Homilétique

5. De la péroraison

La péroraison, quelle qu’en soit la forme, est un discours ajouté à la fin du discours comme l’exorde l’est au commencement, et tiré, ainsi que l’exorde, d’une idée voisine du sujet, tellement que la péroraison a lieu après que le sujet a été entièrement traité, de même que l’exorde a lieu avant que le sujet soit entamé. On comprend dès lors qu’une partie de ce que nous avons dit de l’exorde s’applique de soi-même à la péroraison ; on comprend aussi que la péroraison étant, en quelque sorte, par la place qu’elle occupe, le contraire de l’exorde, on doive, pour la bien traiter, prendre à certains égards le contre-pied des règles de l’exorde. – Si je voulais, à l’usage des intelligents, renfermer toute la théorie de la péroraison en quelques mots, je citerais ceux-ci de Quintilien ; celui qui les aura compris saura parfaitement ce que c’est qu’une péroraison : Quæ plerumque sunt proæmio similia, sed liberiora, plenioraque.

Ne nous bornons pas toutefois au rapprochement indiqué, et considérons la péroraison en elle-même.

Tous les discours de la chaire peuvent se rapporter à deux genres : le discours de dogme et le discours de morale, le fait et le droit.

Tous ont pour caractère commun de pousser à une action.

Le discours de morale y pousse immédiatement. C’est son but même, et ce but paraît dès l’abord. Il établit ou suppose la nécessité d’une action. Il traite de cette action même, et non d’autre chose.

Le discours de dogme y pousse pareillement, mais non immédiatement et d’une manière assez distincte pour que l’orateur se puisse dispenser de presser les conséquences des vérités qu’il vient d’exposer.

Tout bien considéré, ces deux genres rentrent l’un dans l’autre, et ne diffèrent que par la proportion des deux éléments ; toujours on remonte du droit au fait, ou l’on redescend du fait au droit : autrement le discours n’est pas complet.

Si, après avoir rempli votre dessein, vous n’éprouvez pas le besoin de rien ajouter, n’ajoutez rien ; il est probable que vous avez fait une péroraison sans vous en douter. Massillon a fait preuve de jugement et de goût en réduisant à une très simple conclusion de quelques lignes la péroraison de son discours sur la Mort du pécheur et la mort du juste. Dans certains cas, la péroraison peut fort bien n’être pas distincte du discours. Elle est la dernière conséquence dans le discours dogmatique ; dans le discours de morale, le dernier argument ou le dernier moyen.

Chez Reinhard, à l’ordinaire, le dernier article de la division fournit la péroraison. Citons-en un exemple. Il s’agit de la curiosité ; le discours traite des inconvénients de cette disposition, et des moyens de la combattre. L’un de ces moyens est une activité inspirée et réglée par le devoir ; le second, l’effort constant vers le meilleur accomplissement possible du devoir qui nous est imposé ; le troisième consiste à entretenir journellement en nous les pensées, les résolutions, l’attente que nous devons avoir comme chrétiens. Abordant cette dernière idée, l’orateur s’écrie :

Non, notre esprit ne peut s’abaisser aux misérables préoccupations de la curiosité, s’il se nourrit tous les jours des sublimes contemplations dont le christianisme nous fournit l’objet, si tous les jours il les ranime en soi, et cultive le souvenir de Dieu et de Jésus-Christ. Notre cœur ne peut, s’avilir dans les méprisables jouissances de la curiosité, si tous les jours il se rappelle à quoi il est appelé en Jésus-Christ, combien sublimes, combien sacrés sont les devoirs qu’il a à remplir, et tout ce qu’il doit devenir ici-bas pour être glorifié à l’image de Dieu et de Jésus. Notre esprit ne peut s’oublier auprès des périssables objets de la curiosité mondaine, s’il se rappelle journellement qu’il est sur le chemin de l’éternité, qu’il faut beaucoup de choses pour être prêt à paraître sur le seuil de cette éternité redoutable, et qu’il en est peut-être plus rapproché qu’il ne pense, que peut-être elle est tout près de s’ouvrir pour lui. Oh ! qu’à cet égard aussi, mes chers frères, Dieu nous fasse sentir la puissance de l’Évangile de Jésus ; que, par cet Évangile, il épure, fortifie, élève votre esprit et vous donne ce sérieux, cette sagesse et cette dignité qui doivent distinguer les disciples de son Fils ! À lui, comme à son Fils et au Saint-Esprit, soit honneur dans l’éternité. Amenh.

h – Voyez Sermons pour l’année 1797, sermon XVIII

Ainsi le dernier article du sermon, c’est-à-dire un morceau qui fait partie intégrante du discours, peut tenir lieu de péroraison. Mais ceci, bien loin d’exclure la péroraison, en implique l’idée, en suppose la nécessité. Quand nous disons que quelque chose peut faire l’office de péroraison, nous affirmons par là même que la péroraison ne doit pas manquer au discours oratoire, et la question n’est plus que de forme.

L’usage de terminer le discours par une péroraison a donc quelques fondements. Cherchons-les.

La première raison est de ne pas finir brusquement, de même que la raison de l’exorde est de ne pas commencer brusquement ; de même qu’avant d’entrer en matière on a senti le besoin de se recueillir, on sent ce besoin en finissant. Or, se recueillir, c’est s’arrêter sur l’impression totale du discours, ou sur une idée autant ou plus générale que celle du discours, au lieu de rester sur l’idée particulière par laquelle l’orateur a fini. C’est une hauteur où l’on monte pour embrasser de là l’ensemble de l’œuvre.

Un autre besoin, c’est de rapprocher les unes des autres les instructions qu’on a reçues, de les réunir dans un moindre espace, en sorte qu’elles se présentent toutes ensemble à la pensée.

Un autre besoin encore, c’est de s’élever avec toutes les pensées du discours, comme avec une seule et même pensée, vers celui qui est le premier et le dernier objet de ce discours et de toute la prédication, pour le supplier ou pour le bénir.

Ces différents besoins, à moins qu’ils n’aient été satisfaits dans les dernières lignes qui ont épuisé la matière de l’exposition ou de la discussion, s’agitent obscurément dans l’âme de l’auditeur, à proportion que le discours l’a intéressé. Mais qu’il les éprouve ou ne les éprouve pas, l’orateur doit désirer de laisser l’auditeur sous l’impression la plus favorable à la cause qu’il a défendue, et ce qu’il ajoutera dans ce but ne sera pas plus hors d’œuvre que l’exorde. Or, en indiquant les différents besoins que peut éprouver l’auditeur à la suite du discours proprement dit, nous avons déjà indiqué les différentes formes de péroraison.

Il y a le résumé, qui réduit à un petit nombre d’idées, ou même à une seule, les idées dont le discours est composé. C’est comme un foyer ardent dans lequel se concentrent tous les rayons. Toutes les idées du discours peuvent aussi se résumer dans un sentiment. – Ce peut être encore une idée plus générale que celle du discours, une idée qui agrandit l’horizon sans perdre de vue le sujet, mais au contraire en le rappelant toujours.

Ce peut être enfin un argument nouveau qui présente la preuve sous une forme vive, concise et inattenduei.

i – Voyezla péroraison du Plaidoyer pour Louis XVI, par Lally-Tolledal (Chefs-d’œuvre de l’éloquence française. Barreau, page 200.)

Il y a la récapitulationj, espèce de partition après coup, dont les parties désormais connues ne se présentent plus, comme dans la division proprement dite, sous une forme abstraite, vague, incorporelle. Ces éléments ont pris corps dans le discours et, rapprochés, serrés les uns contre les autres dans la péroraison, formant un faisceau, revêtus autant qu’il est possible d’expressions nouvelles, se présentant avec l’attitude calme et fière de vérités prouvées qui n’ont plus qu’à se montrer, ils peuvent fournir une péroraison non seulement utile, mais beaucoup plus oratoire que Maury ne le supposek.

j –  Il est souvent à propos de faire à la fin une récapitulation qui recueille en peu de mots toute la force de l’orateur, et qui remette devant les yeux tout ce qu’il a dit de plus persuasif. (Fénelon, Dialogues sur l’éloquence, deuxième dialogue.)

k – Maury, Essai sur l’éloquence de la chaire, LXXVI, De la Péroraison.

Il y a l’application ou conclusion pratique. Il paraît singulier d’en faire une forme de la péroraison, puisqu’un discours n’est oratoire et chrétien qu’autant qu’il est applicatif. Mais on comprend que, même après un discours de ce caractère, il y ait quelque chose encore à faire pour approprier aux auditeurs d’une manière plus sensible et plus directe les vérités qu’ils viennent d’entendre. Cela peut se faire par un examen de conscience, par des reproches ou des exhortations, par des promesses ou des menaces. Je voudrais que l’application fit quelque chose de plus que de reproduire identiquement l’idée du sermon, mais qu’elle la présentât sous une nouvelle forme, un nouvel aspect, en sorte que cette espèce de péroraison se fondît avec la première dont j’ai parlé.

Du reste, si vous y regardez de près, vous verrez que toute péroraison est une application, et que vous ne pouvez pas même concevoir une péroraison qui ne soit pas une application, je veux dire dans laquelle vous ne vous approchiez pas de l’auditeur pour lui mettre plus vivement au cœur les vérités qu’il vient d’entendre.

L’application peut, de générale, devenir spéciale, c’est-à-dire se rapporter aux circonstances actuelles, ou se répartir entre différentes classes d’auditeurs, à chacune desquelles on accommode les vérités ou la vérité principale du discours : les riches et les pauvres, les jeunes et les vieux, les convertis et les inconvertis. Il est des prédicateurs chez qui cette dernière distinction ne manque jamais. Au fond, elle est inévitable, et elle a lieu au moins implicitement dans tous les sermons. Le tranchant de la vérité évangélique ferait tout seul cette division quand nous ne la voudrions pas faire. L’Évangile sépare l’homme en deux hommes, la vie en deux vies, dont la conversion marque la limite mutuelle. La chaire enseigne aux uns certains principes, et réclame des autres la conséquence de ces principes, qu’ils ont déjà adoptés. Elle manquerait son but, elle ne remplirait pas son mandat, si cette différence capitale ne ressortait pas avec force de tout son enseignement, et si elle avait l’air de vouloir cueillir quelque chose de mieux que des fruits sauvages sur l’arbre qui n’aurait pas été greffé. Car le fait de l’Évangile, son trait distinctif, est de greffer des sentiments divins sur une nature humaine. Cela importe beaucoup ; mais il vaut mieux, en général, obliger les auditeurs à se classer qu’énoncer cette classification. Du reste, quoiqu’on ne puisse être que dehors ou dedans, et qu’il soit funeste de faire rêver aux gens je ne sais quel entre-deux chimérique, on ne doit pas méconnaître qu’il y a des nuances, des degrés ; que, parmi ceux qui sont dehors, les uns ont plus, les autres moins d’empressement vers le but, et que parmi ceux qui sont dedans, les uns sont plus et les autres moins fidèles aux grâces reçues. Ne disons pas légèrement à quelles conditions on est dedans ou dehors, ou plutôt à quels signes un homme peut reconnaître si un autre homme est dedans ou dehors. Mais la forme ne saurait emporter le fond, ni l’abus condamner l’usage. L’application du sermon pourra donc se dédoubler ou se diviser ; mais si l’on croyait nécessaire d’introduire ordinairement dans l’application la classification dont il s’agit, je voudrais que la variété de la forme en rendît le retour moins monotone, ou même le dissimulât.

Il y a enfin la prière, qui n’est pas tant une espèce qu’une forme de péroraison, ou, si l’on peut s’exprimer ainsi, la péroraison même de la péroraison, la conclusion de la conclusion. En tout cas, il faut bien qu’on finisse par une prière ou par un vœu.

Telle péroraison peut présenter à la fois tous ces caractères, récapitulation, résumé, prière, application ; ainsi celle du sermon Consummatum est de Massillon.

De quelque manière qu’on finisse, c’est une chose difficile que de bien finir, et plus rare, je crois, que de bien commencer. On met naturellement à bien commencer plus de soin et d’attention. Quelque idée d’exorde se présente à chacun ; le sujet, le texte la donne. Il y a plus d’embarras pour finir, quand il semble, d’un côté, qu’on ait tout dit, qu’on se trouve, pour ainsi dire, en face de rien, et que pourtant on sent le besoin de dire encore quelque chose. On est fatigué, épuisé ; on redoute un nouvel effort ; et l’on s’acquitte envers la péroraison par quelque phrase banale d’exhortation ou de vœu, par quelques exclamations, par quelques passages de l’Écriture mis bout à bout. Bien finir est pourtant une partie essentielle de l’art ; il importe au moins autant de s’assurer les dernières impressions que les premières, sur lesquelles l’auditeur peut revenir ; le vainqueur est celui qui reste maître du champ de bataille. Je n’appliquerai pas ici le proverbe : Tout va bien qui finit bien ; car une belle péroraison ne saurait payer pour un méchant discours ; le dommage est irréparable, et la péroraison tirant sa force et sa beauté de son rapport avec le discours, on ne saurait la concevoir belle ni bonne indépendamment de ce rapport ; mais le discours étant supposé tel qu’il doit être, il importe que la fin y réponde et consolide l’effet qui a déjà été produit. Pour cela, il faut, dans la péroraison :

  1. Ne pas introduire un sujet nouveau. – Je dis un sujet, et je n’appelle pas un sujet nouveau l’idée générale dans laquelle va se dilater et s’agrandir, l’idée nouvelle dans laquelle va se rajeunir l’idée particulière ou le sujet du discours.

  2. Traiter une idée bien distincte. – Pas de vagues effusions. Je veux bien que le lit du fleuve s’élargisse, mais que le fleuve arrive à la mer tout entier et reconnaissable.

  3. Serrer de près jusqu’au bout l’idée du discours, même quand on semble se jeter dans une plus généralel. – Il est intéressant de voir la même règle observée par les lyriques, qui ne se piquent point d’un ordre didactique. (Voyez J.-B. Rousseau, Ode au comte de Luc.)

l – Cependant Bossuet rattache la péroraison de son sermon sur l’Impénitence finale à cette idée que le mondain arrive à la plus grande misère sans assistance.

Je ne donne point d’autres règles. Je ne dirai pas : Faites que la péroraison soit pleine des idées les plus hautes, des sentiments les plus vifs, des images les plus frappantes, des mouvements les plus hardis. Si tout cela est autorisé, favorisé par la nature même de la péroraison, tout cela ne peut être précisément l’objet d’une règle, j’accorde bien que, si l’on se sent obligé à autant de timidité après qu’avant la preuve, il y a apparence qu’on a peu gagné de terrainm. Je conviens que, s’il ne peut jamais convenir d’entonner une fanfare, un ton plus ferme, des prétentions plus hautes sont légitimes à ce moment : la péroraison est l’embouchure du discours comme l’exorde en est la source ; et le fleuve, à son embouchure, est plus large, plus plein, plus puissant qu’à sa source. Je conviens encore que l’auditeur, échauffé par la course, se prête à un langage riche et émouvant. Mais encore une fois, tout cela ne fait pas la matière d’une règle. Je dirai plutôt : Que la péroraison soit ce qu’elle peut être. Elle n’est pas un discours à part et indépendant, elle est le résultat du discours. Elle n’est vraiment belle que par son rapport et sa proportion avec lui. Il faut être autorisé par la teneur du discours, par la situation où l’on sent qu’on a placé l’auditeur, pour donner à la péroraison le caractère hardi, éclatant ou passionné dont nous venons de parler. S’il reste quelque chose à dire de pressant, qu’on le dise ; mais souvent il ne reste plus qu’à recueillir les esprits dans une vue calme et solennelle du sujet, ou dans un vœu religieux. Souvent la péroraison sera, avec toute convenance, d’un ton moins élevé et moins véhément que ce qui précède. Ici encore, la rhétorique des anciens ne peut pas absolument nous servir de guide et de modèle.

m – Comparez l’exorde Pro Corona avec la péroraison du même discours.

On peut recommander l’observation de ce court précepte : Que l’orateur considère tous les moyens de la cause ; et lorsqu’il aura bien vu ce qu’elle renferme ou paraît renfermer de contraire ou de favorable, d’odieux ou de propre à éveiller la pitié, qu’il dise ce qui, s’il était juge, ferait sur lui le plus d’impression.

Certes, [après de telles rhétoriques, les juges étaient avertis et n’avaient qu’à se bien tenir. Ce cumulus, dont nous parle Quintilien, comme si la péroraison était destinée à porter au comble toutes les impressions produites par le discours, n’est pas nécessairement le caractère de la péroraison. Surtout elle n’est pas le caractère essentiel et constant de la péroraison ou de l’épilogue du sermon ; le sermon peut très convenablement finir d’une manière très différente. – Remarquez les péroraisons généralement modérées et douces des grands maîtres de la chairen. On dirait d’un fleuve dont les flots, tout près et tout à fait sûrs d’arriver à la mer, se ralentissent près de l’embouchure, et ne présentent à l’œil qu’une nappe d’eau dont le mouvement est presque insensibleo.

n – Voyez dans les Oraisons funèbres de Bossuet, édition de M. Villemain, la fin de la première, page 51, et la remarque de l’abbé de Vauxcelles.

o – Dans l’Oraison funèbre de Turenne, par Fléchier, la péroraison, après un discours tout pathétique, est bien ce qu’elle doit être. De même, dans un genre opposé, celle du sermon de l’abbé Poulie sur l’Aumône. Mais il faut remarquer surtout celle de l’oraison funèbre de Condé, par Bossuet.

Du reste, il est plus facile de citer, en les détachant du discours, des exemples d’exordes que des exemples de péroraisons. Pour juger un exorde, il suffit de connaître le sujet ; pour bien juger une péroraison, il faudrait avoir vu tout le discours, parce que la beauté de la péroraison est surtout une beauté de rapport, et réside principalement dans la convenance de cette conclusion avec le discours. C’est surtout au sujet de la péroraison qu’il est à propos de se rappeler ces excellentes paroles de Cicéron :

Il faut, pour être éloquent, savoir porter le joug de la bienséance. Alors on dira toutes choses comme elles doivent être dites : on ne traitera pas maigrement un riche sujet, on n’en rendra pas mesquin un grand, ni l’inverse non plus ; mais le discours sera en rapport et en harmonie avec le sujet. – La sagesse est donc le fondement de l’éloquence comme de toute chose. Mais rien n’est plus difficile, dans le discours comme dans la vie, que de reconnaître ce qui convientp.

p – Cicéron, Orator, cap. XXXVI et XXI.

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