Homilétique

Sujets dogmatiques.

Les sujets de cet ordre sont ceux qui sont propres à donner à la vie chrétienne un fondement solide, dans tous les temps et dans tous les lieux. – Ainsi, ils ne seront jamais une pure et simple exposition scientifique.

Ce n’est pas toute la dogmatique [qui fournit ces sujets] ; c’en est la partie la plus substantielle, le cœur de chaque vérité. – Non que le reste soit indifférent ou indigne d’attention, mais il a son usage ailleurs ; et ce qui n’est pas fait pour être porté en chaire a pu servir à fortifier les dehors de telle vérité qu’on porte en chaire très convenablement.

Il y a, chez d’excellents maîtres, des sermons qu’on peut appeler théologiques. Ils ont pu avoir tort, quelquefois, de traiter de tels sujets ; on a peut-être plus de tort, aujourd’hui, de n’en traiter aucun. La théologie, comme discussion des textes ou comparaison des systèmes, n’est pas propre à la chaire ; mais comme considération approfondie de la vérité du salut, elle a sa place dans la prédication. On pourrait comparer certains sermons théologiques aux tragédies admiratives de Corneille ; ce n’est pas un genre, si l’on veut, c’est une exception qui a besoin de se justifier par l’exécution ; mais enfin l’exception est admise. La contemplation des choses sublimes ne reste pas sans effet sur le cœur et sur la volonté. Il est bon, comme nous l’avons dit, d’élever toutes les facultés de l’homme ; l’âme s’épure dans ces hautes régions.

Il n’est d’ailleurs pas facile de dire ce qui est théologie et ce qui ne l’est pas. Il ne faut pas s’en rapporter au titre. Tillotson a fait, sur le péché, un sermon théologique ; celui de Chalmers sur le même sujet ne l’est pas. – Saurin, en traitant la Vision béatifique de Dieu (1 Jean 3.2), eût pu n’être pas théologique, et aussi ne l’est-il pas partout ; mais il l’est trop souvent. Il établit que cette vision produit une communication d’idées, d’amour, de vertu, de félicité.

Transformez la théologie en religion et, à plus forte raison, ne transformez pas la religion en théologie. C’est ce qu’a fait Saurin dans le sermon cité. C’est ce que vous ferez toutes les fois que vous voudrez trop analyser et disséquer. Toute dissection d’un fait moral est provisoire et hypothétique ; on sépare ce qui n’est point séparé, ce qui ne peut l’être, ce qui, étant séparé, perd sa nature ; il y a donc, dans l’analyse la mieux faite, quelque chose de faux, ne fût-ce que dans le caractère de successivité qu’elle imprime à des faits simultanés. Cela a été peut-être, de la part de Dieu, une précaution prise contre nous, que la forme synthétique et complexe qu’il a donnée ou laissée à toutes les vérités. C’est déjà sans doute les analyser que les exprimer, quelque peu analytique que soit l’expression ; mais on pourrait dire que l’Esprit qui a dicté les saintes Écritures a évité la rigueur des formules scientifiques et conservé aux idées le caractère le plus synthétique dont elles soient susceptibles quand on veut pourtant les énoncer. Nous n’avons pas voulu nous le tenir pour dit, et nous avons analysé ce qui ne l’était pas, et voulu prendre à la rigueur certaines classifications qui n’étaient qu’apparentes. L’abus est allé jusqu’à la puérilité. Du même sérieux dont il distingue avec saint Paul l’esprit, l’âme et le corps, tel prédicateur distinguera l’honneur, la gloire et l’immortalité, ce qui est dans les cieux, sur la terre et sous la terre, les brebis et les agneaux que saint Pierre doit paître : – non seulement on donnera à chaque mot son intention, à quoi je consens, mais on érigera en classifications scientifiques des énumérations oratoires, des accumulations emphatiques, des figures de langage, des parallélismes hébraïques, etc. L’exégèse a rendu trop de services pour qu’on ne doive pas lui pardonner beaucoup ; mais vraiment il y a beaucoup à lui pardonner.

Gardons-nous de cette cruelle anatomie, exercée sur le vif, et toujours meurtrière. N’allons pas, en traitant le passage : La Parole de Dieu atteint jusqu’au fond de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles, (Hébreux 4.12) distinguer scrupuleusement les éléments d’un passage dont la confusion fait la beauté. Quel ne serait pas l’étonnement de saint Paul s’il voyait établir un discours ou bâtir un système sur des distinctions auxquelles il ne pensa jamais !

Des sermons de pure science, tels que ceux de Dwight sur le sabbat, de Clarke [sur l’existence de Dieu], ne me semblent point des sermons ; sans que je veuille nier qu’il y ait des temps et des lieux où l’on a pu prêcher ainsi.

L’apologétique peut fournir des sujets à la chaire ; et, dans un sens, tout l’ensemble de la prédication est de l’apologétique. Mais, à prendre ce mot dans son sens ordinaire, la chose qu’il désigne ne peut être employée dans la prédication qu’avec beaucoup de discrétion. La nature de l’auditoire, le peu d’étendue des discours, ne le comportent guère. Il faut craindre de rencontrer le scandale en cherchant l’édification. – N’oublions pas qu’en religion chrétienne, montrer c’est démontrer. Virtutem videante!

e – Perse. Satire III, vers 38

Il y a une apologétique générale qui peut, en tout pays, fournir des sujets de prédication. Saurin (Suffisance de la révélation), Bourdaloue (Sagesse et douceur de la loi chrétienne), Tillotson (Tranquillité que donne la religion et Utilité de la religion par rapport aux sociétés) [n’ont eu garde de les négliger.] Les sermons de la fondation de Boyle, ceux de Chalmers sur l’astronomie peuvent se justifier, mais ils semblent demander un auditoire spécial. On peut en souhaiter un auquel des sermons de ce genre puissent convenablement être adressés. Peut-être ne faudrait-il pas être aussi timide qu’on l’est à introduire de tels sujets.

[Après l’apologétique il convient de mentionner la controverse.] La vraie controverse de la chaire a lieu avec le péché, qui est la grande hérésie. Celle de symbole à symbole, d’Église à Église, est peu convenable en général. On pourra dire que le péché est au fond de chaque hérésie, ou s’y rattache aisément ; qu’en religion aucune erreur n’est oisive. Cela est vrai ; mais, ou bien cette hérésie ne se produit pas sous les regards de votre Église, et alors pourquoi en parler ? ou elle est sous ses yeux ; et alors, en général, il vaut mieux surmonter le mal par le bien, absorber l’erreur dans la vérité. C’est encore ici le cas de dire : Virtutem videant !

On ne peut pourtant pas toujours éviter la controverse. Il faut surveiller les erreurs qui se produisent dans le lieu où l’on prêche, du moins celles qui y prennent pied ; mais il ne faut pas leur rendre le service de les publier, et de les propager en les combattant.

Les apôtres, qui se sont élevés contre les disputes vaines, ont fait de la controverse. Mais comme saint Paul se hâte vers le but, comme il dérive rapidement vers l’édification, ne permettant jamais à aucune question de rester à l’état purement spéculatiff.

f – Exemples : Romains 11.32-36 ; Galates 4.19-30 ; Romains 5 (voir ce qui précède) ; Hébreux 9.19-25. – On pourra lire, dans les Sermons théologiques de Tillotson, tome III, pages 317-371, le sermon sur la Transsubstantiation ; et tome II, celui sur l’Incertitude du salut dans l’Église romaine.

[Les vérités de la religion naturelle peuvent-elles prendre place dans les sermons ? La première difficulté se trouve dans l’énoncé même de la question. Qu’entend-on par vérités de la religion naturelle ? Où est la limite ? – Ces vérités ont reçu du christianisme un nouvel aspect, une nouvelle forme hors de laquelle le prédicateur chrétien n’est pas libre de les envisager. Ne pouvant pas faire abstraction du christianisme, il ne pourrait se placer au point de vue de la religion purement naturelle que par une fiction qui ne serait ni légitime ni profitable. Les vérités naturelles se trouvent dans la religion chrétienne, mais transformées, complétées. Et quel profit y aurait-il à les priver du complément qu’elles ont reçu du christianisme ? Par là même qu’on prêche le christianisme, on prêche la religion naturelle, et il n’est nullement nécessaire de faire pour elle une classe de discours à part. Dans la chaire même, il vaut beaucoup mieux considérer les vérités que la religion renferme comme des faits moraux internes que comme des vérités objectives.]

Il est toujours bon sans doute de montrer que nous portons en nous des vérités que l’Évangile est venu confirmer, un germe qu’il a fécondé. Il y a des arguments plus ou moins forts en faveur de certaines vérités sur lesquelles la religion repose et qu’elle suppose, et en faveur des devoirs de la morale. La Bible même fait usage de ces arguments, surtout en morale. Quant aux dogmes de la religion naturelle, on ne peut qu’en ébaucher la démonstration, que le christianisme achève. Je ne voudrais pas faire paraître ces arguments plus forts, mais aussi pas plus faibles qu’ils ne sont. [Au reste, n’oublions pas que les prédicateurs qui, par condescendance ou par une méthode peu réfléchie, ont voulu conduire leurs auditeurs à la religion révélée par la naturelle, y ont peu réussi. La religion révélée mène mieux à la religion naturelle que celle-ci à celle-là. Cette assertion n’est pas paradoxale. En effet, la religion soi-disant naturelle ne prend de la réalité et ne mérite son nom de religion que lorsqu’elle a reçu le sceau de la révélation. Car, de religion naturelle, au sens vrai, il n’y en a pas. La révélation donne une certitude, un sens nouveau, à des vérités présumées, mais non encore vivantes, et non encore appliquées à la conscience. Généralement, les prédicateurs évangéliques n’ont pas essayé de cette fausse méthode ; c’est le rationalisme qui a traité de prédilection ces sujets. S’il avait pour but de développer l’éloquence, il s’est grandement mépris ;] même oratoirement, les vérités de la religion naturelle, abandonnées à elles-mêmes, ne sont rien ; et l’avantage oratoire du prédicateur chrétien sur le prédicateur rationaliste est incalculable.

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