Théologie pastorale

Introduction

1. Définition du sujet. — Qu’est-ce que le ministre de l’Evangile ? — Idéal du ministre

Nous avons défini ailleurs la théologie pratique. C’est l’art après la science, ou la science se résolvant en art. C’est l’art d’appliquer utilement, dans le ministère, les connaissances acquises dans les trois autres domaines, purement scientifiques, de la théologie. Il semble donc que nous pourrions très convenablement appeler théologie pastorale cet ensemble de règles ou de directions auquel nous avons donné le nom de théologie pratique. Mais quoique l’idée de pasteur, Seelsorger[a], et de pastorat domine et embrasse toutes les parties de la théologie pratique, on peut aussi l’en abstraire et la considérer à part comme un élément moral qui, non seulement se trouve dans chacune des parties de la théologie pratique, mais qui même, en dehors de la catéchétique et de l’homilétique[b], forme un domaine à part, un objet spécial d’étude. La théologie pastorale traiterait donc de tous les devoirs et de tous les genres d’activité auxquels le pasteur est appelé, outre la prédication et la catéchisation publiques[c].

[a] L’une des dénominations du pasteur en allemand. Littéralement : celui qui prend soin de l’âme. (Editeurs.)

[b] Nous pourrions ajouter la liturgique ; mais le peu d’étendue que nous donnerons à cette partie, nous engage à la comprendre dans notre cours de théologie ou de prudence pastorale. – Quant au droit ecclésiastique, qui peut avoir pour objet l’étude comparative des différentes législations ou constitutions ecclésiastiques, et qui, dans ce sens, est une science, il devient art, et conséquemment partie de la théologie pratique, en tant qu’il dirige pratiquement le pasteur dans l’observation et l’exécution des lois ecclésiastiques de la communauté à laquelle il appartient. Le peu que nous en dirons trouvera convenablement sa place dans ce cours.

[c] La pensée de l’auteur n’est pas d’exclure la prédication et la catéchisation du domaine de la théologie pastorale considérée en général, comme on le voit par la section 2 de la troisième partie de l’ouvrage, où il s’occupe de l’une et de l’autre ; mais la théologie pastorale les envisage sous le point de vue du pastorat ou du soin des âmes, et non comme théories spéciales, ainsi que cela se pratique dans l’homilétique et la catéchétique. (Editeurs).

[Les dénominations de Devoirs du Pasteur et de Prudence pastorale sont incomplètes. Elles présentent trop la chose sous le point de vue de l’art ou de la pratique ; or, ce point de vue ne doit pas être exclusif : le côté spéculatif doit avoir sa part ; l’action est le but dernier de la spéculation ; mais, quelle que soit la nature de cette action, elle n’est pas assez préparée si l’on n’a eu qu’elle en vue. Il faut une étude désintéressée. Nous ne devons pas étudier la théorie du ministère évangélique uniquement pour savoir ce que nous avons à faire ; il faut l’étudier aussi comme un fait présent devant nous et que nous devons, connaître. La spéculation désintéressée est d’une très grande utilité. Celui qui n’a vu les choses de sa profession que dans le milieu donné où il agira, n’agira ni avec liberté, ni avec intelligence, ni avec profondeur. Voilà pourquoi, entre autres, ce cours est appelé Théorie du ministère évangélique.]

Peut-être même n’y a-t-il pas ici une vraie distinction. Peut-être la catéchétique, l’homilétique, etc., ne sont-elles, prises dans leur substance, que de la théologie pastorale. Seulement, à cause de l’étendue de ces parties, du détail qu’elles exigent, et de l’espace disproportionné que, traitées dans toute leur extension, elles occuperaient nécessairement dans le cours de théologie pastorale, nous les en détachons, pour les étudier à loisir et à notre aise. — Nous nous garderons de croire que le chef de chacune de ces catégories représente un tout, ni même une réalité ; la réalité ne se trouve que dans l’ensemble de ces trois fonctions, le culte, la prédication, le catéchisme. Le ministre est tout cela à la fois, par cela seul qu’il est ministre ; il ne serait pas ministre s’il n’était pas tout cela. Non pas que ces attributions ne puissent être distinguées et même séparées, mais jamais d’une manière exclusive, c’est-à-dire [de telle sorte] que celui qui exerce l’une ne puisse exercer l’autre ; car elles se supposent et se contiennent mutuellement. Néanmoins l’idée de cette unité a une date : elle est chrétienne. Toutes les religions ne l’ont pas conçue ni réalisée.

Dans l’Ancien Testament, l’office du prêtre et celui du prophète forment deux offices distincts. Cette distinction convient à l’Ancien Testament, comme cette fusion convient au Nouveau. Les deux systèmes sont caractérisés par les deux faits. — L’unité parfaite entre la forme et l’idée n’existait pas encore et ne pouvait venir qu’avec la loi de spiritualité et de liberté. — D’un côté et d’un autre, sur deux plans distincts, figuraient la lettre qui tue et l’esprit qui vivifie. L’économie qui devait les réunir en un tout, devait aussi réunir en un même homme le prêtre et le prophète.

Sur ce point, l’Eglise primitive nous présente un phénomène analogue à tout l’ensemble de son régime, qui ne répudia point brusquement toutes les traditions de la théocratie. Elle divise le ministère en plusieurs ministères différents. On ne voit pas que tous les ministres fissent les mêmes choses, ni que tous fissent toutes choses. On pourrait croire, d’après Ephésiens 4.11, et d’après 1 Corinthiens 12.28-30, que cette division de travail[d] avait été formellement instituée par le chef suprême de l’Eglise ; mais, soit qu’il en ait été ainsi, ou qu’on ne doive y voir qu’une dispensation providentielle, soit que la distribution de dons extraordinaires (Χαρισματα) nous explique la chose, rien ne prouve que cette distinction, dont il est d’ailleurs fort difficile de se faire une idée juste, doive être maintenue comme institution immuable. En tout cas, pour la renouveler, il faudrait renouveler les charismes.

[d] Rien n’oblige de croire que cette division du travail ait eu un caractère exclusif. Nous voyons (Actes 6.10) que le diacre Etienne (verset 3) était prédicateur ou prophète. Le rite et la parole sont séparés dans saint Paul (1 Corinthiens 1.17) ; Ce n’est pas pour baptiser que Jésus-Christ m’a envoyé. D’ailleurs, il n’est pas question du rite. Ou bien il est en dehors de la religion, ce qu’on ne peut admettre, ou bien il n’est pas assigné spécialement à une de ces classes de fonctionnaires. Ce n’est pas à dire, du reste, que tous le célébrassent.

Toujours est-il clair qu’on envisageait comme ministres de l’Eglise des hommes que leurs attributions ne qualifiaient pas de ministres selon le sens que nous attachons aujourd’hui à ce mot. Il y avait des diacres, chargés de servir aux tables ; il y avait des presbyteroi (d’où est venu le mot, non l’idée de prêtres), qui n’enseignaient point ; mais il est clair, par 1 Timothée 5.17[e], que ceux d’entre eux qui enseignaient étaient au premier rang, étaient réputés les premiers, pour autant que la parole est le grand instrument et le caractère essentiel de la dispensation évangélique ; et c’est, en effet, à cette classe de presbyteroi que le titre de ministre ou de pasteur a fini par être exclusivement attribué, et cette classe a absorbé en elle les fonctions de toutes les autres classes, de manière à constituer, à elle seule, le ministère de l’Eglise chrétienne.

[e] Que les anciens qui président bien, soient jugés dignes d’un double honneur, surtout ceux qui travaillent dans la parole et dans l’enseignement.

[Le ministère évangélique est essentiellement un ministère de parole ; tous les autres ministères sont au service de celui-là ; ce sont autant de manières de parler, de dire la parole de Dieu. Le christianisme est une parole, une pensée de Dieu, qui est destinée à devenir la pensée de l’homme. Or la pensée et la parole sont inséparables ; la pensée est une parole intérieure, et dans les langues anciennes le même mot signifie les deux choses (λογος). — Cette grande révolution qu’on appelle l’avènement de Christ et de l’Evangile, n’a pas rejeté le culte et le symbole, mais elle l’a spiritualisé, l’a rapproché de la pensée et par là même de la parole. — Le ministre est un homme qui parle la parole de Dieu, il ne la répète pas. Le prêtre était esclave, mais le ministre s’associe librement à Dieu. Et comme, depuis l’exclusion malheureuse et forcée des laïques, il n’y a plus de ministres de l’aumône, par exemple, de la science, etc., le ministre réunit tous ces offices parce qu’il était déjà le ministre par excellence.]

Le ministre, ainsi héritier de tous les ministères divers de l’Eglise, a pris, dans la plénitude de ses attributions et de son activité, le nom de pasteur. Il est remarquable que ce nom est, de tous, le plus rarement appliqué au ministre dans le Nouveau Testament[f].

[f] Dans Ephésiens 7.11 pasteur est synonyme de docteur ou instituteur.

Qu’est-ce que le pasteur ?

Son nom le dit : il paît ; il nourrit les âmes d’une parole qui n’est pas la sienne (comme le berger nourrit ses brebis d’une herbe qu’il n’a pas fait croître) ; mais il les paît au moyen de sa propre parole, qui reproduit et approprie aux besoins divers la parole divine, et devient tour à tour parole d’instruction, de direction, d’exhortation, de réprimande, d’encouragement et de consolation.

[La parole est donc son instrument ; mais ce n’est pas tout : le pastorat doit être conçu comme une paternité, et, à l’exemple de Jésus-Christ, le ministre doit compatir à tous les intérêts et à toutes les misères du troupeau. Il doit être tout à la fois aumônier, juge de paix, maître d’école.

[Telle est, dans notre Eglise, l’idée du pasteur. L’Eglise catholique a porté l’essentiel ailleurs. Il était impossible, au point de vue du péché, que, dès ses premiers pas, l’Eglise chrétienne n’eût pas la tentation de retourner en arrière. C’est la pente où nous glissons tous : rien n’est vivace comme la tendance à revenir à ce que Dieu a aboli.] Chrysostôme déjà voit l’essentiel de l’office du pasteur dans l’administration du sacrement[g]. C’était un retour vers l’ancienne loi, et c’est une des premières traces de l’importance exclusive que l’Eglise catholique a donnée plus tard à cette partie des fonctions du ministre.

[g] Beau passage De Sacerdotio, lib. III, c. IV.

Au nombre et à la tête des réminiscences judaïques dont le catholicisme est plein, il faut mettre sans doute la présence réelle. Dieu est « réellement » présent dans le culte catholique comme dans le culte lévitique. J’ose dire qu’au point de vue de la spiritualité chrétienne, c’est cette ressemblance même qui condamne le catholicisme. Si j’ai connu Christ selon la chair, je ne le connais plus de cette manière. (2 Corinthiens 5.16)

C’était aussi nous ramener à la caste, par cela seul que les rites peuvent être bien célébrés par un individu quelconque ; en sorte que la personnalité n’y compte pour rien. Dans les communions où l’idée de prêtre domine, l’individualité étant peu de chose, le corps doit prévaloir d’autant[h].

[h] Voyez Lamennais, Affaires de Rome.

Pour nous, le ministre est essentiellement ministre de la parole ; pour nous, loin que la parole devienne rite, c’est le rite qui devient parole ; nous abondons dans le sens des apôtres, qui rapportent l’œuvre de l’Evangile à l’incarnation de la Parole, et nous ne trouvons rien de trop fort dans ces expressions d’Erasme : Diabolus concionator : Satanas, per serpentem loquens, seduxit humanum genus. Deus, per Filium loquens, reduxit oves erraticas[i].

[i] Le diable prédicateur : Satan, parlant par le serpent, a séduit le genre humain. Dieu, parlant par le Fils, a ramené les brebis égarées. Ecclesiastes, lib. I. (Editeurs.)

Ce ministère, essentiellement moral puisque la parole en fait l’essence, ne laisse pas la parole se matérialiser et se tourner en rite. Il veut être l’action d’une âme sur une âme, de la liberté sur la liberté. Il est avant tout, il reste après tout, une vertu. L’Eglise catholique, tout en paraissant donner plus d’autorité et plus d’action au pasteur, a réellement restreint l’office pastoral, en stéréotypant les premières formes sous lesquelles il s’est exercé[j], et en prescrivant comme rites ce qui devait être suggéré à chaque fois par la charité et par la sagesse, selon le besoin et les circonstances. [D’un côté c’est une bibliothèque réelle, de l’autre une bibliothèque simulée en bois. Les deux communions ont la confession ; mais dans l’une c’est une confession du cœur, dans l’autre une confession commandée, et qui, dès lors, cessant d’être morale et vraie, n’est plus rien. Voilà l’abus du catholicisme ; mais il ne faut pas l’exagérer : le catholicisme ayant la croix, connaît aussi la spiritualité de l’Evangile. — Du reste, il s’est élevé, parmi les catholiques, de vives protestations contre la prédominance exclusive du rite, surtout de la part des jansénistes, qui attachaient à la prédication une très grande importance, la considérant comme le plus grand et le plus redoutable des mystères[k]. Cela nous mène bien loin de saint Augustin, qui ne voit de redoutable que l’eucharistie. On croit qu’il n’y a pas de mystère dans cette action de l’âme sur l’âme par la parole, parce que c’est une chose ordinaire ; comme si ce qui est ordinaire n’était pas souvent très mystérieux et insondable. La même parole agit dans un sens sur l’un, dans un autre sens sur l’autre. Sans doute, le caractère de l’individu y entre pour beaucoup ; mais d’où vient qu’un prédicateur chaleureux ne produit souvent pas d’effet, tandis qu’un faible prédicateur creuse souvent de profonds sillons dans les âmes ? Combien n’ont pas été touchés par l’un et l’ont été par un autre ! Combien souvent il ne tient qu’à un mot que l’âme qui nous écoute soit convertie ! La dispensation en vertu de laquelle une âme, une seule âme, est touchée dans toute une foule qui reste froide, n’est-elle pas un des plus grands mystères ? Oui, la prédication est un mystère, le plus profond de tous, celui qui renferme une multitude d’autres mystères. Au fond, c’est Dieu qui prêche, et l’homme n’est que son instrument.]

[j] Elle a donné une forme arrêtée à chacune des inspirations de la charité pastorale.

[k] Voyez la citation de Saint-Cyran, à l’Appendice, note 11.

La forme du ministère, c’est donc la parole. L’objet du ministère, c’est de rassembler sous la discipline de Jésus-Christ, d’amener captives à son obéissance les âmes qui y sont destinées ; c’est de perpétuer, d’agrandir, de fonder sans cesse le royaume de Dieu sur la terre.

Pour multiplier cette idée par ses différents aspects, recueillons avec Burnet[l] les différents noms donnés par le Nouveau Testament aux ministres de l’Evangile. Et remarquons d’abord que, dans la sphère ecclésiastique comme dans la sphère politique, tous les noms de fonctions, de dignité, etc., ont, à leur origine, une tout autre saveur, une tout autre énergie que lorsque l’usage les a tout à la fois consacrés et flétris. Il leur arrive comme aux noms propres, qui ne sont plus que des signes arbitraires après avoir été de vrais qualificatifs. A l’origine d’une institution vraiment originale, les noms de charges expriment des devoirs, des affections, des espérances ; c’est l’âme qui a nommé ; et le nom qu’elle a trouvé exprimait moins un pouvoir bien nettement circonscrit, une attribution légale, qu’une vertu à exercer, une idée à réaliser. Tous les vrais noms sont des adjectifs, qui deviennent substantifs par le laps du temps.

[l] A discourse of the pastoral care, page 44.

1. Diacre (c’est le mot que nous traduisons par ministre) signifie serviteur, en y joignant l’idée de liberté (de Commission : commis à un certain office ; commissaire. Le mot diacre, comme tous les mots qui se sont attachés à une institution, a eu le sort de nommer, au lieu de ce que la chose devait être, au lieu de l’idéal de la chose, ce qu’elle est devenue, ce qu’elle a été accidentellement dans un certain temps et de certaines circonstances, une forme de la chose plutôt que la chose elle-même ; le sens idéal fait place au sens historique, et l’histoire devient la loi de l’idée. — Le mot diacre a pris une acception spéciale ; mais elle était générale d’abord ; et il désignait, sans distinction, tout ministre ou serviteur de l’Evangile :

Pour l’acception spéciale et postérieure, voyez :

[m] Le Nouveau Testament des ministres vaudois (Lausanne, 1839) traduit : les serviteurs de l’assemblée.

Nous sommes frappés de ce titre de diacre comme d’un titre spécial, parce qu’une institution particulière s’est approprié ce nom ; mais, dans la première série de passages que nous avons cités, il n’est pas plus spécial que ne l’est le mot δουλος ; (esclave, serviteur) dans Philippiens 1.1 : Paul et Timothée, esclaves (ou serviteurs) de Jésus-Christ. — Et à quoi a-t-il tenu que les membres, du clergé ne portassent le nom de doules et le ministère celui de doulie, comme quelques-uns des membres de ce clergé ont pris le nom de diacres, et leur fonction celui de diaconat ?

2. Presbyteros (ancien) :

Nos versions rendent communément πρεσβυτερος par pasteur, qui ne se trouve guère appliqué aux ministres que dans Ephésiens 4.11 : … Et les autres pour être pasteurs et docteurs.

3. Evêque — présenté comme synonyme d’ancien :

Cela n’empêche pas qu’il ne pût y avoir des évoques surveillant d’autres évêques, inspecteurs des inspecteurs : Ne reçois aucune accusation contre un pasteur que sur la déposition de deux ou trois témoins ; (1 Timothée 5.19) — et Tite 1.5, cité plus haut. Mais ce n’était pas une institution, c’était une mesure.

4. Apôtres ou délégués. — Quant à nos frères, apôtres des Eglises[n], ils sont la gloire de Christ. (2 Corinthiens 8.23)

[n] Envoyés des assemblées. (Traduction des ministres vaudois.)

Il faut reconnaître pourtant que ce mot est appliqué κατ’ ἐξοχν [par excellence] aux envoyés immédiats de Jésus-Christ dans Actes 2.42 : Ils persévéraient dans la doctrine des apôtres.

Notre intention n’est pas de déterminer le travail, la fonction particulière que désigne chacun de ces noms[o]. Nous croyons que les mots d’ancien et d’évêque désignent les administrateurs des Eglises, soit qu’ils fussent ou non chargés de la fonction d’enseigner, fonction attachée à un don ou à une grâce, qui ne paraît pas avoir déterminé la nomination des anciens ou des évêques, puisque ni l’un ni l’autre de ces deux mots ne figure dans les fameux passages, Ephésiens 4.11 et 1 Corinthiens 12.28-30 ; et quant au mot de diacre, il a un sens beaucoup plus général et un sens beaucoup plus spécial que les deux autres, désignant ou toute espèce de travail pour l’Evangile, ou une fonction très particulière dans l’Eglise. — Notre but est seulement, sans nous arrêter à distinguer ces différentes applications du ministère, de relever, au moyen des mots, les caractères communs à toutes, les. caractères du ministère évangélique, quel que soit le département dans lequel il s’exerce. Ce que nous avons trouvé dans, ces trois premiers mots, c’est-à-dire sans sortir des termes propres et avant d’aborder les figures, ce sont les idées de service volontaire, d’autorité (fondée, dans un cas, sur l’âge), et de surveillance[p]. — Mais il est probable que les expressions figurées nous apprendront davantage ; car elles sont destinées, en tout sujet, à atteindre, dans l’idée, un fond plus intime, où l’expression propre n’atteint pas. Nous allons donc citer les expressions figurées qui, incontestablement, sont appliquées par avance aux ministres de l’Evangile.

[o] Consulter là-dessus Néander, Geschichte der Apostel, t. I, p. 37-47. – Vulliemin Mœurs des Chrétiens pendant les trois premiers siècles, p. 178 et suivantes.

[p] M. Vinet n’a ajouté qu’après rédaction le mot apôtre à cette première série de noms ; c’est pour cela sans doute qu’il ne relève pas ici l’idée de mission renfermée dans le quatrième. (Editeurs)

Pasteur n’est point, comme on serait porté à le croire, le synonyme d’ancien, mais celui de docteur. (Voir Ephésiens 4.11) — Nous avons déjà dit que la charge d’ancien ou d’administrateur n’est point comprise dans cette distribution solennelle de pouvoirs ou de vertus (Χαρισματα) dont il est parlé plus haut. — Au reste, le passage d’Ephésiens 4.11, est le seul où le titre de pasteur soit directement appliqué aux ministres de l’Evangile ; mais sans doute qu’il leur est appliqué indirectement lorsque Jésus-Christ est appelé le pasteur et l’évêque de nos âmes (1 Pierre 2.25), et lorsque Jésus-Christ dit à Simon : Pais mes brebis. (Jean 21.16-17.)

  1. Le mot pasteur, pris au sens figuré, est déjà dans l’Ancien Testament ; mais là il s’applique indistinctement aux prophètes et aux magistrats[q]. Au reste, dans le sens de la théocratie, des magistrats seraient des pasteurs, tout comme les pasteurs seraient des magistrats. Ce seraient deux formes d’un même emploi. — Cependant Ezéchiel 34 passim, s’appliquerait admirablement à un pasteur dans le sens actuel du mot.
  2. Econome ou dispensateur. — Que chacun nous regarde comme des dispensateurs des mystères de Dieu ; au reste, ce qu’on demande dans des dispensateurs, c’est que chacun soit trouvé fidèle. (1 Corinthiens 4.1, 2)
  3. Ambassadeur. Nous faisons la fonction d’ambassadeurs de Christ. (2 Corinthiens 5.19, 20)
  4. Ange ou envoyé. Les sept étoiles sont les anges des sept assemblées. (Apocalypse 1.20)
  5. Conducteur. Obéissez à vos conducteurs. (Πειθεσθε τοις ἡγουμενοις ὑμων) (Hébreux 13.17)
  6. Architecte J’ai posé le fondement comme un sage architecte. (1 Corinthiens 3.10)
  7. Ouvrier. Nous sommes ouvriers avec Dieu ; vous êtes le champ que Dieu cultive, l’édifice de Dieu. (1 Corinthiens 3.9.) — Un père de famille… loua des ouvriers pour travailler à sa vigne. (Matthieu 20.1) — La moisson est grande, mais il y a peu d’ouvriers, priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers dans sa moisson. (Matthieu 9.37, 38) — J’ai planté, Apollos a arrosé, mais c’est Dieu qui donne l’accroissement. (1 Corinthiens 3.6)
  8. Soldat. Epaphrodite, mon compagnon d’armes. (Philippiens 2.25) — Endure les travaux comme un bon soldat de Christ. (2 Timothée 2.3)

[q] Ποιμενες λαωνIl s’en faut peu que la religion et la justice n’aillent de pair dans la république et que la magistrature ne consacre les hommes comme la prêtrise. (La Bruyère, Les Caractères. Au chapitre intitulé : De quelques usages.) — Voir Burnet, A discourse of the pastoral care, page 45.

Remarquons d’abord que de toutes les dénominations par lesquelles on peut s’attendre à voir désigné ou caractérisé le ministre de la religion, il n’y en a qu’une qui manque dans le Nouveau Testament : c’est celle de prêtre, quoique ce soit le mot chrétien presbyteros qui ait fourni le mot prêtre. Il peut y avoir des prêtres dans les religions qui attendent le vrai et souverain prêtre : il n’y en a point dans la religion qui l’a reçu et qui croit en lui. Là personne n’est prêtre parce que tout le monde est prêtre ; et il est remarquable que ce mot ne soit appliqué qu’aux chrétiens en général dans l’Evangile. — Voir 1 Pierre 2.9 : Vous êtes la race élue, le sacerdoce royal[r], etc., accomplissement de la prophétie d’Esaïe 61.6 : Vous serez appelés les sacrificateurs de l’Eternel, et on vous nommera les ministres de notre Dieu.

[r] Βασιλειον ἱερατευμα.

Il a fallu créer un sacrifice, perpétuer le sacrifice unique et une fois consommé, pour recouvrer cette idée de l’ancien sacerdoce, absorbée dans le suprême et éternel sacerdoce de Jésus-Christ.

Pour nous, qui ne recevons pas la présence réelle, que reste-t-il dans le ministre, après que, d’ailleurs, les dons surnaturels ont cessé ? Le chrétien, mais le chrétien consacrant son activité à faire d’autres chrétiens, ou à entretenir dans le christianisme ceux qui ont embrassé cette religion. Il fait, mais habituellement, ce que, dans l’occasion et d’une manière spéciale, doivent faire tous les chrétiens. Il le fait avec un degré d’autorité proportionné à ce qu’on peut supposer de, connaissance et d’aptitude à un homme qui se consacre uniquement à cette œuvre. Mais il n’a aucune révélation particulière. En annonçant la sagesse de Dieu comme un mystère (1 Corinthiens 2.7), en se donnant pour dispensateur des mystères de Dieu (1 Corinthiens 4.1), il ne se donne pas pour plus inspiré que le dernier des fidèles. C’est un dispensateur, un économe du bien commun ; il ne prend pas, comme Jésus-Christ, de ce qui est à lui (Jean 16.15), mais de ce qui est à tous. S’il trouve juste, d’après la parole de saint Paul, que les. fidèles lui obéissent comme à leur conducteur spirituel (Hébreux 13.17), le sens où il l’entend laisse intacte la liberté et la responsabilité de ceux qui obéissent. Il proteste contre l’idée de dominer sur les héritages du Seigneur. (1Pierre 5.3) A comparer avec 2 Corinthiens 1.24 : Non que nous dominions sur votre foi. Il oppose même l’individualité et l’indépendance du chrétien à la servile crédulité de l’idolâtre : Vous savez que vous étiez gentils, entraînés vers les idoles muettes selon qu’on vous menait. (1 Corinthiens 12.2)

L’idée de service[s] surnage par-dessus tous les titres qu’ils se donnent et l’autorité qu’ils s’attribuent ; ils écartent d’eux toute idée de puissance propre : Que sont Paul et Apollos, sinon des serviteurs ? (1 Corinthiens 3.5) — Et remarquez que ces conducteurs, ces ambassadeurs, se disent les serviteurs, non seulement de Dieu, mais des fidèles eux-mêmes. S’ils disent : Que chacun nous regarde comme des serviteurs de Jésus-Christ, (1 Corinthiens 4.1) ils disent aussi : Et quant à nous, nous sommes vos serviteurs pour l’amour de Jésus-Christ. (2 Corinthiens 4.5) — Soit Paul, soit Apollos, soit Céphas, tout est à vous, et vous êtes à Christ, et Christ est à Dieu[t]. (1 Corinthiens 3.22)

[s] Δουλος est un nom plus d’une fois appliqué aux apôtres. Voir : Romains 1.1 ; Galates 1.10 ; Philippiens 1.1 ; Colossiens 4.12 ; — 2 Timothée 2.24 ; — Tite 1.1 ; Jacques 1.1 ; 2 Pierre 1.1 ; Jude 1.

[t] Sur la prompte invasion du principe opposé, c’est-à-dire de l’autorité personnelle du prêtre ; voyez Schwarz, Katechetik, pages 11-12. — Aussitôt après l’âge apostolique, on voit naître le clergé et la hiérarchie.

Rapprochez tous les titres, tous les noms qui sont donnés dans l’Evangile aux ministres, vous n’en trouverez aucun qui sorte des limites de cette idée : serviteur de l’humanité dans son plus grand intérêt pour l’amour de Dieu. [Tout est généreux dans cette institution, qui ne veut d’autre force que la persuasion, n’a d’autre but que le règne de là vérité ; et ne se distingue que par un plus absolu dévouement.]

Cependant tous ces noms, toutes ces métaphores, tous ces passages additionnés, n’atteignent pas à la somme complète des éléments du ministère ; à l’idéal du pasteur. — Nous avons besoin d’un type, d’un modèle, d’une personnification de chaque idée. Où faut-il la chercher ? Si quelqu’un a été le type de l’homme, il a été par là même le type du pasteur ; car il est impossible que le pasteur ne fasse pas partie de l’homme idéal, impossible que celui en qui la perfection de la nature humaine aura été pleinement représentée, n’ait été pasteur.

Cet homme nouveau, ce second Adam, n’aura été tel que par la charité ; le premier objet de la charité, c’est ce qu’il y a d’immortel dans l’homme ; c’est donc sur l’âme que se sera exercée sa charité ; et comme on ne peut faire du bien à l’âme qu’en la régénérant, et qu’elle ne peut être régénérée que par la vérité, donner la vérité, nourrir l’âme de vérité, là paître dans des parcs herbeux et le long des eaux tranquilles, a été nécessairement l’office de l’homme parfait, de l’homme-type : il a dû être pasteur.

Aussi l’a-t-il dit : Je suis le bon berger. (Jean 10.11) Et d’abord : Je suis venu pour servir et non pour être servi. (Matthieu 20.28)

Aussi ses disciples immédiats l’ont-ils nommé, par excellence, le pasteur et l’évêque de nos âmes. (1 Pierre 2.25)

Et lui-même a donné le plus sublime commentaire de ce mot berger par ceux-ci : Le bon berger donne sa vie pour ses brebis. (Jean 10.11) — [Ici la métaphore est insuffisante : il n’est pas dans l’idée du berger de donner sa vie pour ses brebis.]

Et ce qu’il a dit, il l’a fait. — Il n’attend pas seulement la brebis, mais il court après elle ; il va de lieu en lieu. (Jean-Baptiste a attendu dans le désert.) Et enfin, de pasteur se faisant agneau, se substituant aux agneaux, il a été immolé. Il est l’agneau immolé dès la fondation du monde. (Apocalypse 13.8)

Ce divin pasteur, qui devait être, selon saint Bernard, le pasteur des mondes dans les cieux, et qui s’est fait celui, de l’humanité, a embrassé dans sa sollicitude tous les intérêts de l’humanité, à qui il a fait, pendant les jours de sa chair, et le bien qu’elle aime et le bien qu’elle n’aime pas.

Enfin, car nous avons dû réserver ce trait pour le dernier, il a, de propos délibéré, sans nécessité extérieure (dans tout le reste, les circonstances ont concouru avec sa volonté), il a symbolisé l’esprit du ministère en lavant les pieds de ses disciples, et il n’a pas permis, par son silence, que ce symbole restât obscur. (Jean 13.5-16) Si, comme il le dit lui-même dans cette occasion, le serviteur n’est pas plus que son maître, nous avons trouvé l’idée du pasteur. [Nous devons être serviteurs ; mais] la notion de service, dans sa plénitude, renferme celle de sacrifice. [Le ministre est une victime permanente, il doit l’être. — On pourrait dire : le chrétien est déjà victime ; cette dénomination ne dit rien de plus pour le pasteur. — L’objection ne fait que donner de la force à notre assertion ; car, si le chrétien est victime, le pasteur, chrétien d’office, l’est bien davantage.]

Résumons-nous. Le pasteur n’est donc autre chose que le distributeur en titre de la Parole de Dieu. C’est un homme qui se consacre à rompre aux multitudes le pain de la vérité. C’est un homme qui se dévoue à appliquer, à approprier aux hommes l’œuvre rédemptrice de notre Seigneur Jésus-Christ[u], en tant que Dieu a résolu de sauver les hommes par la folie de la prédication. Comme Jésus-Christ a été envoyé de Dieu, il est envoyé par Jésus-Christ. Il vient, de sa part, faire par reconnaissance tout ce que Jésus-Christ a fait par pur amour[v]. Il reproduit tout de Jésus-Christ, sauf ses mérites. Il n’est, quant aux obligations, qui lui sont imposées, ni moins ni plus que son maître. Il fait, sous les auspices de la divine miséricorde, tout ce que Jésus-Christ a fait sous le poids de la colère divine. Il continue en parole, en œuvres et en obéissance, Jésus-Christ.

[u] Dieu était en Christ, réconciliant le monde avec soi, et il a mis en nous la parole de celle réconciliation. (2 Corinthiens 5.19)

[v] Pour l’assemblage des saints, pour l’édification du corps de Christ. (Ephésiens 5.12)

HYMNE

O Roi de gloire et homme de douleur ! quiconque t’a aimé a souffert, qui t’aime consent à souffrir. Il est promis tout ensemble à la gloire et à la douleur.

On souffre à ton sujet jusque dans les songes ; ainsi souffrait, sans te connaître, la femme du juge qui te livra. Qui t’aime un peu ou qui te pleure, n’a qu’à se trouver sur ton chemin : on lui fait partager, comme à Simon de Cyrène, le dur fardeau de ta croix.

On maudit ceux qui te bénissent ; l’humanité les exclut de l’universelle communion ; et dans ce lieu d’exil de la famille humaine, ils sont, eux, deux fois en exil.

Tous ceux qui t’ont aimé ont souffert ; mais tous ceux qui ont souffert pour toi t’en ont aimé davantage. La douleur unit à toi, comme la joie unit au monde. La douleur enivre, comme un vin généreux, ceux que tu convies à ton mystérieux banquet, et elle arrache à leur cœur déchiré des hymnes d’adoration et d’amour. Heureux qui, comme le Cyrénéen, se sera baissé pour prendre sa part de la croix que tu traînes ! Heureux qui voudra endurer en son corps ce qui reste, ce qui restera jusqu’à la fin du monde, à souffrir de tes souffrances, pour l’Eglise qui est ton corps !

Heureux le pasteur fidèle, qui continue en sa chair ton sacrifice et ton combat ! Tandis qu’il lutte et qu’il gémit, je le vois, dans mes visions, couché vers ton sein, comme, au jour du banquet, funèbre, celui que tu aimais.

Lui-même, tandis que la charité le porte, poudreux et sanglant, de lieu en lieu et de souffrance en souffrance, lui-même, à l’insu du monde, repose sur ton sein, dans une retraite auguste, et savoure en silence la suavité de tes paroles.

Heureux le pasteur fidèle ! Sa charité multiplie ses sacrifices, et ses sacrifices multiplient sa charité ; l’amour, qui est l’âme de ses travaux, en est aussi la très grande récompense.

Heureux le pasteur fidèle ! Ce que voudrait être chaque chrétien, il l’a été. Cette croix, que chacun essaye à son tour, il la porte sans cesse. Ce Jésus, à qui le monde dispute incessamment nos regards, ce Jésus est lui-même son monde et l’objet de sa contemplation assidue.

Heureux, trois fois heureux, si tout son désir est d’ajouter quelques voix au concert des bienheureux, et de rester caché dans la joie universelle, gardant seulement dans son cœur l’invisible regard et l’éternel Cela va bien du Maître et du Père !

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