensée dans l’épître aux Hébreux (Hébreux 5.14) ; cette facilité de distinguer le bien et le mal est indiquée comme l’un des signes de la maturité spirituelle.

Il est des points pour lesquels le développement de la pensée et du jugement importe seul, et suffit à prémunir de l’erreur. Il n’en est point ainsi de ce qui touche à la vie morale, et c’est de cette sphère que l’apôtre est seulement préoccupéa. Dans ce domaine, la direction des sentiments a la plus grande influence ; les erreurs qui sont à la base de nos actions ne viennent pas tant de l’obscurcissement de la pensée que des mauvais et égoïstes désirs qui altèrent le jugement. Le christianisme donne à la vie humaine un but entièrement nouveau ; il est nécessaire que l’amour pénètre l’existence entière pour reconnaître ce qui correspond à ce but. Plus l’amour inspire un homme, et plus son jugement moral est en harmonie avec l’Evangile. L’esprit le plus distingué ne sait pas reconnaître le bien si l’œil spirituel n’est pas devenu sain en lui par l’amour. Voilà pourquoi le christianisme n’est pas la loi de la lettre, un code à prescriptions nombreuses réglant tous les actes ; il est la loi de l’esprit qui fait reconnaître à chacun sa vocation spéciale et les exigences de cette vocation qu’il a reçue du Seigneur. Personne ne peut prescrire à un autre homme ce qu’il doit faire à son point de vue, dans les rapports divers de sa vie ; l’amour est la loi spirituelle qui montre à chacun comment il doit réaliser pour son compte le grand commandement de la nouvelle alliance et lui révèle ses devoirs spéciaux. Aussi Paul fait voir aux Philippiens dans l’amour le principe de toute connaissance et de la perception du bien et du mal, du vrai et du faux dans leur différence : « Je lui demande que votre charité augmente de plus en plus avec la connaissance et toute sorte d’intelligence. »

a – Le caractère pratique de la connaissance chrétienne est admirablement mis en opposition avec une science stérile dans ces mots de Calvin tirés de son Commentaire aux Philippiens 1.9 : Quand vous consumeriez vos jours sur une théologie sorbonique, vous n’en retireriez pas plus de fruit pour la vie éternelle que des démonstrations d’Euclide. Quand elle ne renfermerait rien de faux, elle n’en serait pas moins exécrable, car elle profanerait la vérité de Dieu. (N. du T.)

Si d’une part le côté pratique influe sur le côté théorique dans le christianisme, d’une autre part le côté théorique influe à son tour sur le côté pratique ; le jugement éclairé réagit en bien sur nos actes. Paul, après avoir demandé pour les Philippiens le don de discerner la différence des choses, ajoute : « Afin que vous soyez purs et que vous marchiez sans broncher jusqu’au jour de Jésus-Christ ; étant remplis par Jésus-Christ du fruit de la justice, qui sert à la gloire et à la louange de Dieu. (Philippiens 1.10-11) »

L’apôtre désigne ici la justice comme un tout et non comme un bien multiple qui s’acquiert peu à peu. Elle résulte de la communion du croyant avec Christ et de sa participation aux dons du Saint-Esprit. Il considère la vie chrétienne entière comme un fruit de cette justice ; il ne la voit pas développée dans ses fruits divers comme en d’autres endroits ; il la voit dans son unité comme un seul fruit, le fruit mûri par Jésus-Christ. Ce qui caractérise cette vie c’est son rapport intime avec Christ duquel elle reçoit tout, c’est là ce qui la rend agréable à Dieu, ce qui la fait servir à sa gloire, car la vie de Christ a été la glorification de Dieu dans l’humanité. Mais si Paul fait ainsi de la vie chrétienne le fruit unique de la justice développée par Christ, il admet néanmoins, comme le contexte le prouve, des degrés de développements divers pour ce fruit béni ; et ces développements dépendent de l’influence réciproque chez le chrétien des sentiments et du jugement, de la pratique et de la théorie. Il en est, pour poursuivre la comparaison de Paul, du fruit spirituel comme du fruit d’un arbre, qui n’arrive pas du premier jour à sa maturité, mais a plusieurs degrés dans sa croissance.

3. Exhortation à l’humilité et à l’accord d’après l’exemple de Christ

Nous avons déjà remarqué que Paul considère chaque Eglise comme un tout organique dont le développement dépend de l’action réciproque des membres divers les uns sur les autres et de leur harmonie. Cette harmonie rencontrait des obstacles nombreux dans l’Eglise de Philippes comme en toute Eglise, et ces obstacles devaient être enlevés peu à peu par la puissance de l’esprit chrétien. Les vues opposées devaient se fondre sous l’action de cet esprit et s’harmoniser dans une unité supérieure. Les principales divisions dans les jeunes églises de l’âge apostolique venaient de la différence du point de départ, juif pour les uns, païen pour les autres. De là des tendances contraires dont nous parlerons plus tard. Il y avait encore les différences de position, de fortune, qui pouvaient altérer la communion fraternelle. La diversité des caractères, des talents, si pleinement acceptés par le christianisme, comme aussi la diversité des dons spirituels, des charges dans l’Eglise, pouvaient produire le même résultat. Il était à craindre que des divisions, des disputes surgissent de ces contrastes, chacun cherchant à faire valoir son point de vue d’une manière exclusive ; l’orgueil devait amener de fâcheuses discordes. Il fallait donc que l’esprit tout-puissant de la charité passât son niveau sur toutes ces différences et conservât à l’Eglise le caractère d’unité qui lui est essentiel. On conçoit donc combien les exhortations de Paul à l’humilité, au support, combien ses avertissements contre l’orgueil et les divisions avaient d’opportunité. « Rendez ma joie parfaite, écrit-il aux Philippiens, étant en bonne intelligence, ayant une même charité, étant bien unis ensemble, ayant les mêmes sentiments, ne faisant rien par esprit de contestation et par vaine gloire ; mais que chacun de vous regarde les autres comme plus excellents que soi-même. »

Comment devons-nous comprendre ces dernières paroles ? Car enfin il n’est pas absolument au pouvoir de l’homme de déterminer d’avance le jugement qu’il portera sur son prochain. Comment peut-il regarder son frère comme meilleur que lui, si un tel jugement n’est pas conforme à la vérité, s’il ne peut s’empêcher de reconnaître en lui-même des qualités qu’il ne retrouve pas chez un autre, comme aussi de trouver chez tel ou tel des défauts dont il n’a pas à s’humilier ? Comment serait-il forcé de faire violence à son jugement ? Doit-il se tromper lui-même ? L’humilité aurait-elle pour fondement une espèce de mensonge ? Evidemment non. Si quelqu’un se croyait tenu à une humilité aussi forcée, ou bien se déclarait inférieur aux autres sans le penser au fond, il serait amené à une hypocrisie plus ou moins grossière. Ce que l’apôtre nous recommande, c’est simplement d’avoir une disposition d’esprit qui nous pousse à regarder les autres comme plus excellents que nous-mêmesb. D’un côté la charité porte le chrétien à reconnaître tout d’abord le bien chez ses frères, à distinguer de suite même au travers de leurs imperfections les dons excellents qu’ils peuvent posséder ; d’un autre côté, sa conscience, pénétrée de l’esprit de Dieu, a une délicatesse qui le rend particulièrement sévère envers ses propres péchés. Cette sévérité vis-à-vis de soi-même, jointe à cette charité pour les autres, adoucit les jugements que le chrétien porte sur les misères de ses frères. Ainsi la disposition à regarder les autres comme plus excellents que soi-même n’est pas quelque chose d’extérieur, d’accidentel chez lui : elle résulte du développement naturel de sa vie spirituelle. Elle se rattache aux principes généraux de sa conduite vis-à-vis de ses frères. Il est évident qu’une telle disposition exclut cet égoïsme qui fait que l’homme ramène tout à soi, et ne regarde les autres qu’au point de vue de ses intérêts. Elle suppose au contraire que nous donnons à nos frères la première place dans nos préoccupations. Cet esprit de charité et d’humilité se manifeste en ce que « chacun ne regarde pas seulement à son intérêt, mais ait aussi égard à celui des autres (Philippiens 2.4) ; » aussi, dit l’apôtre ; il montre par ce mot restrictif qu’il n’exclut pas la préoccupation de nos propres intérêts ; ce qu’il interdit c’est la préoccupation exclusive, dominante de ces intérêts. Il va sans dire qu’il s’agit ici des intérêts inférieurs, temporels ; ceux-là, nous devons être toujours prêts à les sacrifier au bien des autres. Pour ce qui touche à nos intérêts éternels, au salut de notre âme, le sacrifice ne peut nous être demandé. Y a-t-il ici une contradiction avec ce que nous avons dit plus haut ? Pas le moins du monde, car le véritable, le suprême intérêt de l’âme est de croître dans l’amour désintéressé, d’être toujours plus purifiée de tout égoïsme, et d’être ainsi toujours mieux préparée pour le royaume de Dieu, pour la vie éternelle ; à ce point de vue elle trouve son intérêt suprême à sacrifier dans une certaine mesure ses joies spirituelles les plus exquises.

b – On peut fonder aussi ce devoir sur ce double fait : 1° Chaque chrétien ne connaît à fond que son propre cœur ; l’abîme d’iniquité ne lui est ouvert qu’en lui-même. La charité lui interdit de supposer le mal chez les autres. 2° Il connaît seul aussi toutes les bénédictions qui lui ont été accordées. De ce double fait résulte qu’il n’est placé vis-à-vis de personne comme vis-à-vis de lui-même pour apprécier toute l’étendue du péché. (N. du T.)

Paul appuie ses exhortations sur l’exemple de celui qui est le type parfait de la vie chrétienne, sur l’exemple de Christ : « Ayez les mêmes sentiments que Christ a eus, lequel étant en forme de Dieu n’a pas retenu avec ardeur ce rang égal à Dieu,c mais il s’est anéanti a soi-même en prenant la forme de serviteur et se rendant semblable aux hommes ; et ayant paru comme un simple homme, il s’est abaissé lui-même, s’étant rendu obéissant jusqu’à la mort, même jusqu’à la mort de la croix. C’est pourquoi aussi, Dieu l’a souverainement élevé, et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout autre nom ; afin qu’au nom de Jésus, tout ce qui est dans les cieux, et sur la terre, et sous la terre, fléchisse le genou, et que toute langue confesse que Jésus-Christ est le Seigneur, à la gloire de Dieu le Père. » (Philippiens 2.5-12)

c – Nos traductions portent : n’a point regardé comme une usurpation d’être égal à Dieu. Le contexte comme la grammaire donne raison au sens de Neander : car ici il s’agit de l’anéantissement de Christ et non plus de sa divinité établie dans le membre de phrase précédent ; ἁρπαγμόν signifie tout d’abord : proie, butin. Christ n’a pas regardé cette égalité avec Dieu comme une proie à peine conquise que l’on saisit avec ardeur ; c’est-à-dire il l’a abandonnée. Il l’a abandonnée librement, car elle lui appartenait de toute éternité. Il n’était pas un usurpateur qui se cramponne à son trône d’occasion.

Nous devons nous faire une juste idée du type divin qui nous est proposé si nous voulons savoir comment le réaliser. L’apôtre met devant nos yeux l’image complète de Christ, du Fils de Dieu manifesté en chair. Il nous le montre d’abord non pas dans son apparence humaine, mais dans sa gloire céleste, avant son apparition au sein de l’humanité ; Fils de Dieu, précédant la création du monde ; Verbe éternel, pour employer l’expression de Jean ; dans lequel, dès avant le temps, Dieu se contemplait et se reflétait ; image du Dieu invisible, incompréhensible (Colossiens 1.15) : Après s’être élevé à cette contemplation sublime, Paul abaisse son regard à l’infirmité de la vie humaine que le Verbe éternel a revêtue. Ici il parle la langue de l’intuition simple, immédiate, et ne distingue plus en Christ l’humain et le divin comme ce serait nécessaire pour nous donner une idée complète de l’incarnation. Ainsi le fait que le Fils de Dieu a revêtu la forme humaine lui apparaît un abaissement absolu de sa part, abaissement volontaire pour le salut des hommes. Lui qui possédait une existence divine élevée au-dessus de toutes les limites, de toutes les imperfections de la vie terrestre et finie, il ne s’est pas attaché avec ardeur à ce rang glorieux, à cette dignité divine, égale à celle de Dieu, dont il avait conscience ; au contraire il l’a cachée, il l’a abandonnée pour prendre la faiblesse et la dépendance de l’homme. Toute sa vie terrestre jusqu’à sa crucifixion n’a été que la suite de cet abaissement, de cet anéantissement. Il n’a pas cessé d’avoir conscience de sa dignité divine, de son droit de la manifester, et il n’a pas cessé de la voiler, de la refouler dans toutes les formes de la faiblesse et de la dépendance de la vie humained. Sa mort, la mort de la croix, infâme et douloureuse entre toutes, est le comble de cet anéantissement. Paul nous montre ensuite quelle gloire Christ s’est acquise par cet anéantissement porté jusqu’à son plus haut degré, par cette obéissance parfaite sous la forme de serviteur ; d’après la loi révélée par Christ lui-même il a été élevé dans la proportion où il avait été abaissé. Il est bien évident que, d’après la doctrine de Paul, celui qui est élevé au-dessus de toute chose, le premier né de la création, celui par qui et pour qui toutes choses ont été créées, ne pouvait comme tel être élevé et glorifié. Quel rang plus glorieux aurait-il pu souhaiter ? Mais, ainsi que nous l’avons dit, Paul parle la langue de l’intuition immédiate ; il se représente ici simplement la personnalité de Christ, telle qu’elle lui apparaît au premier regard. On peut dire que le Christ historique comme homme, comme Fils de l’homme, a été élevé au-dessus de toute chose. Et cette élévation n’est point une élévation égoïste. Il trouve sa gloire dans le salut de la créature déchue. Car son élévation consiste en ce que tous le reconnaissent comme leur Seigneur et leur Sauveur, se soumettent à lui et glorifient Dieu dans sa personne en contribuant au triomphe définitif de son règne.

d – C’est le cas de rappeler cette belle parole de Calvin qui nous montre le sacrifice de Christ dans toute sa vie terrestre. Vita Christi nihil aliud fuit quant mortis præludium ; la vie de Christ ne fut que le long prélude de sa mort. (Comment. Philippiens 3.11)

Quelle application devons-nous faire, d’après le contexte, de ce type sublime à la vie chrétienne ? De même que Christ n’a travaillé que pour le salut des autres, de même les chrétiens doivent être prêts à travailler au salut de leurs frères. De même que Christ a tout sacrifié au salut des hommes, de même les chrétiens doivent être prêts à tout sacrifier au bien de leurs frères et à suivre leur Maître dans son abaissement et son anéantissement. La vie du chrétien doit être, comme la vie de Christ, du commencement à la fin, un acte continuel d’humilité et d’immolation. Et comme le sacrifice a été la condition de l’élévation de Christ, en tant que Fils de l’homme, le sacrifice est aussi la condition de l’élévation du chrétien, qui participe à la gloire comme au renoncement de son Maître. Nous pouvons comparer ce passage de l’épître à un passage de la 2me épître aux Corinthiens : « Le Seigneur Jésus-Christ étant riche s’est fait pauvre pour vous, afin que par sa pauvreté vous fussiez rendus riches. » (2 Corinthiens 8.9) Etre riche, pour Christ, dans le passage des Corinthiens, correspond à être égal à Dieu dans le passage des Philippiens : devenir pauvre dans l’un correspond à s’abaisser, s’anéantir dans l’autre. L’exemple de Christ dans 2 Corinthiens est proposé aux chrétiens pour les exciter à soulager les besoins de leurs frères par leurs sacrifices. Ici comme là nous sommes pressés au nom de Christ d’être disposés à abandonner tout ce que nous possédons, à nous sacrifier au bien de nos frères, à pénétrer notre vie entière d’une charité humble et dévouée. L’un des caractères distinctifs de Paul, en tant que moraliste, c’est de ramener ainsi tous les détails de la morale chrétienne à ce qu’il y a de plus élevé, de plus profond, de plus général ; il rattache toujours les exhortations spéciales au principe fondamental de la vie chrétienne, à l’exemple de Jésus-Christ.

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