Méditations évangéliques

La Sanctification

C’est ici la volonté de Dieu, savoir votre sanctification.
(1 Thessaloniciens 4.3)

Avant d’aborder l’idée particulière de cette parole de saint Paul, qu’il me soit permis de remonter à une idée plus générale, qu’elle n’énonce point, mais qu’elle suppose nécessairement. Cette idée c’est que Dieu a une volonté. Mais pourquoi, direz-vous, s’arrêter à cette vérité ? Est-elle niée ? Dire que Dieu est Dieu, n’est-ce pas dire en même temps qu’il a une volonté, que cette volonté est la volonté par excellence, et qu’elle n’est pas moins souveraine que parfaite ? On peut rencontrer, dit-on, des hommes qui ne croient point en Dieu ; mais s’en est-il jamais trouvé qui, croyant en Dieu, lui refusent la faculté de vouloir ? Oui, il s’en est trouvé ; et ce ne sont pas seulement quelques philosophes, c’est à peu près tout le monde, et peut-être vous-mêmes qui m’écoutez. Qui est-ce qui a jamais dit que la mort n’est pas, ou que l’homme peut échapper à la mort ? Personne, assurément. Mais qui est-ce qui croit à la mort ? Ce n’est pas croire tout de bon à une chose, que de vivre, de raisonner et de penser comme si cette chose n’était pas ; or, une multitude innombrable de mortels pensent, raisonnent et vivent comme si la mort n’était pas. Pareillement, à cette question : Dieu a-t-il une volonté ? chacun sans doute répondra oui ; mais son langage le plus habituel, ses raisonnements, sa conduite ont répondu non. Et de même que, selon David, toutes les pensées du méchant reviennent à ceci, qu’il n’y a point de Dieu[a] toutes celles de l’homme naturel semblent revenir à ceci, que Dieu n’a point de volonté.

[a] Psaumes 14.1

S’agit-il, en effet, de reconnaître la volonté de Dieu dans les événements ? Chacun trouve l’unique raison d’un événement dans l’événement qui l’a précédé ; il n’y a de volonté nulle part, ou bien ce sont les hommes qui en ont une ; ce sont les hommes qui ont fait les événements. Direz-vous peut-être que, dans des discours semblables, l’idée de Dieu est sous-entendue ? On ne sous-entend si habituellement que ce qu’on n’a point dans la pensée ; et si Dieu tenait dans notre esprit la place qu’il y doit tenir, il n’est pas probable que son nom fût toujours passé sous silence. – S’agit-il de reconnaître la volonté de Dieu comme règle de notre conduite ? Mais qui allègue, je ne dis pas aux autres, je dis à soi-même, la volonté de Dieu ? On obéit à des circonstances, à des préjugés, quelquefois à des principes, plus souvent à des affections ; on obéit à une règle quelconque ; car on ne saurait vivre sans une règle ; mais on n’obéit point à Dieu. Je parle ici du grand nombre, et je vous laisse compter les exceptions.

C’est ainsi qu’on nie que Dieu ait une volonté, que Dieu exerce une volonté : c’est ainsi du moins qu’on l’oublie. C’est la première marque, sinon le premier effet, de notre déchéance. C’est la première vérité que Dieu a dû rétablir. Avant de nous apprendre la volonté de Dieu, la religion nous apprend que Dieu a une volonté, et qu’à proprement parler rien n’arrive, mais tout se fait. La religion ne nous l’enseigne point seulement par des paroles ; des paroles n’auraient point suffi : elle nous en instruit par des faits. Dieu a fait comme ce philosophe à qui l’on niait le mouvement, et qui, pour unique réponse, se mit à marcher. Dieu a marché, et ses augustes pas, empreints dans la poussière des siècles, attesteront à jamais que tout ce que nous appelons des événements sont des actions, des actions de Dieu. Puis, après cette apparition dans l’histoire, Dieu s’est retiré ; la nature a repris son cours ; les causes secondes sont seules demeurées visibles ; mais Dieu s’est montré, il a été vu : c’est assez. Il peut rentrer dans le secret de son sanctuaire : nous sommes avertis.

Et maintenant, nous recommençons à consulter la religion, et nous lui demandons : Quelle est la volonté, ou plutôt quelles sont les volontés du Créateur des mondes et du Père des esprits ? Quelles sont ses volontés sur l’univers ? Quelles sont ses volontés relativement à nous ? Cette curiosité est immense, et peut sembler téméraire. Le passage que nous examinons ne semble pas nous conduire à faire cette question. Il parle de la volonté de Dieu par rapport à nous, non de cette volonté relativement à l’ensemble des êtres. Ne devons-nous pas nous renfermer dans les mêmes bornes ? Nous ne le pouvons pas ; nous ne saurions établir ni comprendre que la volonté de Dieu à notre égard est notre sanctification, si nous ne pouvions établir qu’à l’égard de l’univers entier, la volonté de Dieu est absolument la même. Dieu a mille et mille volontés : il en a autant qu’il y a d’êtres, il en a autant qu’il y a d’événements ; mais nous disons tout aussi bien : Dieu n’a qu’une volonté, la sanctification de l’univers. Il se l’est consacré ; il l’a voué à son service et à sa gloire : l’univers est saint. Il est tout entier comme un vaste temple ; et ces étoiles, ou plutôt ces mondes, dont Dieu maintient éternellement dans les cieux et les distances et les rapports, sont les vases d’or de ce sanctuaire immense. Au delà même de la création visible, aux dernières hauteurs du monde des intelligences, nous reconnaissons cette même volonté de Dieu, et nous l’y trouvons accomplie. Ce qui est saint se sanctifie encore, se consacre incessamment à Dieu, après s’être donné se donne de nouveau, ne vit que pour répéter cet hommage ; et Celui qui est au-dessus de tous les esprits, Celui que nous appelons la sainteté même, le Fils unique du Père, a dit, dans les jours de sa chair : Je me sanctifie moi-même pour eux, afin qu’ils soient sanctifiés dans la vérité.[b]

[b] Jean 17.19

Sans doute que l’homme ne fait pas exception à cette loi universelle et nécessaire. Sans doute que Dieu veut que l’homme soit saint. Il n’a pas voué à sa gloire les créatures inanimées, pour laisser vivre au hasard et sans but les êtres doués d’intelligence et de volonté, et toute notre destination est écrite dans ces paroles de David : Que mon âme vive, afin qu’elle te loue[c]. Vases d’un invisible sanctuaire, nous sommes consacrés aux seuls usages du culte ; et le vrai culte, le culte en esprit et en vérité, c’est de reproduire fidèlement en nous l’image de Celui qui nous a aimés. Il ne s’agit point seulement de nous abstenir de ce qui l’offense, mais de faire, par un principe d’amour et selon la force qui nous est donnée, tout ce qui plaît à ses yeux, tout ce qui nous rend semblables à lui. Quand vous borneriez l’idée de la sainteté à vous abstenir de ce qui l’offense, vous n’en seriez pas moins entraînés, par votre raison du moins, dans la sphère de l’obéissance active. Car ce qui offense Dieu, ce n’est pas moins l’absence du bien que la présence du mal ; il ne répute pas semblable à lui l’homme qui, se gardant du mal, se garde également du bien ; le serviteur inutile est, à ses yeux, un serviteur infidèle ; et sa colère se déclare contre la prétendue fidélité qui enfouit son talent, aussi bien que contre l’infidélité qui le dissipe. Si les vases de Jérusalem étaient soustraits à tout usage profane, ce n’était pas pour ne servir à rien, mais pour être employés dans les sacrifices. Ils n’étaient pas faits pour rester vides, mais pour s’emplir, en certaines occasions, d’une liqueur pure et consacrée. Et nous, vases de terre, c’est peu que nous ne contenions rien d’impur, si nous ne sommes remplis jusqu’au bord de tout ce qui est pur, religieux, bienfaisant, honorable. Non seulement la fornication, ni aucune impureté, ni l’avarice, ne doivent pas même être nommées parmi nous, comme il convient à des saints[d] ; mais les joies spirituelles doivent prendre la place des voluptés de la chair, la libéralité doit succéder à l’avarice, l’amour à la haine, la prière à la colère, toutes les vertus à tous les vices. C’est une chimère, d’ailleurs, que de vouloir s’abstenir à la fois du mal et du bien ; l’homme ne peut rester suspendu dans ce vide ; il faut qu’il soit quelque chose, qu’il fasse quelque chose ; et s’il ne fait pas du bien, il fera du mal. C’est une autre chimère que de s’imaginer que la sainteté se divise, que son principe s’arrête ainsi à moitié chemin, et qu’une obéissance avare et pleine de marchandements puisse être rapportée à ce principe généreux ! Non, quiconque veut s’en tenir à l’obéissance négative ne sait pas même ce que c’est que la sainteté. Christ n’est point divisé[e] ; la sainteté ne l’est pas davantage ; elle est toute d’une pièce et sans couture, comme la robe du Sauveur : on ne peut la partager sans la déchirer.

[c] Psaumes 119.175
[d] Ephésiens 5.3
[e] 1 Corinthiens 1.13

La sainteté est donc une action ; ainsi le veut son principe, qui est l’amour ; quel amour, en effet, que celui qui se bornerait à ne faire aucun mal à l’objet aimé ? Ce même principe qui veut que nous soyons activement saints, veut encore que notre activité soit celle de toutes nos forces réunies, une conspiration, pour ainsi dire, de toutes les parties de notre être vers un même but. Que tout ce qui est en moi, disait le roi-prophète, bénisse le nom de sa sainteté[f]. Que tout ce qui est en vous, dit saint Paul, l’esprit, l’âme et le corps, soit conservé irrépréhensible pour l’avènement de notre Seigneur Jésus-Christ[g] ; et c’est dire en même temps : que tout ce qui est en vous, l’esprit, l’âme et le corps, agisse, travaille, édifie ; que tout ce qui est en vous rende gloire à Dieu. Vassaux fidèles, amenez sous la bannière de votre suzerain tout ce qui, dans l’étendue de votre fief, est en état de porter les armes. Ne laissez personne au logis. Ne réservez, ne ménagez rien. Ne gardez rien pour vous, ne cédez rien au péché. Avec tout ce qui est en vous, sanctifiez tout ce qui est à vous. Votre réputation, votre fortune, votre crédit, vos amitiés, que tout soit versé dans le trésor de Dieu. Ne détruisez rien : ce n’est pas à de tels sacrifices que Dieu prend plaisir ; ne détruisez rien, mais sanctifiez tout. Tout est à vous[h] ; mais puisque vous n’êtes point à vous-mêmes, rien n’est à vous ; tout est à vous, afin que vous puissiez tout offrir à Dieu.

[f] Psaumes 103.1
[g] 1 Thessaloniciens 5.23
[h] 1 Corinthiens 3.22

Si Dieu ne vous faisait grâce, à cet égard, ni d’un moment, ni d’un iota, Dieu ne serait que juste. L’obligation d’être entièrement saints pèse dès aujourd’hui sur vous. Mais Dieu veut bien voir en vous déjà un commencement de sainteté dans la volonté d’être saints. Sa volonté, c’est proprement votre sanctification, laquelle n’est qu’un effort continu vers la sainteté. Là-haut, si ce n’est ici-bas, vous atteindrez le but, mais dès aujourd’hui c’est le but. Il faut, dès aujourd’hui, vouloir la sainteté tout entière. Il faut tendre à la perfection. Il faut regarder toute imperfection comme un péché. Il faut rendre grâce pour ce qu’on a pu faire, et demander grâce pour ce qu’on n’a pas fait. Il faut estimer, de votre part, toute compensation impossible.

Dieu veut tout cela ; mais sentons bien toute la force de la parole de Paul. Il ne dit pas seulement : Dieu veut votre sanctification ; il dit : C’est ici la volonté de Dieu, savoir, votre sanctification. C’est-à-dire que Dieu n’en a point d’autre, ou que cette volonté résume toutes ses volontés à notre égard, qu’elle est la volonté de ses volontés mêmes.

Ici, des objections arrivent de toutes parts. L’un demande si la volonté suprême de Dieu n’est donc pas sa gloire. Mais à quoi servirait que Dieu eût dit que ce qu’il veut, c’est sa gloire ? Peut-on dire que Dieu veut ce qui lui est essentiel, ce qui est éternel, ce qui ne peut pas ne pas être ? Faut-il donc que Dieu dise qu’il veut être Dieu ? Non, Dieu ne veut pas précisément avoir de la gloire ; il a, sans le vouloir, toute la gloire qui lui appartient ; mais il veut, ce qui est différent, que nous lui rendions gloire ; et comme nous ne saurions lui rendre gloire que par notre sanctification, il veut notre sanctification. C’est là proprement sa volonté à notre égard : être glorifié par nos œuvres ; et c’est ce que son Fils a solennellement déclaré lorsqu’il a dit : En ceci mon Père est glorifié, si vous portez beaucoup de fruits.[i]

[i] Jean 15.8

Un autre vient et dit : « La volonté de Dieu à notre égard, n’est-ce pas la foi ? L’œuvre de Dieu, toute l’œuvre de Dieu, n’est-elle pas que nous croyions en Celui qu’il a envoyé[j] ? Peut-on, à ce principe, en substituer un autre, sans ébranler tout l’Evangile ? Et c’est ce que paraît faire saint Paul. » C’est que saint Paul va droit au but, et que vous vous arrêtez au moyen. Ce que Dieu veut définitivement, ce n’est pas la foi, c’est la sanctification ; il est vrai que, parce qu’il veut la sanctification, qui est l’arbre, il veut la foi, qui est la racine ; mais il la veut comme moyen et la sanctification comme but. Et encore, si vous vouliez m’écouter, nous ne tarderions pas à nous trouver d’accord. Il n’y a pas, entre la foi et la sanctification, toute la différence ou la séparation que vous croyez. Il y a un commencement de sanctification dans la foi. L’âme qui croit est une âme qui, reconnaissant le néant de sa propre justice, a recherché la justice de Dieu ; l’âme qui croit est une âme qui s’est remise à la merci de Dieu, pour ne subsister désormais que par lui. Ne sont-ce point là les prémices de la sainteté ? cette première grâce est-elle réellement d’une autre nature que la seconde ? pouvez-vous nous montrer distinctement la nature de l’une, et après cela la nature de l’autre ? Nous sommes donc d’accord ; la sainteté est l’arbre dont la foi est la racine, et vous n’avez pas songé à prétendre que l’arbre et sa racine ne sont pas une seule et même plante ; mais comme dans la racine, c’est l’arbre que Dieu voulait, c’est de l’arbre que Dieu a parlé. En résumé, il ne veut pas le moyen pour lui-même, il veut le moyen pour le but ; quand donc il voudra résumer sa volonté en un mot, ce mot sera le nom du but et non celui du moyen.

[j] Jean 6.29

« Mais, dira quelque autre, vous avez parlé de la volonté finale ou définitive de Dieu : cette volonté n’a-t-elle pas pour objet notre bonheur ? » Oui, notre bonheur sauf notre santification, notre bonheur par notre sanctification, non autrement. Et en seriez-vous encore à ignorer ou à ne pas comprendre que la sanctification est le vrai nom du bonheur ? Sans doute que Dieu nous aime avant que nous soyons sanctifiés, sans doute qu’il nous aime tels que nous sommes : c’est le propre du pardon de ne demander dans le passé aucune justice, aucun mérite à celui qui en est l’objet. Toutefois le pardon, bien qu’il vienne combler un vide infini, n’est que le commencement, le fondement du salut ; le salut n’est consommé que dans la sanctification ; car, comment trouver, comment imaginer le salut autre part que dans l’union du cœur et de la volonté avec le Dieu suprême ? Et parce que sans la sanctification nous ne serions pas effectivement sauvés, réellement heureux (nul, sans elle, ne pouvant voir le Seigneur), le nom de la sanctification peut très bien remplacer le nom du salut, dont elle est l’accomplissement, et du bonheur, dont elle est la réalité. En sorte que, en considérant la sanctification comme l’accomplissement de la grâce rédemptrice, on pourrait dire que ce que Jésus a acheté sur la croix, ce qu’il a payé de son sang, c’est notre sanctification. Ne vous étonnez donc pas si l’apôtre, oubliant en apparence notre bonheur, renferme toute la volonté de Dieu dans notre sanctification ; ce sont deux noms, mais ce ne sont pas deux choses ; l’une du moins contient nécessairement l’autre. En vous parlant de la sanctification dont le nom éveille d’abord l’idée d’une charge ou d’une obligation, l’apôtre vous a réellement parlé du don de Dieu, de sa grâce la plus pleine et la plus définitive, des délices les plus parfaites de son sanctuaire, de ce banquet de viandes grasses et purifiées[k] ; pour parler avec le prophète, de ce festin spirituel où l’âme est nourrie du dedans et pour ainsi dire de son propre fonds, en sorte qu’on peut, en empruntant le langage de l’Ecriture, dire de l’homme sanctifié que son âme est un festin continuel[l]. Ne dites donc pas : Dieu ne songe qu’à ses droits et ne pense pas à mon bonheur ; dites plutôt : Il y pense plus et mieux que moi-même ; mon Père a plus d’ambition pour moi que moi-même ; il me procure une autre félicité que celle que je convoite, et tandis que je me contenterais bien de ces gousses ou de ces carouges, fallût-il les partager avec des convives immondes, lui, mon Père, a fait tuer le veau gras. En me disant : Sois saint ! il m’a dit : Sois heureux du bonheur des anges !

[k] Esaïe 25.6
[l] Proverbes 15.15

Enfin, si quelqu’un disait : « Dieu veut tous les développements de sa créature, et je n’en vois ici qu’un seul, » je répondrais : Je les vois tous. Oui, certes, et nous l’avons déjà dit : Dieu nous veut tout entiers ; il veut que notre vie naturelle entre tout entière dans cette vie surnaturelle dont la foi est le principe ; profaner ou seulement laisser sans emploi quelqu’un des moyens qu’il met à notre disposition, c’est une infidélité, c’est un larcin. Comment donc ne voyez-vous pas que ces développements que vous réclamez entrent d’eux-mêmes dans cette volonté de Dieu qui est votre sanctification ? Il est vrai que vous ne pouvez pas être tout, ni tout faire à la fois ; vous ne le pourriez pas dans la sphère mondaine, vous ne le pouvez pas dans la vie chrétienne, qui ne prétend point changer les conditions naturelles de votre existence ; mais tout ce que vous pouvez être pour le monde, vous pouvez l’être pour Dieu ; et comme vous vous devez à lui tout entiers, il vous accepte tout entiers. Seulement, comme il vous a dit à vous-mêmes : Soyez saints ! il dit de chacune de ces facultés ou de ces talents, qui sont en quelque sorte vos membres : Donnez vos membres pour servir à la justice dans la sainteté[m].

[m] Romains 6.19

La sanctification, et, en dernier résultat, la sainteté, est donc le vrai nom de ce que Dieu veut. Comment le veut-il ? C’est la question à laquelle maintenant je voudrais répondre. Mais à quoi bon, dira quelqu’un, répondre à une question qu’on ne fait pas ? Ce que Dieu veut, il le veut en Dieu ; ce mot dit tout. Il dit tout, je l’avoue. Mais le chrétien même, qui sait bien toutes les merveilles renfermées dans ce seul mot, aime qu’on les lui rappelle ; et quant à celui qui n’est pas chrétien, il s’en faut qu’il connaisse tout ce que dit ce mot qui dit tout. Rappelons donc à l’un, apprenons à l’autre comment Dieu veut notre sanctification.

Il la veut constamment, invariablement. Dieu, je l’avoue, a successivement exécuté plusieurs desseins. Il a donc accompli plusieurs volontés successives. Et pour n’en donner qu’un exemple, il a conclu deux alliances, l’une avec un peuple, l’autre avec tous les peuples, l’une avec l’Israël selon la chair, l’autre avec l’Israël selon l’esprit. La vie de chaque homme, aussi bien que celle de l’humanité, offre des vicissitudes que Dieu a d’avance réglées.

La droite de l’Eternel change, comme s’exprime l’Ecriture ; mais sa pensée est immuable. Ce qu’il a toujours voulu, ce qu’il voudra toujours, c’est notre sanctification. Il peut nous envoyer tour à tour les fortunes les plus diverses ; mais elles ne sont toutes que les formes d’une même grâce. Nous pouvons ne pas comprendre son dessein, ne pas y répondre, le prendre à contre-sens, ne voir dans tous ces changements que les caprices et l’inconstance du sort : Dieu n’en a pas moins persévéré dans son premier dessein. Il le poursuit, pour chacun de nous, jusqu’à son accomplissement, ou jusqu’à ce terme mystérieux que sa justice connaît seule, et où la matière manque au divin Ouvrier ; mais jusqu’à la fin il a été fidèle.

Je dis encore que Dieu veut notre sanctification à tout prix. Cela doit être. Quel serait le but, quel serait le sens de toute la création si ce n’étaient les esprits ? et quelle serait la destination des esprits, sinon la sanctification ? Il est donc évident que tout ce qui est matière, depuis les plus petites choses jusqu’aux plus grandes, sera subordonné par le Père des esprits, et même sacrifié, dès qu’il le faudra, à ce grand dessein de la sanctification universelle. Rien ne lui coûtera pour enfanter ses élus, et comme il n’y a nulle comparaison entre la matière et l’esprit, comme un seul des esprits que Dieu a créés à son image vaut plus, à ses yeux, que tous les mondes actuels et que tous les mondes possibles, il est prêt, dans l’intérêt d’un seul de ces esprits, à ébranler tous les cieux. S’il fallait, pour la conversion d’une seule âme, qu’un millier de soleils s’éteignissent, ils s’éteindraient ; que les lois de la nature changeassent, elles seraient changées. A plus forte raison ne tient-il pas compte des empires de la terre ; il en change les lois, il en transporte les limites, il y fait la paix, il y fait la guerre, pour former, pour agrandir, pour fortifier l’invisible communauté de ceux qui l’adorent en esprit et en vérité. Le monde va son train et croit faire sa volonté ; il fait, plus qu’il ne croit, celle de Dieu et les affaires des saints ; le monde parle de civilisation, de richesse, de liberté : Dieu lui donne, sans y regarder, toutes ces choses, dont il est prodigue, et qui devraient, comme tous les témoignages de sa bonté, convier l’homme à la repentance ; mais sans hésiter davantage, il enlève ce qu’il a donné, il amoncelle l’orage dans les cieux sereins et resplendissants ; il couve la calamité dans ces bénédictions accumulées ; il détruit comme il a créé, afin de créer en Jésus-Christ quelques âmes de plus pour les bonnes œuvres. – Je dis encore qu’il veut notre sanctification au prix de notre bonheur temporel. La douleur, en elle-même, n’est pas sainte ; elle ne renferme aucun élément de justice ; mais tel est le propre de notre nature déchue, que la souffrance, qui n’est pas la cause de notre sanctification, en est la condition indispensable. Et c’est pourquoi ce même Dieu, dont le châtiment est l’œuvre étrange, et qui n’afflige pas volontiers les enfants des hommes, nous afflige néanmoins et nous afflige d’autant plus qu’il veut nous sanctifier davantage, parce que l’affliction produit des fruits de justice chez ceux qui ont été ainsi exercés. N’oserons-nous pas dire que de la part du Dieu qui est amour, c’est déjà se sacrifier lui-même ? Oui, convenons-en sans crainte ; mais disons ensuite que ce sacrifice disparaît auprès de celui auquel sa miséricorde a consenti lorsqu’il a permis que son très saint Fils, Celui que la douleur et la mort ne devaient regarder que de loin et en frémissant, souffrît des maux dont il n’avait pas besoin pour être sanctifié, des maux qui, inappréciables en eux-mêmes, sont au-dessus de toute pensée si l’on considère la dignité de Celui qui les a soufferts ? Quand nous voudrons savoir combien la volonté de Dieu touchant notre sanctification est ferme, inébranlable, absolue, disons-nous que c’est pour que nous fussions saints que Jésus-Christ a revêtu notre chair mortelle, et vidé jusqu’au fond la coupe d’amertumes réservée aux lèvres de l’homme pécheur ; nous saurons alors tout ce que signifie, tout ce que vaut, tout ce qu’emporte cette parole de saint Paul : C’est ici la volonté de Dieu, savoir votre sanctification.

Et maintenant, il est temps de le dire : cette volonté de Dieu a deux caractères à la fois : celui d’une volonté dispensatrice, et celui d’une volonté législatrice. Comprenez-moi. Dieu veut nous rendre saints, et Dieu nous commande d’être saints ; cette sainteté, qu’il veut d’une volonté souveraine, il la donne et il la demande ; ou, pour dire la même chose en d’autres termes, il la veut avec nous et contre nous ; il la veut avec ceux qui la veulent et contre ceux qui ne la veulent pas. Nous nous adressons aux premiers et nous leur disons : Réjouissez-vous et rendez grâces : Dieu veut ce que vous voulez ; il l’a voulu avant vous ; il l’a voulu de tout temps ; il le voudra toujours ; il le veut d’une volonté aussi énergique que la vôtre l’est peu ; il le veut avec plus d’ardeur qu’une mère ne veut le bonheur de son enfant, ou qu’elle ne demande la vie de son premier-né lorsqu’elle voit qu’il s’en va mourir. Si vous voulez être sanctifiés, c’est lui-même qui vous a mis au cœur cette volonté ; il en est le premier auteur comme il sera en vous la force pour l’exécuter ; il n’est pas moins le Chef et le Consommateur de votre sanctification, qu’il est le Chef et le Consommateur de votre foi. Ayez donc bon courage ; vous ne travaillez pas seuls, mais avec ce Seigneur du ciel et de la terre qui vous a fait promettre que son Esprit vous conduirait tout doucement comme on conduit une bête qui descend dans la plaine[n], et qui a bien voulu vous assurer que, dans toutes vos détresses, il serait lui-même en détresse[o]. Ineffable sympathie ! condescendance prodigieuse ! promesse immense ! Mais nous avons un gage, et ce gage, le voici : Dieu, qui n’a point épargné son propre Fils, mais qui l’a livré pour nous tous, comment ne nous donnera-t-il point toutes choses avec lui ?[p] Toutes choses, ainsi l’esprit de prière ; toutes choses, ainsi la sagesse ; toutes choses, ainsi l’amour ; toutes choses, ainsi la sanctification. Lisez donc avec joie, baisez avec reconnaissance cette parole que tant d’autres lisent avec effroi : C’est ici la volonté de Dieu, savoir votre sanctification. Car, pour vous, que signifie-t-elle ? Que votre bien suprême est la première, la dernière, la seule volonté, toute la volonté de Dieu à votre égard. Quel garant, quel auxiliaire, quel champion vous avez trouvé ! Levez donc les yeux, avec joie et tremblement, vers les montagnes d’où vous vient le salut !

[n] Esaïe 63.14
[o] Esaïe 63.9
[p] Romains 8.32

Quant à ceux qui ne veulent pas encore ce que Dieu veut, savoir leur sanctification, nous leur disons : Pourquoi ne la voulez-vous pas avec lui ? Et d’abord, n’est-il pas juste que vous vouliez ce que Dieu veut, doublement juste puisque vous êtes convaincus que ce qu’il veut de vous est très bon, trois fois juste enfin puisqu’il vous a aimés d’un amour auquel l’abandon de votre vie entière ne correspond point encore assez ? Ensuite, n’est-il pas infiniment raisonnable que vous vouliez votre sanctification, puisque la sanctification, c’est le bonheur ? Où donc, pour des êtres pourvus d’une conscience, où donc serait le bonheur s’il n’était pas là ? Osez dire qu’il est possible à l’homme d’être brouillé avec Dieu et d’être pourtant heureux. Osez dire qu’il pourrait être uni à Dieu par le cœur et par la volonté, et pourtant n’être pas heureux. Osez dire que le bonheur de la créature morale n’est pas exactement proportionné à sa fidélité. Il est donc clair qu’en vous disant : Soyez saints ! Dieu vous a dit : Soyez heureux ! – Enfin, n’est-il pas honorable pour vous de vous soumettre à cette volonté de Dieu ? Que d’autres volontés du même Dieu, celles qui disposent de votre vie, de votre bien-être temporel et des destinées du monde, volontés contre lesquelles vous ne pouvez pas réagir, auxquelles vous ne concourez que passivement, que ces volontés vous pèsent et vous humilient, aussi longtemps du moins que le mystère de la charité de Dieu ne vous est pas révélé, je le conçois ; vous y sentez périr votre liberté, et vous n’espérez aucune revanche. Mais il n’en est pas de même de la volonté de Dieu touchant votre sanctification : elle n’entame point votre liberté : Dieu veut que vous vouliez. Vous ne serez point sanctifiés sans vous en mêler : votre sanctification vient de Dieu par vous. Et en elle-même, qu’est-elle autre chose que la suprême liberté ? Car, aussi longtemps que vous péchez, vous êtes esclaves ; c’est quand vous ne péchez plus que vous êtes libres. Ce n’est pas, direz-vous, être libre que d’obéir. Arrangez-vous donc comme vous pourrez : on obéit toujours ; et c’est au Démon si ce n’est à Dieu. Que si vous dites que, des deux parts, c’est toujours esclavage, choisissez donc entre deux esclavages ; choisissez entre le service de Satan et celui de Dieu ; car, entre deux, il n’y a rien. Quoi que vous fassiez, vous servirez. Car, il faut bien que je vous l’avoue : ce que Dieu vous propose dans mon texte, c’est de vous délivrer de la puissance des ténèbres pour vous transporter dans le royaume de son Fils bien-aimé. Oui, ce monde spirituel dans lequel, dès à présent, la sanctification vous transporterait, ce monde est un royaume, ce monde a un roi. Fondez, vous le pouvez, des républiques sur la terre : le ciel est une monarchie, une monarchie absolue ; vous êtes sujets, et vous avez un maître. Mais, ô sujétion glorieuse ! ô ineffable douceur d’avoir un tel maître ! ô sainte et généreuse liberté de l’obéissance ! Après avoir gémi durant des années sous le poids d’inclinations que l’on déteste et d’habitudes que l’on déplore, après s’être dit mille fois : Je ne fais point ce que je veux ; je fais au contraire ce que je hais ; quand je veux faire le bien, le mal est attaché à moi : misérable ! qui me délivrera de ce corps de mort ?[q] quelle impression éprouve-t-on quand on se sent peu à peu ou tout à coup transporté dans une sphère toute nouvelle, où, pour parler avec saint Paul, on fait ce que l’on veut, quelle impression, je vous le demande, si ce n’est celle de la liberté ? Ne sent-on pas qu’on se retrouve soi-même, qu’on rentre en possession de soi-même, qu’on a brisé pour jamais ses fers ? Eh bien ! voilà ce que l’Esprit de Dieu vous offre dans les paroles de l’apôtre : la liberté ! la liberté glorieuse des enfants de Dieu ! la liberté par l’obéissance ! la liberté dans l’amour ! Ne la laissez point échapper ; ne laissez point le mal s’attacher à vous et devenir une partie de vous-mêmes. Arrachez cette fatale tunique, dût-elle, en s’en allant, emporter des lambeaux de votre chair ; et tombez au pied de la croix, sanglants, déchirés, mais libres. Votre Maître a de quoi étancher ce sang ; vos plaies se fermeront sous sa main bienfaisante ; et sans trouble désormais vous jouirez auprès de lui de votre liberté qui ne coûte rien à sa gloire, et de sa gloire qui ne coûte rien à votre liberté.

[q] Romains 7.19, 21, 24

J’ai entendu, ô mon Dieu, les instances de ta Parole et les appels de la vérité. Je les ai entendus ; mais lorsque j’ai reconnu que tout se trouve réuni dans la sanctification, la justice dont je ne puis repousser l’idée, le bonheur dont je suis avide, la liberté dont je suis jaloux, lorsque j’ai reconnu qu’il n’y a, hors de là, qu’injustice, que malheur ou que servitude, d’où vient que je ne m’élance point dans ces sentiers de lumière ? qui m’arrête donc ? qui me paralyse ? Mon ami, me dit la voix céleste, pourquoi restes-tu là sans rien faire ?[r] Pourquoi demeuré-je, en effet, les bras croisés et l’œil éteint, à regarder mon Maître travaillant à l’œuvre de ma sanctification sans moi, malgré moi, et vainement ? Aurai-je bien le courage de l’entendre s’écrier encore, comme dans le prophète : J’ai été seul à fouler au pressoir, et personne n’a été avec moi[s] ? Je ne me suis pourtant pas imaginé que je puisse être sanctifié sans y prendre part, sans unir ma volonté à la volonté de Dieu. Je ne songe point à démentir saint Paul, qui me dit expressément, comme à tous les chrétiens : Travaillez à votre salut[t] ! Non, non, rien de tout cela n’explique mon apathie. Je ne nie rien de ce qu’il faut croire, je n’ignore rien de ce qu’il faut savoir. Mais n’est-ce point que j’oublie, ou que je n’ai point assez présent à l’esprit, ni assez gravé dans le cœur, que Dieu a été ouvrier avec moi[u] avant que je fusse au monde, ouvrier avec moi avant la fondation du monde, ouvrier avec moi dès le jour qu’il promit la victoire à la semence de la femme, au second Adam, à Christ mon frère et mon Seigneur ; ouvrier avec moi, d’une manière visible et puissante, sur le rocher du Calvaire, sanglant pressoir où il a foulé sans moi ? Le voilà donc, le secret de ma langueur. Voilà ce qui m’arrête à l’entrée de la carrière : je ne cours pas, parce que je n’aime pas, je n’aime pas, parce que, sachant tant de choses, je ne sais pas combien je suis aimé ; j’ai cru jusqu’aujourd’hui que je le croyais ; mais je vois que c’était d’une foi adoptive, traditionnelle, morte ; je ne me suis pas, jusqu’à ce jour, senti véritablement pressé et réchauffé sur le cœur de Dieu ; je suis le propriétaire et non le possesseur de cette immense grâce ; je n’y crois pas réellement, car si j’y croyais, si je me sentais au fond du cœur délivré, réconcilié, rappelé dans le ciel par un amour divin, si je sentais qu’il n’y a plus rien entre Dieu et moi, si je trouvais mon Dieu dans la lumière de la vie et dans les ténèbres de la mort, si je le discernais dans le temps et dans l’éternité, si je sentais, dans le tressaillement d’une joie ineffable, que désormais toutes choses sont à moi, et que rien, si ce n’est moi-même, ne peut me séparer de la dilection de mon Père… j’aimerais, je vivrais, je volerais où la volonté de Dieu m’appelle ; sa loi serait désormais au-dedans de mes entrailles, et bien loin qu’aucun sacrifice pût me sembler odieux, je me croirais enrichi de mes sacrifices mêmes ! Voilà, ô Dieu ! la lacune qu’il faut que tu combles ; voilà par où je languis, par où je péris peut-être ! Il y a, pour celui qui croit, beaucoup à faire ; mais ce qu’il y a à faire avant tout, c’est de croire à ton amour. Moyen simple, divin remède, qui me l’appliquera, ô Dieu, si ce n’est toi-même ? Qui me donnera de vivre, si ce n’est toi, Prince de la vie ? O Dieu, donne-moi de croire, de croire véritablement, et tu m’auras tout donné, ou tu m’auras tout assuré. Croire du cœur est au commencement, au milieu, à la fin de l’œuvre sainte. Donne-moi donc, Seigneur, de croire à ton amour ; je t’en supplie au nom de ton amour !

[r] Matthieu 20.6
[s] Esaïe 63.3
[t] Philippiens 2.12
[u] 1 Corinthiens 3.9

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