Homilétique

2.4 De l’homélie et de la paraphrase.

Tout ce que nous avons dit jusqu’à présent semble se rapporter uniquement au discours synthétique, et même ne supposer de légitime que ce genre-là. En effet, toutes les règles que nous avons données, soit sur les sujets, soit sur les textes, impliquent l’idée que le sermon tout entier roule sur une proposition unique.

Il s’agirait donc, quand on ne trouve pas cette proposition implicitement contenue dans le texte, de ramasser vers un même point les éléments plus ou moins épars et divergents, de les condenser jusqu’à ce qu’ils ne forment plus que cette proposition unique dont nous avons parlé.

Mais les deux genres de prédication connus sous le nom de paraphrase et d’homélie ne sont-ils pas l’application de la méthode contraire ? N’est-ce pas une analyse au lieu d’une synthèse ? Voici ce que je réponds.

C’est une analyse et une synthèse ; et la réunion de ces deux méthodes n’est pas exclusivement propre à l’homélie. Tel sermon synthétique, si l’on y regarde de près, analyse le texte, et dans cette analyse trouve toute sa division. Ainsi procédaient presque constamment nos prédicateurs français réformés avant Dubosc. Ils épelaient, si l’on peut dire ainsi, la parole biblique. Cependant, comme leurs analyses ne portent pas à l’ordinaire sur des textes très étendus, leurs discours passent pour des sermons et non pour des homélies. On peut dire au moins qu’ils marquent la transition, ou qu’ils occupent l’espace intermédiaire entre le sermon et l’homélie. Ces trois formes ne sont que trois degrés de la méthode analytique, qui se met au large et triomphe dans l’homélie. – Mais dans toutes les trois, l’analyse n’est que le préliminaire et le moyen de la synthèse, par laquelle il faut toujours finir.

Même la paraphrase n’est admissible qu’à cette condition. Elle n’est, dans la rigueur de son idée, qu’un discours parallèle à celui de l’auteur sacré, une explication suivie du texte, explication dont l’étendue n’a aucune limite précise. On en trouve plus d’un exemple dans Massillon. Je crois que si l’on consulte la nature de l’esprit humain, on sentira la nécessité de réunir après avoir analysé, et de donner un lien quelconque, le lien d’une idée commune, aux éléments qu’on a successivement recueillis. – Je sais bien que quand le lien est très lâche, l’unité n’est guère que nominale. La notion d’être est finalement un lien pour les idées les plus opposées.

Laissant la paraphrase pour ne parler que de l’homélie, nous disons que, si elle n’est pas si profondément différente du sermon ordinaire qu’on le suppose communément, elle a pourtant un caractère à part. Ce caractère ne lui vient pas seulement de ce que, le plus souvent, elle s’attache à des récits, ou de la familiarité du genre, mais plutôt de ce que sa première préoccupation, son objet principal, est de mettre en relief les parties successives d’un texte étendu, se subordonnant à ses contours, à ses accidents, à ses hasards, si l’on peut dire ainsi, plus que ne le ferait le sermon proprement dit.

Il n’y a rien qui distingue essentiellement l’homélie du sermon si ce n’est la prédominance relative de l’analyse ; en d’autres termes, l’explication prévaut sur le système. Tout ce que nous avons dit du sermon s’applique donc d’une manière générale à l’homélie. La difficulté que ce genre présente ne va jamais jusqu’à l’impossibilité. Ce n’est pas au hasard que l’on découpe dans le texte général des livres sacrés le texte particulier d’une homélie. La délimitation n’est point arbitraire. L’unité a été aperçue d’avance et a déterminé les limites du textet ; on est donc bien sûr de la trouver. Le danger seulement est de laisser l’unité du sujet, comme le fil d’un sentier, s’ensevelir et se perdre sous une végétation entrelacée et touffue. Il y a sans doute un art d’analyser. Analyser, ce n’est pas seulement éplucher, disjoindre ; c’est en même temps lier ; c’est conserver ou marquer les articulations, c’est respecter la vie du texte, c’est le développer plutôt que le décomposer. On doit, au milieu de toutes les lignes qui se croisent, s’entrelacent et s’obombrent dans un récit ou dans une parabole, démêler et saisir la ligne maîtresse, l’idée-mère, jeter à l’écart, ou reléguer dans le demi-jour, au second plan, ce qui est de moindre importance, ce qui fait partie intégrante du récit, sans faire partie intégrante de l’instruction qu’il est destiné à fournir. Il faut encore proportionner le développement de chaque trait à son importance, ne pas se laisser aller à l’attrait, à l’intérêt souvent sérieux de tel ou tel détail, qu’on pourra, dans une autre occasion, reprendre et traiter à part ; on ne doit pas courir deux, encore moins trois lièvres à la fois. – Plus les idées que l’on recueille sont importantes, plus l’esprit, sollicité fortement par chacune, se fatigue et se disperseu.

t – Quand on prend, comme Luther, deux récits (Matthieu 8.1-13), parce qu’ils se suivent, on ne trouvera pas l’unité parce qu’on ne l’a pas cherchée.

u – Ammon, cite l’exemple d’une homélie sur Matthieu 14.1-10, qui perd, dit-il, une partie de son intérêt par l’accumulation des sujets suivants :

  1. Passage de la débauche à la cruauté
  2. du devoir de dire ouvertement la vérité
  3. de la passion des femmes pour la vengeance
  4. de la secrète terreur que la vertu sans défense inspire à l’homme vicieux puissant
  5. de l’inconséquence du vicieux.
L’unité, ajoute Ammon, ne doit jamais être sacrifiée, même dans l’homélie, et c’est à tort que l’on a voulu voir dans le défaut d’unité la marque distinctive de ce genre de prédication.
Voyez, comme exemples d’homélies : Cellérier, sur 2 Samuel 2.1-7 (Homélies, tome I, page 210.) et Rochat, les Anges logés chez Abraham. (Discours et Méditations, page 223.)

Je suppose le choix des textes libre, s’il ne l’était pas, et qu’une péricope prescrite n’offrît point d’elle-même une unité suffisante, j’aimerais mieux m’en passer que de l’obtenir de force. Cependant il est rare que quelque lien commun ne se présente pas.

Comme le prédicateur paraît plus porté par son texte dans l’homélie que dans le sermon synthétique, le premier de ces deux genres est réputé plus facile. Et en effet, il est plus facile de faire une homélie qu’un sermon ; mais un bon sermon est plus aisé à faire qu’une bonne homélie. – De grands maîtres dans l’art de prêcher, Bourdaloue par exemplev, n’ont pas réussi dans l’homélie.

v – Exemple : l’homélie sur l’Aveugle-né, (tome II, page 239, de l’édition Lefèvre), dont voici le plan :
    I. Aveuglement des pharisiens.
    II. Témoignage sincère, généreux, convaincant de l’aveugle.
Un genre comme celui-là est encore plus celui du sermon que celui de l’homélie.

Les plus excellents juges en fait de prédication ont recommandé l’homélie.

w – Voilà un avantage qui touche de bien près à un inconvénient.

Résumé. – Cette méthode n’a pas tous les avantages de la méthode synthétique, et elle est susceptible d’abus plus ou moins fâcheux. Ammon vient de nous le montrer. Mais l’absence de certains avantages et la possibilité de certains abus, ce ne sont pas des défauts. L’autre méthode aussi n’a pas tous les avantages qu’on peut imaginer ; elle n’est pas non plus à l’abri de tous les abus qu’on peut craindre. Ce qu’on peut dire en faveur de celle-ci :

  1. c’est qu’elle fait connaître et remet en honneur l’Écriture sainte ;
  2. c’est qu’elle est accessible à un plus grand nombre d’intelligences et plaît à toutes en remplaçant par des teintes plus vives la teinte grisâtre de l’abstraction ;
  3. c’est qu’elle combat les tendances exclusives auxquelles les prédicateurs ne sont que trop portés ;
  4. c’est qu’elle assure à la prédication plus de variété que le genre synthétique.

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