Discours aux Gentils

Chapitre IX

82 Il me serait facile de produire ici des passages presque innombrables empruntés aux Écritures dont pas un seul point ne passera sans avoir son accomplissement, puisqu’elles émanent de l’Esprit saint, qui est comme la bouche du Seigneur : « Mon fils, ne négligez pas plus longtemps la correction du Seigneur, et ne vous laissez point abattre lorsqu’il vous reprend. » Ô bonté ineffable de Dieu envers les hommes ! il nous parle non comme un maître à ses disciples, non comme un Seigneur à des esclaves, non comme un Dieu à des hommes, mais comme un père tendre à ses enfants. Eh quoi ! Moïse lui-même avoue qu’il « fut épouvanté et demeura tout tremblant » quand il entendit parler du Verbe ! Et vous qui entendez le Verbe en personne, vous ne tremblez pas ? vous n’êtes aucunement ébranlé ? Ne vous déterminerez-vous pas enfin à l’adorer et à recueillir les enseignements de sa bouche ; qu’est-ce à dire ? ne vous hâterez-vous pas de marcher à la conquête du salut, en redoutant sa colère, en affectionnant sa grâce, en suivant les espérances qu’il place devant vous, afin que vous évitiez le jugement ? Approchez, approchez mes fils ; car « à moins de devenir comme de petits enfants et d’être renouvelés, » ainsi que parle l’Écriture, vous ne pourrez ni retrouver votre père véritable, « ni entrer dans le royaume des cieux. »

À quel titre, en effet, l’étranger pourrait-il être admis ? Mais qu’il soit inscrit sur les rôles de la cité, qu’il reçoive le droit de bourgeoisie, qu’il retrouve son père, aussitôt, si je ne me trompe, il demeure dans la maison paternelle ; il est institué héritier, et l’enfant de l’adoption partage le royaume de son père avec le fils légitime et bien-aimé. La voilà, « cette assemblée des premiers-nés » qui se compose de nombreux enfants soumis. Les voilà, « ces premiers-nés qui sont inscrits dans le ciel, et qui célèbrent avec des myriades d’anges les solennités du Très-Haut. » Oui, nous sommes ses premiers-nés, et ses amis véritables, nous Chrétiens qui avons été ses premiers disciples, nous qui les premiers avons connu le Seigneur, qui les premiers avons brisé le joug du péché et rompu le pacte par lequel nous étions enchaînés au démon.

83 Mais, hélas ! il en est un grand nombre qui affichent d’autant plus d’impiété que Dieu se montre plus compatissant et plus généreux. Eh quoi ! d’esclaves que nous étions, Dieu nous a faits ses enfants, et les ingrats dédaignent d’entrer dans sa famille ! Ô incroyable démence ! Rougissez-vous donc du Seigneur ? Il vous offre l’émancipation, et vous vous précipitez dans l’esclavage. Il vous présente le salut ; et vous, vous courez tête baissée à la mort. Tenez, s’écrie-t-il, la vie éternelle est à vous, et vous : Nous aimons mieux attendre des supplices éternels, répondez-vous ; et vous embrassez pour dernière espérance le feu que « le Seigneur a préparé pour Satan et ses anges. » Aussi le bienheureux apôtre nous presse-t-il en ces termes : « Je vous en conjure par notre Seigneur, ne vivez plus comme les Gentils qui marchent dans la vanité de leurs pensées, qui ont l’esprit plein de ténèbres, qui sont entièrement éloignés de la vie de Dieu à cause de l’ignorance où ils sont et de l’aveuglement de leur cœur. N’ayant aucune espérance, ils s’abandonnent à la dissolution, pour se plonger avec une ardeur insatiable dans toute sorte d’impuretés et d’avarice. »

84 Je le demande, quand un témoin si vénérable a convaincu par l’invocation du nom sacré l’extravagance des hommes, quelle autre espérance peut-il rester aux incrédules, sinon le jugement et la condamnation ? Toutefois le Seigneur ne les abandonne point à leur malice. Exhortations, prières, menaces, encouragements, admonitions, il n’épargne rien pour les arracher à leurs ténèbres et à leur sommeil. Sa voix leur crie : « Éveillez-vous ; sortez de votre assoupissement ; levez-vous du milieu de ces morts où vous dormez, et le Christ vous éclairera de sa lumière ; » le Christ, soleil de la résurrection, « qui a été engendré avant l’étoile du matin, » et nous a départi la vie réelle par la splendeur de son flambeau. Gardez-vous donc de mépriser le Verbe, de peur que, l’avoir méprisé, ce ne soit vous être méprisés vous-mêmes sans le savoir. Car l’Écriture dit quelque part : « Si vous entendez aujourd’hui sa voix, n’endurcissez-pas vos cœurs, comme à Mériba, au jour de la tentation dans le désert, alors que vos pères m’ont tenté et ont mis ma puissance à l’épreuve. » Sa puissance à l’épreuve, dit-il ! comment cela ? L’Esprit saint va l’expliquer : « Pendant quarante ans ils ont vu mes œuvres ; c’est pourquoi j’ai supporté avec dégoût cette génération et j’ai dit : C’est un peuple dont le cœur est égaré ; ils ne connaissent pas mes voies. C’en est fait, je l’ai juré dans ma colère ; jamais ils n’entreront dans mon repos ! » Eh bien ! les voilà, les menaces ! les voilà, les exhortations ! les voilà, les châtiments !

Pourquoi convertissons-nous la miséricorde en colère ? Pourquoi n’ouvrons-nous pas les oreilles aux enseignements du Verbe ? Pourquoi ne cherchons-nous pas à recevoir Dieu dans le sanctuaire d’une âme sans tache ? Sa promesse deviendra pour vous un immense bienfait, si aujourd’hui vous entendez sa voix. Au reste, cet aujourd’hui s’étend à chaque jour que le Seigneur nous fait, aussi longtemps qu’il est possible de nommer aujourd’hui. Le jour actuel et le temps d’apprendre subsistent jusqu’à la dernière consommation de toutes choses. Par conséquent, le véritable aujourd’hui, c’est-à-dire le jour indéfectible de Dieu, se prolonge jusque dans la longueur de l’éternité. Obéissons donc constamment à la voix du Verbe divin, puisque aujourd’hui signifie l’éternité. Qui dit jour dit lumière ; or, la lumière des hommes, c’est le Verbe aux rayons duquel nous voyons Dieu.

85 C’est à bon droit que la grâce sera répandue avec abondance sur ceux qui ont eu la foi et qui ont bien réglé leurs mœurs. Mais les incrédules « qui s’égarent dans la rébellion de leur cœur, et qui n’ont pas connu les voies » que le divin précurseur les avertit de rendre droites, Dieu s’irrite contre leur résistance et n’a pour eux que des menaces. Quel en sera l’accomplissement ? Les Hébreux errants dans le désert sont le symbole du sort qui les attend. L’Écriture nous dit « qu’ils n’entrèrent pas dans leur repos à cause de leur incrédulité, » avant que, dociles au successeur de Moïse, ils n’eussent appris à la fin par une tardive expérience, qu’ils ne pouvaient être sauvés qu’en croyant à Jésus.

Mais le Seigneur, dont la tendresse pour le genre humain est immense, envoie le Paraclet pour exhorter tous les hommes à la connaissance de la vérité. Cette connaissance, quelle est-elle ? La piété envers Dieu. « Mais la piété, nous dit Paul, est utile à tout ; c’est elle qui a la promesse de la vie présente et de la vie future. » Si la vie éternelle était mise en vente, ô hommes, à quel prix l’achèteriez-vous ? sachez-le cependant ! quand même vous donneriez le Pactole tout entier qui roule des flots d’or, d’après vos traditions fabuleuses, vous n’auriez pas payé le salut à sa juste valeur.

86 Toutefois, que le découragement ne vous abatte point. Vous pouvez, si bon vous semble, acheter ce trésor inestimable par des richesses qui vous soient personnelles, je veux dire l’ardeur de la charité et de la foi, dignes de contrebalancer les dons du Seigneur. Oui, Dieu reçoit avec plaisir cet échange. « Car nous espérons au Dieu vivant, qui est le sauveur de tous les hommes et principalement des fidèles. » Mais la foule des mortels, attachée au rocher du monde comme l’algue des mers à l’écueil qui domine les flots, dédaigne l’immortalité. Je crois voir ce vieillard d’Ithaque qui, au lieu de soupirer après la patrie céleste et véritable, après les rayons de la lumière réelle, poursuivait de ses vœux une vaine fumée.

La piété, pour assimiler l’homme à Dieu, du moins dans la mesure de sa faiblesse, lui assigne pour maître convenable Dieu qui seul peut dignement élever l’homme jusqu’à lui.

87 Il connaissait bien la divinité de cette doctrine, l’apôtre qui écrivait ainsi à Timothée ! « Pour vous, vous avez été instruit dès votre enfance dans les lettres saintes, qui peuvent vous éclairer pour le salut par la foi qui est en Jésus-Christ. » Comment serait-il possible, en effet, que ces lettres ne fussent pas saintes, quand elles font des saints et presque des dieux ? De là vient que l’apôtre déclare divinement inspirées ces Écritures, ou ces volumes formés par la réunion des lettres et des syllabes sacrées. Laissons-le parler lui-même : « Toute Écriture inspirée de Dieu est utile pour enseigner, pour reprendre, pour corriger, et pour conduire à la piété et à la justice, afin que l’homme de Dieu soit parfait et disposé à toutes les bonnes œuvres. » Assurément, quelles que soient les exhortations des autres saints, jamais elles ne produiront sur nous la même impression que le Seigneur lui-même, qui a tant aimé le genre humain. Il ne se propose d’autre but que le salut des hommes. Il les presse, il les pousse dans ces voies. « Le royaume des cieux est proche, » leur crie-t-il incessamment. Il réveille par ces mots l’attention des hommes qui n’ont pas fermé leur cœur à la crainte. L’apôtre du Seigneur, voulant exhorter les Macédoniens dans une circonstance semblable, interprète ainsi ce passage : « Le Seigneur s’avance, prenez garde d’être surpris les mains vides. »

Et vous, êtes-vous donc tellement étrangers à la crainte, je me trompe, tellement enracinés dans l’incrédulité, que, refusant toute foi au Seigneur, et encore plus à Paul, même quand il conjure au nom de Jésus-Christ,

88 vous ne vouliez ni voir, ni goûter que le Christ est Dieu ? La foi vous servira d’introducteur, l’expérience de guide, l’Écriture de maître. « Venez, mes enfants, vous dira-t-elle, écoutez-moi ; je vous apprendrai la crainte du Seigneur. » Puis, elle ajoute brièvement, pour ceux qui sont déjà imprégnés de la foi : « Quel est l’homme qui veut la vie, qui soupire après les jours de bonheur ? » – Seigneur, nous répondons à votre appel, nous écrierons-nous ! nous adorons le bien ; nous voulons imiter ceux qui l’honorent. Écoutez donc, vous qui êtes éloignés ; écoutez, vous qui êtes proches. Le Verbe n’a jamais été caché pour qui que ce soit. Flambeau universel, il luit indistinctement « pour tous les hommes, » et devant ses rayons indéfectibles il n’y a pas de Cimmérien. Hâtons-nous de conquérir le salut par la régénération ! Prenant pour modèle l’unité de l’essence divine, hâtons-nous de nous confondre, nombreux fidèles, dans l’unité d’un seul et même amour, et, désireux de contempler l’essence souverainement bonne à la bonté de laquelle nous participons, marchons également dans l’unité. En effet, le concours de voix nombreuses formant, après la dissonance et la variété, une harmonie divine, monte au ciel comme un concert unique à la suite du Verbe, maître et chef du chœur, et se repose dans la même vérité, en disant : « Mon Père ! mon Père ! » Tel est le premier cri légitime qui, poussé par les enfants de Dieu, est accueilli là-haut par la faveur de Dieu.

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