Stromates

LIVRE PREMIER

CHAPITRE XXVI

Que c’est avec raison que l’on donne à Moïse le nom de législateur divin, bien qu’il soit inférieur au Christ, et qu’il est de beaucoup plus digne de ce titre que les législateurs grecs Minos et Lycurgue.

Nous avons donc raison de soutenir qu’une loi divine nous a été donnée par l’intermédiaire de Moïse, pour être la règle du juste et de l’injuste. C’est encore avec raison que nous avons proprement appelé Thesmos (mot formé de Theios divine, et de Nomos loi), la loi que Dieu a donnée par l’organe de Moïse. C’est donc elle qui nous conduit à Dieu. Paul dit aussi :

« La loi a été établie pour arrêter le péché jusqu’à l’avènement de celui qui devait naître, et que la promesse regardait. »

Puis, comme pour développer sa pensée, l’apôtre ajoute :

« Or, avant que la foi fût venue, nous étions sous la garde de la loi qui, par la crainte des peines attachées au péché, nous retenait, pour nous préparer à la foi qui devait être révélée. Ainsi la loi a été un maître qui nous a conduits comme des enfants à Jésus-Christ, afin que nous fussions justifiés par la foi. »

L’habileté du législateur est d’assigner à chacune des facultés de l’âme la tâche convenable, et d’accorder aux œuvres de chacune d’elles le salaire mérité. Or, Moïse était, pour le dire en un mot, une loi vivante parlant et agissant sous l’inspiration du Verbe. C’est pour cela qu’il a doté les Hébreux d’un bon régime politique qui excelle à former les hommes réunis en société. Moïse, en outre, exerça la judicature qui corrige les coupables pour leur enseigner la justice. Aux fonctions de juge se rattache la science de punir, qui réside dans la mesure du châtiment. Au moyen du régime pénal, on redresse l’âme tout en la châtiant. En somme, dans toutes les institutions, Moïse s’est proposé pour objet d’instruire ceux qui pensent devenir probes et justes, et de ramener au bien ceux dont l’âme n’est pas étrangère aux sentiments vertueux. C’est là le talent d’un chef. Quant à l’habileté qui sait tirer un parti convenable des conquêtes de la parole, elle est le propre du législateur. Car cette sagesse étant une qualité toute royale, ce qui la caractérise est de savoir acquérir et se servir. C’est pour cela que le sage est le seul que les philosophes proclament roi, législateur, général, juste, saint et ami de Dieu. Or, si nous trouvons ces différents caractères réunis dans Moïse, comme les Écritures elles-mêmes en font foi, nous déclarerons avec la certitude que donne une conviction appuyée sur des preuves, que Moïse est réellement un sage. De même donc que l’économie pastorale consiste à prendre soin des brebis, car le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis ; de même, nous dirons que la science législative destinée à diriger les troupeaux d’hommes, les forme à la vertu en réveillant les bons principes endormis dans leur âme. Que si le troupeau de la parabole ne signifie rien autre chose que le troupeau des hommes, le Seigneur est donc à la fois bon pasteur et bon législateur, lui qui seul prend soin du troupeau unique, c’est-à-dire des brebis qui entendent sa voix, lui qui avec le secours de la loi et du Verbe, cherche et trouve la brebis perdue ; car la loi est spirituelle et mène à la béatitude, puisque la loi qui émane du Saint.Esprit est spirituelle. Or, le véritable législateur est celui qui non seulement promulgue le beau et le bon, mais encore qui le connaît. Et la loi portée par le législateur qui possède la science est le commandement qui sauve ; ou plutôt, la loi est un commandement de la science. Car le Verbe de Dieu est la puissance et la sagesse ; et celui-là même, par l’intermédiaire duquel la loi a été donnée, est l’interprète de cette loi ; celui-là, c’est-à-dire le fils unique, lui, le premier interprète des commandements divins, qui ouvre le sein de son père, pour en tirer les trésors de la science. Ensuite, ceux qui obéissent à la loi, ne peuvent, par cela qu’ils en ont quelque connaissance, ou ne pas croire à la vérité, ou l’ignorer. Mais ceux qui n’obéissent pas à la loi, et qui ne se livrent à aucune des œuvres qu’elle nous prescrit, et généralement tous les incrédules, confessent par là qu’ils ne connaissent pas la vérité. Quelle est donc l’incrédulité des Grecs ? Refuseraient-ils par hasard de croire à la vérité qui proclame que la loi a été donnée par Moïse après que lui-même l’eut reçue de Dieu, quand, sur le témoignage de leurs propres philosophes, ils honorent eux-mêmes Moïse ? Mais Platon, Aristote et Éphore ne rapportent-ils pas que Minos visita tous les neuf ans l’antre de Jupiter, et en rapporta les lois dont il dota la Crète ? Ne rapportent-ils pas, en outre, que Lycurgue se rendit assidûment à Delphes, auprès d’Apollon, et qu’il en apprit la science législative ? Enfin, Caméléon d’Héraclée, dans son Traité sur l’ivresse, et Aristote dans la République de Locres, ne rapportent-ils pas que Zaleucus reçut de Minerve les lois qu’il donna aux Locriens ? Or ceux qui, pour environner la législation grecque du respect des hommes, prétendent qu’elle est l’œuvre de la divinité, sont des ingrats de ne pas confesser alors la vérité qui a servi d’archétype aux traditions déposées dans leurs livres.

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