Homilétique

Sujets historiques.

Ce que nous avons dit de l’unité oratoire ne semble pas conduire à l’idée de sujets historiques. Si, comme le dit Quintilien, on écrit pour raconter et non pour prouver, on parle pour prouver et non pour raconter. Mais d’abord, ainsi que nous l’avons établi, la première affaire du prédicateur est d’enseigner ou d’instruire : et raconter peut être une forme de l’instruction. On ne raisonne, ai-je dit quelque part, que faute de savoir raconter. Les faits bien racontés sont l’instruction la plus incisive, et je dirais la plus décisive, parce que l’auditeur ou le lecteur s’administre lui-même l’instruction. C’est par des histoires essentiellement que Dieu s’empare de notre cœur. C’est par des histoires, par des romans, que les idées se répandent. Nous sommes trop préoccupés de l’argumentation qui n’est qu’une forme de la démonstration. Du reste, il ne s’agit pas ici, purement et simplement, de raconter ; le récit n’est que la base ou le point d’appui de l’instruction qui doit suivre. Il est donc tout à fait conforme à l’idée d’un discours oratoire de raconter ; mais l’orateur ne raconte pas comme l’historien.

Ajoutons que rien n’intéresse autant la masse des auditeurs que les histoires. Nous avons bien peu d’égard aux besoins de la multitude quand nous ne lui racontons rien. Dieu a été plus condescendant.

Nous cherchons à transformer une histoire en précepte ; Herdër aurait voulu transformer chaque précepte en histoirel. L’un et l’autre sont bons ; il faut les accueillir l’un et l’autre. Ainsi, au lieu de dire l’avarice, nous dirons l’avare, ou, encore mieux, un avare.

l – Lehrsatz (précepte). – Voyez Hërder, Briefe das Studium der Theologie betreffend.

[Indépendamment de l’histoire sainte proprement dite, la prédication trouvera des matériaux abondants dans l’histoire de l’Église, dans laquelle l’histoire de l’Ancien et du Nouveau Testament trouve sa continuation ; dans l’histoire des religions et même dans celle du monde, qui est comme une histoire de la Providence. Quel champ encore que l’histoire des missions et des œuvres chrétiennes, que celle des persécutionsm ! L’histoire des individus, la biographie des hommes de Dieu, devrait aussi trouver place dans la chaire.

m – Voir mon Discours d’installation.

[Les prédicateurs catholiques ont en cela un avantage sur nous, ayant introduit dans leur prédication, comme de règle, les panégyriques des saints, les oraisons funèbresn. Ces sermons font sentir tout ce qu’acquiert d’intérêt une vérité générale qui s’individualise. Pourquoi, au lieu de prendre pour textes les paroles des apôtres, ne prendrait-on pas les apôtres eux-mêmes ? Au lieu d’envisager leurs paroles dans leur sens objectif seulement, ne pourrait-on pas les considérer aussi sous le point de vue subjectif, et chercher à y démêler les beaux caractères de l’Église primitive ? Ils sont des types de perfection morale qu’il y a tout profit à étudier. Et comme il est vrai que l’œuvre de Dieu est identique à elle-même, passons la limite des temps apostoliques, et dans l’immense champ de l’Église, même dans l’Église catholique, avant et après la Réforme, faisons ample moisson de beaux souvenirs. Il y aurait ingratitude à retenir captives les vies de nos pères en la foi. Nous serions chrétiens, et nous connaîtrions vaguement Paul, Jacques, Pierre ; nous ignorerions, pour ainsi dire, un Luther, un Viret ! L’histoire de l’œuvre de l’Esprit dans l’Église, et les biographies des hommes saints sont souvent bien plus édifiantes que toutes les démonstrations. Ne craignons pas même les anecdotes.] Pourquoi priver de tout cela notre auditoire, qui ne le trouverait point ailleurs, ou point ainsi assaisonné ?] N’oublions pas cependant, en usant de ces matériaux avec liberté, que tout n’est permis qu’à celui qui est esclave de Dieu, et dans la mesure où il est son esclave.]

n – Voir Bossuet, Panégyrique de l’apôtre saint Paul et l’Oraison funèbre de la Princesse palatine.

Les sujets que nous venons de mentionner se prêtent à une unité oratoire très suffisante et à toutes les convenances de la chaire.

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