Étude sur l’Épître aux Colossiens

Coup d’œil général sur l’épître aux Colossiens

Quoique ce discours soit encore préliminaire, nous aborderons la lettre, mais dans son ensemble et non dans un passage en particulier ; nous ferons connaître le sujet de l’épître, ses divisions principales, l’ordre, le style, et nous y joindrons aussi des instructions pratiques. Ce sera ainsi un coup d’œil général.

L’écrit que nous étudions est une lettre. C’est la forme ordinaire des écrits apostoliques qui nous sont restés de saint Paul. Tous ceux que nous avons de lui sont des lettres ; mais celle-ci a un caractère plus épistolaire que la plupart des autres lettres de l’apôtre. Il en est qui n’ont de la lettre que le cadre et dont on pourrait dire que ce sont des traités sous forme de lettres. On ne peut pas dire cela de l’épître aux Colossiens ; quoique traitant de grands et difficiles sujets, elle a réellement le caractère de la lettre ; c’est une lettre, s’il en fut jamais.

Or qu’est-ce qu’une lettre ? c’est une espèce particulière d’écrit. Ce n’est pas qu’entre une lettre et un autre écrit il y ait toujours une grande différence. Dans un sens, un livre même est une lettre adressée au public. Mais il est admis, en général, qu’une lettre n’est pas un écrit qui s’adresse à tout le monde, ou qui, ne s’adressant formellement à personne, s’adresse de fait à ceux qui voudront la lire, mais un écrit directement adressé à une certaine personne ou à de certaines personnes, et à l’ordinaire n’affectant pas la même régularité, la même suite, la même sévérité de formes qu’un ouvrage didactique[a].

[a] « Des lettres ne plaisent guère au public que lorsqu’elles n’ont point été écrites pour le public. Travailler une lettre comme une production littéraire, c’est lui enlever d’avance tout ce qui fait le caractère et le charme de ce genre d’écrire : l’abandon, la grâce et la familiarité. » (Vinet, Chrestomathie française, tome I.)

La lettre est une conversation écrite ; ce n’est donc pas un traité, ce n’est pas une dissertation. L’auteur se place au point de vue de celui qui ferait une visite à un ami pour lui parler de leurs intérêts. La lettre, non pas toujours mais souvent, n’a pas de sujet en commençant et le trouve en chemin. La lettre peut commencer par où finirait et finir par où commencerait un ouvrage plus régulier. Dans une lettre, on écrit pour écrire, pour communiquer, pour ne pas rester étranger l’un à l’autre, mais naturellement on remplit sa lettre de ce dont on a le cœur plein. C’est le point de vue de saint Paul dans plusieurs de ses écrits et c’est ce qu’il fait ici : il ne se propose autre chose que d’écrire une lettre. Il avait sans doute un but en écrivant, plusieurs même, car on ne peut pas dire que, avant d’écrire aux Colossiens, il ne sût pas de quoi il leur parlerait ; mais du moins, il est clair qu’il ne s’est point astreint à un ordre régulier, ni à ne point mêler ensemble les idées qui auraient du rapport entre elles, ni à ne point revenir sur ses pas quand il y verrait quelque avantage. Il n’a pas de plan proprement dit. Il laisse sortir les premières de sa bouche, ou plutôt couler les premières de sa plume, les pensées qu’il trouve les premières dans son cœur ; et ces pensées auxquelles il donne ici la première place, ce sont des pensées d’affection et de sympathie. Oui, dans son cœur est l’amour qu’il trouve le premier, qui le presse, et ce sont des sentiments d’amour auxquels il donne en premier lieu essor dans sa lettre. Mais comme l’amour des âmes, celui de Jésus-Christ et celui de la vérité sont unis dans son âme par de si intimes rapports qu’ils n’y forment pour ainsi dire qu’un seul et même amour : chacun de ces sentiments en éveille un autre avec toutes les pensées qui s’y rapportent, de même qu’en soulevant un seul anneau d’une chaîne on soulève toute la chaîne. C’est en vertu de ce principe que saint Paul, sans se l’être prescrit, sans avoir rien réglé d’avance, passe de la félicitation (ou, pour mieux dire, des actions de grâces) à l’espérance, de l’espérance à l’exhortation, de l’exhortation à l’enseignement, qui est encore exhortation ou qui tout de suite y ramène, et de là aux témoignages d’affection, aux vœux, à l’encouragement, à la louange ou au blâme, selon qu’il y a lieu. Ainsi la ligne se replie plusieurs fois sur elle-même et revient à son point de départ ; mais au total elle avance dans la même direction et, vue de haut, c’est bien une ligne. Ainsi tout se tient et s’enchaîne, tout s’entraîne et suit une constante direction.

Il n’en est pas moins vrai que cette manière d’écrire, cette espèce d’incorporation mutuelle qui fait rentrer les uns dans les autres les différents sujets que traite l’apôtre, cet entrelacement redoublé de toutes les idées et de tous les sentiments peut rendre un écrit plus difficile à qui veut, comme on dit, l’analyser et le réduire en système. Mais cet ordre ou cet apparent désordre de l’épître aux Colossiens représente bien la vie où tout est mêlé, complexe et entrelacé ; faite comme la vie, cette épître est faite comme la religion où rien n’est isolé, ni indépendant, où tout se touche, s’enchaîne et dépend de ce qui précède, où chaque idée tire de toutes les autres sa sève et sa force, a besoin des autres et a les autres pour secours, où tout s’aide et se vivifie[b].

[b] D’un paragraphe biffé dans le manuscrit de Vinet, nous retenons cette pensée qui n’est pas sans intérêt : « Et rien ne représente mieux la vérité. La vérité, c’est une vie, et toute vie est une combinaison. Aucun des éléments dont elle se compose n’existe ni ne se montre séparément ; séparé, isolé, ce n’est plus rien, ou du moins, ce n’est qu’une idée. »

Ce caractère de l’épître aux Colossiens a ses avantages: il ajoute plutôt qu’il n’ôte à l’intérêt de cet écrit. S’il y avait cet ordre sévère que des esprits froids veulent mettre partout, il y aurait affaiblissement et dommage : il n’y aurait pas autant de vie, et certains sujets qui demandaient d’être rapprochés pour avoir de la vie et de la chaleur, seraient froidement séparés ; et d’ailleurs, il s’en faut bien qu’il y ait, dans cet écrit, du désordre d’aucune sorte. Qui pourrait le dire, en y bien regardant ?

Il est vrai que, outre que l’écrivain revient de temps en temps sur ses pas, les divisions ne sont pas assez fortement marquées pour être aussi saillantes qu’on pourrait le désirer, et l’attention du lecteur n’est pas avertie. L’auteur passe d’une idée à l’autre sans s’en apercevoir lui-même ou du moins sans paraître avoir prévu le chemin qu’il suivrait ; il passe d’un sujet à l’autre, souvent au moyen d’un simple mot et comme occasionnellement, et quelquefois la pensée qui suit semble au premier coup d’œil suspendue à ce mot qui précède, et la liaison se trouve en apparence ne tenir qu’à ce seul mot ; mais en regardant de plus près et au fond, on verra que le lien par le mot n’est qu’apparent, que le lien est bien plus fort, bien plus ferme et bien plus intime, que les côtés par où les pensées s’unissent et se continuent, les sujets se touchent et se poursuivent, sont bien plus larges qu’il ne semble, et que le lien est réellement par la pensée : c’est la pensée qui se lie à la pensée.

Voyons maintenant comment l’épître même est construite ; quel en est le plan.

Dans la première partie, saint Paul adresse aux Colossiens des félicitations, ou plutôt il adresse à Dieu des actions de grâces au sujet des biens spirituels qu’il a accordés aux Colossiens, selon le témoignage donné par Epaphras. Ces félicitations, espérances, actions de grâces, assurances d’affection, vœux, sont renfermés au chapitre 1, versets 1 à 14.

La seconde partie, qui forme le corps même de l’ouvrage, est consacrée à l’enseignement ; elle va de 1.15 à 4.6.

Cet enseignement se divise en deux parties successives : l’une théorique, l’autre pratique.

La première est théorique ; elle s’étend de 1.15 à 2.23 ; saint Paul y enseigne à ses auditeurs les vérités et les devoirs du christianisme : il parle de Dieu, de Jésus-Christ, des desseins de Dieu à l’égard du genre humain et des merveilles de la grâce. Ce n’est pas encore une exhortation, ce sont les vérités qu’il faut croire et qu’il faut aimer, car l’amour est une condition essentielle de la foi. Puis, après avoir exposé ces vérités, l’apôtre passe à d’autres vérités, c’est-à-dire aux devoirs qui en découlent pour les chrétiens.

Cet enseignement renferme bien des idées qui, cependant, reviennent toutes à une seule : la plénitude de Jésus-Christ. Saint Paul l’envisage sous deux points de vue : d’abord la plénitude de Jésus-Christ en lui-même, c’est-à-dire que Jésus-Christ a toute la dignité, toute la puissance, toute la gloire, en un mot toute la perfection qu’il est possible d’avoir ; c’est la divinité. Paul envisage ensuite la plénitude de Jésus-Christ pour nous ou par rapport à nous, c’est-à-dire sa parfaite suffisance pour nos besoins, pour l’esprit et pour le cœur ; il a, il porte en lui tout ce qu’il nous faut, tout ce qui nous est nécessaire pour ce monde et pour celui qui est à venir. Tout ce que l’homme peut demander à Dieu, il le trouve en Jésus-Christ. Ces deux parties de la plénitude de Jésus-Christ ne sont pas successives mais mêlées. Saint Paul les entrelace dans son exposition parce qu’elles se tiennent et qu’on ne peut les séparer. Si Jésus-Christ est tout, il a tout ; s’il est Dieu, il a pour nous tout ce que nous pouvons désirer.

Il y a aussi dans cet enseignement une partie positive et une partie négative, c’est-à-dire d’affirmation et de négation. Non seulement saint Paul expose la vérité, mais aussi il signale et combat l’erreur. Il serait à souhaiter que l’enseignement positif suffît : l’exposition de la vérité devrait être si forte que l’erreur n’osât se montrer. Mais dans l’état actuel de l’homme, qui ne reconnaît pas le mensonge dès qu’il connaît la vérité et qui ainsi n’est pas inaccessible à l’erreur, on ne peut se borner à cette première tâche. Il faut donc un enseignement négatif. Les Colossiens avaient besoin d’être prémunis contre des erreurs qui circulaient alors dans leur Eglise. Ces erreurs provenaient de deux sources différentes : les unes étaient des erreurs philosophiques venant des sages païens ; les autres étaient des erreurs juives venant de docteurs du judaïsme ; mais les unes et les autres avaient une même tendance, allaient au même but, savoir à diminuer Jésus-Christ. Ce terme commun auquel elles aboutissaient toutes est frappant, et saint Paul insiste là-dessus avec raison, parce que tout ce qui diminue Jésus-Christ diminue par là même l’Evangile et a pour effet de le détruire. Car si Jésus-Christ n’est pas entièrement Dieu et Sauveur, l’Evangile est non seulement diminué, mais il est anéanti, et il en résulte des conséquences morales imprévues et incalculables. C’est un poison qui, introduit dans la racine de l’arbre, monte et pénètre comme la sève. La morale en est attaquée et les applications, même les plus particulières, en souffrent. Tout, dans la dogmatique et dans la morale, tient à conserver à Jésus-Christ la plénitude que saint Paul lui attribue. L’apôtre passe ensuite, de 3.1 à 4.6, à l’enseignement pratique, aux exhortations, aux conseils. Cet enseignement est d’abord général, puis particulier.

Il est premièrement général (3.1-7) ; Paul fait à ses disciples une recommandation qui tient de près à ce qui précède, à son enseignement sur la plénitude de Jésus-Christ ; il s’agit d’élever nos cœurs en haut, vers ce Jésus en qui habite toute plénitude, de mourir à nous-mêmes, au vieil homme, et d’échanger notre vie contre une autre, de prendre la vie de Christ et d’en vivre. Ce que saint Paul recommande ici, c’est une transformation, c’est une mort, la mort du vieil homme, et la naissance de l’homme nouveau.

Puis cet enseignement pratique devient particulier ou spécial (3.8 à 4.6).

Dans une troisième partie (4.7-18), viennent des salutations.

Il y a bien une quatrième partie de la lettre qui, n’étant pas distincte, ne suit ni ne précède les autres, mais s’y mêle çà et là : c’est la mention que fait l’apôtre de sa propre personne et de ses circonstances particulières, savoir :

Telle est la division de cette épître. Ajoutons à cette analyse quelques instructions pratiques.

Déjà sur cette première vue nous sommes avertis que cette lettre nous introduira dans le domaine des plus hautes questions, ou plutôt des plus hautes certitudes de la foi chrétienne. Mais nous savons en même temps que ce ne sont pas des spéculations oiseuses et vaines, que l’auteur ne les laissera pas dormir et qu’il y aura toujours, pour lui, peu de distance de la plus sublime théologie à la morale la plus particulière. Et tel est le rapport intime de ces choses que nous-mêmes nous trouverons qu’on passe aisément et naturellement de l’une à l’autre, des plus hautes contemplations de la foi aux recommandations de détail de la morale. Cette contemplation n’est donc pas affaire de curiosité, mais elle devient de suite une nourriture pour le cœur et une force pour la vie.

Seconde observation : cette épître nous rendra attentifs à certaines erreurs qui, malgré la différence des noms et des apparences, ne sont pas plus de l’époque de saint Paul que de la nôtre. Dans tous les temps on a voulu diminuer Jésus-Christ ; c’est là le grand mensonge, la plus importante erreur, qui sous d’autres noms existe aussi de nos jours. En troisième lieu, nous apprendrons ici les principes de religion et de morale de saint Paul ; nous les verrons en action, mis en pratique dans la conduite des Colossiens qu’il loue, et surtout dans celle de saint Paul lui-même.

Enfin, nous verrons quels étaient, dans une Eglise apostolique, les rapports mutuels des membres de cette Eglise et leurs rapports avec leurs conducteurs spirituels, comme aussi en général ce qu’était, par tout le monde, la vie des chrétiens entre eux.

Nous finirons en disant : que de choses dans une simple lettre, dans une lettre même assez courte ! C’est une des merveilles de la vérité. On pourra écrire encore longtemps sur la vérité, qu’on aura toujours quelque chose de nouveau à dire. Elle peut occuper beaucoup d’espace, et le monde entier, selon l’expression de saint Jean, ne contiendrait pas les livres qu’on écrirait d’elle (Jean 20.25). C’est un fond inépuisable ; mais en même temps elle peut tenir dans peu de place parce qu’elle est féconde et lumineuse, parce que là tout se tient et s’appelle, parce que la même vérité se multiplie en nous prenant par plusieurs côtés à la fois. Il en est comme de ces petites capsules de fleurs qui renferment et répandent une multitude de semences. Il y a donc dans la religion, pour qui veut l’approfondir, la matière d’une étude sans fin et en même temps, pour celui qui manque de loisir, la possibilité d’acquérir en très peu de temps beaucoup de connaissances.

Sur combien d’idées importantes la simple lecture de cette lettre a successivement porté notre attention ! Et que sera-ce lorsque nous aurons pu les approfondir ! Pour aujourd’hui la lecture de l’épître vous a tenu lieu du sermon que vous attendiez de nous, et saint Paul aura été votre prédicateur. Puisse le Saint-Esprit avoir prêché par lui et avec lui ! Amen.

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