Homilétique

Sujets psychologiques.

Que la psychologie, ou la connaissance des éléments, des ressorts et des mobiles de l’homme psychique [soit nécessaire ;] que, pour tout dire en un mot, l’homme doive être connu du prédicateur, nul doute. Quelques-uns méprisent cette étude, et disent que la Bible suffit ; oubliant que la psychologie qu’elle renferme nous invite à étudier la psychologie, qu’elle est un flambeau pour regarder dans l’homme, et que c’est l’homme qu’il faut regarder. Sur les mystères de l’âme humaine combien de choses dans Job et dans l’Ecclésiaste ! que de points de vue indiqués ! Celui qui répétera d’autorité : « L’homme est ceci, l’homme est cela, » sans l’avoir vu soi-même, fera peu d’effet ; il pourrait, par la même raison, n’alléguer d’autre motif du devoir que le commandement biblique : personne ne se croit réduit à cela. Il ne faut pas que personne puisse dire : « Si le prédicateur nous connaissait mieux, il ne parlerait pas ainsi. » Le prédicateur qui parle de l’homme sans l’avoir bien étudié, tombera dans des erreurs graves et manquera d’autorité. Il doit montrer qu’il sait, autant qu’homme peut le savoir, de quoi nous sommes faits. (Psaume 103.14) Mais en général, la psychologie est plus propre à fournir à nos sermons de la substance que des sujets proprement dits ; et dans l’un et l’autre cas, elle ne doit être ni de la science, ni de la menue observation : il faut que la psychologie du prédicateur soit pratique et populaire. Une psychologie purement spéculative, ou trop raffinée, distrait l’auditeur de ce qui doit le préoccuper avant tout ; elle donne à son amour-propre un aliment dangereuxp ; elle lui crée des impressions imaginaires ; en outre, elle est un élément peu oratoire.

p – Psychologie très délicate, qui s’en va épiant toutes les émotions de l’âme, surprenant tous ses secrets, lui dérobant des aveux, furetant, si l’on peut parler ainsi, dans ses recoins les plus obscurs, et, par-dessus tout, lui donnant conscience de tout son mal, et lui multipliant ses douleurs en les lui nommant… Je crois entrevoir ce qu’elle a de nuisible aux grands intérêts de l’âme. Autant la connaissance de soi-même est le point d’appui nécessaire de toute régénération, autant peut-être cette minutieuse observation rend celle même œuvre difficile. Elle tourne en étude, en curiosité les grandes impressions qui inclinent l’âme du côté de la lumière. Elle transforme furtivement les douleurs du repentir en joies de l’amour-propre ; des reproches de la conscience deviennent des découvertes de l’esprit. On ne rentre pas en soi-même, on en sort plutôt. Spectateur amusé d’un mal sérieux, on cesse d’y être identifié, on s’en isole, on s’en distrait en s’en occupant. (Vinet, Etudes sur la Littérature française au XIXo siècle. Tome III, pages 28-29.)

La psychologie, telle que nous l’entendons ici, ne considère pas seulement l’homme individuel, mais aussi l’homme social ; il y a une psychologie comme il y a une physiologie de la société. Elle fait partie du domaine que nous venons d’ouvrir au prédicateur. Rien de plus naturel et de plus facile que de rattacher à l’idée de Dieu celle de toutes les institutions providentielles ; de montrer, par exemple, dès le début de la Bible et du monde, Dieu fondateur de la société et de la civilisation par l’institution presque simultanée de la famille, de la parole, de la loi et du travail. [Ces sujets, beaucoup trop négligés, et qui produisent cependant une sorte de saisissement religieux chez les auditeurs, rentrent dans les précédents. En effet,] les institutions, les mœurs, et avec elles l’industrie, les arts, la civilisation, les développements divers, découlent de la nature humaine. [Toute vérité mène à la vérité. Sans doute, Christ est le centre de toute vérité ; mais pour montrer que Christ est le centre, il faut parler du cercle et des circonférences les plus éloignées.] Reconnaissons cependant que le mot de psychologie [que nous venons d’employer] ne peut pas s’étendre, sans subir une sorte de violence, au nœud secret qui unit les différentes parties du monde et les différents éléments de la vie humaine. C’est plutôt la philosophie [qui les embrasse]. La philosophie, en religion, est un instrument, une méthode ; il s’agit moins d’une philosophie donnée, d’une construction philosophique, que de cet esprit philosophique au moyen duquel on classe, on généralise, on abstrait, on trouve les vrais rapports des choses, on remonte des apparences à la réalité, des phénomènes au principe, on embrasse l’ensemble. Cet esprit-là nous aide à trouver la philosophie de la religion, c’est-à-dire le rapport, entre eux et avec le centre, des éléments dont elle se compose, et son rapport avec le monde et la vie. C’est à l’aide de cet esprit que nous saisissons et faisons sentir la conciliation secrète qui existe entre toutes choses : entre la religion et la nature ou la vie humaine, et, dans la vie humaine, entre l’existence individuelle et l’existence sociale, entre la réalité et l’art, entre la pensée et l’action, entre la liberté et l’ordre, entre les affections particulières et les affections généralesq, entre les instincts et les devoirs, entre l’intérêt pour le présent et la pensée de l’avenir. Mais tout ceci rentre dans la classe des sermons apologétiques, et la philosophie apparaît ici, [ainsi que je l’ai dit,] non comme objet, mais comme instrument.

q – Exemple : Ne pleurez point celui qui est mort, et n’en faites point de condoléance ; mais pleurez amèrement celui qui s’en va en exil ; car il ne retournera plus, et ne verra plus le pays de sa naissance. (Jérémie 22.10)

[Cette extension presque indéfinie du domaine de la prédication, qui du moins n’exclut rien, ne peut-elle pas être en scandale ? On peut demander si Jésus-Christ est venu discourir sur toutes sortes de matières. Non : Jésus-Christ a parlé d’une bonne part, d’une seule chose nécessaire, pour laquelle il faut se décider, et au besoin à l’exclusion de toutes les autres. Il y a dans le ministère évangélique un caractère d’urgence. L’enseignement de Jésus-Christ et des apôtres est véhément, peu semblable au développement tranquille de l’exposition scientifique.

Sauvez-vous du milieu de cette race perverse, (Actes 2.40) sauvez-vous, dussiez-vous y laisser vos trésors et des lambeaux de vous-mêmes ; – voilà la prédication de Jésus-Christ, la prédication évangélique. La chaire chrétienne n’est pas une chaire d’académie. – On voit que l’objection est forte. Ceux qui se représentent le pasteur comme un missionnaire (et ils ont raison), ne peuvent comprendre notre lenteur. N’oublions pas cependant que prêcher, c’est instruire. S’il s’agissait seulement de pousser rapidement le pécheur au pied de la croix, l’Évangile lui-même serait beaucoup trop développé. La bonne nouvelle se trouve dans beaucoup de sujets. Les paroles qui terrassent les consciences sont semées dans l’Évangile, et il y en a d’autres à l’entour. Elles doivent sans doute être présentes virtuellement dans chaque discours, mais elles ne dispensent pas d’étudier les diverses faces de la vérité. Effrayer n’est pas tout, c’est même peu de chose ; il faut toucher, et pour cela instruire. Il est un grand nombre d’âmes que l’on n’acquerra à Christ qu’à ce prix. Hâtons-nous d’instruire, et instruisons à loisir ; Dieu pendant ce temps fera son œuvre. L’instruction n’est pas affaire de goût ou de choix, mais de nécessité. Un enseignement qui, dans toutes ses parties, tend à l’édification, ne peut être retranché de la mission du prédicateur.

D’ailleurs, il ne faut jamais perdre de vue que la nouveauté est un grand moyen d’intéresser, et que la prédication ne se soutiendra sous ce rapport qu’à la condition de se renouveler sans cesse. On veut du nouveau, et, toutes réserves faites, l’on n’a pas tort. Ce besoin de nouveauté est plus sérieux qu’on ne pense, et l’auditeur le plus pénétré est loin d’y être étranger. Tout prédicateur avisé tirera de son trésor des choses nouvelles et des choses vieilles. (Matthieu 13.52) Ce qui n’est pas ancien n’est pas vrai, car il n’est pas question de faire un nouvel Évangile. Et, d’un autre côté, ce qui n’est pas nouveau, c’est-à-dire accommodé à la forme d’esprit, aux tendances et aux besoins de chaque époque, n’est pas complètement vrai non plus. La merveilleuse souplesse de l’Évangile, son aptitude à s’adapter aux formes de société, aux caractères, aux positions, aux. directions d’esprit les plus diverses, n’est pas un médiocre indice de son origine divine. La prédication perdrait-elle à lui ressembler ? Elle est trop souvent semblable à elle-même d’un prédicateur à l’autre et d’une époque à l’autre. Les choses dont la force est tout à fait indépendante de la forme sont en petit nombre. Il est peu de sermons des siècles passés qui n’aient besoin d’être traduits à notre usage.

[Il y a donc une nouveauté légitime, nouveauté de sujets aussi, non de doctrines, mais de thèses. C’est ainsi que l’art, chose humaine, se renouvelle ; l’Évangile est immuable, mais il est divin. Pour arriver à cette nouveauté dont nous parlons, le génie n’est pas nécessaire : le prédicateur n’a qu’à ouvrir les yeux et qu’à observer. Qu’il ne s’en tienne pas à l’idée générale et abstraite de l’homme, mais qu’il étudie les hommes qu’il a devant lui et auxquels il parle. S’il veut bien prendre ce soin, il sera nouveau. Mais c’est là une étude difficile, qui exige une attention continuelle, dans laquelle le zèle soutient et dirige, mais dont il ne dispense pas.]

Après avoir, abaissé les barrières nous les relevons, c’est-à-dire qu’après avoir ouvert à la prédication en général cinq ou même six domaines, nous les réduisons pour le jeune prédicateur à deux : la dogmatique et la morale. Les trois dernières classes de sujets supposent chez le prédicateur un discernement, un tact, qui ne peuvent être que le fruit de l’expérience. Le jeune prédicateur est plus en sûreté dans des limites plus étroites, qui cependant ne le sont pas assez pour gêner son zèle et pour borner l’utilité de son ministère, et dans lesquelles il peut encore aisément faire entrer bien des idées et des faits recueillis dans les domaines où il ne prend pas des sujets de prédication.

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