Étude sur l’Épître aux Colossiens

La Sainte Guerre d’extermination
3.5-11

Faites donc mourir vos membres qui sont sur la terre, la fornication, l’impureté, la passion, les mauvais désirs et l’avarice qui est une idolâtrie : toutes choses pour lesquelles la colère de Dieu vient sur les enfants de rébellion ; et dans lesquelles vous avez marché autrefois, alors que vous viviez en elles. Mais maintenant déposez toutes ces choses, de même que la colère, l’animosité, le ressentiment, et loin de votre bouche tout discours outrageant et toute parole obscène. Ne mentez point les uns aux autres, ayant dépouillé le vieil homme avec ses œuvres et revêtu l’homme nouveau qui est renouvelé en connaissance[a] à l’image de celui qui l’a créé ; où il n’y a plus[b] ni Grec et Juif, ni circoncision et prépuce[c], ni barbare et Scythe, ni esclave et libre, mais Christ qui est tout et en tous.

[a] Et revêtu le nouvel homme, qui est né de nouveau à la connaissance (qui renaît à la connaissance, restauré en connaissance).
[b] Il n’est plus question.
[c] Ni de circoncis et d’incirconcis.

Ces paroles du verset 5, cette sommation de faire mourir nos membres qui sont sur la terre…, idée centrale de notre morceau, nous rappellent l’ordre donné aux Juifs sortis d’Egypte de pénétrer dans le pays de Canaan et de tout détruire à la façon de l’interdit dans cette terre d’idolâtrie (Deutéronome 7.2, 5 ; 12.2, 3). Ces mots « à la façon de l’interdit » désignent la malédiction la plus complète et la plus absolue qui exclut toute idée de grâce et de ménagement. Ce commandement mystérieux, cet ordre terrible étant exécuté sévèrement, il ne doit rien rester de ce qui est ainsi maudit ; tout doit être frappé et détruit sans pitié : la pitié même était défendue, la volonté de Dieu qui a dit : « Extermine ! » (Deutéronome 33.27) devait l’emporter sur ce sentiment naturel.

Sortis d’une autre Egypte et d’un autre désert, les disciples, les soldats de Jésus-Christ reçoivent ici un ordre tout pareil. On leur commande aussi une guerre d’extermination : « Faites mourir ! » Et si nous considérons les ennemis, puis la guerre elle-même, nous verrons la ressemblance singulière, la parité complète des deux situations, nous verrons qu’il y a de grands rapports entre le devoir des chrétiens et celui des Juifs ; après quoi nous aurons à examiner, d’après le texte, quel est le moyen d’accomplir ce qui est ordonné.

Caractérisons d’abord les ennemis. Nos ennemis, je veux dire les ennemis que les chrétiens ont à vaincre, ne sont pas moins dignes de notre haine, d’une haine spirituelle, que les Cananéens, aux yeux des Israélites ; et nous n’avons, pour nous en persuader, qu’à voir de quelle manière et en quels termes saint Paul les traite dans notre texte ; ils y sont assez caractérisés par ces mots : « toutes choses pour lesquelles la colère de Dieu vient sur les enfants de rébellion » (v. 6). Il semble que des objets qui excitent et qui soulèvent « la colère de Dieu » sont des objets que nous devons haïr, et « haïr d’une parfaite haine » (Psaumes 139.22) ; ce sont nos adversaires, nos vrais, nos plus grands ennemis, nos seuls ennemis. Les Juifs avaient à détruire les idolâtres, ou plutôt, dans la personne des idolâtres, c’était l’idolâtrie qu’ils devaient renverser. Et nous aussi : ces ennemis que nous devons détruire, ennemis intérieurs, spirituels, ce sont des idoles que nous avons à briser ; et ce qui conduit à cette pensée, c’est ce que dit saint Paul (v. 5) de l’un de ces ennemis, « l’avarice qui est une idolâtrie » ; mais les autres sont aussi cela. Saint Paul ne le dit pas expressément, il ne le dit que de l’avarice, mais il le dit implicitement de tout le reste, et à plus forte raison, car il n’avait besoin de le dire que pour ce péché-là, puisque pour les autres passions, on le sait bien, elles se font connaître facilement pour une idolâtrie ; mais l’avarice, ce péché calme, froid, raisonné, qui conserve une apparence ou se déguise, c’est l’objet sur lequel on se fait davantage illusion et dont on est le moins porté à croire que c’est une idolâtrie. Nous donc aussi, comme les Juifs, nous sommes envoyés contre l’idolâtrie et nous devons la détruire ; seulement nous, c’est avec des armes invisibles et contre des ennemis invisibles que nous accomplissons la volonté ou la vengeance de Dieu.

Ces ennemis sont d’autant plus dangereux qu’ils ont été naguère et longtemps nos amis, et que les haïr semble nous haïr nous-mêmes, car ils font partie de nous-mêmes, de notre chair et personne ne hait sa propre chair (Ephésiens 5.29). C’est ce qu’indiquent aussi ces mots : « choses dans lesquelles vous avez marché autrefois » (v. 7), expression qui marque les actes et la conduite et qui revient à dire : selon lesquelles vous avez agi, vous avez obéi autrefois ; on peut le faire sans goût, sans entraînement, sans joie, par imitation ; mais ce verset dit encore : « alors que vous viviez en elles », expression si forte, si énergique, qui signifie : alors que vous étiez pénétrés de l’esprit de toutes ces choses, de l’esprit qui crée tous ces péchés, que votre cœur s’y complaisait et y trouvait l’objet de tous ses désirs, car c’est là la vie, ce qui fait la vie dans sa puissance ; il y a une pratique extérieure du péché, mais il y a aussi une pratique intérieure, l’amour ou la complaisance du cœur pour le péché. Ce sont donc d’anciens amis dont il faut que nous fassions des ennemis. L’apôtre appelle même énergiquement ces ennemis nos membres : « Ils sont vos membres » (v. 5) ; il ne s’agit pas certainement des membres de notre corps, lesquels, selon Paul, nous ne sommes point appelés à détruire, mais que nous devons employer et faire servir comme des instruments de justice (Romains 6.13), pour la gloire de Dieu (1 Corinthiens 6.20) ; mais il s’agit des membres ou des parties constituantes de l’homme de péché, de l’homme charnel, que l’apôtre compare à un corps (Colossiens 2.11) qui a des organes par lesquels il fait des actes (Romains 8.11) ou des œuvres (Galates 5.19). Et, pour bien préciser son idée, il ajoute ces mots : « qui sont sur la terre », c’est-à-dire que ces membres sont des choses qui sont de la terre (Philippiens 3.19), appartiennent à la terre et reposent sur la terre (comparez v. 2), qui ne peuvent être que de la terre, pour la terre et ne peuvent la quitter. Ce ne sera pas ce corps qui sera incorruptible et glorifié dans le ciel (1 Corinthiens 15.41-49), mais ces membres, ces parties constituantes de l’homme de péché, de la nature souillée, resteront sur la terre, car le corps de mort (Romains 7.24), la corruption n’hérite point de l’incorruptibilité (1 Corinthiens 15.50). L’apôtre appelle ces membres nos membres, pour exprimer à quel point ils nous étaient devenus propres et inhérents, et pour montrer combien est grande l’union du péché avec l’homme : jamais on n’a exprimé plus fortement cette identification du péché avec nous. Ailleurs (Romains 7.14-21), Paul oppose le moi au péché, et il y a chez lui protestation et gémissement contre le péché ; mais ici il montre le dernier degré, le comble de la victoire, le triomphe du péché : c’est de s’identifier avec le moi, c’est qu’il est devenu nous-mêmes, nos membres, non pas les membres du péché, mais nos membres !

Ah ! l’on voit que les ennemis du chrétien ne sont pas moins sérieux que ceux des Israélites ; et la tâche du chrétien n’est pas moins sérieuse non plus que celle des Israélites.

Cette tâche, voyons-la maintenant, prenons la guerre elle-même et cherchons les rapports des deux situations. La guerre contre les Cananéens devait être, pour les Juifs, une guerre d’extermination. De même, pour nous chrétiens, il ne s’agit pas d’une moindre chose que d’une extermination, car nos ennemis, les ennemis que nous avons à combattre, ne sont pas et ne peuvent pas être de ceux qu’on puisse seulement mettre en fuite ou enchaîner ; cela n’est rien ; ce sont des ennemis qui ne sont domptés et vaincus que lorsqu’ils sont tous tués et morts ; vivants, ils sont toujours également redoutables ; aussi il faut les tuer, les détruire absolument ; l’apôtre dit : « Faites-les mourir ou mettez-les à mort ». Et si la guerre que faisaient les Juifs eût été une guerre ordinaire, elle aurait été moins périlleuse et elle leur aurait moins coûté ; mais ils devaient tout détruire à la façon de l’interdit, détruire entièrement et tout exterminer : point de transaction ! Pour nous chrétiens, il en est de même. Si les Juifs étaient obligés de détruire complètement et d’exterminer sans ménagement les pécheurs, serons-nous moins tenus de détruire et d’exterminer les péchés ? Nous sera-t-il permis de les épargner ? Aurons-nous pour les péchés une pitié qu’il ne leur fut pas permis d’avoir pour les pécheurs ? A présent, dans notre économie, Dieu distingue et nous distinguons le pécheur du péché ; autrefois, dans l’ancienne économie où tout était palpable, il n’en était pas ainsi ; on ne faisait pas la distinction : l’un était confondu avec l’autre, on punissait et on frappait le pécheur pour le péché. Et grâces, trois fois grâces soient rendues à Dieu de ce que maintenant la distinction est faite et établie : il n’est plus ordonné de détruire ici-bas le pécheur pour le péché. La société ne punit pas le pécheur car elle distingue le péché du délit ; elle punit par nécessité le délinquant, le coupable ; mais en tant qu’hommes, nous n’avons pas le droit de frapper le pécheur. Il est doux de penser et il est doux de dire que cette forme vengeresse, économie terrible et nécessaire de l’Ancien Testament, ne devait pas être toujours la forme du gouvernement de Dieu, mais qu’elle n’était qu’une forme passagère, pour un temps. Mais, d’un autre côté, plus nous sommes dispensés de frapper le pécheur, plus nous sommes tenus de frapper le péché, de le mortifier constamment et de l’achever, et nous ne devons nullement l’épargner, aucunement le ménager.

Nous avons vu, en général, quels sont ces ennemis auxquels nous avons à faire une guerre mortelle et irréconciliable ; voyons-en le détail. Paul, qui n’entend pas en faire une énumération complète, car ailleurs il en mentionne d’autres, Paul les distingue seulement en deux classes comme qui dirait deux peuples qu’Israël aurait eu à combattre. De ces deux catégories d’adversaires à détruire ou de péchés à exterminer, il y a premièrement les péchés de la chair dans un sens spécial, c’est-à-dire les péchés qui se commettent dans le corps, par ou avec le corps et pour la satisfaction immédiate de la chair, les péchés qui, naissant en nous, se terminent à nous, ou plutôt se terminent à Dieu sans intermédiaire: ce sont la fornication, l’impureté, la passion, les mauvais désirs, l’avarice (v. 5) ; il n’y a rien ici entre nous et Dieu. Si, à cette liste, Paul joint l’avarice, c’est que, dans la pensée de l’apôtre, elle est aussi, en quelque sorte, un péché de la chair, car, ainsi que le dit Olshausen, c’est l’accumulation des biens de la terre pour la satisfaction et en vue des jouissances de la chair ; c’est souvent un amas sans utilité mais dont le principe est la jouissance de la chair, et c’est toujours le culte de la matière. Viennent ensuite les péchés dont nos frères sont les objets et dans lesquels, par conséquent, il y a un intermédiaire entre Dieu et nous, dans lesquels, pourrait-on dire, Dieu est offensé dans la personne d’un tiers, notre prochain : ce sont la colère, l’animosité, le ressentiment, tout discours outrageant, toute parole obscène, et le mensonge (v. 8 et 9). Si, à ce catalogue, Paul a joint même les discours déshonnêtes, c’est en les considérant comme des offenses envers nos frères. Ce dernier péché ne paraît pas faire partie de ceux envers le prochain, mais les paroles indécentes, prononcées devant les hommes sont une offense envers eux ; elles offensent sans doute Dieu et nous-mêmes, mais elles sont aussi une offense contre les autres hommes, nos frères, qui nous entendent : ils sont faits à l’image de Dieu, ils sont les ayants droit de Dieu, et nous ne pouvons, pour cette raison, blesser leur pudeur ; nous devons les respecter ; c’est notre devoir de parler honnêtement en leur présence. Voilà donc les ennemis à exterminer. Mais maintenant deux questions se présentent : Quel est le motif de cet ordre, et quel est le moyen de l’accomplir ?

Quant au motif, il semble inutile et même il serait étrange de le demander à saint Paul et de le chercher dans le texte. L’ordre d’exterminer ces ennemis se justifie de soi-même, car ils sont tellement odieux que leur nom suffit pour les faire haïr et pour justifier notre attaque. Oui ; cependant, Paul indique un motif à cette guerre d’extermination complète : c’est ce qu’expriment ces mots : « ayant dépouillé le vieil homme avec ses œuvres, et revêtu le nouvel homme » (v. 9-10) ; comme s’il disait : Si cela est, s’il est vrai que cela soit, que vous ayez dépouillé le vieil homme et revêtu le nouvel homme, vous devez non seulement écarter ces ennemis, mais les exterminer, puisque vous ne devez pas même rechercher les choses de la terre (Colossiens 3.2). Quant au moyen de cette guerre d’extermination, il doit y être proportionné. Le motif est connu, c’est que nous sommes des hommes nouveaux ; le moyen, c’est aussi que nous sommes des hommes nouveaux[d] ; ainsi le motif et le moyen sont ici la même chose, ils ne sont qu’un. Au fait et exégétiquement parlant, il n’est pas très facile ni très sûr de dire quelle idée Paul a voulu attacher et quel sens il a donné à ces participes : « ayant dépouillé »… « ayant revêtu ». Est-ce le motif ? Est-ce le moyen ? Mais, quoi qu’il en soit, nous disons : c’est un moyen et c’est le moyen. Il est vrai que cette clause : « ayant dépouillé le vieil homme et revêtu le nouvel homme », semble ne se rattacher qu’à l’un des commandements qui précèdent, celui de ne point mentir : « Ne mentez point les uns aux autres, ayant dépouillé le vieil homme… » ; pourtant il ne serait pas impossible que ce soit à toute la phrase et non pas à une seule des recommandations précédentes que saint Paul l’eût rapportée ; mais, comme nous l’avons vu au verset 5, où la qualification idolâtrie s’applique implicitement aux autres péchés qu’à l’avarice, il est évident que ce que l’apôtre semble appliquer ici au mensonge seulement, s’applique à tous les autres péchés mentionnés : la colère, l’animosité, le ressentiment, etc. ; en tout cas, il en est bien certainement ainsi, car pourquoi en serait-il autrement ? Ainsi le dépouillement du vieil homme et le revêtement du nouveau, c’est là le seul moyen de réussir dans cette guerre de carnage. Ce n’est que dans cette supposition que saint Paul demande et peut demander cette extermination. Car, d’abord, à moins d’un renouvellement de l’homme, comment réussir dans une telle entreprise ? Il s’agit ici, pour l’homme, de couper et d’extirper ses propres membres ; car aussi peu l’on conçoit un malade, dans un hôpital, opérant lui-même sur sa personne une amputation double, triple, quadruple, s’amputant les deux bras, les deux jambes, aussi peu la chose est possible pour l’homme moral, et l’on conçoit difficilement cet homme coupant et s’ôtant lui-même ses membres ! L’homme, tel qu’il est, ne peut le faire, ne peut y parvenir ; il y faut un autre homme. Il faut un autre homme que l’ancien pour couper les membres de l’ancien. Si c’étaient simplement des excroissances, on pourrait concevoir sans peine qu’on puisse les retrancher soi-même, mais ce ne sont pas des excroissances accidentelles, ce sont nos propres membres qu’il s’agit d’extirper ; il s’agit de détruire des membres qui sont nous-mêmes (nous vivons en eux et par eux), de retrancher le bonheur de la jouissance des sens, et quand un homme vit dans les sens et par les sens, les lui ôter, c’est lui ôter la vie, c’est lui retrancher toute raison de vivre, c’est détruire sa vie ! Ainsi donc, quand les péchés sont devenus nos membres ou nous-mêmes, il est inutile de songer à détruire l’homme par l’homme lui-même ; il faut un autre être pour cette œuvre ; un principe entièrement nouveau est nécessaire, un homme nouveau, désintéressé dans cette guerre. Et puis, quand même on y réussirait, qu’aurait-on gagné ? Car, jusqu’à un certain point, on y peut réussir ; oui, on y a réussi en apparence. Ainsi l’on a vu des Stoïciens être capables d’abstinences étonnantes et obtenir eux-mêmes et remporter sur eux-mêmes des victoires extraordinaires ; mais qui est-ce qui a été vaincu ? Est-ce bien celui qu’il fallait vaincre ? Et au profit de qui ? Pour qui ? Est-ce pour Dieu ? Est-ce à Dieu qu’est revenue la gloire de la victoire ? Est-ce dans le temple de Dieu qu’ont été fidèlement apportés ces trophées, et qu’ont été suspendues ces dépouilles sanglantes ? Non, c’est pour soi qu’on a vaincu et c’est dans le temple de notre propre orgueil que ces trophées et ces dépouilles ont été déposés ! En sorte que, si c’est l’homme ancien qui a mutilé l’homme ancien, si tout s’est passé entre l’homme ancien et l’homme ancien, si ce n’est pas l’homme de Dieu qui a opéré, on n’a fait que sacrifier plusieurs ennemis à un seul. Un péché, un grand péché, un péché puissant, le premier des péchés (la volonté propre) a hérité de tous les autres ; celui qui subsiste, père de tous ces péchés, a hérité de ceux-ci, de ses fils, de la même façon qu’à l’ordinaire ils héritent de lui ; il a hérité de tous les péchés qui sont morts et qu’il a conquis. Il ne faut donc pas prendre le change sur cette victoire qui n’en est pas une, ou qui n’est pas la victoire de Dieu, puisque, si tous ces ennemis sont morts et domptés, c’est à nos dépens et pour quelque profit. L’apôtre, dira-t-on, n’a parlé que des membres ou des péchés particuliers. Oui, mais il n’a pas entendu que, les membres étant retranchés, on pût épargner le tronc ; il a supposé, au contraire, que l’on commence par faire mourir le tronc, car c’est bien de la destruction du tronc qu’il fait dépendre celle des membres, quand il dit (v. 9) : Ayant dépouillé le vieil homme et ses œuvres, c’est-à-dire le vieil homme entier et non-seulement les membres, le principe d’abord, et puis ses conséquences, le péché et les péchés. Si ce moyen est le seul, c’est un moyen sûr : le tronc étant une fois mort, les membres meurent d’eux-mêmes. (L’inverse n’est pas vrai : le tronc peut vivre sans les membres.) Mais cela n’est pas seulement le moyen de la mort des membres, c’est plus que cela, c’est le commandement même. Le devoir du chrétien est d’abord de faire mourir le tronc d’où se communique le mouvement aux membres.

[d] Comme Israël était un peuple saint, qui ne devait souffrir aucun mélange. (Deutéronome 7.1-6.)

Ce moyen, on l’emploierait plus souvent ; toute la puissance de ce moyen, on la sentirait bien, et l’on ne recourrait pas à quelque autre moyen plus imparfait et moins sûr, si l’on savait ce que c’est que ce renouvellement dont parle saint Paul dans ces mots : Ayant revêtu le nouvel homme. Mais voilà ce dont on ne reconnaît pas l’importance et sur quoi le monde et beaucoup de chrétiens, de professants, prennent souvent le change. Ô Dieu ! conduis-moi sur ce rocher qui est trop élevé pour moi (Psaumes 61.3), disait le prophète, et nous pouvons le dire comme lui ; oui, disons-le, car nous aussi, par nous-mêmes, nous sommes tellement éloignés de comprendre ce que c’est que ce renouvellement ou cette nouvelle naissance que nous restons au pied du rocher : il est trop élevé ; et non seulement nous ne saurions atteindre à cette idée, mais seuls nous ne pouvons parvenir à ce rocher de la régénération ou du renouvellement de notre nature morale : il est trop élevé ; quand je cherche à l’atteindre et que je fais efforts sur efforts, sacrifices sur sacrifices, je reste au bas de la montagne ! Il faut que Dieu nous donne la chose et l’idée : « Ô Dieu ! conduis-moi sur ce rocher qui est trop élevé pour moi ! » Il faut donc qu’il vienne lui-même créer à nos ennemis un ennemi au dedans de nous ; et ceci n’est pas une subtilité, car nous ne serons vainqueurs qu’en étant l’ennemi de nos ennemis ; ceux-ci n’ont de force qu’à cause de notre complicité avec eux. On ne peut mettre de vin nouveau dans de vieilles outres (Matthieu 9.17). Mais combien de fois n’avez-vous pas entendu dire : Cet homme que vous avez connu il y a quelques années, vous ne le reconnaîtriez plus aujourd’hui : « c’est un autre homme ! » Mais quelle différence entre ce que saint Paul appelle renouvellement, c’est-à-dire nouvelle naissance, et ce que le monde appelle ainsi ! Si la puissance de ce moyen n’est pas bien reconnue, c’est qu’on ne sait pas assez ce qu’est ce renouvellement dont parle saint Paul. Il conviendrait donc de dire ici ce qu’il est. Etudions-le et voyons ce que c’est et par quels traits l’apôtre le caractérise. Ne nous fournit-il pas pour cela (v. 10 et 11) quelques indications et les éléments de ce que nous cherchons ? Il se peut qu’il n’aille pas au centre de l’idée, dans une lettre qui n’est pas un traité dogmatique ; il peut se référer à des idées déjà connues, mais il n’est pas toujours nécessaire de définir complètement et de tracer le tout. Comme deux points suffisent pour marquer et pour fixer la ligne, et qu’en réfléchissant on suit la trace, ces indications de Paul peuvent être suffisantes, et elles sont suffisantes : il n’y a qu’à réfléchir, et quiconque sait réfléchir ira plus loin que l’apôtre et suivra l’impulsion qu’il aura donnée. Or, dans notre texte, nous pouvons rassembler trois choses que saint Paul ajoute afin de caractériser le renouvellement dont il parle, pour qu’on ne reste pas dans le vague et qu’on ne prenne pas le change, et on ne le prend que trop. Voyons ces trois idées.

Premièrement, l’homme dont saint Paul attend le succès, c’est un homme qui est renouvelé à la connaissance, à l’image de celui qui l’a créé (v. 10). C’est-à-dire que cet homme que se figure l’apôtre a été transformé de manière à connaître. Paul ne dit rien de plus, il n’ajoute aucun génitif, ni adjectif. Ainsi il est question ici de la connaissance par excellence, de la connaissance qui renferme toutes les connaissances et sans laquelle rien ne peut se faire ni s’accomplir. Quelques-uns, certains traducteurs, ont voulu ajouter après « connaissance » ces mots : de Dieu ; mais ce n’est pas nécessaire. Ce renouvellement consiste en ce que l’homme nouveau connaît. Connaître est la condition de tout le reste ; toute action, et, par conséquent, toute vie a pour point de départ une connaissance, exacte ou inexacte, une représentation, conforme ou non à la vérité. Mais ici il s’agit d’une connaissance vraie, c’est-à-dire de la connaissance véritable, de la connaissance comme vérité. Or l’homme étant renouvelé en ce qu’il connaît, comment cette connaissance peut-elle être ou produire un renouvellement ? C’est qu’il connaît comme Dieu connaît, « à l’image de celui qui l’a créé », ajoute l’apôtre. Lorsque Dieu créa l’homme à son image (Genèse 1.27), il y eut, dans cette image, plusieurs éléments : il le créa capable de vouloir, d’aimer, de connaître, car la volonté, l’amour, la connaissance sont trois éléments essentiels de l’image de Dieu. L’apôtre détache ici un trait de cette complète et première ressemblance de l’homme avec Dieu au commencement. Par le péché l’homme a tout perdu, l’image de Dieu s’en est allée, mais, par la régénération, cette image de Dieu en l’homme renaît et la connaissance renaît : l’homme renaît à la connaissance, il connaît comme Dieu connaît et il juge comme Il juge, il voit le bien et le mal là où Dieu voit le bien et le mal, il voit le bonheur et le malheur là où Dieu voit le bonheur et le malheur. Quel changement ! Quel grand renouvellement ! Après avoir vu les choses comme Dieu ne les voit pas, au rebours de la manière dont Il les voit, avoir maintenant, pour ainsi dire, l’œil de Dieu, cet œil de Dieu qui voit ce qui est, c’est-à-dire les choses telles quelles, et qui ne voit que ce qui est vrai et bon, mais qui ne veut voir que cela, qui est trop pur pour voir le mal (Habakuk 1.13), qui ne peut le supporter[e] (Psaumes 5.4-5) ! Voilà un premier renouvellement, ou plutôt, un premier élément de ce renouvellement dont parle notre texte.

[e] Comparer le passage parallèle Ephésiens 4.24 : l’homme nouveau créé selon Dieu dans une justice et une sainteté véritables.

Saint Paul en ajoute un autre, au verset 11 (dans sa partie négative) : « Où il n’y a plus ni Grec et Juif, ni circoncision et prépuce, ni barbare et Scythe, ni esclave et libre[f] ». C’est-à-dire que ce changement n’a point d’égal ni de pareil entre tous les changements dont l’homme peut être le témoin ou l’objet, et il efface même les plus grandes différences entre les hommes, même les plus grandes que la raison naturelle et l’humanité laissent subsister. Entrons donc dans la pensée de l’apôtre : Pour le Juif, quel pas immense ne fait pas le Grec, en devenant Juif ? Il devenait un tout autre homme. Pour le Romain, quel pas immense ne fait pas le barbare ou le Scythe, en devenant Romain ? Il acquérait une qualité qui le sortait de la condition des bêtes pour être élevé à toute la dignité humaine ; il était animal et il devenait homme, un homme véritable. Et pour l’homme libre, quel pas immense ne fait pas l’esclave, en devenant libre ? Il était dans l’antiquité une chose, une machine, et il devenait homme. Nous le disons également encore de nos jours, et de nos jours plus que jamais, pour le blanc relativement au noir, car pour beaucoup de personnes d’aujourd’hui aux yeux de qui le noir n’est pas un homme, celui-ci fait un pas immense en devenant libre, il devient homme. Ces exemples que mentionne Paul sont pris parmi les changements les plus radicaux que l’homme puisse voir, dont il soit susceptible et dont on puisse avoir l’idée. Ainsi, encore, le circoncis et l’incirconcis ; il y avait un abîme entre eux. Saint Paul ne méconnaît point l’importance providentielle de tous ces changements, il ne méprise pas ces grandes différences : si elles étaient en elles-mêmes nulles, imaginaires, ou légères pour lui, il n’aurait pas valu la peine de les comparer avec le renouvellement chrétien ; mais c’est précisément parce qu’il est loin de les méconnaître et de les mépriser, c’est parce qu’il les juge essentielles, c’est parce que, à ses yeux, c’était bien quelque chose de changer, de devenir Juif après avoir été Grec, circoncis après avoir été incirconcis, Romain après avoir été barbare ou Scythe, libre après avoir été esclave, que l’opposition où il met ce changement avec le renouvellement chrétien est forte et que celui-ci est d’autant plus relevé ! Si saint Paul dit ici qu’il n’y a plus de différence entre l’esclave et le libre, il établit ailleurs une différence : Si tu peux être mis en liberté profites-en (1 Corinthiens 7.21), car il sait tout ce qu’il y a de beau dans le passage de l’esclavage à la liberté, combien chacun doit être jaloux de sa liberté pour la consacrer à Dieu, et que la liberté est un devoir quand elle est possible. Mais pourtant, tout cela n’est rien au prix de la nature du nouvel homme ; tous ces changements ne sont rien, moins que rien au prix de ce renouvellement ou de cette nouvelle naissance : ce changement efface tous ces changements terrestres ; toutes ces différences, tous ces avantages s’oublient. Voilà les esprits des lecteurs de saint Paul élevés bien haut ! Il ne leur dit pas expressément, il est vrai, dans ce moment, ce qu’est ce changement ou ce renouvellement, mais il leur fait comprendre qu’il leur en donne une immense idée. Nous de même, en face des gens que l’on voit aujourd’hui enthousiastes de la liberté civile et sociale et qui ne connaissent pas l’Evangile, disons-leur: Hier vous étiez esclaves, aujourd’hui vous êtes libres ; eh bien, toute cette liberté, cette liberté grande et très précieuse que vous poursuiviez et dont vous jouissez, ce changement qui est tout pour vous, ce n’est rien au prix de cette autre liberté, de cette liberté spirituelle que donne l’Evangile, de cette liberté de l’homme renouvelé. Voilà l’estime que Paul en donne à ceux qui l’écoutent, comme il dit ailleurs : Nous avons tous été baptisés d’un même Esprit pour être un même corps, soit Juifs, soit Grecs, soit esclaves, soit libres (1 Corinthiens 12.13). Car vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ, où il n’y a ni Juif, ni Grec, où il n’y a ni esclave ni libre, où il n’y a ni homme ni femme, car vous êtes tous un en Jésus-Christ (Galates 3.27, 28). Car en Jésus-Christ, ni la circoncision ni l’incirconcision n’ont aucune efficace mais la foi opérante par la charité (Galates 5.6), mais la nouvelle créature (Galates 6.15). Quand on se rappelle tout ce que saint Paul dit sur la liberté de l’Evangile, le grand cas qu’il en fait dans ces passages, quand l’apôtre y va même jusqu’à ce point qui aujourd’hui ne nous frappe plus, mais qui alors devait frapper : « il n’y a plus ni homme ni femme », ce qui dit tout chez des peuples où la femme n’était pas considérée comme faisant partie de l’humanité, et qu’il dit ensuite que ce n’est rien au prix de ce renouvellement, cela devait déconcerter et bouleverser toutes les idées païennes !

[f] A quoi se rapporte ce mot  ? Ce mot marque un rapport qu’on n’aperçoit pas du premier coup. Il se rapporte ordinairement à un nom. Ici il y a une petite irrégularité de syntaxe, une syllepse ou une synthèse, laquelle consiste à avoir plus d’égard au fond de l’idée qu’à la forme. Le fond de l’idée est exprimé par un verbe : « qui est renouvelé » ; le mot se rapporte à ce verbe, au lieu de se rapporter à un substantif qui manque. Suppléons donc ce substantif sous-entendu en le tirant du verbe : « le renouvellement », et disons : « le renouvellement dans lequel ou d’après lequel il n’y a plus ni Grec et Juif, etc. » C’est-à-dire que ce changement n’a point d’égal. — Cette note est-elle de Vinet ? Elle ne figure pas dans son manuscrit.

Mais saint Paul ne s’en tient pas seulement aux idées négatives. Il a donné l’éveil ; il a fait pressentir la grandeur du changement. Mais comment toutes ces différences qu’il a mentionnées disparaissent-elles ? et quel est le propre ou le principe de ce grand changement ? Il le nomme maintenant : « il n’y a plus que Christ qui est tout et en tous » (fin du v. 11). Telle est la devise et le sceau du nouvel homme.

Premièrement « Christ est tout ». Je suppose qu’un homme étranger au christianisme et au judaïsme, entendant cela, demande à Paul : « Qui est ce Christ ? » Paul répondra : « Ce Christ, c’est un homme, un fils d’homme, mais en même temps le Fils de Dieu, qui, parfaitement innocent et pur, est venu donner sa vie et sa mort pour vous sauver. C’est celui-là que je vous propose de mettre à la tête de toutes vos pensées et de toutes vos actions, de toute votre vie. C’est lui qui vous condamne, dont la mort vous déclare absolument condamné, et c’est lui aussi qui vous sauve en même temps, par une vertu propre, à laquelle on ne peut rien ajouter et qui ne peut être suppléée. » Lorsque cet homme, ayant entendu cette parole, consent à se reconnaître condamné et admet cette condition d’être sauvé par pure grâce, lorsqu’il a pris le parti d’accepter pour chef ce Jésus-Christ, de faire son tout de Jésus-Christ, de mettre à la tête de ses pensées, de ses actions et de faire le principe de toute sa vie celui qui, par sa mort, a tout ensemble condamné et sauvé le monde, on peut dire qu’il est un autre homme, qu’il devient un homme nouveau, qu’il se fait en lui la révolution la plus fondamentale et plus considérable que toutes les autres révolutions, la plus radicale et la plus complète qui se puisse. Sans doute il est devenu de Grec Juif, d’incirconcis circoncis, de barbare ou Scythe Romain, d’esclave libre, mais toutes ces grandes différences de nationalité, de coutumes, de position, il n’en tient nul compte ; tous ces changements qu’il a subis, il les oublie, en comparaison de cet autre changement, ou plutôt il ne les considère que dans leurs relations avec ce changement dernier et capital : « Il y a de l’avantage pour moi, dit-il par exemple, à être devenu libre, d’esclave que j’étais, parce que je pourrai mieux servir Christ mon Sauveur ». Mais si ces changements sont sans relation avec celui-ci, ils ne sont rien pour lui.

Mais ce n’est pas tout ; Christ est tout en cet homme-là, et de plus celui pour qui Christ est tout voit « Christ en tous ». C’est aussi là un grand changement pour lui, car « avant de voir Christ dans tous les hommes, comment les voyais-je ? se dit-il. Sans doute auparavant, ils m’étaient désignés comme mes semblables par leur conformité extérieure et physique, par leurs corps, par leurs facultés, par leurs habitudes, par le besoin que j’avais d’eux et qu’ils avaient de moi ; mais je ne voyais en eux que cela, que les circonstances accidentelles qui les faisaient pour moi ou mon ami ou mon ennemi, ou mon secours ou mon obstacle, mais l’homme, le simple homme, non je ne le voyais jamais, et je me demandais, comme ce docteur stupide : Et qui est mon prochain (Luc 10.29) ? C’est évident, tous les hommes ne le sont pas. » Christ paraît et tout change, toutes les différences s’effacent, je ne vois plus l’extérieur, je ne vois plus ni supérieur, ni inférieur, ni ami, ni ennemi, ni secours, ni obstacle, mais je vois partout des hommes, partout l’empreinte de Christ ; le sceau de Christ efface toutes les autres empreintes ; tous m’apparaissent dans leur qualité de frères ; et je me demande : « Mais comment ai-je pu oublier qu’ils sont mes frères pour voir en eux des accidents ? » Voilà ce que Christ a fait, quel changement il a opéré. Il n’appartenait qu’à lui de nous faire trouver l’homme égal à lui-même dans chaque homme. Tant que nous ne voyons pas l’homme à travers Jésus-Christ, ce n’est pas l’homme, simplement l’homme ; c’est un être différent de lui-même d’un individu à l’autre ; mais en Jésus-Christ un homme et un autre homme sont égaux à nos yeux, quelles que soient les différences extérieures. Jésus-Christ a absorbé ces différences en embrassant dans son amour et dans son œuvre tous les hommes sans distinction. Nous les voyons tous en lui, nous le voyons lui-même en tous. Comme Paul a pu dire « Christ en tous », de même on peut dire « tous en Christ » ; c’est la même pensée : Christ est dans tous les hommes et tous sont confondus et enveloppés dans le Christ !

Voilà quelques traits de ce renouvellement dont saint Paul nous parle ici. S’il reste quelque chose de plus à approfondir là-dessus, c’est possible. Mais il faut convenir que nous sommes déjà à présent en possession de données très importantes, puisque nous avons des traits qui, sans nous dire tout ce qu’est l’homme nouveau, nous le font connaître comme nouveau, et nous avons par là le sentiment qu’il est question d’un renouvellement profond de l’homme, en sorte que l’expression de « seconde naissance » (Jean 3.3) ou « régénération » (renaissance, Tite 3.5) comme celle de « second Adam » (1 Corinthiens 15.45, 47) ne peut plus nous étonner (Jean 3.7)[g] ; ce n’est pas un homme qui est devenu autre, mais c’est un homme substitué à un autre homme.

[g] Aussi comparez les autres expressions de l’Ecriture dans lesquelles ce changement est appelé une transformation (Romains 12.2 ; 2 Corinthiens 3.18) ; le renouvellement de notre esprit (Romains 12.2 ; 7.6 ; Ephésiens 4.23 ; 2 Corinthiens 4.6 ; Tite 3.5) ; une nouvelle créature (2 Corinthiens 5.17 ; Galates 6.15), un nouveau cœur et un esprit nouveau (Ezéchiel 18.31 ; 36.26) ; une vie nouvelle (Romains 6.4).

Saint Paul n’a pas besoin d’aller plus loin, et pourtant on le peut. Si nous voulons compléter l’idée de Paul par Paul lui-même, par Jésus-Christ ou par les apôtres, c’est-à-dire d’après l’Evangile (car c’est à l’Evangile qu’il appartient de compléter l’Evangile), nous ajouterons que cette régénération ou ce renouvellement commence dans l’espérance : les fidèles sont régénérés dans une espérance vive (1 Pierre 1.3), et qu’il s’accomplit dans l’amour : l’accomplissement de la loi, c’est la charité (Romains 13.10). Et alors, quand nous aurons étudié et approfondi ces deux idées, l’espérance dans son objet et l’amour dans son accomplissement, rien ne nous manquera pour comprendre l’accomplissement de ce renouvellement, et nous pourrons consentir à dire avec saint Paul, que c’est une création nouvelle (2 Corinthiens 5.17), puisque nous sommes renouvelés à l’image de celui qui nous a créés, qui nous a créés deux fois, une fois « en Adam » (Genèse 1.27 ; Malachie 2.10), une fois « en Jésus-Christ » (Ephésiens 2.10). C’est donc « Dieu qui, de sa pure volonté » (Jacques 1.18), « par sa grande miséricorde, nous régénère » (1 Pierre 1.3). Il le fait par sa parole vivante et permanente à toujours et qui nous est annoncée par l’Evangile (1 Pierre 1.23, 25 — comparez Jacques 1.18, où nous lisons : par la parole de la vérité, afin que nous soyons les prémices de ses créatures). Si la source de la régénération est la grâce libre et gratuite de Dieu, car la vie nouvelle vient de lui (2 Corinthiens 5.18 ; Jacques 1.17), si le moyen par lequel cette vie impérissable est créée est la parole du Seigneur, l’espérance n’est que le principe du renouvellement, et l’amour en est l’essence. Le renouvellement est dans l’amour ; être régénéré c’est aimer, aimer de cet amour appelé charité dans l’Evangile. Si donc le nouvel homme fait mourir tous les membres qui sont sur la terre : la fornication, l’impureté, la passion, les mauvais désirs et l’avarice, de même que la colère, l’animosité, le ressentiment, les discours outrageants, les paroles déshonnêtes, le mensonge et toutes les autres œuvres du vieil homme, c’est parce qu’il aime, et seulement parce qu’il aime. Voilà la méthode, le moyen par excellence pour cette guerre d’extermination. Oui, cette méthode de l’amour est excellente : c’est la méthode la plus simple et la plus sûre, la seule qui soit sûre, vraie, profonde. Nulle autre ne va au fond ; nulle autre ne voit le fond. Il n’y a que l’amour qui extermine, l’amour est l’ange exterminateur[h], l’amour est avide, l’amour est intolérant, l’amour est destructeur, l’amour n’est jamais content qu’il n’ait exterminé [le péché]. Le propre de l’amour est d’être illimité ; tout autre principe est borné. Dans le combat contre le monde, si nous arrivons seulement avec la conscience, cette arme de la main gauche, et non avec l’amour, cette arme de la main droite (2 Corinthiens 6.7), nous n’arrivons pas à vaincre ; car la conscience est illimitée sans doute, c’est-à-dire qu’elle connaît tout le devoir ; mais c’est une faculté froide, sans élan ; elle est triste, et une faculté triste n’est pas infinie, mais il faut l’amour qui est la joie de l’âme, la seule faculté indéfinie. Le principe de ces devoirs négatifs est donc un principe positif ; le positif précède le négatif (de même que nous avons vu, dans la méditation précédente, la vie, la résurrection précéder la mort). On s’imagine souvent que s’abstenir du mal et faire le bien sont deux principes, mais non, ils n’ont qu’un seul principe : le bien ; et c’est une de ces vérités importantes qu’on ne peut se lasser d’enfermer dans la conscience, car il n’y a pas d’erreur plus grave que de croire qu’il y a deux principes pour ces deux choses. Nous arrivons donc à cette vérité que pour l’accomplissement des devoirs négatifs, il faut un principe positif, qu’il n’est pas possible de détruire le mal sans aimer le bien, ce qui ne veut pas dire que dans les œuvres, le négatif ne précède le positif. Ainsi, pour cette mort de l’homme ancien, il faut une vie. Cette idée, nous la développerons et elle se présentera dans toute son étendue d’après le texte suivant, dans la méditation prochaine. Ainsi le succès, le moyen de succès dans cette guerre terrible qui nous est recommandée, c’est le renouvellement de l’homme ; il faut la faire jusqu’à la fin par ce renouvellement qui s’accomplit sans cesse ! Ô Eternel, notre rocher qui disposes nos mains au combat et nos doigts à la bataille (Psaume 144.1), donne-nous de combattre le bon combat, comme de bons soldats de Jésus-Christ (2 Timothée 2.1-3 ; 4.7), opère en nous et fortifie-nous par ta grâce qui est toujours puissante pour renouveler tout en nous, en nous faisant aimer tout ce qui est bien ! Amen.

[h] Allusion sans doute à 1 Corinthiens 10.10 (dans Ostervald), comparé à Nombres 14.29, 37 ; ou à Hébreux 11.28, comparé à Exode 12.23.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant