Histoire de la prédication au dix-septième siècle

Appendice

Lettres Inédites du Proposant G. Gondreville à Paul Ferry, Pasteur à Metz.

I

A Paris, le 17 juin 1666.

Monsieur,

Comme j’ai toujours appris avec beaucoup de douleur la continuation de votre maladie, j’ai appris avec beaucoup de joie que vous commenciez à vous mieux porter ; j’en rends grâces à Dieu de tout mon cœur, et je le prie d’un zélé très ardent qu’il vous renvoie une santé parfaite, qu’il vous remette en votre premier état, et vous conserve un bon nombre d’années pour la joie, la consolation et l’édification de l’Église à qui vous êtes si cher et si utile tout ensemble. Vous eûtes la bonté de me permettre un peu avant mon départ de vous entretenir quelquefois ; jusques ici je n’ai pas osé me servir de cette liberté, de peur de vous être importun dans votre maladie ; mais puisque vous commencez à vous mieux porter, je commencerai à m’en servir avec beaucoup de respect.

… Vous me témoignâtes que vous seriez bien aise d’apprendre de fois à d’autres ce qui se passerait ici ; permettez-moi donc de vous entretenir un moment de ce qui est venu à ma connaissance. M. Claude a été reçu, malgré tons ceux qui s’y sont opposés. Son mérite a triomphé de toutes les brigues, et il y a huit jours qu’il a fait sa première semaine, après celle de M. Morus, à qui il a cédé de bon gré la préséance, encore qu’il fût reçu ministre devant lui, parce que M. Morus a été professeur, avant que lui fût ministre. Ce M. Claude est solidement savant ; vous avez sans doute vu son livre ; ses prêches y répondent très bien ; il a une très belle méthode, claire et pleine de jugement. On espère beaucoup de lui ; c’est un homme de grand, travail, fort zélé pour la gloire de Dieu et pour l’édification de l’Église. Il y a peu de jours que je fus le féliciter de sa réception ; il eut la bonté de m’assurer qu’aussitôt qu’il serait établi, qu’il ferait aux proposants la même grâce que M. Gâches, c’est-à-dire qu’il nous donnera un jour chaque semaine pour nous instruire en nous écoutant proposer[a], ce qui me réjouit fort, et d’ici vous voulez bien que je prenne occasion de vous dire un mot de mes études.

[a] Gondreville écrivait, vers le même temps, à un ami : « M. Claude, notre nouveau ministre, est un homme incomparable, et qui nous promet beaucoup à nous autres les proposants aussi bien qu’à tout le peuple. Peut-être ces conférences avec les proposants ont-elles été l’occasion du Traité de la composition d’un sermon, inséré dans les Œuvres posthumes de Claude. (Éditeurs.)

Je vous ai souvent témoigné à Metz que j’avais beaucoup d’inclination pour la langue grecque, et que j’y donnais tous les jours quelques heures, et souvent vous m’avez encouragé dans l’étude de cette langue. J’ai trouvé ici le moyen d’accroître la petite connaissance que j’en ai ; c’est-à-dire que j’ai trouvé un professeur qui sait tout ce que cette langue a de beau et qui m’a promis de ne m’en rien celer. De plus, j’ai trouvé le moyen de bien apprendre la langue hébraïque sous un professeur royal, de sorte que j’ai résolu de donner encore deux ou trois mois à ces deux langues avant que de me mettre entièrement à la théologie. Ce n’est pas que je ne lise tous les jours la Bible, et que je ne fasse des remarques comme vous avez eu la bonté de me conseiller, que je ne relise de fois à autre mon Buchan ; mais tant y a que je fais mes principales occupations de ces deux langues. Je vois assez souvent MM. nos pasteurs, qui, à votre recommandation, ont beaucoup de bonté pour moi. Ils témoignent avoir beaucoup de déplaisir de votre maladie, surtout M. Morus, qui vous baise les mains. Il attend l’occasion de vous écrire. Je vous parlerais particulièrement de lui si je ne craignais vous importuner par une trop longue lettre. Je le ferai quand j’aurai appris que vous vous portez tout à fait bien. Je prie Dieu de tout mon cœur que ce soit bientôt ; cependant je demeure, avec tout le respect qu’il m’est possible, Monsieur,

Votre très humble, très obéissant
et très obligé serviteur.
G. Gondreville.

II

A Paris, le 9 août 1666.

Monsieur,

La seule vue de votre lettre me réjouit extrêmement, parce, qu’elle semblait m’annoncer le recouvrement de votre santé, qui m’est infiniment chère. Elle m’a trompé en quelque façon, puisque vous ne vous portez pas encore tout à fait bien. Je rends grâces à Dieu de ce qu’il vous a donné un peu de soulagement, et je le prie avec autant de zèle qu’il m’est possible qu’il continue à vous soulager et qu’enfin il vous remette bientôt dans un état si heureux que vous puissiez être encore un bon nombre d’années la joie et l’ornement de notre Église. Tous ceux qui vous connaissent ici et particulièrement ceux dont vous parlez dans votre lettre font des vœux pour vous. Je crois que vous aurez reçu la réponse de M. Daillé le père. Je vous envoie le catalogue que vous désiriez du fils. Tous deux vous baisent les mains. M. Claude a reçu avec bien de la joie le compliment que vous lui faites. M. Morus de même, et tous deux vous prient d’être entièrement assuré d’eux.

Et puisque vous souhaitez que je vous parle du dernier et que vous me témoignez que nonobstant votre incommodité, je ne vous serai pas importun, je veux bien vous dire ce que j’en sais. Vous savez, Monsieur, la réputation où il a été inter convitia et laudes. Il a eu des ennemis ; il en a encore ;… mais sans mentir, je crois qu’il y a plus d’envie que de vérité… Les proches de M. Morus sont si pleins de zèle, sa conversation si sainte, que je ne puis pas croire qu’il soit coupable de (ce dont) on l’accuse. Pour ce qui est du jugement, dont plusieurs le croient dépourvu, je crois que c’est faute de le connaître. Il en a infiniment, et si quelquefois il semble en manquer, c’est par jugement ; il veut bien négliger des fins subalternes pour parvenir à la générale ; il veut bien perdre la réputation d’un particulier pour conserver celle du public. Il sait que c’est une chose trop importune que d’être si exact, surtout à un homme qui doit être continuellement occupé à l’étude et à la méditation pour conserver la haute estime qui lui est acquise. Ce n’est pas qu’il soit si brusque ni si farouche qu’on le fait ; j’ai l’honneur de le voir assez souvent ; il me semble fort doux, fort civil et fort agréable. Il est vrai qu’il ne l’est pas également à tous ; mais c’est pour n’être pas accablé de visites, qui le détourneraient de ses méditations, qui durent continuellement, même parmi les rues. Ce sont elles qui lui fournissent ses telles pensées, qui font toujours le meilleur de son discours, c’est-à dire de ses prêches, qui en sont souvent plus remplis que de doctrine ; ce qui fait qu’il n’a pas toujours l’ordre que plusieurs souhaiteraient. Pour dire une belle pensée, il ne fait point de difficulté de sortir en quelque façon de son texte.

Pour ce qui est de sa façon de prêcher, tout le monde reconnaît, ses ennemis mêmes, qu’il réussit bien. Il est grave et majestueux partout. Jamais il n’est bas, quoiqu’il ne soit pas toujours également élevé. Il a toujours du feu ; mais il le ménage très bien, le faisant tantôt plus, tantôt moins paraître ; il y a un accord merveilleux entre sa parole, son geste et ses pensées. Il pratique tout ce qu’un orateur peut avoir de beau ; mais il faut pourtant avouer qu’il n’a ni votre douceur, ni votre agrément, et que, pour bien pendue que soit sa langue, elle ne l’est pas si bien que la vôtre. Je n’en dis pas davantage. Si vous souhaitez d’être averti de quelque chose plus particulière de lui, je vous prie d’avoir la bonté de m’en avertir. Je tâcherai de vous satisfaire en cela, le mieux qu’il me sera possible, comme en tout ce que vous me commanderez. Je vous assure que je vous servirai toujours avec joie, puisqu’il n’y a personne à qui je sois avec plus de respect qu’à vous, etc.

G. Gondreville.

III

A Paris, le 2e octobre 1666.

Monsieur,

… Vous me donnez la liberté de vous entretenir de mes études. Je la veux bien prendre sur la confiance que j’ai en votre bonté, qui m’assure que vous souffrirez bien l’importunité que je vous pourrai causer. Il y a déjà quelque temps que je vous ai dit que je m’adonnais à la langue grecque et à l’hébraïque. J’ai quitté, il y a quelques jours, mon professeur grec, et depuis je me suis mis à la lecture des auteurs grecs. J’ai lu les harangues d’Isocrate et en ai fait des lieux communs. J’ai commencé Homère et je le poursuis. Si je le puis, je lirai encore les autres poètes grecs et ferai suivre les latins ; ce n’est pas qu’en pédant je veuille m’arrêter à chaque mot et peser tous les vers ; je veux simplement y chercher les doctrines ou les pensées, qui, un jour, Dieu aidant, me pourront servir en ma profession. Pour ce qui est de l’hébreu, je le continue, et en particulier et sous notre professeur, et je me sens obligé de le continuer encore quelque temps. Cependant je poursuis toujours à lire la Bible et à y faire des réflexions. J’ai quatre buts principaux en la lisant : premièrement, je tâche d’apprendre tous les plus beaux passages ; secondement, je médite sur l’histoire, pour en tirer de bons dogmes ou de morale ou de théologie ; en après, je remarque toutes les choses mystérieuses, et enfin tous les lieux douteux ou difficiles, pour en consulter les bons commentaires, Messieurs nos pasteurs ou les grands hommes que je pourrai rencontrer, et je me réjouis, si jamais Dieu me fait la grâce de faire un tour à Metz, de vous y consulter comme un oracle.

Il y a environ deux mois que je pris un texte de M. Morus ; je fus, quelques jours après, pour voir quand il souhaitait que je l’exposasse. Il me dit que le jour précédent il avait parlé de moi avec l’illustre M. Conrart, et que je devais l’exposer chez eux. M. Conrart partit le lendemain pour aller à sa belle maison des champs, où il est demeuré jusques à présent, et je ne sais pas bien quand il en retournera, de sorte que ma proposition m’est demeurée sur les bras jusques à présent, et je ne suis pas assuré quand je la rendrai. Je souhaiterais fort que ce fût bientôt ; mais il faut suivre la volonté de celui qui m’en a donné le texte. Aussitôt que M. Claude sera établi et qu’il commencera à effectuer la promesse qu’il nous a faite, je me mettrai tout de bon à la proposition, et je m’exercerai le plus qu’il me sera possible, en continuant toujours la lecture des saintes lettres et celle des auteurs païens. Voilà, Monsieur, l’état de mes études. Si vous avez la charité de m’en dire votre sentiment et de m’honorer de votre bon conseil, vous obligerez infiniment celui qui est déjà, Monsieur.

Votre très humble, très obéissant et très
obligé serviteur,
G. Gondreville.

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