Le Sadhou Sundar Singh

5. Au Tibet.

Je lui montrerai tout ce qu'il doit souffrir pour mon nom. Actes 9.16.

Dès le début de son activité missionnaire, le Sadhou envisagea la grande et périlleuse entreprise de porter l'Évangile au Tibet, cette forteresse du bouddhisme, ce pays inaccessible, éloigné des contrées environnantes par sa situation géographique, fermé à l'Évangile et à toute influence étrangère.

L'impressionnante beauté de ses montagnes aux neiges éternelles, la richesse de ses monastères avec leurs trésors et leurs écrits sacrés, l'ignorance qui plane encore sur les moeurs et la mentalité de ce peuple que la civilisation européenne n'a pas encore atteint, font du Tibet un pays mystérieux et étrange, isolé du reste du monde par ses frontières closes.

Sundar ne connaissait ni le pays, ni le peuple, ni la langue ; il savait seulement qu'il aurait à surmonter de grandes difficultés, mais dans son zèle et son amour pour le Christ, il ne reculait devant aucun danger ni aucune souffrance. N'était-il pas un Sikh, un soldat aux ordres de son Maître ? N'est-ce pas parce que le Christ avait besoin d'un témoin sans peur qu'il l'avait choisi pour cette mission dangereuse ? N'y avait-il pas un grand nombre de serviteurs de Dieu pour proclamer la bonne nouvelle du salut à travers l'Inde, tandis que personne n'était disposé à affronter les dangers de ce pays négligé et hostile ?

Élevé non loin des hautes montagnes de l'Himalaya, Sundar avait souvent laissé s'envoler sa pensée de l'autre côté de la frontière, vers ces peuplades plongées dans les ténèbres du paganisme et qui n'avaient jamais entendu parler de l'amour de Dieu.

Les Tibétains sont extrêmement religieux, mais beaucoup sont fort ignorants et superstitieux. Les lamas gouvernent le pays, et gardent le peuple dans l'ignorance afin de conserver leur influence sur lui. Ils vivent ensemble dans des monastères ou lamaseries, et passent une grande partie de leur temps à étudier leurs livres sacrés. Beaucoup d'entre eux cherchent sincèrement la vérité et aspirent à vivre saintement. Mais d'autres, détenant la richesse et l'autorité, sont cruels, fanatiques, corrompus. Le peuple vit dans la crainte et attribue aux prières des lamas le pouvoir de le protéger contre des dieux et des démons sans nombre dont il se croit entouré et qu'il imagine être jaloux, puissants et vindicatifs. Pour apaiser leur colère et échapper à leurs maléfices, il apporte des offrandes aux lamas afin d'obtenir leur intercession.

A la tête de tous les lamas, gouvernant le pays avec une souveraineté absolue, se trouve le Dalaï-lama ou grand prêtre. Il réside dans un magnifique palais construit au sommet d'un rocher, le Potala, dominant la cité sacrée de Lhassa. Le temple est consacré à Bouddha ; ses murs massifs, ses terrasses et ses bastions s'élèvent verticalement de la plaine ; il est couronné d'un dôme étincelant d'or et de turquoises. Au pied du monastère, la cité de Lhassa croupit dans la saleté.

Le Tibet est le pays des moulins à prières que l'on fait mouvoir machinalement ; des drapeaux de prières flottent au vent ; dans certaines lamaseries, des cylindres contenant des millions de copies de prières tournent continuellement. Les Tibétains croient que par ces répétitions constantes, ils obtiennent le pardon des péchés et la bénédiction de leurs dieux.

Le Sadhou ne fut pas le premier missionnaire qui tenta d'entrer dans ce pays inhospitalier. Les missions chrétiennes ont une remarquable histoire dont il serait trop long de parler ici. La mission la plus récente est celle des Frères moraves qui travailla à la frontière du Tibet et a pu parfois pénétrer jusqu'à l'intérieur du pays ; mais à la suite de difficultés insurmontables, les portes furent fermées non seulement par ordre des Tibétains, mais aussi par le gouvernement anglais. Celui-ci autorisa la mission morave à continuer son travail à condition de limiter son activité au territoire sous mandat britannique.

On dit que les chrétiens hindous, qui sont entrés au Tibet comme marchands ou comme ascètes, sont morts en martyrs ; ce fut aussi le cas de Tibétains qui avaient accepté le Christ comme Sauveur.

Sundar Singh a plus d'une fois raconté le martyre d'un de ses concitoyens sikhs – Kartar Singh – dont l'histoire ressemble beaucoup à la sienne. Élevé comme lui dans le luxe, il trouva dans le christianisme la réponse aux profondes aspirations de son âme. Persécuté par sa famille, qui avait concentré sur lui toutes ses espérances comme unique héritier du nom, il eut beaucoup à souffrir.

Chassé de chez lui, il se mit à prêcher dans son pays d'abord, puis il se dirigea vers les montagnes du Tibet et arriva jusqu'au coeur du pays. On essaya de le chasser du territoire, mais il ne cessa de proclamer son message jusqu'au jour où il dut comparaître devant le lama de Tsinghan. Inculpé de pénétration illicite dans le Tibet et d'y enseigner une religion étrangère, il fut condamné à mort. Il écouta silencieusement la sentence et s'en alla d'un pied ferme au lieu du supplice, pressant encore la foule qui l'entourait de chercher sans retard le salut qui est en Jésus-Christ. Sur la place d'exécution, Kartar fut dépouillé de ses vêtements et cousu dans une peau de yack humide qui, en se rétrécissant au soleil, cause à celui qu'elle enveloppe les plus cruelles souffrances. Pendant trois jours que dura ce supplice, il ne laissa pas échapper une plainte. Vers le soir, avant de mourir, il rendit à haute voix grâces à Dieu pour toutes ses consolations et expira avec ces mots sur les lèvres : « Seigneur Jésus, reçois mon esprit ».

Le premier secrétaire du lama, vivement impressionné par ce qu'il venait de voir, emporta le Nouveau Testament de Kartar pour l'étudier, et bientôt une nouvelle clarté pénétra son âme. Un jour il déclara au lama qu'il avait donné son coeur à Jésus-Christ. Pour lui aussi c'était la mort certaine, et il dut subir le même supplice que Kartar, aggravé encore par d'autres cruautés : on enfonça des éclats de bois sous ses ongles ; on le retira de sa peau de yack pour le traîner dans les rues de la ville, puis le croyant mort, on jeta son pauvre corps inanimé sur un tas d'immondices. Par miracle le malheureux revint à la vie et put ramper plus loin. Ses bourreaux furent terrifiés en le revoyant debout et guéri de ses blessures. Persuadés qu'il avait en lui un pouvoir surnaturel, ils n'osèrent plus lui faire de mal et il put continuer à prêcher Christ aux Tibétains. Il a raconté lui-même son histoire à Sundar Singh lorsque celui-ci le rencontra au cours de ses pérégrinations.

Un chrétien anglais, qui connaît mieux que personne les indescriptibles difficultés de travail au Tibet, écrivait : – Un miracle sera nécessaire pour vaincre cette colossale idolâtrie soutenue par toutes sortes de diaboliques inventions. Comment pourrons-nous lutter contre ces essaims de lamas, fous de rage envers ceux qui n'appartiennent pas à leur religion ? Il faudra de grands saints pour ouvrir le chemin dans ce pays de superstition. Je tremble quand je pense à toutes les souffrances qu'il faudra endurer, mais la puissance de Dieu est sans limite.

Ce fut ce champ de mission, le plus difficile de tous, que le jeune chrétien hindou de 19 ans choisit pour sa sphère d'activité. Sans soutien, sans ressources, sans préparation spéciale, se confiant uniquement dans la grâce de Dieu, et prêt à donner sa vie pour la cause de Christ, Sundar se disposa à affronter cette tâche surhumaine.

Lorsqu'en 1908 il atteignit la station de la mission morave à Poo, il y trouva l'appui le plus empressé ; il put se familiariser avec les rudiments du langage tibétain, et un jeune évangéliste, Thanyat-Ali, fut mis à sa disposition pour l'accompagner. Chaque année, au printemps, lorsque s'ouvraient les routes bloquées par la neige et la glace, le Sadhou quittait Kotgarh (petit village entouré de forêts et possédant une église, un modeste hôpital et une école de la Mission) pour atteindre la frontière du Tibet. De là, le chemin traverse au début une terre cultivée, puis descend en zigzags à travers d'épaisses forêts d'où surgissent de magnifiques échappées sur la plaine où coule, quatre mille pieds plus bas, le Sutlej. La chaleur de cette contrée enfermée entre de hautes montagnes, est suffocante. C'est l'une des dernières vallées de l'Inde hindoue ; au-delà commence l'Asie centrale bouddhiste. Peu a peu le type mongol prédomine ; la culture hindoue disparaît et une nouvelle civilisation commence. La route du Tibet s'élève abrupte. Souvent dangereuse, elle devient difficile à gravir.

Pour pouvoir endurer, par tous les temps, les fatigues et les dangers de ces voyages, il fallait une vitalité, une endurance, un courage peu communs. Souvent le Sadhou, arrêté par le gouvernement anglais, ne put même franchir la frontière ; mais d'autres fois il pénétrait jusqu'au centre du pays. La réception qui lui était faite n'était pas toujours hostile, et sa robe de Sadhou lui ouvrait bien des portes. Il fut heureux de trouver parfois, dans ces terres inhospitalières, des amis prêts à l'aider, entre autres un jeune Tibétain nommé Thapa qui lui servit d'interprète et qu'il baptisa. Mais bien souvent il se trouvait continuellement seul en face de grands dangers. Il n'a tenu aucun journal de ses voyages, en sorte qu'il n'est pas possible de fixer les dates et de placer les divers événements survenus au cours de ses pérégrinations dans un ordre chronologique. Dans ses récits, souvent fragmentaires, de ses voyages au nord de l'Inde, au Népal ou au Tibet, il énumère les nombreux périls auxquels il fut exposé : le froid intense qui règne dans ces montagnes dont il eut à franchir des cols dépassant 5000 mètres d'altitude ; les vents furieux qui balayent les hauts plateaux du Tibet, les rivières ou les torrents qu'il fallait traverser à pied ou à la nage dans l'eau glacée, au risque d'être entraîné par le courant ; la faim et la soif auxquelles il était en proie dans des contrées arides ou par le refus des habitants de lui donner la moindre nourriture ; la fatigue des longues marches dans ce pays rocailleux et désertique, sans un abri pour y passer la nuit ; ou, s'il était reçu par les habitants du pays, l'inimaginable malpropreté de leurs logis et de leurs habitudes.

Les bêtes féroces, les serpents venimeux étaient un danger constant, ainsi que les brigands qui infestent la contrée et dépouillent ou tuent les infortunés voyageurs.

D'autre part le Sadhou eut à subir la violente hostilité des lamas, et les terribles persécutions qu'ils infligent aux chrétiens.

Tous ces dangers et toutes ces souffrances ont été l'occasion de magnifiques délivrances d'une mort qui paraissait parfois certaine : – Lorsque je me dirige vers le Tibet, je n'ose jamais espérer en revenir ; chaque fois je pense que c'est mon dernier voyage ; mais c'est sans doute la volonté de Dieu que je sois préservé. – Comme Paul, il pouvait dire : « je ne fais pour moi aucun cas de ma vie, comme si elle m'était précieuse, pourvu que j'accomplisse ma course avec joie, et le ministère que j'ai reçu du Seigneur Jésus d'annoncer la bonne nouvelle de la grâce de Dieu. »

– Au commencement de juillet, raconte le Sadhou, je partis pour le Tibet, prenant avec moi le jeune chrétien Thanyat. Nous annonçâmes l'Évangile dans les villages sur notre route avant d'atteindre la frontière du Tibet. De là, pendant des kilomètres, nous ne vîmes que des bergers, mais aucune habitation, en sorte que nous fûmes obligés de coucher à la belle étoile. Le froid devint intense pendant la nuit, et il nous fallut franchir un passage de montagne très élevé, traversant des glaciers avec de nombreuses crevasses. Bien des gens meurent de froid dans ces régions et nous vîmes trois cadavres au travers du chemin. La respiration devient difficile à cette altitude, mais par la bonté de Dieu, nous parvînmes de l'autre côté de ce dangereux passage. – Lorsqu'ils atteignirent le village de Mudh, ils furent reçus avec bonté par le chef de la localité qui invita le lama à partager leur repas ; comme ce dernier comprenait un peu l'hindoustani, il entendit le message du salut avec joie ; d'autres encore furent tout disposés à écouter l'Évangile. De là les deux voyageurs parvinrent au monastère tibétain de quatre cents lamas, Kee-Gunpa. Ils y passèrent deux jours auprès du chef lama qui ne leur fit point de mal, mais qui entra avec le Sadhou dans de vives controverses. Par contre, dans les villages qu'ils traversèrent ensuite, ils rencontrèrent la plus violente opposition.

Au cours de l'un de ses voyages, non loin du village de Garhwal, le Sadhou vit deux hommes dont l'un disparut soudainement. Sundar rejoignit le voyageur solitaire qui l'arrêta en lui montrant un corps enveloppé d'un drap. – C'est mon ami qui vient de mourir, dit-il, je suis un étranger ici, je vous demande de m'aider pour payer l'enterrement. – Sundar n'avait que deux pièces de monnaie qui lui avaient été données pour acquitter le droit de passage d'un pont ; il les lui tendit et poursuivit sa route. Peu après il fut rejoint par l'homme qui arrivait en courant, la figure bouleversée, annonçant dans les larmes, que son ami était vraiment trépassé. Le Sadhou lui demanda ce qu'il voulait dire, et finit par comprendre l'histoire suivante : depuis des années ces deux imposteurs faisaient à tour de rôle le prétendu mort pour exploiter les passants. Mais cette fois-ci, le mendiant revenu vers son ami, l'appela en vain et, soulevant le drap, vit qu'il était réellement mort. Il supplia le Sadhou de lui pardonner car il était certain d'être en présence d'un très saint homme qu'il avait dépouillé et que les dieux, dans leur courroux, le châtiaient. Sundar lui parla du seul vrai Dieu et de son pardon pour ceux qui se repentent de leurs mauvaises actions. Plein d'une sincère contrition, le coupable accepta le message du salut. Le Sadhou laissa cet homme l'accompagner pendant un certain temps, puis l'envoya dans la station missionnaire de Garhwal où plus tard il fut baptisé.

Le Sadhou traversait un jour les montagnes, avec un compagnon tibétain, par un froid intense et une abondante neige. Tous deux souffraient violemment et désespéraient d'atteindre le but de leur voyage. Arrivés près d'un précipice, ils trouvèrent un homme gisant au bas d'une pente glacée, inanimé. Sundar proposa de le transporter jusqu'à un abri, mais le Tibétain s'y refusa ; voulant avant tout sauver sa propre vie, il passa outre. Le Sadhou, à grand-peine, souleva le moribond, le chargea sur son dos puis avança à pas lents avec son lourd fardeau. Cependant, l'effort ne tarda pas à le réchauffer, et il communiqua sa chaleur au pauvre homme qui se ranima à son tour. Peu après il trouva son malheureux compagnon tibétain étendu au bord de la route. Il était mort de froid, tandis que Sundar parvenait au but de son voyage avec l'homme dont il venait de préserver la vie. « Celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui la perdra à cause de moi la retrouvera. »

A Narcanda, dans les montagnes entre Simla et Kotgarh, le Sadhou passa auprès de quelques hommes moissonnant un champ ; il s'approcha pour s'entretenir avec eux. Ils firent peu attention à lui, mais bientôt se fâchèrent d'entendre parler d'une religion étrangère. L'un d'eux le maudit et, prenant une pierre, la lui jeta à la tête et le blessa. Tôt après, cet ouvrier fut saisi d'un violent mal de tête et dut abandonner son travail. Le Sadhou, relevant la faux, reprit la tâche inachevée. Voyant cela, les autres moissonneurs changèrent d'attitude envers lui, et lorsque le travail fut terminé, ils l'invitèrent à venir chez eux. Il accepta, heureux de pouvoir délivrer son message avant de quitter le village. Après son départ, lorsque ces hommes mesurèrent la moisson rentrée ce jour-là, ils constatèrent avec étonnement qu'elle était beaucoup plus considérable que d'habitude. Une grande crainte s'empara d'eux : l'étranger devait être un saint, cette superbe moisson en était un signe certain. Ils se mirent à sa recherche, mais en vain. L'homme qui avait lancé la pierre, envoya ce récit à un journal du nord de l'Inde, priant le Sadhou, si ces lignes tombaient sous ses yeux, de revenir auprès d'eux.

Le Sadhou a parfois rencontré, dans ses pérégrinations à travers les montagnes de l'Himalaya, quelques-uns de ces célèbres ermites tibétains qui s'enferment, solitaires, dans des cavernes naturelles. Séparés du reste des humains, privés de la lumière du soleil, plongés dans l'obscurité, ils se nourrissent des aliments déposés par les passants dans un trou pratiqué à cet effet. Absorbés dans de profondes méditations et tournant sans relâche un moulin a prières, ces ascètes espèrent par là atteindre le Nirvâna, l'extinction de tout désir. Le Sadhou a pu parfois introduire dans leurs maisons quelques portions des Évangiles, espérant qu'ils les liraient lorsqu'ils sortiraient de leurs tombeaux. Un jour, en escaladant une montagne rocheuse, Sundar découvrit dans une grotte un homme en prière ; pour lutter contre le sommeil, il avait attaché ses longs cheveux au rocher de la voûte et, heure après heure, il implorait le pardon de ses péchés, et cherchait la paix de son âme. – Avez-vous trouvé cette paix ? lui demanda Sundar. – Le pauvre Tibétain lui répondit que jusqu'à présent il ne l'avait pas reçue.

Alors le Sadhou lui raconta l'histoire de Jésus qui a dit : « Venez à moi et je vous donnerai le repos ». L'homme écoutait attentivement, son âme s'ouvrait à la lumière et il s'écria : – Maintenant j'ai trouvé cette paix ; conduis-moi à lui, je veux être son disciple ! – Sundar l'invita à venir jusqu'à une station missionnaire, afin d'être instruit dans la foi chrétienne et de recevoir la grâce du baptême.

– J'ai appris une grande leçon de ces ermites, dit Sundar, car ces gens se livrent volontairement à toutes ces souffrances pour atteindre le Nirvâna qui n'offre aucune joie pour la vie future et ne conduit qu'à l'extinction de la vie. Combien plus devons-nous être prêts à servir le Christ et porter joyeusement sa Croix, lui qui s'est donné pour nous et qui nous a apporté la vie éternelle !

Un des récits les plus remarquables du Sadhou, en relation avec ses voyages à la recherche de ces ermites, fut sa rencontre avec le Maharishi de Kailash. Dans l'été 1912, le Sadhou voyageait seul dans les hauts parages d'un chaînon de l'Himalaya appelé le Kailash. C'est là, à près de 2800 mètres d'altitude, que le puissant Indus prend sa source, dans un paysage d'une sublime grandeur. Le célèbre lac sacré de Mansarowar se trouve à deux ou trois jours de marche, et Sundar en parle comme de l'un des endroits les plus merveilleux qu'il ait jamais vus. Mais les tribus nomades des environs sont des plus cruelles.

Sur une des sommités du Kailash, à 4300 mètres environ, s'élèvent les ruines d'un ancien temple bouddhiste abandonné. Le paysage est d'une impressionnante beauté ; des sources d'eau bouillante jaillissent du sol gelé, au milieu des neiges éternelles. C'est à quelques kilomètres de là que vit le Maharishi.

Au cours d'une de ses excursions de l'été 1921, Sundar, épuisé par ses vains efforts à la recherche de ces saints solitaires, perdit tout à coup l'équilibre et tomba d'un rocher à l'entrée d'une large caverne. Quand il fut remis de son étourdissement, il fut saisi de surprise à la vue d'un homme étrange et sans âge qui, sortant de sa profonde méditation, jeta sur lui un regard perçant. A son grand étonnement il se trouvait en face non pas d'un ermite tibétain, mais d'un chrétien, qui l'invita à s'agenouiller et à prier avec lui, terminant sa vivante intercession par le nom de Jésus. Il déploya un volumineux exemplaire des Évangiles en grec, et lut à haute voix quelques versets du Sermon sur la montagne, après quoi il raconta à Sundar son histoire.

Il était né à Alexandrie de parents musulmans ; à trente ans il entra dans l'ordre des Dervishs, mais ni l'étude du Coran, ni ses prières ne lui donnèrent la paix. Dans sa détresse intérieure il alla vers un chrétien venu des Indes en Égypte pour y annoncer l'Évangile. Ce saint lui lut cet appel du Christ : « Venez à moi, vous tous qui êtes travaillés et chargés, et vous trouverez le repos de vos âmes. » Ces paroles, les mêmes qui, plus tard, devaient frapper Sundar, l'amenèrent à Christ. Il quitta son monastère, fut baptisé, et partit pour annoncer l'Évangile. Après une longue période de travail missionnaire, arrivé à l'âge de cent ans environ, il se retira du monde, et le Seigneur lui fit connaître qu'il le laisserait encore de nombreuses années en vie afin qu'il intercédât pour les saints de Dieu répandus sur la terre.

C'est dans les montagnes du Kailash qu'il passa sa vie solitaire en méditation et en prière. Dieu lui accorda de grandes révélations et de glorieuses visions apocalyptiques sur l'au-delà. Il acquit une solide connaissance des plantes et de leurs vertus curatives et donna à Sundar, transi de froid, quelques feuilles qui, dès qu'il les eut mangées, le réchauffèrent et le ranimèrent délicieusement. Le Sadhou visita trois fois le vieil ermite et reçut de lui une inspiration nouvelle pour sa vie intérieure et pour son ministère ; mais il évita toujours d'en parler en public. Il désapprouvait la curiosité provoquée par cette histoire extraordinaire, déplorant plusieurs inexactitudes qui s'étaient répandues. – Je ne suis pas appelé à prêcher le Maharishi, dit-il, mais à proclamer Jésus-Christ.

La preuve de l'existence de cet ermite a été confirmée par les membres de la mission des Sannyasis et par un ingénieur américain voyageant dans ces contrées jamais parcourues par les Blancs, et qui, avant de mourir, parla d'un mystérieux ermite chrétien, très âgé, demeurant dans ces montagnes. Des marchands tibétains, eux aussi, racontèrent qu'ils avaient vu un vénérable Rishi vivant non loin des neiges éternelles. Et lorsque nous-mêmes avons entendu le Sadhou, pendant son séjour en Suisse, nous parler de ses visites au Maharishi, nous ne pouvions douter de la véracité de ses récits.

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