Homilétique

3. Matière du discours de la chaire.

Le chapitre de notre cours sur le texte peut être considéré comme un simple appendice du précédent, sur le sujet. Nous n’avons donc traité, jusqu’ici, que du sujet du sermon. Aujourd’hui nous commençons à traiter de la matière du sermon.

La matière est au sujet ce que l’édifice est au fondement.

Le sujet, c’est la proposition ; la matière en est le développement, la substance même du discours, la pulpe du fruit.

L’ordre que nous suivons dans notre cours n’est pas nécessairement celui qu’a suivi la pensée du prédicateur. Nous allons du sujet à la matière : il a pu, dans la préparation de son discours, aller de la matière au sujet, c’est-à-dire qu’il a pu être conduit à l’invention de son sujet par l’invention des idées principales de son sermon ; son sujet en est le résumé, la conclusion ; et, dans ce cas son discours semblerait devoir consister à nous rendre compte de la manière dont il est arrivé à cette conclusion.

Il est possible que, dans certains cas, cette forme fût la plus heureuse, la plus persuasive. – C’est la forme de quelques morceaux de Pascal.

On se tromperait néanmoins si l’on croyait que le sermon puisse être à l’ordinaire une confession ou une disquisition (Nom commun. — Didactique — Investigation ou recherche minutieuse, voire pointilleuse.). – Le chemin par lequel le prédicateur est arrivé à sa conviction personnelle, n’est pas nécessairement celui qu’il fera faire à ses auditeurs.

Plaçons-nous dans la réalité ; prenons dans son ensemble, dans la généralité des cas, la position du ministre : il a devant les yeux une vérité qui est certaine pour lui, et qu’il a mission d’expliquer et de prouver à d’autres ; en un mot, de même que nous dans notre cours, il va, non de la matière au sujet, mais du sujet à la matière.

Il peut, pour cela, employer non seulement une autre marche, mais d’autres moyens que ceux qui l’ont amené lui-même à comprendre et à croire. – [La marche qui nous amène à la foi est providentielle. Dieu se sert de moyens que nous aurions souvent dédaignés. Arrivés au but, ferons-nous faire aux autres tous les détours et retours que Dieu nous a fait faire ? Comme prédicateurs, nous devons nous mettre à un point de vue plus général. Nous devons voir ce qui, dans notre expérience, est humain. Nous devons employer des moyens à la portée du plus grand nombre, même des moyens qui n’ont fait aucun effet sur nous. Le secret définitif de la conversion nous échappera toujours. C’est souvent par ce qui était le plus faible qu’un homme est converti. Il est impossible qu’il n’y ait pas quelque chose de commun dans les moyens de conversion de deux hommes ; mais il peut y avoir aussi de grandes différences.]

Quand nous parlons d’expliquer et de prouver, ce n’est pas que nous pensions qu’il y ait des sermons d’explication, où l’on ne prouve point, et des sermons de preuve, où l’on n’explique point.

Un sermon quelconque se résout toujours en démonstration, et une démonstration n’a jamais lieu sans explication formelle ou indirecte, expresse ou sous-entendue ; je veux dire que toute démonstration repose sur une explication préalable.

Faire connaître, faire croire, c’est en général la double tâche du prédicateur dans chaque sermon.

Je dis plus : il n’est pas toujours facile de distinguer ou de séparer l’une des choses de l’autre. Faire connaître, c’est souvent faire croire ; expliquer, c’est prouver ; montrer, c’est démontrer.

La démonstration formelle a prévalu, la démonstration, qui se prévaut d’un de nos aveux pour nous en arracher un autre : on néglige de nous représenter la vérité comme une chose que nous puissions reconnaître à première vue, et à laquelle souscrivent sans effort les meilleures parties de notre être ; on ne s’adresse pas à cet esprit, dont il est dit qu’il est prompt ; (Matthieu 26.41) on n’essaye pas sur nous, autant qu’on le devrait, la force intrinsèque de la vérité.

La démonstration elle-même, lorsqu’on choisit cette voie, n’a une vraie force de persuasion qu’à proportion qu’en démontrant la vérité on nous la montre aussi. La représentation vive des objets est la force principale, la vie de l’éloquence.

Il faut donc que les deux éléments se fondent l’un dans l’autre. Mais, dans notre cours, nous sommes tenus de les distinguer. D’autant plus que le prédicateur est essentiellement explicateur, interprète, rapporteur, et que c’est là une partie distincte et principale de sa mission.

Distinguons donc, dans le sermon, l’explication et la preuve.

Et, dans chacune de ces choses, distinguons encore.

Car l’explication comprend des faits et des idées. – Les faits sont ou successifs, et se racontent (narration), ou simultanés, et se décrivent (description). – Les idées se définissent, s’exposent.

Voilà pour la partie de l’explication. Quant à la preuve, elle embrasse des vérités spéculatives et des vérités pratiques (dogmes et devoirs). Dans le premier cas, elle emploie des raisons ; dans le second, des motifs.

Voilà tous les éléments du sermon. Nous faisons ici une décomposition en quelque sorte chimique du discours. Plus tard, dans la partie de la disposition, en traitant de ses parties juxtaposées ou successives, nous procéderons à sa décomposition physique : ici nous parlons des parties combinées ou éléments, dont chacun ne se trouve pas assigné à un endroit particulier du discours, pas plus qu’il n’y a dans le corps humain un endroit pour le sang, un autre pour la chair.

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