Homilétique

Sujets de morale.

[Les sujets de morale, le mot même de morale, sont aujourd’hui fort décriés et très injustement. Si le mot ne se trouve pas dans l’Évangile, on ne peut pas en conclure qu’il n’est pas légitime de s’en servir. La Bible n’emploie pas le langage de la science, mais celui de la vie, et elle prêche sans cesse la morale sans juger nécessaire ou utile de nous avertir qu’elle fait de la morale. Elle n’emploie guère non plus le mot de vertu, et cependant on parle des vertus chrétiennes, et sans le moindre inconvénient. Ce qui a discrédité les sujets de morale, c’est la manière dont on les a trop souvent traités, en séparant la morale du dogme dans lequel elle puise son autorité et son efficacité, en la dessavourant et l’affadissant. Nous pouvons donc réhabiliter le mot sans inconvénient.] La morale est la doctrine des mœurs ou de la vie pratique considérée dans ses rapports avec la loi et la grâce. Nous hésiterons peu à lui demander des sujets de prédication, si nous nous arrêtons aux considérations suivantes :

1o) La morale abonde dans les discours de Jésus-Christ et dans les écrits des apôtres. [Jésus-Christ a été le prédicateur de la morale : ses discours en renferment bien plus que de dogme, et cela est tout à fait naturel. Il était lui-même le dogme, le grand fait auquel se rattachent tous les autres. Quand il avait dit: Je suis celui qui devait venir, il donnait des règles pour la vie. La morale ne manque pas non plus chez les apôtres, et même la morale très spéciale.]

2o) Elle est un excellent pédagogue pour conduire à Jésus-Christ. [Ne méprisons pas la morale sous le prétexte que la conversion est tout. Il faut amener à la conversion, et rien n’en fait mieux ressortir la nécessité que l’exposé des règles de la vie pratique. Dieu lui-même n’a-t-il pas voulu que la loi servît de précurseur au christianisme ?]

3o) La morale jette beaucoup de lumière sur l’enseignement dogmatique.

4o) Elle a des rapports intimes avec le bonheur des individus et de la société.

Il faut distinguer, quant aux sujets de prédication morale :

  1. La morale descriptive, [qui s’attache, comme son nom l’indique, à étudier et à dépeindre des phénomènes de la vie morale, comme le font La Bruyère et La Rochefoucauld], et la morale préceptive, [qui s’occupe des règles de conduite. La première est très utile pour la chaire ; les faits prêchent.] Elle fournit de la matière et une base à la seconde. Mais la morale préceptive fournit seule des sujets à la prédication.

  2. La morale générale et la morale particulière. Il ne faut pas s’en tenir à la première, ni emprunter à la seconde des sujets trop particuliers.

  3. Les mêmes sujets dans des intentions différentes, selon les impressions qu’on veut produire : consolation, encouragement, humiliation, crainte, etc.

  4. Enfin, les circonstances générales et les circonstances particulières. Il est utile de s’arrêter à ces dernières, mais pour rattacher fortement ce qui passe à ce qui ne passe point.

[Revenons sur ces distinctions, en tant qu’elles ont pour objet la morale préceptive, celle qui fournit des sujets à la prédication.

[Les devoirs généraux sont ceux desquels tous les autres découlent, qui sont le premier écoulement des vérités dogmatiques vers la pratique, l’intermédiaire entre le dogme et les détails de la vie, les devoirs de piété, de méthodologie chrétienne. Ces devoirs peuvent être considérés comme la matière essentielle de la prédication. On est confondu de voir la richesse qu’offre le christianisme en fait de morale générale. Le prédicateur doit nécessairement s’en occuper beaucoup : ici comme en toutes choses, il faut être fort sur les principes. La tâche d’ailleurs est facilitée en ce sens que le terrain de la morale générale est de beaucoup le plus cultivé et par conséquent le plus accessible. Mais cette considération même doit nous montrer la nécessité de ne pas s’en tenir aux faits généraux. Il faut que le prédicateur mette en lumière la puissance du christianisme qui se fait jour jusque dans les détails et aux extrémités de la vie. Il faut le voir ainsi à l’œuvre pour se bien pénétrer de son excellence. L’erreur, ou la demi-erreur, n’est pas infinie ; la vérité seule pousse jusqu’au bout des choses. Il est bien nécessaire d’ailleurs de combattre ou de rectifier les idées reçues sur certaines parties de la morale. Des erreurs très graves sont accréditées, même au sein des classes de la société les plus cultivées. Et si l’on descend plus bas, on trouvera pis encore. Le prédicateur chrétien doit venir à cet égard au secours du peuple, relever, autant qu’il dépend de lui, les idées morales, et porter ses soins tout particulièrement aux endroits menacés.]

Toutefois, s’il est intéressant de montrer que les plus petits détails de la vie relèvent du christianisme, qui a la main aussi délicate que puissante ; s’il est même nécessaire de rectifier les idées sur certaines parties de la morale trop obscurcies, il n’en est pas moins vrai qu’il ne faut pas traiter des sujets trop particuliers. Détachez d’un liquide coloré ou sapide une très petite goutte, elle n’a, dans son isolement, ni couleur ni saveur. Il est difficile, à la dernière extrémité d’un rameau, de ne pas perdre de vue le tronc. [Que l’on se représente, par exemple, des sermons sur la propreté, sur la politesse, etc. De telles matières peuvent être abordées sans doute, mais il faut que ce soit occasionnellement, et elles ne peuvent fournir le sujet d’une prédication.] La morale particulière ne doit point être exclue ; mais de tels détails trouvent leur place dans des matières plus générales ou dans des sujets historiques.

À côté des sujets que l’Évangile a traités, il en est qu’il n’a pas même mentionnés, comme le suicide, l’esclavage, etc. Ces derniers, loin de devoir être exclus, sont quelquefois au nombre des plus intéressants et des plus évangéliques. [On s’est plaint du silence de l’Évangile sur ces points importants ;] mais nous devons bien plutôt lui savoir gré de n’avoir pas tout dit. [Outre les raisons de circonstance, il faut considérer en général qu’il voulait créer pour nous la nécessité d’achever, de compléter. L’Église est le révélateur continuel de la vérité : elle ne peut rien ajouter au principe ; mais, dans le sens de développement, d’application, de conséquence, elle a toujours à agir, à avancer. Si l’Évangile avait tout dit, il n’y aurait pas besoin de prédication.]

La morale applicable à certaines classes de l’auditoire, aux parents, aux enfants, aux magistrats, doit-elle être prêchée ? [Nous le pensons. Les hommes sont rarement aussi touchés des vérités générales que des particulières. Il faut prendre chacun sur son terrain, individualiser la vérité.] Saurin a fait un sermon sur la Vie des courtisans. [Ne craignons pas que ce qui est dit spécialement en vue de certains auditeurs n’atteigne qu’eux. Ce qui ne nous concerne pas directement peut nous fournir d’utiles instructions, et des leçons détournées nous touchent souvent plus que celles qui nous sont données en face. Il est bon d’ailleurs d’être instruit des devoirs de la position même où l’on ne se trouvera jamais ; on acquiert par là une intelligence plus complète de l’ensemble de la morale chrétienne.]

Certains péchés ne peuvent être que les péchés de quelques-uns. [Mais, tout comme les vertus sont sœurs, les vices sont frères ; il y a solidarité entre toutes les parties du mal comme entre celles du bien. Il faudrait faire voir à son auditeur que s’il est exempt de certains vices qui le choquent, c’est souvent par l’effet des circonstances. Il y a là une philosophie du mal dont la connaissance est inhérente à celle du christianisme. Et de même qu’il est insuffisant de parler des devoirs sans tous les rattacher à un devoir, il l’est aussi de parler des péchés sans en montrer l’organisme. Il faut que le fidèle ne connaisse pas seulement la vie, mais toute la vie. Et la Bible ne s’y est pas épargnée : elle est un tableau naïf, complet, de la vie humaine élémentaire : ainsi doit être la prédication.]

Comme la morale de certaines positions et les péchés de certaines classes, les cas de conscience ne doivent être abordés qu’avec précaution, sous le sceau d’une utilité générale bien évidente, mais ils ne peuvent pas être absolument exclus. [Il ne faut les traiter ni dans des discours spéciaux, ni même à part dans un discours, mais faire voir qu’ils s’absorbent dans un grand principe, qui, lorsque l’âme en est pénétrée, éclaircit les difficultés de la vie pratique. Si nous étions consommés dans l’unité avec notre Chef, il n’y aurait pas de cas de conscience : dans la réalité, tout le monde en rencontre, et de fort difficiles, de fort douteux, même avec le secours de la prière. Mais, en général, la casuistique, dont les subtilités multipliées ont calomnié le christianisme, n’est pas du ressort de la chaire. Celui qui est tourmenté d’un scrupule de cette nature devra recourir au pasteur plutôt qu’au prédicateur.] La tâche de celui-ci n’est pas tant de résoudre les questions de cette sorte que de les faire disparaître. [L’amour est le casuiste suprême.]

On peut aussi, [comme nous l’avons dit plus haut,] classer les sermons de morale selon la nature de l’impression immédiate qu’on cherche à produire. Considérant l’auditoire comme un seul homme qui a différents besoins moraux on exhorte, on encourage, on console, enfin on reprend ou l’on châtie. – Ce genre de prédication, [les sermons de répréhension] (en allemand, Strafpredigien) beaucoup plus fréquent autrefois, semble aujourd’hui se concentrer sur un seul jour de l’annéeg. Il est bon de prêcher quelquefois dans cet esprit ; [la multitude a besoin de quelques-unes de ces secousses, et pour le fidèle aussi, ces moments d’examen spécial ont leur grande utilité ;] mais il y a des écueils à éviter. L’âge donne, à cet égard, une autorité que la jeunesse n’a pas. Il y a pourtant une autorité indépendante de l’âge, et dont tout prédicateur, en tant que prédicateur, est investi. C’est au jeune Timothée que le sage et modéré Paul disait :

Reprends publiquement ceux qui pèchent, afin de donner de la crainte aux autres. (1 Timothée 5.20)

Prêche la parole, insiste en temps et hors de temps, reprends, censure et exhorte avec toute sorte de douceur, et en instruisant. (2 Timothée 4.2) C’est ainsi encore qu’il disait à Tite : Enseigne ces choses, exhorte, et reprends avec Une pleine autorité. (Tite 2.15) – Du reste, la vérité même reprend, [et il importe que l’auditeur sente que c’est la parole de Dieu qui le redresse, et non pas l’homme.]

Car la parole de Dieu est vivante et efficace, et plus pénétrante qu’aucune épée à deux tranchants ; elle atteint jusqu’au fond de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles, et elle juge des pensées et des intentions du cœur. (Hébreux 4.12) – Quant au genre opposé, la prédication laudative (contenant un éloge), on en trouve des exemples dans les épîtres de saint Paul ; mais il est difficile de croire qu’elle trouve son application dans l’Église actuelle, dans nos églises.

g – L’auteur fait allusion au jour de jeûne qui se célèbre annuellement dans toutes les Églises de la Suisse.

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