Hypotyposes (fragment)

CHAPITRE II

Premier moyen d’arriver à la certitude ; définir les noms et les choses.

Point de méthode plus sûre et plus lumineuse au début d’un pareil enseignement, que de définir le mot sur lequel porte la discussion, et cela en termes si clairs, que tous ceux qui parlent la même langue en conçoivent une idée nette et distincte. Le mot blitry[1], par exemple, vide de sens, entre-t-il dans le domaine de la démonstration ? Non sans doute. Voilà pourquoi, ni le philosophe, ni l’orateur, ni le juge, ni aucun plaideur ne cherche à l’expliquer ou à le définir. Ils savent que ce mot ne représente aucune idée. Mais les esprits philosophiques cherchent la démonstration comme quelque chose de subsistant et de réel. Quelle que soit la question en litige, il convient de rattacher le discours à un principe, placé en dehors de la controverse, et sur lequel s’entendent généralement les hommes de la même langue et de la même nation. Il devient alors comme un point de départ. Cela posé, on examinera s’il existe ou non avec l’idée qu’on y attache communément. Son existence est-elle constatée ? On examinera soigneusement quelle est sa nature, et s’il ne renferme rien de plus que la définition dans laquelle on le circonscrit. Il ne suffit point de dire en termes généraux, sur la question litigieuse, ce qui passe par la tête, car l’adversaire a de son côté le même privilège. Mais il faut appuyer par des preuves la proposition avancée. Que si le jugement des deux champions prenait pour point d’appui un principe, également contesté, la discussion se prolongerait indéfiniment, sans pouvoir être amenée à une démonstration. Si, au contraire, un principe avoué de tous vient étayer une proposition douteuse, il devra être le principe constitutif de la doctrine. Il faut que toute proposition repose sur une définition hors de controverse, et manifeste pour tous ceux qui partagent cette délibération, puisqu’elle est destinée à servir de principe à la thèse, et à mettre dans son jour la démonstration de la vérité que l’on cherche. Supposons, par exemple, que le mot sur lequel nous discutons soit le soleil. Les Stoïciens le définissent « un flambeau alimenté par les eaux de la mer et doué d’intelligence ; » mais cette définition, qui a besoin d’une autre démonstration pour constater si elle est légitime, n’est-elle pas plus obscure que le mot lui-même ? Il vaut donc mieux dire, en termes communs et intelligibles, qu’on appelle du nom de soleil l’astre le plus brillant de tous ceux qui parcourent le Ciel. Cette proposition me paraît plus digne de foi, plus claire, et plus généralement reconnue.

[1] Diogène Laërte dit, dans la Vie de Zénon, que l’on prend communément le mot de blitry ou blitéry pour exemple de mot vide de sens.

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