Stromates

LIVRE SECOND

CHAPITRE II

C’est par la foi seule que l’on peut arriver à la connaissance de Dieu.

« Ne t’enorgueillis pas de ta sagesse, disent les Proverbes, mais reconnais Dieu dans chacune de tes voies, afin qu’il aplanisse tes sentiers, et que ton pied ne heurte pas. »

Salomon veut montrer par-là que les actions doivent être conformes à la raison. Il veut de plus nous enseigner qu’il faut choisir dans chaque doctrine ce qu’elle a d’utile. Car les voies de la sagesse sont diverses pour arriver à la route qui conduit directement à la vérité ; or, la voie unique de la vérité, c’est la foi.

« Que ton pied ne heurte pas, »

dit Salomon, à l’occasion des hommes qui lui paraissaient on opposition avec cette sagesse une et divine, régulatrice universelle. Aussi, ajoute-t-il :

« Ne sois pas sage à tes propres yeux, »

c’est-à-dire perdu dans tes raisonnements impies qui sont une révolte contre le plan même de Dieu.

« Crains le Seigneur, seul puissant ; »

d’où il suit qu’il ne faut pas résister à Dieu. L’induction elle-même prouve évidemment que la crainte de Dieu consiste à se détourner du mal. Car il dit :

« Crains le Seigneur, détourne toi du mal. C’est la règle de la sagesse. »

Le Seigneur châtie. il est vrai, celui qu’il aime, il le frappe pour qu’il comprenne, et il lui rend ensuite la paix et l’innocence. Cette philosophie, barbare au jugement des Grecs, et sur les traces de laquelle nous marchons, est donc la parfaite et véritable philosophie.

« Lui-même, il m’a donné la vraie science de tout ce qui existe, afin que je connaisse l’ordonnance de l’univers, dit Salomon, au livre de la Sagesse ; »

et ce qui suit, jusqu’à ces mots :

« et les propriétés des racines elles-mêmes. »

Dans cette énumération, il embrasse la contemplation des phénomènes que renferme le monde physique. Il insinue plus bas qu’il désigne aussi le monde moral, quand il ajoute :

« Et j’ai appris les choses secrètes et ignorées, parce que la sagesse, auteur de tout ce qui est, me les a enseignées. »

Vous avez, en quelques mots, la profession de foi de notre philosophie. Entretenue par l’innocence des mœurs, l’étude de ces préceptes nous élève, par l’intermédiaire de cette sagesse, auteur de toutes choses, vers le chef et le modérateur de l’univers : but difficile à découvrir, non moins difficile à atteindre, qui recule incessamment et se dérobe à la main qui le poursuit ! Mais ce Dieu, quoique placé bien loin de l’homme, marche près de l’homme, ô prodige ineffable !

« Je suis le Dieu de près, dit le Seigneur ; c’est mon essence qui est loin. »

À quel titre, en effet, l’incréé se rapprocherait-il du créé ? Mais il nous environne par sa puissance qui renferme tout en elle-même.

« Qui se cachera dans les ténèbres, sans que je le voie, s’écrie-t-il ? »

La puissance de Dieu, en contact avec nous, toujours présente au milieu des hommes, nous voit, nous protège, nous enseigne. Aussi Moïse, persuadé que la sagesse humaine ne peut arriver par elle-même à la connaissance de Dieu, s’écrie :

« Montrez-vous vous-même à moi, »

et il s’efforce d’entrer dans les ténèbres de la nuée où tonnait la voix de Dieu, qu’est-ce à dire? dans les mystères profonds et impénétrables de l’Être. Car Dieu n’est pas dans une nuée, ni dans un lieu ; il réside par delà l’espace, le temps et l’essence des choses. Aussi n’est-il point divisible ; il ne contient ni n’est contenu à la manière des substances matérielles, rien ne le circonscrit, rien ne le partage !

« Quel palais pouvez-vous me bâtir, dit le Seigneur ? »

Lui-même ne s’en est point bâti, puisqu’il est sans bornes ; quoique le ciel soit appelé sa demeure, il n’y est point renfermé, mais il s’y repose, content de son œuvre. Il est donc évident que la vérité nous est cachée, et s’il nous a suffi d’un seul exemple pour le prouver, il faudra bien se rendre tout à l’heure à la multiplicité de nos témoignages ? Et comment refuser nos éloges

« à ceux qui veulent et peuvent arriver, d’après le langage de Salomon, à connaître la sagesse et la discipline, à comprendre les paroles de la prudence, à saisir les lumières de l’intelligence, la justice véritable (car elle diffère de celle que les lois grecques et la philosophie enseignent en dehors de la vérité) et enfin à diriger ses jugements. »

S’agit-il ici des jugements des tribunaux ? Non ; mais de cette conscience qui réside au fond de nous même, et que le texte sacré nous avertit de garder saine et libre, dégagée de toute erreur,

« pour inspirer la sagesse aux simples, la science et l’habileté aux enfants. Le sage, en écoutant deviendra plus sage, et l’homme prudent apprendra l’art de gouverner. Il pénètrera les paraboles et leurs secrets, les discours des sages et leurs mystères. »

Car ceux que Dieu inspire, ne profèrent pas de discours menteurs, ni ceux qui parlent d’après eux. Ils n’enlacent pas la jeunesse dans des filets, à la manière des sophistes, tourbe insouciante de la vérité. Ceux qui possèdent l’Esprit-Saint pénètrent les profondeurs de Dieu, c’est-à-dire s’emparent du sens obscur des prophètes. Mais il est défendu de prostituer aux chiens ce qui est sacré, tant qu’ils demeureront farouches. Convient-il, en effet, de livrer la pure et divine source d’eau vive aux lèvres des hommes envieux, inquiets, incrédules, et qui aboient impudemment contre la vérité ?

« Que tes sources ne jaillissent donc point au dehors ; qu’elles coulent au sein de ton domaine. Car, il en est peu, dit le célèbre Héraclite, qui, en tombant sur ces matières, les comprennent. Quand ils les ont apprises, ils ne les connaissent même pas, quoiqu’ils s’imaginent les connaître. »

Et Abacuc ne vous semble-t-il pas avoir blâmé les incrédules par ces paroles :

« Le juste vivra de la foi ! »

Et cet autre prophète :

« Si vous ne croyez, vous ne comprendrez pas. »

En effet, le moyen qu’elle s’élève à la contemplation naturelle de ces dogmes, l’âme au dedans de laquelle l’incrédulité lutte à tout moment contre les mystères qu’il faut apprendre ? Or, la foi que les Grecs calomnient, en la réputant vaine et barbare, est un préjugé volontaire, un pieux assentiment,

« la substance des choses que nous devons espérer, et l’évidence de celles que nous ne voyons pas »,

suivant le langage du divin apôtre. C’est par elle que les anciens ont été honorés du témoignage que Dieu leur a rendu :

« Sans la foi, il est impossible de plaire à Dieu. »

D’autres ont défini la foi, un assentiment qui nous unit aux choses cachées, comme la démonstration un assentiment manifeste à l’existence d’une chose ignorée. Si donc ce choix comporte le désir, le désir est un acte de l’intelligence. Et puisque le choix de la volonté est toujours le principe de l’action, il suit de là que la foi est le principe même de cette action : base fondamentale du choix plein de sagesse qui la détermine, quand la foi nous a montré un motif raisonnable d’agir. S’attacher volontairement à ce qui est utile, c’est le commencement de la sagesse.

Un choix fermement arrêté est donc d’un grand poids dans l’acquisition de la connaissance. Dès-lors la méditation de la foi devient la science qui repose sur une base inébranlable. De là les philosophes définissent la science une manière d’être que ne peut renverser la raison. Or, existe-t-il réellement quelque autre état semblable, hors la piété, dont la raison est le seul instituteur ? Pour moi, je ne le pense pas. Selon Théophraste, le sentiment est le principe de la foi. N’est-ce pas loi qui suggère les principes à notre raison et à notre intelligence? Ainsi, qui croit aux saintes Écritures, armé d’un témoignage solide et que rien ne saurait contredire, reçoit avec elles la parole du Dieu qui a donné les Écritures. La foi ne repose donc pas sur des preuves matérielles.

« Heureux ceux qui n’ont point vu et qui ont cru ! »

Ainsi les sirènes, avec leurs chants d’une puissance surhumaine, saisissaient d’admiration les passants, et, malgré leur résistance, les attiraient à elles par la séduction de leurs voix.

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