Homilétique

Extension du texte

Quant à l’extension ou catachrèse du texte, c’est autre chose : rien, dans certaines conditions, n’est plus légitime ni plus nécessaire.

Tout ce que nous avons dit revient à ceci : qu’il ne faut pas, en fait de spiritualité, s’élever au-dessus du texte. Il va sans dire qu’il ne faut pas non plus rester au-dessous. Mais si nous ne voulons d’extension ascendante ni descendante, nous admettons une extension latérale ou horizontale. Nous avons parlé du sens intérieur des textes. Ce sens intérieur comprend non seulement l’idée qui ressort immédiatement des paroles du texte, mais telle idée qui s’y trouve impliquée, telle et telle conséquence ou application qui n’a pas été présente à l’esprit de l’écrivain, et qui peut-être même, à cause du temps et des circonstances où il écrivit, n’a pas pu lui être présente, mais qui ressort spontanément du principe qu’il a exprimé. – Si l’on nous objecte qu’on pourra ainsi descendre ou remonter à perte de vue, puisque tout se tient, nous répondrons qu’il y a une règle simple, c’est de se demander si l’auteur, dans le développement que nous donnons à sa pensée, reconnaîtrait sa pensée et nous avouerait. – C’est un trait de la méthode de Jésus-Christ de nous faire conclure de l’espèce au genre, afin d’exercer en nous la conséquence morale, la logique de la conscience, la spontanéité. Ainsi Matthieu 19.16-23.

La véritable utilité de l’usage des textes, ce n’est pas tant de présenter en face la vérité qu’on veut développer ou prouver, que de l’offrir par un côté plus saillant, plus aigu, plus accidentel, que celui sous lequel elle se présente abstraitement. Ainsi il est avantageux de descendre, dans le choix du texte, de l’idée de genre à celle d’espèce, et même d’individu. C’est ici qu’on peut appliquer le mot de Fontenelle (qui n’est pas absolument vrai), qu’il ne faut pas

faire entrer la vérité par le gros bout.

C’est une observation psychologique facile à vérifier, qu’une grande douleur, une grande joie pénètrent moins par leur face la plus large, que par quelque circonstance accessoire, par quelque détail inattendu. Au moral les rayons obliques semblent les plus chauds.

[Citons quelques exemples à l’appui de cette remarque :

– Genèse 29.20 : Jacob servit sept ans pour Rachel, qui ne lui semblèrent que comme peu de jours, parce qu’il l’aimait. Ici nous avons l’expression de l’idée générale que, quand on aime, les sacrifices paraissent légers et le temps court ; cependant cette idée générale fait moins d’impression que l’idée particulière du texte.
– Actes 13.46 : Alors Paul et Barnabas leur dirent hardiment : C’était bien à vous les premiers qu’il fallait annoncer la parole de Dieu ; mais puisque vous la rejetez, et que vous vous jugez vous-mêmes indignes de la vie éternelle, voici, nous nous tournons vers les Gentils.
– Si l’on voulait développer l’idée, qui d’ailleurs ne pourrait se traiter partout, qu’il y a, à côté de l’Évangile, quelque Évangile apocryphe, quelque faux Messie, on pourrait prendre pour texte le passage : Es-tu celui qui devait venir ? (Luc 7.20) Ou bien celui-ci du livre des Actes, où le malin esprit dit aux fils de Scéva : Je connais Jésus, et je sais qui est Paul ; mais vous, qui êtes-vous ? (Actes 19.15) Tous les faiseurs d’évangiles nouveaux, tous les soi-disant réformateurs de la nature humaine, sont terrassés par ces paroles particulières.]

En résumé, traiter un texte, ce n’est pas seulement en tirer une vérité substantiellement ou formellement renfermée dans les expressions dont le texte se compose : c’est aussi en déduire telle vérité que le texte suppose, dont il offre le point de départ, ou la réalisation dans un exemple, ou une conséquence, ou telle autre appartenance naturelleh.

h – Cependant la doctrine de Maury est relâchée, lorsqu’il permet qu’on se contente d’une analogie entre le texte et le sujet. (Essai sur l’éloquence de la chaire, VII)

Procéder avec cette largeur, c’est la seule manière de pouvoir traiter tous les sujets qui le méritent ; car, en suivant une méthode plus étroite, on se verrait réduit à l’alternative, ou d’en sacrifier plusieurs, ou, si l’on veut absolument les traiter, de faire aux textes une violence cruelle. On peut excuser Tillotson d’avoir trouvé dans 1 Corinthiens 11.26-28, le sujet de la fréquente communion ; mais comment excuserait-on le prédicateur qui trouva un sermon sur les devoirs réciproques des propriétaires et des locataires dans Actes 28.30 : Paul demeura deux ans entiers dans une maison qu’il avait louéei.

i – Ce sont ces impertinences qui ont donné lieu il y a longtemps au mot [du cardinal Hyppolite d’Esté] cité par Balzac : Buon per la predica ! Riservale questo per la predica !

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant