Théologie pastorale

3. Rapports des ecclésiastiques entre eux

On peut distinguer les rapports de confrères, de suffragants et de collègues.

Sans recommander le moins du monde l’esprit de corps ou de caste, on peut recommander, dans l’intérêt du ministère et de l’Eglise, la bonne harmonie et les rapports fréquents entre les membres d’un même clergé. Si l’apôtre saint Paul ressentait dans son cœur tout ce qui affectait le cœur ou la situation extérieure de ses disciples, il ressentait sans doute à un degré particulier tout ce qui intéressait ses compagnons d’œuvre. Il faut profiter les uns des autres, et profiter les uns aux autres ; s’honorer par une confiance mutuelle ; s’édifier par un esprit de paix, de déférence et de franchise, soit dans les assemblées communes, soit dans les rencontres individuelles ; conserver le sérieux dans la familiarité, et ne pas laisser la confraternité dégénérer en camaraderie ; être empressé à exercer les uns envers les autres une honorable hospitalité ; subvenir aux besoins d’un confrère mal à l’aise, et ne pas laisser à d’autres tout le soin et tout l’honneur de pourvoir à ses nécessités ; conférer, autant qu’il se peut, pour profiter de l’expérience les uns des autres ; enfin, maintenir entre soi autant d’unité de principes et même d’unité extérieure que la sincérité et la liberté en comportent naturellement.

Suffragants. — La position du suffragant dans notre pays n’est généralement pas difficile. Il n’est pourtant pas superflu d’indiquer aux jeunes ministres quelques principes qui doivent les diriger. Le ministre suffragant n’est ni un ouvrier, ni un commis, ni un clerc ; il agit, dans une certaine sphère, avec souveraineté ; il faut donc qu’il se réserve une part inviolable d’indépendance ; mais il doit, dans tout ce qui n’appartient pas à cette sphère, se considérer comme subordonné à la volonté du pasteur titulaire, à moins qu’il ne lui ait été imposé d’office. Il devra, dans les cas où ce pasteur ne veut pas se prévaloir de son droit, et dans les cas où le suffragant doit se décider par lui-même, consulter son ancien, l’écouter avec une attention sincère, bien persuadé que l’expérience est quelque chose, que les conseils qui ont d’abord le plus étonné ont fini souvent par paraître aussi naturels que judicieux, et se rappelant que des opinions dont il ne croyait pas pouvoir jamais douter, ont fini par lui paraître absurdes et ridicules. Le jeune ministre, s’il est sage, n’innovera que peu ; il ne lui suffira pas, en général, qu’une innovation soit utile, il faudra qu’elle soit nécessaire. Il n’empêchera, ni directement ni indirectement, le pasteur de mettre la main à l’œuvre du ministère ; mais il fera en sorte de continuer ce qu’il a commencé, et qu’on ne mêle pas, à l’impulsion qu’il a donnée, une autre impulsion, qui, sans être contradictoire, mais seulement parce qu’elle est différente, jette le trouble dans les esprits et brise l’unité et la solidité de l’œuvre. Il sera modéré dans sa prédication, se permettra peu d’allusions locales, et s’efforcera de joindre la modestie à l’autorité.

Si c’est une chose bonne et une chose agréable que les frères demeurent unis ensemble, (Psaumes 133.1) elle est surtout bonne et agréable entre ceux qui exercent au milieu d’un même troupeau le ministère de la réconciliation. Cette union n’est pas si commune, ni, là où elle existe, si parfaite qu’on aurait lieu de l’espérer et de le prétendre. Je n’ai pas besoin d’en dire les raisons, ni d’insister sur le devoir de rétablir cette union et de la perfectionner, puisqu’il est évident que rien ne porte une atteinte plus grave à la considération du ministère et à son effet moral, que la mésintelligence des pasteurs. C’est là la pierre de touche de plus d’un christianisme qui se croyait bien pur. Tant qu’on était seul, on croyait faire le bien pour l’amour seul du bien ; en sorte qu’on aurait dit volontiers Terar dum prosim[l]. Mais quand on l’a vu faire par d’autres aussi bien et mieux qu’il ne se fait par nous, et qu’on a senti avec effroi qu’on aimerait mieux que ce bien ne se fît pas du tout que de se faire par d’autres aux grands dépens de notre vanité, quand on s’est surpris à s’affliger de leurs bénédictions et à se réjouir de leurs mauvaises mesures et de leurs mauvais succès, alors on peut savoir si, dans le bien que l’on faisait, on aimait autant le bien lui-même que la gloire de le faire. Bien des ministres ont fait là-dessus une découverte profondément humiliante, qui a dû les conduire à reconnaître que la base de leur christianisme et de leur ministère était d’une faiblesse déplorable. Peut-être que toutes les autres causes de désunion entre des collègues, (les empiétements, la jalousie des avantages temporels, les discordes entre les familles des pasteurs, quand les pasteurs eux-mêmes sont disposés à bien vivre entre eux, enfin la différence d’opinions et de système de conduite,) peut-être que toutes ces causes de division sont peu de chose à côté de celle qui tient à la jalousie de métier. Mais il faut les voir toutes, et les éviter ou les prévenir toutes avec un grand soin. Ce qu’il faut recommander surtout, c’est la franchise dans les rapports dès leur commencement ; le mécontentement et le dépit peuvent, plus tard, inspirer assez de franchise, mais une franchise qui ne vaut rien. Celle dont on se sera, fait une loi dès le début, avant toute collision, engendrera la confiance mutuelle, et préviendra, mieux que tout autre moyen, des conflits douloureux et mal édifiants. L’habitude de prier en secret les uns pour les autres, avec soin, avec détail, est tout ce qu’il y a de plus propre à éteindre le feu de la jalousie et du ressentiment : c’est la première chose que nous nous devons les uns aux autres.

[l– « Que je sois écrasé pourvu que je sois utile ! » (Editeurs.)

Je transcris ici, sans commentaire, quelques règles données par Claus Harms. Il y a sûrement quelque chose à en retenir, et ce qui paraît même le plus minutieux peut renfermer des indications importantes :

[m] Harms, Pastoraltheologie, tome III, page 168. — L’originalité de l’expression ajoute souvent, en allemand, à ces conseils de Claus Harms. M. Vinet les cite en allemand ; on a cru devoir en donner aussi la traduction, quoiqu’il fût impossible, en les traduisant, de ne pas les affaiblir. (Editeurs.)

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant